Le pas de côté de Polina

« J’ai vite compris qu’il ne fallait pas m’attacher au beau mais au mouvement » raconte Bastien Vivès à propos de sa bande dessinée Polina. L’adaptation au cinéma par Valérie Müller et Angelin Preljocaj suit ce précepte, évitant ainsi les principaux écueils des films-de-danse.

 

X Le scénario, téléphoné, prétexte aux scènes dansées

Le scénario de Polina est tellement peu prétexte à des scènes dansées que le parcours artistique qu’il retrace ne devait même pas, initialement, être dansé. « Au départ, explique Bastien Vivès dans Illimité, je voulais faire le récit d’apprentissage d’un dessinateur mais dessiner des gens qui dessinent, ça ne marche pas. La danse se prête mieux au dessin. »

Dans Polina, aucune scène de danse n’est gratuite* et c’est en cela que le film est fidèle à la bande dessinée, malgré des modifications substantielles. On remarque assez vite l’ajout du background familial qui, malgré son côté spectaculaire (les activités du père ne sont pas franchement légales), modifie assez peu les choses** : la rigueur de la société fait écho à celle de la discipline classique. La modification de la temporalité, pourtant moins visible, a peut-être davantage d’impact : dans la bande dessinée, Polina est étoile lorsqu’elle décide de tout quitter ; dans le film, elle vient d’être acceptée au Bolchoï (c’est moins long et pourtant, il y a déjà une concaténation-confusion entre l’école de sa jeunesse, l’école du Bolchoï et le Bolchoï). Ce n’est plus une artiste au fait de sa gloire qui part, mais un jeune espoir qui se détourne de ce à quoi elle a à peine goûté : le goût du risque tend à prendre le pas sur le désir – non pas celui, amoureux, qui ferait de Polina une tête tournée tête brûlée (elle partira avec ou sans lui), mais l’insatisfaction existentielle. Le désir : regret d’une étoile perdue…

Dans le film, tout a du sens, même et surtout son absence. Lorsque Polina se plaint à Bojinsky, le professeur redouté de son enfance, d’avoir l’impression d’enchaîner des gestes et de ne pas danser, celui-ci se montre satisfait : c’est la marque des grands que de ne jamais l’être. Sur le moment, on croit qu’il s’agit d’une banale remarque sur le perfectionnisme du danseur – elle évacue le problème, qui se repose plus tard, avec plus d’acuité, lors d’une audition où Poline montre qu’elle sait danser à grand renfort d’extensions de jambe. « Des bras et des jambes, j’en vois toute la journée », lui assène le chorégraphe, qui aimerait autant qu’elle ne danse pas. Désorientée mais pleine de ressource, Polina s’étend à terre, extatique. « Non, ce n’est pas non plus ça. » Mais c’est quoi, ça, à la fin, qu’on lui demande et qu’elle cherche en passant d’un professeur puis d’un chorégraphe à un autre ? C’est toute la différence qu’il y a entre vivre et exister. Du sens. Qu’on ne peut pas trouver, parce qu’il faut le construire. Seul moyen de transmuter la gesticulation en geste.

Cette quête de Polina fait écho à l’un de mes questionnements en tant que spectatrice. Parfois, j’oublie pourquoi j’aime tant la danse et me retrouve soudain perplexe, plus perdue qu’un néophyte : pourquoi diable les danseurs font-ils ces pas, là, sur scène ? ces pas-là et pas d’autres ? sais-je encore pourquoi je les regarde si je gratte les couches sédimentées de causalité, l’achat du billet, le nom du chorégraphe, ma pratique d’amatrice ? Coupure de balletomanie. J’ai perdu le sens sous l’habitude. Il suffit généralement d’un ballet, mais d’un ballet que l’on peut attendre longtemps, pour que les questions soient balayées d’un revers de main, sous l’évidence des corps.

X Les acteurs, mauvais danseurs, ou vice-versa

Casting au top, avec un chiasme parfait : les acteurs ont été sérieusement formés à la danse (contemporaine), et les danseurs (classiques) se révèlent bons acteurs. Parmi les premiers, on trouve Niels Schneider, crédible en danseur contemporain issu du classique (ruse de réalisation : on le découvre dans les vestiaires du Bolchoï) et Juliette Binoche, que je regrette de ne pas avoir vue sur scène avec Akram Khan tant elle est convaincante en chorégraphe-maîtresse de ballet.

