Jacques a la diction prétentieuse de l’ancien hypokhâgneux qui a oublié de sortir de ses livres, et Pierre Deladonchamps parle comme s’il était dans un Rohmer, sans être filmé par Rohmer. Forcément, le personnage est écrivain.
Lui et ses amants, présents ou passés, portent leurs jeans taille haute, T-shirt rentré.
Il aura ce comportement d’enculé qui n’a rien avoir avec la sexualité – la cruauté de l’indifférence, qu’on nous explique à grand renfort de Koltès. Sans explication de texte : partir sans dire au revoir à ceux qui vous aiment.
Et d’autres avant lui, avec lui, qui vont faire un tour sitôt la capote retirée.
OK. Mais.
Il y a ce destin en escalier, où l’un pour l’autre est toujours moins trop vieux que trop mourant. (En 1993, sida oblige, on n’est pas gay, on est homosexuel.)
Il y a la tendresse partout
sous les doigts
des peaux différentes.
Il y a les petites vérités qu’autorise la grandiloquence, dans l’auto-parodie de l’auteur ou de l’alcool. C’est agaçant : on en revient,
mais on y revient.
Ne pas comprendre comment on peut plaire,
mais ne pas comprendre non plus, ensuite, comment on peut être quitté quand on est tombé dans ce puits d’amour.
Être fleur bleu du cul, à chaque éjaculation tomber amoureux,
aimer l’acte autant la personne. Pas moins.
Puis mourir, on y revient toujours. Petitement.
Plaire, aimer et mourir : personne ne court dans ce film, et surtout pas vite. On ne sauve pas qui ne peut l’être.
Jacques est agaçant comme La Belle Personne : tout court. Mais Aimer, plaire et courir vite est agaçant comme Louis Garrel dans Les Chansons d’amour : on lève les yeux au ciel,
et on s’en mord la lèvre (si on désire, évidemment ; j’ai juste souri sur ce coup-là, mais c’était déjà bien).
J’ai lu quelque part que Vincent Lacoste était comme un petit frère breton de Grégoire Leprince-Ringuet dans Les Chansons d’amour :
Bah quoi, t’aimes pas le Mont-Saint-Michel ?
La vanne comme antidote au sentimentalisme
et au reste, même si on ne préfère ne pas bien savoir quoi.
Dans l’absence de la bande-son qui chanterait Je suis beau, jeune et breton, je sens la pluie, l’Océan et les crêpes au citron… c’est lui qui reste, en plan, en dernier plan sur son muret : Vincent Lacoste, très Honoré.
Quand je raconte que je n’ai pas vraiment aimé le Japon et que les gens ouvrent des yeux ronds en pensant à tous ces temples magnifiques sur Instagram, à toutes ces mignonneries made in Japan, il faudrait que je leur montre Senses. Je n’ai vu que les deux premiers épisodes de cette série de cinéma – et il n’est pas improbable que je ne verrai que ceux-là – mais c’est exactement ça, l’atmosphère ressentie lors de mon voyage, qui fait que j’ai pu apprécier les visites mais non aimer le pays. Atmosphère de contrainte, de devoirs si bien intériorisés qu’il étouffent la joie de vivre, étriquent les perspectives, le quotidien, les amitiés même.
Les quatre amies de Senses sont là, les unes à côté des autres, et apprécient ensemble le suspens de leur quotidien, mais c’est comme si jamais l’amitié n’avait pénétré jusqu’à l’intimité. Chacune s’applique à se plier et se replier minutieusement sur elle-même, comme un origami jamais abouti, suspendu à son avant-dernière étape, juste avant la transformation qui la ferait s’épanouir. Ne pas gêner, ne pas encombrer, ne pas exister. Ou si, subitement, dans un sursaut qui, persistant, vire à l’entêtement – incompréhensible pour les autres.
La délicatesse et le raffinement de l’art de vivre japonais semblent subsumés par la retenue, au point que le doute se lève : et si toute cette esthétique de contemplation n’était qu’une vue de l’esprit occidental pour sublimer l’ennui et la contrainte ? On ne voit pas grand-chose dans cette brume de tristesse, qui jamais ne s’épaissira jusqu’au désespoir tant tous s’y sont par avance résignés – à défaut d’avancer, on restera là à regarder, spectateur de sa vie : un flou esthétique, avancera-t-on pour se flouer.
