Suite en blanc/l’Arlésienne/le Boléro

Vendredi soir, histoire d’entrer de plein pied dans les vacances, sortie à l’opéra avec une amie-de-la-danse-élève-infirmière-future-presque-pilote-de-chasse (à côté de sa vie, la prépa est une petite promenade de santé), des discussions à la grande semaine, un tour à la Brioche Dorée avant le spectacle, et des tentatives pour retrouver certains mouvements dans le métro ensuite – merci de ne pas essayer de visualiser.

Au programme, une soirée en trois parties et trois sous-parties :

Suite en blanc, de Serge Lifar

Cela faisait plusieurs années que j’avais envie de le voir ; les photos de ce ballet sont si alléchantes… effectivement, il est chorégraphié de telle sorte que tous les mouvements présentent des architectures de poses, des symétries de groupe… bref, des compositions de tableaux qui doivent faire les délices faciles d’un bon photographe. Pas nécessairement des danseurs. Les ensembles du corps de ballet sont réglés comme du papier à musique, pas de fausses notes pour les hommes en croches noires ni pour les blanches ; en revanche, les solistes… Je sais que ce ballet est dur, extrêmement compliqué à danser, qu’il requiert une redoutable précision et une technique ciselé, je le sais. Mais justement, je ne veux pas le savoir. Il doit y avoir une bonne raison à ce que ce soient eux en scène. Je suis une spectatrice égoïste, enfoncée tranquillement dans le confort de son fauteuil de velours rouge, et je ne veux pas craindre pour l’équilibre de la soliste ou redouter avec elle un tour. Je ne veux pas le savoir. Je veux que l’on me donne l’impression que rien ne peut arriver – des pointes de fer, une énergie d’acier- quand bien même, à prendre des risques, on risque de ne pas tenir sur sa pointe : je préfère infiniment Myriam Ould-Braham, qui a certes eu un quart de seconde de défaillance dans le pas de cinq qu’elle a par ailleurs dansé avec brio, à la prestation extras non compris de Muriel Zusperreguy dans Sérénade (suspens pour savoir si elle va se décider à relever en attitude) ou de Mélanie Hurel dans la Flûte. (I know, je suis à peine partiale. Que voulez-vous, j’ai mes têtes dans les danseurs, au point de soutenir mordicus que Mathieu Ganio n’est vraiment pas top ou que Marie-Agnès Gillot n’a pas du tout l’air d’une grande gigue perdue dans un tutu et une chorégraphie archi-classique.)

Trêve de mauvaise foi : Agnès Letestu était classe, toute en volutes, dans la variation de la Cigarette (il y avait une espèce de détourné que j’adore – et qui lui arrachait à chaque fois un petit sourire, ce qui n’est pas du luxe chez elle) et nous avons pu constater avec Ombeline (ma copine-de-danse-future-presque-pilote etc.) que Jérémie Bélingard a une sacrée présence. Et j’adore la fresque des hommes en seconde décalée, au fonds au dessus des escaliers, ou des danseurs qui rentrent en avant-scène en sixième. Ou la soliste en pilier du manège des hommes ou la même qui déboule d’un duo d’homme en tour vers un autre en chat six (ou l’inverse, je ne sais plus), comme une bobine qui se déroule. Ou… je vais plutôt essayer de vous mettre une vidéo [ou pourquoi j’aurai passé la moitié de mon après-midi sur ce compte-rendu d’impressions].

A part Letestu dans la variation de la Cigarette, les vidéos de notre ami qui nous veut du bien youtube ne sont pas celles de la distribution que j’ai vue, et entre nous, vous ne perdez guère au change, et même, tout le contraire, puisque j’ai déniché Aurélie Dupont dans la Sérénade et Nicolas Leriche dans la Mazurka.

