Il a réussi à rendre ça encore plus dérangeant qu’un viol de dix minutes.
Ma connaissance de la filmographie de Gaspar Noé se limitant à Love, il me manque la référence, mais cette proche spectatrice a parfaitement résumé mon ressenti à l’issue de la projection. Heureusement, le réalisateur a prévu le coup en commençant par le générique ; écran noir, on peut couper court.
Comme souvent, au final, c’est par la fin que ça commence : une femme blessée est filmée de haut, à ramper dans la neige bientôt souillée de sang ; elle n’avance pas aussi vite que la caméra qui la fait disparaître en glissant du blanc de la neige au blanc du ciel, que l’on devine aux ramures d’un arbres, qui bientôt se renversent en racines. Sans accroc ni raccord, le bas devient le haut, qui s’inverse à nouveau, et tout est à l’envers : la caméra, l’estomac. Le pacte filmique est scellé.
La fête qui réunit une quinzaine de danseurs à la fin de leur répét’ est filmée sur ce même principe, d’en haut d’abord, observant le cercle de leur battle (danseurs de ouf), puis en tournant (littéralement) d’un binôme à l’autre, et sans dessus dessous, enfin, lorsque la cocaïne versée dans la sangria fait son effet. Aidé par des lumières saturées et parfois insuffisantes, on bascule dans le cauchemardesque, d’autant plus cauchemardesque qu’on ne quitte jamais la banalité – des tenues, des propos bruts et du décor miteux de gymnase reconverti en salle des fêtes. Je reste pétrifiée par la menace de violence collective, et le film joue sur cette crainte, l’effet de meute, le collectif qui dégénère, quelque chose comme dans The We and the I, avec en prime, décuplée par la drogue, la gratuité d’Orange mécanique. Mais ma crainte, quoique constamment entretenue, est minée dans la surenchère : il n’y a jamais besoin que d’une ou deux personnes pour en démolir une autre, et même, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.
Le temps comme les pupilles se dilate. Passage à tabac, scarification, brûlure, inceste, séquestration… le passage d’une horreur à une autre et le retour chaotique mais cyclique à chacune d’elle reproduit la temporalité propre aux cauchemars : cela n’en finit pas, on pédale dans la semoule pour s’en sortir et on ne s’en sort pas, ça colle, ça pègue, ça hurle, on ne sait pas pourquoi, tout ça sans raison ni couture, c’est un cauchemar, sortez-moi de là, et pour toute réponse : entrez dans la décadence. On ne sait plus ce qu’on voit, des corps n’importe comment sans qu’on sache si c’est un danseur hyperlaxe qui se démantibule ou si c’est autre chose, tous des tordus, des corps à terre, en convulsion, en coït, en krump, voguing ou vomis.
Climax de Gaspar Noé, c’est Dirty Dancing, mais alors en vraiment dirty. C’est simple : la première partie du film, bouillante et frénétique, donne envie de prendre mille drogues et de passer le restant de ses jours en rave, quand la seconde, cauchemardesque et chaotique, incite à passer au thé vert…
Quentin Grosset dans Trois couleurs
Ce sera un thé vert au jasmin pour moi, merci.