Le ballet de l’Opéra de Lyon a concocté pour sa tournée parisienne une soirée de danse masculine propre à séduire les spectateurs – a fortiori les spectatrices. La soirée est construite comme un podium vu de derrière, plus que comme un crescendo : le bronze d’abord, l’or au milieu et l’argent pour finir.
Le bronze revient à la pièce de Benjamin Millepied. Quand on oublie qu’on l’oubliera sitôt achevée, Sarabande s’apprécie. Même si les danseurs sont contraints à des simulacres de courses par une scène manifestement trop petite (et les spectateurs gênés par le spot central bien trop bas, qui éblouit de manière fort désagréable, surtout quand on porte des lunettes), c’est l’occasion d’admirer la gestuelle élastique de Sam Colbey et d’apprécier les jeux de regard entre les danseurs sur le qui vive – prêt ? Tu ne m’attraperas pas ; à trois ? On y va. Je repère ainsi Albert Nikoll qui, s’il n’a pas la qualité de mouvement de son collègue sus-mentionné, a une présence particulière, une énergie incisive, adoucie par un sourire moelleux… et des cheekbones qui me rendent faibles. But more on bébé-Baryschnikov later. Il faut garder le meilleur pour la fin – au milieu, si vous avez suivi le coup du podium.
Pour l’argent, nous sautons donc directement à Steptext, la pièce de William Forsythe, qui fait danser Julia Weiss, la seule danseuse de la soirée – en pointes et académique rouge, incisive comme une lame de rasoir. Bizarrement, ce sont les brefs moments de suspens qui m’émeuvent, lorsque la danseuse se maintient un court instant entre deux énergiques prouesses : son visage, sculpté par les ombres, se voile d’une magnifique nuance d’abandon, bouche entrouverte, assortie à l’académique, probablement en quête d’un second souffle, mais que les paupières closes ou presque nous offrent d’ignorer une seconde – une prouesse en soi au milieu d’une chorégraphie si exigeante. Le plaisir de la danse sur scène, c’est aussi d’observer les corps comme à la dérobée. Cela ne se fait pas le reste du temps ; on ne voudrait pas être surpris à dévisager, même si c’est l’inverse que ce regard opère, qui cherche à composer le visage d’une personne à partir des angles morts du corps, des gestes insus qui sont si beaux, parfois.
Ces gestes-là, Critical Mass ne manque pas de les faire surgir, bruts, furtifs, dans l’épuisement des corps et de leur poids, qui ne cessent de se transvaser, de se faire contre, tout contre, contre-poids. Quand j’ai entendu les premières mesures, quand j’ai vu les deux danseurs au centre de la scène placés comme ils étaient, l’un lever le bras derrière lui et l’autre le rabattre devant, l’excitation est montée instantanément : c’est ce duo de Russell Maliphant, c’est celui-là. Celui qui m’a fait découvrir le chorégraphe, et l’aimer, alors dansé à Pantin par le ballet de l’Opéra de Lyon, déjà. Et déjà, par un danseur au flegme tout ce qu’il y a de plus croustillant. Il était tellement à son goût que Mum avait déclaré qu’elle en ferait volontiers son goûter : le danseur pain au chocolat était né. Une décennie plus tard, la relève est là : Albert Nikolli, un nouveau danseur pain au chocolat, qui n’a rien à envier à l’ancien. Clairement le mien, cette fois-ci : il semblerait qu’il ait un petit air de Palpatine. Je ne le remarque pas sur le moment, ni après, en fait, parce que la chorégraphie est trop excitante pour ça, un duo-duel où les danseurs se défient de s’épauler et se poussent à bout, au bout d’eux-mêmes. C’est tout ce que j’aime dans la danse, c’est ça : ce qui se passe là, qu’il faut être là pour voir. Lorsque les deux danseurs reprennent place au centre, comme au début, je suis à bout de nerf : je sais que ce sont les dernières phrases chorégraphiques, que le duo va bientôt prendre fin par la reprise de l’ouverture ; je veux que ça arrive et que ça n’arrive pas, que ça continue, je veux en profiter encore, alors que la fatigue relâche les gestes, plus amples encore, que les danseurs à tour de rôle pèsent et donnent tout leur poids sur leur partenaire, se fauchent et se soutiennent. Le bras s’abat sans façon, le corps attend avec une nonchalance non feinte, vitale même, de n’être plus de réserve mais de récupération – il y a une beauté propre à la fatigue, quand la sueur dépouille de tout vernis ; de toute mesure aussi, la puissance brute, épuisée au fond de l’être, qui jaillit encore, peut-être même enfin.