L’Arlésienne, de Roland Petit

J’avais déjà vu ce ballet il y a deux ans mais, soit que les interprètes n’aient pas été très bien choisis pour leur rôle, soit qu’ils aient été éclipsés par Abbagnatto/Leriche dans le Jeune Homme et la Mort (petit cri de groupie) ou Lucia Lacarra dans Carmen (petit soupir de groupie), le ballet ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable. Limite à me dire, dommage qu’il soit dans la programmation. Ce qui aurait été dommage, c’est de ne pas voir cela. Eleonora Abbagnatto faisait tout sauf blonde cruche comme les blés, en jeune paysanne essayant de ramener à elle – ou à la vie, plus essentiellement- son fiancé, qui, loin de sombrer dans une folie gratuite, comme j’avais pu le penser à la première représentation, nous entraîne à sa suite dans une démence poignante. Vraiment, Manuel Legris était dément : son visage qui ne rencontre jamais celui de sa fiancée que par un désagréable hasard, le regard toujours fixé droit, au loin, abstrait de son entourage qui le repousse toujours vers la jeune fille, tournant le dos, au propre comme au figuré, à tout public, face au décor tourmenté à la Van Gogh, en proie à un invisible mais profond malaise qui culmine dans le solo de la fin, tension accumulée, manège de l’esprit comme un lion en cage, diagonale d’attaque ultime en grands jetés – fleuret, pas d’échappatoire sinon par la sortie finale, par la fenêtre, hors-scène du monde, suicide.

Pourtant absent, il vient chercher chaque spectateur et l’entraîne à sa suite dans son destin, que l’on n’hésiterait pas à qualifier de tragique si ce mot n’était pas interdit aux paysans (un Dieu déguisé en berger, encore…) et ne traînait pas avec lui des restes de grandiloquence. Plutôt atrocement simple. Simplement grave. Quelque fêlure ou désaxé ou toute autre littérature qui vous viendra à l’esprit.

Pas étonnant donc que Manuel Legris ait récolté d’abondants applaudissement. Eleonora Abbagnatto reste un peu en arrière-plan, et son personnage, tout à fait en plan (I know, c’est nul, mais je ne peux pas m’en empêcher) ; non moins magnifique cependant (pourquoi n’a-t-elle toujours pas été nommée étoile, d’ailleurs ? alors que d’autres tout à fait incolores…). Tout de suit
e, la chorégraphie m’a bien davantage emballée que la première fois. Même, j’ai tout aimé, des ondulations champêtres de la ligne des paysans à la main figée de Vivette lorsque Frederi retire sa tête et s’éloigne. Parce que la pièce est tirée d’un drame de Daudet et que ruralisme et amour de nos campagnes éternelles oblige (à des noms pittoresques). En lisant dans le programme le nom de Mistral, j’ai eu une bouffée de poly, l’occitan littéraire, Mireille, Mauras, tout ça. Mais cela ne m’a pas dérangée une seule seconde, parce que, outre que le pittoresque est très épuré dans le ballet, je lis toujours le programmes après la représentation – sauf ballet explicitement narratif, avec moult reconnaissances, refus, trahisons et autres subtilités, que la pantomime ne me laisse pas toujours très bien comprendre (un peu comme lorsqu’on va voir une pièce de Shakespeare dans le texte, on essaye d’avoir une vague idée de l’intrigue pour suivre un minimum les travestissements divers et variés autrement qu’avec les yeux rivés sur le prompteur). Et, première découverte (les découvertes sont nombreuses pour les gens pas très finauds), si Frederi ne fait guère attention à Vivette, c’est que ses pensées sont toujours dirigées vers une Arlésienne – et tenez, voici un titre ! Gourde que je suis, je ne m’étais jamais posé la question, tout au plus postulant que ce devait être une musique particulière. Pas un seul instant je n’avais supposé que cet homme dégagé de la vie s’était simplement fait dégager par sa belle. Et, en narrant cette révélation au petit-déjeuner, seconde découverte (oui, vous pouvez dès à présent constater que je ferai mentir le proverbe) : l’arlésienne est la personnification même de l’Absente. Passé dans le langage familier en référence même à la pièce de Daudet (Larousse dit en référence à l’opéra de Bizet, mais comme la musique est venue après la pièce… si l’on doit en juger d’après ma nouvelle teinte de cheveux, il ne faut pas faire confiance aux rousses). Ce genre de découverte a toujours des allures de révélations ; un peu comme le jour où j’ai vu que le sigle de la SNCF a encerclé le tracé de la Seine car il reproduit un profil… on est certes loin de faire dans la révélation mystique. Il n’empêche que c’est très astucieux de ne définir qu’en creux l’Arlésienne : « Il n’y a pas d’Arlésienne dans ma pièce : il n’y a que son ombre. On en parle, on en meurt, mais on ne la voit pas. » Elle est cette fissure ouverte dans laquelle s’engouffre l’interprétation angoissée du spectateur.