En sens inverse, Jérémie Bélingard, que l’on n’avait pas vu autant danser depuis un moment, découvre à l’écran un charisme que je ne lui ai jamais connu sur scène (je comprends enfin qu’on puisse crusher sur lui), et Anastasia Shevtsova, jeune recrue du Mariinsky, a un cou-de-pied à se damner et un jeu qui sonne juste (même si elle est loin de dégager la même sensualité que le danseur étoile).

Last but not least : Veronika Zhovnytska, qui joue Polina jeune, a la discrète beauté lunaire des introverties au caractère bien trempé. Lorsque l’on passe à la Polina jeune adulte, je mets du temps à m’acclimater : la détermination de la gamine s’est diluée dans les yeux globuleux d’Anastasia Shevtsova ; sans lumière lunaire, sa Polina paraît essentiellement butée. Visage fermé, impénétrable. Russe jusqu’au bout des pointes. (D’une manière générale, les apprenties danseuses russes ne respirent pas la joie de vivre dans les documentaires…)

 

X Les scènes de danse filmées de manière plate, la caméra remplaçant le spectateur ou le miroir

Même si Angelin Preljocaj profite du film pour caser un extrait d’un de ses ballets, c’est bien avec la caméra qu’il y est chorégraphe. Sans partition pré-existante qu’il craindrait de perdre, le couple de réalisateurs s’autorise à trancher les corps, dans le vif, par un recours fréquent au gros plan. Et pas sur les pieds (ou si, une seule fois, pour montrer la labeur, le parquet brut et les pointes abimées, loin du glamour fétichiste). Les plans rapprochés montrent bien que le sujet n’est pas la danse, mais les danseurs, les personnalités qui se construisent dans le mouvement. Les gros plans et les angles décalés permettent en outre de masquer d’éventuelles faiblesses techniques lorsque c’est nécessaire. Le concours d’entrée de Polina à l’école du Bolchoï est ainsi filmé depuis les cintres : on masque ainsi une variation de la claque qui ne claque pas franchement… tout en montrant que le concours est joué d’avance pour super-Polina.

Toujours en mouvement, parfois à l’épaule, la caméra participe de la danse ; elle la crée bien plus qu’elle ne la filme.

En studio, troisième danseur invisible.

Dans la salle, lorsque Polina découvre Blanche-Neige : le pas de deux auquel elle assiste devient pour ainsi dire un pas de trois, ses yeux brillants mêlés au désir des corps qui les ont écarquillés. Le procédé est classique (on trouve une scène similaire dans Nijinsky, que je découvrais la veille…), mais efficace lorsque les champs-contrechamps sont bien montés.

En extérieur, aussi, surtout, avec deux très belles scènes : Polina enfant, sur le retour de l’école, dans la neige, et Polina adulte, sur le quai d’un port industriel. Deux travelings comme une traversée des âges.

 

X Le ton tutu la praline

Pas de cliché rose, de mièvrerie tutu la praline : lorsque Bojinsky réclame davantage de grâce de son élève, il le fait en gueulant.

Pas de cliché noir, non plus (le pendant du rose) : l’anorexie est un non-sujet (pas de scène de repas, une danseuse au visage rond, mince sans être maigre) et la souffrance physique, sans être niée, est évacuée (un unique ongle cassé, prétexte pour le partenaire à changer de sujet – pas le sujet en lui-même, donc).

Le bon sentiment est tué dans l’œuf pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de couronnement. Pas de danseuse étoile. Pas même de danseuse au Bolchoï-la-plus-grande-compagnie-de-Russie (Mariinskyphiles évincés). Le bon sentiment est obligé de dégager lorsque Polina fait un pas de côté, lorsqu’elle part pour tenter de se construire dans une autre discipline et d’autres cadres, moins prestigieux.