Toutes mes excuses au danseur pain au chocolat ; mais comment voulez-vous que toute cette excitation ne rejaillisse pas sur qui l’a fait monter ?
Les boulangeries étaient fermées, mais je suis allée manger un chocolat liégeois pour fêter ça, l’euphorie de cette bromance chorégraphique. Vive la bro dance.
Red Sparrow commence sur la scène du Bolchoï1. Je ne reconnais pas cette espèce d’Oiseau de feu croisé avec de The Red Shoes et pour cause : c’est une chorégraphie réalisée spécialement pour le film par Justin Peck, crédité en énorme au début du générique. Cela fait franchement plaisir à voir. Le doublage de Jennifer Lawrence par Isabella Boylston fonctionne étonnamment bien2, et le passé de danseuse du personnage perdure au-delà des premières minutes du film : Jennifer Lawrence n’a certes pas un corps de danseuse, mais elle a un maintien et une force intérieure qui font mieux qu’illusion. Une espèce de grâce brute : pas celle, gestuelle et éthérée, que peuvent avoir les danseuses russes, mais une grâce de circonstance, qui se confond avec l’aplomb légendaire de l’actrice. C’est exactement ce dont a besoin son personnage de danseuse devenant espionne suite à une blessure pas vraiment accidentelle : la force mentale, l’endurance, la discipline, la volonté, oui, mais surtout la capacité d’évoluer d’une scène à l’autre, de savoir d’instinct le comportement à adopter pour retourner la situation et s’en sortir l’air de rien. Le couteau sous la gorge, Dominika Egorova reste une ballerine badass.
Faire démarrer l’intrigue au Bolchoï insuffle exactement ce qu’il faut de glamour et de scandale pour la suite (au moment où je me suis dit : ça y est, c’est exagéré pour que le thriller commence, je me suis souvenue de l’attaque à l’acide de Sergueï Filine). L’ouverture dansée est essentiellement filmée depuis l’arrière-scène (toujours l’attraction pour l’envers du décor) et en contre-plongée : sous les tutus des filles s’annonce l’enjeu et l’arme du thriller. Le sexe, évidemment. Loin de n’être qu’un argument marketing pour exciter la moitié du public, la question articule les meilleures scènes du film. Ici, le sexe, c’est le pouvoir. Au premier degré, il concerne les informations soutirées par les espionnes grâce à leurs charmes. Mais ça, c’est bon pour les camarades moins douées de Dominika. Envoyée à « l’école des putes », l’ex-danseuse apprend la manipulation dans l’évitement de sa pratique : sous prétexte d’apprendre à pouvoir tout supporter, la matrone exige d’elle qu’elle se laisse prendre par un camarade ayant plus tôt tenté de la violer ; elle écarte tant et si bien les cuisses qu’elle réduit l’agresseur à l’impuissance. On serine aux apprenties que l’homme est une mosaïque de besoins, et qu’elles doivent savoir sur lequel jouer pour faire entendre à leurs cibles ce qu’elle veulent. Après s’être fait prendre une première fois par surprise, Dominika, elle, leur donne ce qu’ils croient vouloir pour éviter de leur donner ce qu’ils veulent. Toujours piégée, jamais elle ne se soumet, et c’est ce qui rend le film si jouissif à voir.
Tu ne dois pas leur donner tout de toi, conseille la mère à sa fille avant son départ. Dont acte. On peut juste regretter que ce tout se situe une fois encore au niveau de l’entrejambe. Lors des « cours », la matrone russe, qui n’hésite pas à faire mettre ses élèves à poil devant tout le monde, réprouve la pudibonderie des Américains. Le scénario (adapté d’un roman de Jason Matthews,américain) qui nous offre cette saillie, et de nombreuses scènes assez jouissives après ça, est pourtant fondé sur un principe puritain : l’important, c’est de ne pas se faire baiser. Tu gagnes si tu ne t’es pas laissée pénétrer – sauf par amour pour l’Américain à tête de nounours, of course. She fucked them well, se réjouit la nana de l’équipe américaine lorsque les Russes leur présentent comme traître un informateur qui n’est pas le leur ; le film nous a bien fucké nous aussi, même si pour notre plus grand plaisir, avec son adage sous-jacent : baisera bien qui baisera le dernier.