Le ballet est intégralement visible, mit Manuel Legris (dont l’interprétation a cependant largement mûrie depuis cette vidéo un peu ancienne – ça veut dire allez donc le voir danser en chair et en os pendant qu’il en est encore temps ; il doit être proche de la retraite si je ne m’abuse).

Le Boléro, de Ravel/de Béjart (difficile ici de ne pas enchaîner le nom du compositeur)

 

Tout le monde connaît la musique. Beaucoup ont aperçue la chorégraphie de Béjart dansée par Jorge Donn dans les Uns et les Autres de Lelouche. Certains l’ont peut-être regardé interprété par Nicolas Leriche à Noël, sur la 3 (voire enregistré pour certaines^^). Une fille de la classe a été le voir et, quêtant une approbation/explication, m’a dit avec de grands yeux choqués « Mais, c’est sexuel ». Je veux bien admettre que, l’ayant vu dansée par une femme (si ça se trouve elle a eu la chance de voir ce que rendait Gillot dedans), la scène se charge d’encore plus d’érotisme et que cela ne soit pas dans l’horizon culturel d’une versaillaise type, mais enfin… quelle danse ! (vous avez le droit de remplacer cette banale exclamation par la suite de juron de votre choix, qui, dans votre vocabulaire personnel, exprime l’intensité de votre admiration) Oui, c’est de l’énergie à l’état pur, oui, on la dirait animal, oui, c’est sensuel, érotique, si vous voulez, mais c’est aussi une force pas possible, une joie lancinante, un charisme qui se déchaîne et s’offre sur une espèce de scène-estrade-trampoline rouge, entouré d’hommes toujours plus nombreux. Avec un danseur sans présence, ce doit être absolument vide de sens, ne provoquer aucune sensation. Sans parler du crescendo de la danse/musique et de l’endurance qu’il requiert, il faut avoir une présence de malade un regard pour soutenir les premières mesures où la lumière n’éclaire que les mains, qui peu à peu façonnent et laissent deviner le corps du danseur quasi-immobile.

Je n’aurais pas parié sur José Martinez – et j’aurais perdu. (Même si j’aurais aimé admirer Leriche ou faire monter sur l’estrade Karl Paquette qui dansait juste devant, pour voir ce qu’il donnait là-dedans, s’il aurait pu tenir la pièce. Oui, parce que, « en vrai », on remarque davantage les danseurs que dans toutes les prises de vue, forcément centrées sur le soliste – et cela lui donne encore plus de vigueur )

Pleins de versions différentes versions sur youtube : celle du film est peut-être la plus abordable pour des non-fans de danse, vue qu’elle est bien filmée, avec le décor grandiose fourni par la Tour Eiffel ; mais aussi avec les danseurs de Béjart, la version en noir et blanc, magnifique de Jorge Donn une qui est un habile montage des versions masculine et féminine avec dans cette dernière Elisabeth Ross (vous pouvez également ajouter un petit cri d’admiration pour cette géante dotée d’un charisme à sa taille) … et aussi Maya Plysestkaya (orthographe non garantie)

J’ai été un peu longue, je vous l’accorde, et encore, j’aurais pu m’extasier un peu plus sur Bizet ou vous faire part de mes récriminations concernant la façon dont est filmée la danse, mais je réchaufferai cela dans un autre post. En attendant, bon visionnage !

