Une mise en scène moche, on s’en remet. Du moins lorsqu’on n’est pas un opéra joué une fois par siècle. Si ça gueule autant contre Graham Vick, c’est que Le Roi Arthus qu’il (dé)met en scène n’aura peut-être pas de nouvelle chance de sitôt. L’opéra de Chausson méritait mieux, vraiment mieux, que cette mise en scène kitsch à la limite du contre-sens, qui se rattrape in-extremis au dernier acte.
Le problème du kitsch est qu’il n’est rarement qu’esthétique. La prairie Windows imprimée sur le lino accueille ainsi des chevaliers coiffés de casques… d’ouvrier1. Le chevalier ne tue pas, non, il construit – une maison Ikéa pour le roi Arthus et Genièvre2, en l’occurrence. Pour s’assurer que personne ne soit blessé, les épées ont même été fichées en cercle dans le sol ; non seulement les chevaliers ne les en extraient pas, comme le font fièrement les Capulet (Montaigu ?) dans l’opéra de Bellini mis en scène par Carsen, mais ils nouent une corde autour des gardes et transforment ainsi le symbole de la table ronde en enclos, où paissent tranquillement le roi, la reine et le canapé rouge en skaï (l’amour, la passion, le sang… ou le vernis et rouge à lèvres d’une actrice porno, selon le remake de Guillaume, expliquant rapidement à l’ouvreur pourquoi la salle est vide).
Le kitsch émousse si bien la pulsion de mort que la drame est ravalé au rang de vaudeville : Genièvre trompe son mari avec Lancelot et l’amour est dans le pré (i.e. un rectangle de hautes herbes en plastique qui font frou frou par-dessus la musique). Aucune majesté pour le pouvoir établi ; l’ordre est nécessairement petit-bourgeois et n’est abordé que par son antonyme littéral, c’est-à-dire le désordre sur la scène (le bordel pour faire plaisir à Guillaume) avec la maison royale renversée sur le côté façon livre ouvert. Sans conflit de loyauté, sans antagonisme entre la logique féodale (loyauté au seigneur) et la logique chevaleresque (loyauté à sa dame), les atermoiements de Genièvre et Lancelot à l’acte II deviennent non seulement inintelligibles mais encore longuets.
Il faut attendre l’acte III pour que le kitsch parte en fumée – littéralement : le canapé en skaï rouge prend feu, ce qui est assurément le moment de volupté le plus fort qu’il nous ait fait partager. Le papier peint Windows semble avoir connu un dégât des eaux et sa déchirure à hauteur d’homme me fait penser aux tableaux de Sabine dans L’Insoutenable légèreté de l’être – le kitsch se fissure. Il était temps : le dernier acte évacue Genièvre3 et Lancelot au profit du roi Arthus, à qui l’on concède enfin un peu de grandeur après l’avoir fait consulter Merlin avachi comme un SDF alcoolique. L’infidélité de son épouse le tourmente bien moins que la déloyauté de Lancelot : celle-ci présage la disparition de l’ordre qu’il a établi et marque le retour de la convoitise, amoureuse mais surtout politique, qu’il avait voulu faire taire en faisant asseoir les chevalier autour d’une table ronde, sans hiérarchie autre que sa propre couronne. Le paddock cercle d’épées, peu à peu décimé, traduit sur scène le démantèlement de la Table ronde.
La musique rend pourtant sublime cette fin où le roi se prépare à voir son héritage disparaître avec lui, à mourir sans même la consolation d’avoir laissé une trace pérenne, ni cercle chevaleresque ni fils, même spirituel. D’une manière générale, la musique de Chausson est superbe. À plusieurs reprises, je me suis fait la remarque qu’il faudrait que je retienne tel ou tel passage ; mais comme la mise en scène n’offre aucune prise sur la partition, je serais bien en peine de me souvenir des passages en question.
Le minimum de beauté requis pour, dans ces conditions, passer quand même une bonne soirée était assuré par les artistes en fosse et sur scène, notamment Sophie Koch, qui a décidément une voix de reine, Stanislas de Barbeyrac (si c’est bien lui qui fait le guet) et Thomas Hampson. J’aime moins la voix de Zoran Todorovitch (Lancelot), mais lui suis déjà infiniment reconnaissante de n’être pas Roberto Alagna (pardon pour les aficionados). Enfin, la soirée n’aurait pas été aussi plaisante sans la compagnie de ma princesse préférée et de son acolyte Guillaume4 qui m’aura bien fait marrer et pas qu’aux entractes, hé !
Leroy Arthus : délicieuse musique pour mise en scène en carton. #Bastille https://t.co/LfTXyegKI5
— ♕ Joséphine (@JoPrincesse) June 11, 2015
A lire : le blog du Wanderer
1 Lors de la création de la pièce en 1903, les costumes avaient été confiés à Fernand Khnopff. Voilà, voilà.
2 Genièvre que je persiste à appeler Geneviève.
3 Le metteur en scène massacre sa mort. OK, mec, s’étrangler avec ses propres cheveux, c’est zarb, mais je ne sais pas moi, rien que Raiponce fournit l’inspiration pour une pendaison capillaire digne de ce nom. Tirer ses cheveux comme les cordons d’un sweat à capuche, c’est juste ridicule. Et un fou rire qui vous sort du drame, un !
4 Assise entre les deux zygotos que se passaient les jumelles sous mon nez, j’ai eu l’impression de me retrouver entre ma cousine et mon cousin dans la voiture de mes grands-parents : lorsque, le mercredi soir, ils nous ramenaient chez nos parents, il n’étaient pas rare que le ninnin des cousins, un doudou blanc en tissu, me passe sous le nez au gré des partages et batailles engagées.
« mais lui suis déjà infiniment reconnaissante de n’être pas Roberto Alagna (pardon pour les aficionados) »: +1 🙂
Ouf, un vrai mélomane d’accord avec moi. J’évite le crime de lèse-ténor.