Il n’y a pas à dire, quand il s’agit de mise en scène, ils sont forts, les ricains. Le monument de 9/11 en est une nouvelle preuve, si besoin était : deux immenses béances dans une esplanade, où chutent des milliers de litres d’eau. On a l’habitude de voir les cascades d’en bas, d’où l’on est plus à même de s’émerveiller d’une puissance qui pourrait nous terrasser ; ici, on les voit d’en haut, mais le sentiment de sécurité se transforme subrepticement en malaise lorsqu’on remarque la seconde cascade où disparaît l’eau : un trou noir qui reconduit sans fin l’effondrement des tours, dans un curieux mélange de fracas et de silence. On n’a pas très envie de s’attarder, et pas forcément uniquement parce qu’on a vite fait le tour des pools. (Il faisait beau, nous avons zappé le musée associé et eu assez à faire, ensuite, avec les institutions culturelles traditionnelles.)
Le Guggenheim et sa galerie en hélice
Surprise : le bâtiment est bien plus petit que ce à quoi je m’attendais. Mais sa photogénie ne déçoit pas. C’est même l’attraction principale, au détriment de ses collections, pour le moins, euh… palaisdeTokyoesques ? J’adore l’idée de progresser en hélice, l’art à conquérir comme un sommet si l’on part du bas ou à butiner en déambulant tranquillement si l’on part du haut.
Petit tour au Guggenheim, que je verrais bien reconverti en terrain de bobsleigh à roulettes. pic.twitter.com/WVBkzmCOp6
Côté pratique : y aller sur le créneau Pay as you wish pour éviter de débourser 25 $ (un peu cher quand on vient uniquement pour le bâtiment) et ne pas arriver trop tard, parce que la file d’attente fait le tour du pâté de maison avant même l’ouverture du créneau. Ne faites pas comme nous, prenez l’ascenseur jusqu’au dernier étage dès l’arrivée.
Le MET, Louvre new-yorkais
Le Metropolitan Museum était en rénovation quand j’ai découvert New York ; c’était donc LE musée en priorité sur ma to-visit list. Comme ce Louvre local ne permet pas de tout voir en une seule visite, on s’est rapidement frayé un chemin à travers les salles égyptiennes (en s’attardant sur un merveilleux hall vitré, avec une reproduction d’un temple grandeur nature, plans d’eaux compris :O) pour se diriger vers les collections d’art européen du XIX et XXe siècle. Enfin c’est ce que j’espérais, parce que Palpatine préfère les vieilleries, et on a passé un temps infini certain au milieu de joues roses et de drapés bien peints.
Je zappe sans pitié pleins de toiles et signale les tableaux majeurs à Palpatine, qui arrive toujours avec une salle de retard. Que voulez-vous : il est Jacquemart-André ; je suis musée d’Orsay. On se retrouve devant les Vermeer, parce que : la lumière. Je me rends compte que c’est à peu près tout ce qui m’intéresse dans les siècles reculés, et c’est ce qui m’arrête devant certains tableaux, entamant mon désintérêt déclaré : l’éclat lumineux d’un oeil chez Vigée Le Brun, un turban éclairé par Rembrandt, le clair-obscur de La Tour et… oh my God, je ne connaissais pas, mais je crois reconnaître… gros crush pour la jeune femme dessinant de Marie Denise Villers. Ne dirait-on pas une apparition ? Il se pourrait que je commence à reconsidérer mon indifférence ennuyée envers les vieilleries ; quand on saute par-dessus le Grand Siècle emperruqué, on se trouve parfois face à des traits inattendus de modernité. On m’aurait montré la Vue de Tolède sans me dire qu’il s’agissait du Gréco, je l’aurais sans doute datée du XIXe siècle. Après tout, n’est-ce pas justement ce à quoi on reconnaît les maîtres : leur aptitude à ouvrir une brèche par-delà leur époque ? (À ce compte, il faudra me black-lister Rubens.)