Fait d’hiver

Une rose même pas dépiautée de son plastique, plantée dans une bouteille d’eau décrétée vase, et les cheveux laqués  ; je sors d’un spectacle de danse, la première de ma/notre chorégraphie sur l’hiver de Vivaldi. Les lumières… changements de coulisses…  grands jetés… bustiers blancs et mousselines en mouvement… Même essoufflée, je n’ai pas vu passer les dix minutes. Quelques secondes et une poignée de grandes gamines à se presser en cercle pour regarder sur caméra ce que ça donnait.

[Photos quand j’en récupère]

Miroir, mon beau miroir…

… dis-moi si je suis bien placée.
Pour les danseurs, le miroir vous dit vos défauts en face et ne vous montre jamais sous votre meilleur profil (je hais cordialement les glaces latérales où je trouve toujours un superbe en-dedans). Il n’est pas simple reflet puisqu’il indique toujours ce qui manque – ou ce qui est en trop s’il s’agit d’épaules trop montées, par exemple. C’est de ce point de vue-là un traître. Doublement traître, car à vouloir s’attirer ses faveurs et vérifier qu’on ne lui déplaît pas, on finit par fausser une position jusqu’alors juste.

Il s’agit de se concilier le regard critique qu’il nous renvoie en le réfléchissant : on peut voir dans cette démultiplication qui fait du cours un corps de ballet un moyen de mise en scène. C’est lui qui agrandit la salle et outre le professeur, qui est moins un spectateur qu’un acteur à part entière (dans une pièce, ce serait le confident, celui qui, toujours là, permet aux autres personnages de se révéler au public) nous procure un public : nous-mêmes. On me taxera sûrement d’égoïsme, mais j’ai toujours trouvé faux ceux qui déclarent ne danser que pour le public. On danse d’abord pour soi, pour ce miroir qui nous fait sortir de nous-mêmes et nous permet ensuite de passer la rampe. Car sur scène, il n’y a personne – pas de public, duquel on est séparé par un rideau de lumières – seulement le cercle des danseurs. Comment pourrait-on danser en scène pour les autres, invisibles, si on ne danse pas d’abord en studio pour (le) soi (visible du miroir) ?

C’est aussi le miroir qui en nous procurant notre public permet de faire du cours une réelle préparation à la scène et non une série d’exercices de gymnastique. Les contemporains nous rétorqueront qu’il est meilleur de travailler en aveugle pour véritablement sentir le mouvement. Ce qui, une fois de temps en temps, ne fait pas de mal. Mais d’une part, ce n’est pas nécessairement parce que le danseur ressentira mieux le mouvement que le spectateur le percevra mieux. La danse reste bien un art de la vue (et de l’ouïe, bien sûr) pour le spectateur et il y a nécessairement une distorsion entre le senti et le vu de même qu’un peintre déforme la réalité pour lui être semblable (les rails convergent pour avoir l’air de rester équidistants), et qu’un auteur n’a pas besoin de ressentir la même chose que son personnage au moment où il l’écrit. D’autre part, le bon usage du miroir n’empêche pas le danseur classique de sentir (même s’il y a évidemment là un piège) : il lui indique seulement quelle est la sensation à retenir. On se tortille face au miroir, les hanches un peu plus en avant, les bras moins hauts, non plus, et, une fois la position juste trouvée, il s’agit de la sentir pour l’intégrer à son répertoire de sensations. Ce n’est donc pas au miroir mais bien à nous de réfléchir un peu avant de renvoyer les images.