Qu’elle le fasse plus tôt dans le film que dans la BD souligne la force de son choix ; dans la bande dessinée, on pouvait avoir l’impression qu’elle se sabordait. Ma lecture s’était accompagnée d’incompréhension (pour quoi fait-elle ça ?) et d’amertume (mais pourquoi ?). Quand quelqu’un a ce que vous désirez et à quoi jamais vous ne pourrez parvenir, vous ne comprenez pas comment il peut s’en détourner. Alors que cela devrait entraîner un soulagement (ce désir n’était pas tout), cela vous met en colère : ce caprice d’enfant gâté vous empêche soudain de vivre par procuration. Parce qu’elle ne se manifestait pas sous la forme de la jalousie, j’ai mis du temps à identifier cette réaction chez moi : je savais entretenir une certaine nostalgie ; je ne pensais pas qu’elle pouvait se traduire par du ressentiment. Je m’en suis aperçue un jour que je regardais avec Palpatine un documentaire sur des apprentis danseurs de comédie musicale ; on faisait un peu autre chose en même temps, je crois, enfin on était assez détaché du truc pour le commenter à voix haute et je me suis aperçue de la dureté de mes remarques, pire que celles de certains de leurs professeur, lorsque Palpatine s’est exclamé « mais ce sont des gamins ! » – des êtres en pleine (dé)formation. Prise de conscience lente : en vouloir à ceux qui n’ont que faire d’avoir réussi là où vous avez échoué, c’est comme de dire à quelqu’un de dépressif « tu as tout pour être heureux ». Cela se comprend mieux dans le film, ou avec le temps, allez savoir.

Là, on est surtout admiratif du courage de Polina, et désolé qu’elle soit paumée, à toujours essayer de comprendre ce qu’on attend d’elle, alors que le véritable enjeu est de découvrir ce qu’elle attend d’elle et de la vie. Son parcours montre la difficulté à se couler dans les pas des autres tout en trouvant un sens à ce que l’on fait. La tentation est grande de toujours chercher à plaire aux autres, sans se demander qui l’on veut être (alors qu’on ne leur plaît souvent que lorsqu’on a cessé de vouloir leur plaire). Polina se sauve de ce cercle qui se mord la queue en deux temps : d’abord en abandonnant le classique et le Bolchoï, puis en suivant le conseil implicite de la chorégraphe contemporaine qui lui reproche d’être trop centrée sur elle-même, sur son travail, quand ce qui fait un artiste, c’est son regard sur le monde.

En cessant de vivre pour danser, Polina finit par retrouver un sens au mouvement. Il jaillit à nouveau de lui-même, en séance d’improvisation, comme, petite, sur le chemin de la maison. La scène finale, très belle, fait ce pont entre l’adulte et l’enfant, par-delà l’errance. C’est pour ainsi dire la seule scène de danse filmée de manière frontale, suggérant le cadre d’une représentation en l’absence de tout contexte. Pas de coulisses, pas de théâtre, pas de spectateurs : l’intimité se partage sans s’exhiber. Le contexte se comprend et s’oublie ; d’une glissade, on passe de l’anecdotique (de la représentation) au symbolique (du souvenir), du décor à la forêt qui l’a inspiré. Le cerf qui s’était agenouillé devant Polina lorsqu’elle avait accompagné son père à la chasse, enfant, revient comme un patronus de ce père décédé et déçu de l’avoir tant rêvée danseuse étoile. Polina s’est retrouvée et s’est du même coup trouvée. Le cliché consisterait à dire qu’elle danse avec son âme, mais c’est plus simple et plus complexe que cela : elle a retrouvé ce qui l’animait enfant.

 

* « des scènes dansées qui prennent littéralement en charge le récit » J’imagine que c’est pour cela que Le Monde fait le parallèle avec les films de comédie musicale (!).

** Peut-être parce que le père reprend ce qui, dans la BD, était du ressort de Bojinski (moins présent dans le film, du coup) : Bojinski, explique Bastien Vivès, « est représentatif de mon père qui, lui aussi, dit de grandes phrases emportées qui te restent. Techniquement il ne m’a rien appris, pire, il m’a bloqué, je suis incapable de peindre, mais il m’a donné le feu. »

Ok, on s’en fout et cette chroniquette n’est plus -ette, mais :
– J’ai couiné quand Jérémie Bélingard a proposé d’imiter l’animal de son choix.
– Avez-vous vu Pablo Legasa, crédité au générique ?
– Le couloir de l’école de Bojinsky, ce ne serait pas celui de Vaganova ?