Quand on arrive enfin à ma période fétiche, je virevolte parmi les impressionnistes et frémis à chaque toile entrevue dans la salle suivante, mais comment dire ? Je ne parviens pas à observer avec la même intensité ; je vois, et cela m’empêche de regarder. C’est comme si, biberonnée à cette période, je l’avais intégré à ma vision du monde. Il faut bien admettre que les retrouvailles avec Monet-Van Gogh-Degas et consorts, si plaisantes soient-elles, s’avèrent peu revigorantes ; cela ne décrasse pas l’oeil. Les toiles n’encadrent plus qu’un fragment d’une réalité déjà absorbée, et ne se détachent plus individuellement. Ou rarement, car il y a heureusement plein d’exceptions. Des découvertes ou re-découvertes variées au sein du XIXe siècle : Böcklin (je pourrais rester des heures devant l’île des morts – j’imagine que c’est ce qui s’appelle vivre), Maximilien Luce, Sorolla, Bouguereau, Hammershøi (direct envie d’ouvrir un tumblr des peintures de pièces vides, portes et fenêtres aveugles, où on le mettrait aux côtés de Sun in a Empty Room, de Hopper), la Jeanne d’Arc de Jules Bastien-Lepage (forte impression de déjà-vu-à-New York ; je me demande rétrospectivement si, lors de la rénovation du MET, certaines toiles n’avaient pas été exposées au MoMa)… Une découverte surréaliste du XXe, aussi, qu’il me faudra approfondir : Kay Sage. Comme j’ai moyennement envie de passer deux heures supplémentaires à retrouver et insérer tous les tableaux, je vous invite à jeter un oeil au thread Twitter que j’ai fait sur place, avec la plupart de mes coups de coeur (et aussi pas mal d’âneries).
Côté pratique : rendez-vous au MET après un brunch ou un early déjeuner, parce que le musée est immense et la cafétéria hors de prix si vous cherchez à vous restaurer un tant soit peu substantiellement. Prévoyez si possible dans les deux jours qui suivent un créneau pour vous rendre aux Cloisters, auquel le billet du MET donne accès.
Pour grignoter un morceau avant de venir : Pick a bagel avec des parfums de cream cheese assez délirants au 1101 Lexington Avenue (c’est une chaîne).
The Cloisters, extérieurs et excentrés
Autant les vieilleries moyenâgeuses ne sont pas ma tasse de thé (on est quand même très loin du XIXe siècle, là, faut pas pousser mémé dans les orties), autant j’ai un faible avéré pour les cloîtres et leur arches ménageant un clair-obscur dans lequel il fait bon se promener. Encouragée par Melendili, j’ai suivi Palpatine dans son souhait d’amortir le billet du MET en allant visiter The Cloisters.
Les vieilles pierres des Cloisters étaient essentiellement françaises et le musée essentiellement visité par des touristes… français… comme à peu près partout ces jours-ci à New York. #NYCpic.twitter.com/0bjGvEIgqo
La reconstitution de cloîtres grandeur plus ou moins nature (et la corne de narval plus grande qu’un basketteur) vaut clairement le coup de prendre le métro pendant 40 minutes tout au Nord de Harlem. Le musée est juché en haut d’un parc, pas loin d’un petit belvédère d’où l’on peut admirer les falaises du New Jersey (avec certes un bout d’autoroute en bande-sonore étouffée). Le tout forme une très sympathique balade ; j’ai ajouté le cloître-patio à mes idéaux architecturaux (le bow window paraît désormais simple en comparaison).
Côté pratique : privilégier un jour ensoleillé ou du moins sans pluie, étant donné qu’il faut marcher un bon quart d’heure depuis le métro et que deux des trois cloîtres sont en extérieur.
Pour grignoter un morceau, rendez-vous quasi en face du métro au Broadyke Meat Market (4767 Broadway) pour un bagel custom made (charcuterie et fromages au choix) et de délicieux muffins. Rien que pour l’étiquette suggérant la prononciation du gruyère (gree-hair) et les sayings écrits à la main (It’s not us who are late, so please, don’t rush us), ça vaut le coup .
