Napoli, ses pâtes, son poisson

Napoli, c’est un peu le tube du ballet royal du Danemark et j’étais curieuse de voir sur scène à quoi ressemblait le style Bournonville. Je n’ai pas été déçue… du voyage. L’Italie par les Nordiques a tout de la douche froide. Et ce n’est même pas un problème d’overdose folklorique puisque le ballet a été « modernisé » et transposé dans les années cinquante — invention d’une autre tradition qui, en remplaçant le vieillot par le rétro, nous donne au moins de belles jupes à taille haute.

Le premier acte est un tableau qui nous transporte sur une place ensoleillée, bordée d’une part par une ruelle étroite, de l’autre par une trattoria, ouverte au fond sur la mer. S’y agitent marins, pêcheurs, jeunes filles, prostituées et divers notables qui ne le sont que bien peu. Une demie-heure de pantomime transforme le tableau en croûte, les sempiternels gestes outrés tels des petits pâtés de peinture. On n’y danse que bien peu et l’on s’estime heureux quand les pêcheurs se déplacent d’un temps levé en bancs de poissons. Conserver la chorégraphie originale n’a pas dû causer trop de peine… Le vocabulaire chorégraphique, limité, pourrait être, avec un peu de mauvaise foi que j’applique d’habitude volontiers à Cunningham, résumé à quelques pas : sissone, assemblé, balloté et attitude (une drôle d’attitude, un peu plongée, à la russe pour l’allongement de la jambe mais à la française pour la hauteur, qui donne une impression d’attitude au rabais). A la fin d’un morceau, silence dans la fosse, aucun applaudissement : le premier pas de deux, à peine identifié comme tel, se prend un vent magistral. Nous fait ensuite son numéro, (digne descandant de la femme à barbe dans les foires ?) un travesti caricatural qui n’est ni drôle ni émouvant. Un spectateur du poulailler en dégringole de sa chaise et le fou rire nous prend, Palpatine et moi. Les spaghettis en plastique que j’aperçois aux jumelles et qui tressautent gaiement sous les coups de fourchettes de figurants enthousiastes ne sont pas pour me calmer. Ni l’image du prince d’une charmante niaiserie dans Il était une fois, qui s’est superposée au visage d’un danseur qui j’ai cru reconnaître d’un stage à Lyon…

Au deuxième acte, enfin, on se jette à l’eau : l’héroïne se noie en mer et les naïades lancent le bal. L’épisode de la grotte bleue, remanié dans les grandes profondeurs, est un acte blanc en technicolor. Les costumes bleu et vert pailletés ont un côté Petite Sirène de Disney incongru mais plutôt réussi. La musique, une commande, me plaît beaucoup avec tous ses glouglous un peu mystérieux. En revanche, la projection sur la toile de fond, digne de Windows media player, était totalement dispensable. Heureusement, on ne s’y arrête pas parce que, ô miracle, ça danse. Pas de grande technique pour le corps de ballet, certes, mais des formations efficaces et des déplacements très bien pensés ; un bras soulevé puis l’autre, ça ondoie. Mais surtout, surtout, il a le poisson. Andrew Bowman est aussi fascinant qu’un poisson à l’oeil vitreux est normalement dénué d’intérêt. Il a une façon de se mouvoir électrisante. Buste, tête, bras, tout le haut du corps est engagé dans des ondulations sans que l’on puisse déterminer d’où part le mouvement ni identifier les muscles et les articulations impliquées. Il roule des épaules comme d’autres roulent des mécaniques et il devient évident qu’un cygne du lac a fauté avec un serpent. Il tente d’ailleurs de séduire l’héroïne mais, comme elle ne s’abandonne que pour autant qu’elle est à la limite de s’évanouir, il la plie à son désir, main sur la nuque, lui fait ployer le dos. La voilà ravie, les bras au-dessus de la tête comme un belle lascive au réveil, une main au poignet délicatement cassé, l’autre qui s’en saisit et de son fer arrête toute comparaison avec un cygne.

Malheureusement, son cher et tendre vient la sauver — retour de la discontinuité, suite et fin de l’histoire, en l’occurrence un mariage, le meilleur garrot qu’on ait inventé pour clore une histoire avant que ce soit le début de la fin. On ne l’attendait plus : Bournonville est à la noce. Cela sautille joyeusement (mais précisément) et les pieds tricotent cependant que les bras se tiennent sagement en première Bournonville. Quand on y ajoute les changements de direction incessants qui contraignent le corps à s’opposer à l’élan initial, on obtient dans la grande batterie des danseurs qui sautent comme des bouchons de champagne. La petite batterie, quant à elle, les ballote tels des flotteurs ivres. J’ai tout particulièrement aimé le fringant danseur à la ceinture orange (n’y voyez aucune coïncidence, pour sûr) qui vous enlève ça comme si de rien n’était. Ce n’est en revanche pas le cas de notre héroïne de la soirée qui ne parvient plus à masquer sa mollesse. Alors que ses compagnes rivalisent de pétillant et de nervosité, elle fait preuve d’une vivacité d’anémique, à croire que la distribution a été faite en se disant : Bon, on va à Paris, attention… quelle est la plus jolie des maigrichones que nous avons sous la main ? En la mettant au régime steak haché et gâteaux sucrés, on pourrait obtenir d’elle une danse un peu plus punchy.

Pour ce qui est du ballet, je propose de le mettre en pièces et de faire de la vente au détail : on met le premier acte à la corbeille, on fait du deuxième un ballet abstrait vraiment moderne en le débrassant de ses scories narratives et on garde le troisième pour ce qu’il est : un divertissement (les costumes folkloriques, pantalons noirs, larges ceintures colorées et chaussons peints en biseau ont d’ailleurs été conservés dans la plus pure tradition de l’anachronisme établie depuis le début du spectacle). Ou jetez tout à la mer, le poisson seul s’en sortira. Qu’il sauve quand même la pélerine au passage, si jamais cette fille avait une danse comparable à son charisme et à sa beauté… mais pour le savoir, encore aurait-il fallu la faire danser.

Le ballet du Danemark, compagnie invitée ? J’en suis fort aise. Eh bien ! dansez maintenant.

2 réflexions sur « Napoli, ses pâtes, son poisson »

    1. eh bien, moi, je me suis délectée de votre plat, beaucoup moins plat que celui qu’on vous a servi. Je me suis fort amusée à vous lire, vous et votre ami Palpatine.

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