(En plus d’égoïsme, vous pourrez me taxer de narcissisme)

Prise de la Bastille par le New York City Ballet

J’ai avalé gloutonnement quatre soirées de ballets et n’ai pas même pondu un bref post. Cela vous a peut-être évité une indigestion suite à une omelette géante, mais tout de même, le New York City Ballet ne vient pas tous les quatre matins. Un mois déjà – les chorégraphies s’estompent pour laisser en souvenir des impressions et des flashs éblouis- mais je vous invite à faire le pique-assiette et à goûter à tous les plats.

 

 

Avant le spectacle…

 

 

… entendre ses talons claquer, apercevoir les gens en train de grignoter un sandwich, qui semblent habiter là, et entendre la sonnerie à l’entracte…

 

… l’odeur du programme, dont l’encre ou le papier, je ne sais pas, ne semble être utilisé que par l’opéra de Paris. Une splendide photo de Sérénade dessus – heureusement, ils ont cessé leurs essais de trucs conceptuels à tentative pluridisciplinaire.

 

… le réglage des jumelles, pour espionner en toute bonne conscience les musiciens déjà dans la fosse, les violonistes qui discutent ensemble avec enjouement, un jeune homme situé dans la région des instruments à vent et qui semblait s’ennuyer ferme, un moins jeune dont maman n’a pas réussi à voir s’il avait une alliance à la main…

 

… former une haie de déshonneur pour ceux qui arrivent un peu tard…

 

… saluer avant qu’il ait rien fait le chef d’orchestre, comme pour se dédouaner de n’y plus penser par la suite…

 

 

En pleine apnée…

 

 

Divertimento n°15

Chorégraphie de Balanchine sur du Mozart

Des costumes un brin vieillot avec des couleurs un brin violentes (même si je n’ai rien contre le turquoise fluo dans l’absolu), mais la chorégraphie est tout sauf poussiéreuse. Les photos peuvent être trompeuses parce qu’elles prennent toujours les instants structurés, les lignes harmonieuses et les symétries impeccables alors que tout l’intérêt est justement dans la déstructuration, le jeu sur les formations et reformations, les décalages, les groupes, duo, solo, trio où les partenaires se dédoublent pour qu’aucun duo ne soit en reste… Virtuose peut-être, mais avec goût.

[Et puis je ne sais où, un sourire comme je n’en avais jamais vu. Charme sûr de lui mais surpris d’être découvert.]

 

 

Episodes

Chorégraphie de Balanchine sur une symphonie de Webern

La musique est déconcertante, presque discordante de prime abord, mais la chorégraphie a tôt fait de nous la faire écouter – et plus seulement entendre. Justaucorps noirs et collants blancs, le plaisir des lignes cassées, une géométrie pour les yeux.

 

 

Tchaïkovsky Suite n°3

Chorégraphie de Balanchine sur… du Tchaïkovsky, vous vous en seriez douté.

Une première partie en robes roses et violettes cheveux détachés, une seconde en tutus plateaux. Entre deux le soulagement de ne pas en rester à un élan kitsch.

 

 

Sérénade

Chorégraphie de Balanchine sur Tchaïkovsky

Le rideau se lève sur une forêt de danseuse en sixième, face au public, la tête côté jardin qui regarde vers une main paume tendue dans la même direction, poignet cassé.

 

C’était le ballet que j’avais envie de voir. Celui dont on voit des photos partout, avec ces grandes jupes fluides et une vague auréole romantique. Même là, Balanchine ne réussit pas à faire du mièvre : il y a toujours une énergie folle – des réminiscences de danses guerrières géorgienne, m’apprend le programme.
Les danseuses semblent petites – du coup jamais de bras arachnéens mais un concentré d’énergie, bras et jambes qui tranchent l’air avec violence, sans pourtant altérer l’ambiance de douceur qui s’est installée sur le plateau.