La Frick, c’est chic
Encore des joues roses, me disais-je à propos de la Frick Collection. Mais JoPrincesse avait insisté. Il faut bien avouer que c’est particulier. Comme dans hôtel particulier : meubles lourds, décoration chargée, moquette feutrée (ai-je déjà marché sur de la moquette dans un autre musée ?). On pourrait y tourner un équivalent américain de Downtown Abbey : tout sent le luxe d’une classe riche et éduquée (goûtant essentiellement les vieilleries, à l’exception de quatre Whistler). Point d’orgue du lieu : le patio avec son bassin et sa verrière.
Côté pratique : repérer le créneau Pay as you wish. L’attente a été assez courte alors que nous nous sommes pointés un peu après le début des festivités.
Ellis Island & le storytelling
La visite d’Ellis Island, chaudement recommandée par Marianne, c’est l’équivalent new-yorkais d’Alcatraz à San Francisco : un lieu-musée auquel on accède par bateau, à visiter l’oreille vissée à l’audioguide. À moins de réserver un hard hat tour, qui donne accès aux parties en ruines de l’île, il n’y a pas énormément de choses à voir, mais la reconstitution narrative est d’une telle richesse que l’on peut y passer des heures, guidé par un ranger (Ellis Island est un parc national) ou par l’audioguide. Les deux ont le chic pour vous faire revivre le parcours d’un immigrant du XIXe siècle, à grand coup de storytelling : appréhension, espoirs, suspens, questions pièges (il fallait montrer sa détermination à trouver du travail, mais ne pas avoir d’emploi réservé… une pratique illicite)…
La plupart des immigrants passaient tout au plus quelques heures sur l’île (quand on voit qu’il faut aujourd’hui 1h30 pour passer la douane en tant que simple touriste, cela ne paraît pas démentiel);la dramatisation intervient avec les quelques pourcents renvoyés ou retenus sur l’île, le temps de guérir d’une maladie contagieuse dans l’hôpital attenant, de voir son cas jugé dans le tribunal incorporé… ou encore de se marier (les femmes seules n’étaient pas admises, entraînant des mariages arrangés par correspondance !). L’île devient alors un curieux purgatoire, où le statut des immigrants oscille entre celui de détenu (dans la promiscuité, avec des lits en toile superposés) et d’invité (repas offerts, servis avec des couverts en argent).
Non seulement le storytelling rend la visite vivante et plaisante, mais il contribue à une meilleure mémorisation de ce morceau d’histoire, s’il est vrai qu’on se souvient mieux de ce qui s’accompagne d’un ressenti émotionnel – ce qui marque, quoi. Évidemment, l’immersion full feeling a l’inconvénient de ses avantages : elle relègue au second plan la mise en perspective historique, remisée dans une partie du musée qu’on dirait réservée aux scolaires tant on se croirait dans un manuel… avec une dimension politique proche de l’endoctrinement pour la période la plus récente et polémique. L’heure de fermeture approche ; on traverse cette partie du musée au pas de course.
Idem pour le dernier étage, consacré à l’histoire du lieu (par opposition à la portion d’Histoire qu’il a abritée) : des maquettes reconstituant l’agrandissement de l’île et les constructions des différents bâtiments, les effets personnels de familles de diverses origines… ainsi que des meubles et des objets récupérés avant la rénovation du bâtiment principal, tombé en ruine après qu’on ait cessé de l’utiliser. À voir le carrelage régulier du grand hall, on peine à croire qu’un arbre avait poussé en plein milieu… J’aurais aimé passer davantage de temps devant les photographies et les objets sauvés de ce Titanic temporel – un contrepoint à la reconstitution qui, à le faire revivre comme au présent, abolit d’une certaine manière le temps passé. J’ai beau savoir que là ne réside pas l’enjeu historique, les ruines, et celles-ci relativement récentes, me fascinent… comme si nous apercevions, vivants, le temps où nous ne serons nous-même plus que souvenir.
Très envie de revoir Brooklyn…
Côté pratique : zapper la statue de la Liberté, que l’on voit bien depuis le ferry, pour passer plus de temps dans le musée. Entre deux sections, posez-vous à la cafétéria : l’offre est insipide, mais la salle reconstitue la salle à manger de l’époque des migrants (si j’ai bien compris – j’étais HS).