 

 

Symphony in Three Movements

Balanchine sur une musique de Stravinsky

Une terrible joie et de la force. Ca éclate, déboule en tous sens, saute avec enthousiasme – les pieds en blancs des garçons en collants noirs sont autant de notes en négatifs qui viennent suspendre en l’air une partition exultante. Des duos en rose et noir. Et toujours d’immenses queues de cheval qui donnent un air d’amazones gymnastes à cette immense diagonale de filles, qui se dressent par le même mécanisme. Une grandeur imposante, renforcée par la perspective des tailles – lorsque la colonne se déroule, on découvre que les amazones du fonds font une tête de moins que celles du premier plan.

 

 

Brahms/Handel

Chorégraphie de Twyla Tharp et Jerome Robbins

Verts et bleus, les corps coulent, fluides. Des courants calmes mais à la vigueur sûre, aux nombreux revirements sans aucun débordement. Des portés ahurissants qui ne semblent même pas académique… assez insaisissable. Une des principals, Sara Means, d’une grande classe.

Première chorégraphie qui n’est pas de Balanchine et moyen d’observer ce qui relève de la chorégraphie et ce qui relève des danseurs… du moins, je le croyais. Parce que ces derniers son tellement imprégnés de Balanchine, qu’il est pratiquement impossible de faire la distinction. Autant chercher comment la Berma magnifie ses vers.

 

 

Duo Concertant

Chorégraphie de Balanchine sur une musique de Stravinsky

Le piano est sur scène, le violoniste aussi. N’oublions pas le couple de danseurs, embusqué derrière le piano. Qui écoute rêveur et reviendra souvent tâcher de rêver – mais plus sûrement de reprendre son souffle. Avec cette mise en scène- à proprement parler-, le spectateur est obligé de sentir la musique et son lien avec ces pas joueurs et flex qui viennent en cascade.
Surtout dans une scène noyée dans l’obscurité, l’image d’un cercle de lumière où vient se créer une main, un mouvement, apparaître un visage et disparaître le corps en son entier. D’accord, Malliphant n’a pas tout inventé (mais sur ce coup-là, je préfère Malliphant).

 

Hallelujah Junction
Chorégraphie de Peter Martins sur une musique de John Adams

Avant toute chose, il y a, suspendus au fond de la scène, dans un arrière-plan onirique –mais noir- deux pianos face à face, deux pianistes éclairés par deux lumières qui sculptent le reste d’obscurité en deux diagonales croisées. Un voile noir a beau être interposé entre les pianistes et les danseurs, il se dégage tout de même une force folle de ce curieux orgue moderne.
La chorégraphie, en notes blanches et noires, mêle les décalages, contrepoints et canons. Tout est toujours en tension, même les huit tours de Daniel Ulbricht, même les dessins géométriques qui sont étirés comme s’il s’agissait d’élastiques tendus au maximum.

 

 

After the rain

Chorégraphie de Christopher Wheeldon sur Arvo Pärt

Comment donner le degré de mon engouement sans verser dans l’enthousiasme délirant ? Passé les trente premières seconde où il m’a fallu me défaire de la chorégraphie que j’avais dansé sur cette musique-là – de Dos Santos (ou quelque chose comme cela)- et m’accoutumer à la grande maigreur de Wendy Whelan (qui fait corps avec Sébastien Marcovici), c’est magnifique merveilleux magique poignant ? On oublie totalement qu’il s’agit de danse, qu’il y a une chorégraphie que les deux interprètes ont du apprendre et travailler, et on laisse se laisser hypnotiser par ce temps de vie. Corps noueux et cheveux détachés comme un feuillage – liane- attachement – duo racinien.
[Faites taire les deux imbéciles derrière qui assassinent déjà la chorégraphie la résonnance de la dernière note à peine évanouie.]

 

 

Dances at a Gathering

Chorégraphie de Jerome Robbins sur des Mazurkas, Valses, Etudes, Scherzo et Nocturne de Chopin

Au siècle dernier, celui, intemporel, de la nostalgie et du souvenir, une rêverie sur des rencontres amicales, espiègles, amoureuses, fraternelles, passionnées, attendues, retardées, déclinées, qui n’ont peut-être jamais eu lieu ou alors d’antan, déjouées mais rejouées sur scène… Apaisant mais pas lénifiant ; subtile, plein de vie et de finesse, cela glisse, fluide comme les robes des jeunes filles, jusqu’à la fin où les danseurs se tiennent immobile face aux spectateurs mais regardant bien plus loin, comme à travers eux.
[Dit comme ça, ça a l’air kitschissime, mais je vous assure que ce n’est pas le cas, que l’on s’amuse à retrouver tel danseur avec telle ou telle partenaire (je crois que c’était pour la danse d’Ashley Bouder que j’ai eu un faible, et pour Amar Ramasar), à voir les couples se reformer, et à surprendre des clins d’œil d
’humour]

 

Carousel (A dance)

Chorégraphie de Christopher Wheeldon sur « The Carousel Waltz » et « If I love you », Richard Rodgers

Ambiance foraine, guirlandes aux tringles et triangles rouge dans les fentes des jupes violettes. Benjamin Millepied (après Petipa, avouez que c’est un nom qui claque pour un danseur !), formidable forain. Et surtout ce manège qui n’a jamais si bien porté son nom, où les cavalières sont devenues chevaux de bois, et, une barre dorée à la verticale, galopent sagement par monts et par vaults.

 

 

Tarentella

Chorégraphie de Balanchine sur une musique de Louis Moreau Gottschalk

Pittoresque si l’on s’arrête aux costumes. Virtuose sans aucun doute. Feu d’artifice (et) d’artifices techniques. On ne compte plus les tours ni ne peut nommer les entrepas qui s’enfilent en un rien de temps – en moins de temps que cela encore- semblent devancer la musique. Megan Fairchild et Joaquin De Luz sont époustouflants et brillants. Pas un étalage technique comme raillent d’autres charmants voisins de derrière, mais une grande éclaboussure d’énergie riante.

 

Barber Violon Concerto

Chorégraphie de Peter Martins

Deux couples qui se répondent : un classique pur, pointes, chignon banane, brillant à l’oreille pour elle, chemise bouffante pour lui, grande classe ; un plus contemporain, robe toute simple et queue de cheval pour elle, collants pour lui. Le classique qui par d’amples mouvements, nous donne un beau pas de deux (image du couple de dos, croisés en grande fente) ; le contemporain plus ancré dans le sol. Puis classique et contemporain dans une drôle de juxtaposition où les couples dansent côte à côte sans se voir, se croisent en des trajectoires qui s’évitent… on voit où la chorégraphe veut en venir mais la mayonnaise met du temps à prendre (et ce n’est pourtant pas faute d’ingrédients alléchants). Enfin, les deux pas de deux de la dernière partie ou les couples se sont dissociés : tout d’abord celui passionné du contemporain (Albert Evans) et de la classique (Sara Means – cette fille est la classe incarnée) à qui l’on semble d’abord faire violence, dont la retenue résiste, et qui finit, les cheveux dénoués, par s’abandonner totalement à son nouvel amant. Quant au classique (Charles Askegard), que l’on pouvait penser être resté seul aux prises du désespoir d’avoir perdu son élégante moitié, il est surtout aux prises de la contemporaine (Ashley Bouder), véritable petit morpion qui a résolu de ne pas lui ficher la paix. Un drôle de combat s’engage alors, où tous les coups sont permis – et hop, que je te file entre les jambes- y compris les attaques par derrière – le petit morpion collé au dos de sa proie et la déséquilibrant, c’est un nouvel Janus que l’on voit traverser la scène. Inégal mais finalement réjouissant.

 

West Side Story

Chorégraphie de Jerome Robbins, musique de Bernstein

La comédie musicale condensée à ses passages dansés. Mention particulière à Gretchen Smith (si je ne me trompe pas) véritablement endiablée. Et dans les scènes de rue entre les deux gangs (les sauts, gosh !) c’est du pur délire… comme dans le public en fait.

No doubt, « I like to be in Amer-i-ca ! »