Oh, Mademoiselle !

Avec Mademoiselle, Park Chan-Wook (le réalisateur de Stoker) nous entraîne joyeusement dans son sillage jusqu’à un point où, toute l’histoire semblant être remise en cause, on reprend depuis le début d’un autre point de vue, jusqu’à revenir au même point de butée, dépassé dans une troisième partie échevelée… Le storytelling est parfait, parfaitement jouissif.

Certes, on peut s’étonner de la naïveté excellemment feinte de la domestique entrée au service de Mademoiselle pour récupérer une partie de sa fortune dans un coup monté, et je me suis demandée pourquoi diable la corde pendue à l’arbre alors qu’elles fuyaient, mais il n’en reste pas moins que le premier renversement m’a prise par surprise. Et j’ai douté à nouveau ensuite, quoique dans une moindre mesure. Je n’en dirai pas plus au risque de vous gâcher le plaisir – réel, car tout est délicieux dans ce film virtuose : les plans (façon gothic novel très colorés), les actrices (Kim Min-Hee & Kim Tae-Ri) et les scènes de sexe (fort ludiques). Je me suis régalée*. 

* Heureusement, parce que la salle du Majestic est de loin la plus pourrie où j’ai jamais mis les pieds, toute de guingois, avec des sièges de biais par rapport à l’écran, qui obligent à choisir entre sacrifier sa nuque ou son dos…

 

Him, Daniel Blake

I, Daniel Blake n’est pas La Part des anges. On ne rit pas dans le dernier Ken Loach. Surtout pas de l’absurde que l’administration a su élever au rang d’art. Daniel, à qui l’on a refusé une pension d’invalidité, se voit également refuser de faire appel à cette décision… parce que le refus ne lui a pas été notifié. Coincé dans une boucle temporelle qui ressemble furieusement à un nœud coulant, il voit sa situation se dégrader sans pouvoir rien faire d’autre que d’aider son prochain – en l’occurrence, une mère de famille seule, qu’il a rencontrée à Pôle emploi et qui, malgré le toit qu’on lui a offert (il faut voir en quel état), ne s’en sort pas.

Tendresse pour les personnages, virulence contre la société, notamment à propos de « la mascarade » humiliante que l’on impose aux demandeurs d’emplois, alors que le chômage est dans une large part structurel. Ken Loach détaille la chute d’un homme qui refuse de déchoir, avec une rigueur a-sentimentale qui rappelle Amour de Haneke : même difficulté à ne pas chialer, même refus de chialer alors que le personnage principal reste digne, lui, une dignité sans raideur ni grandiloquence, simple et lumineuse, comme l’était celle d’Une belle fin, d’Uberto Pasolini. On y sourit pareil, de compassion, pour s’empêcher de chialer devant cette misère dont on sait, parce qu’elle est filmée sans misérabilisme, qu’elle est réelle.

Bridget Jones 3

Jamais 2 sans 3 ou les plus courtes sont les meilleurs, Bridget Jones Baby balance, comme son héroïne entre Patrick Dempsey et Colin Firth – comme d’hab’, a-t-on envie de dire, sauf que cette fois, il est au moins autant question d’ADN que de coeur puisque Bridget ne sait pas duquel elle est enceinte. Du coup, malgré quelques bonnes répliques et une caricature fun des petits jeunes en hipsters, je trouve ça tout de suite moins drôle (même s’il ne faut pas occulter que les deux premiers films étaient déjà moins drôles que les bouquins). Ce qui était mignon à 20 ou 30 ans l’est nettement moins à 40 ans, où la loose botoxée commence à virer au pathétique. À force d’être vu et revu, cela ne ressemble plus à grand-chose. OK, c’est haut en couleurs, on ne s’ennuie pas, mais tout de même, ce bordel, ça commence à être fatigant et on espère ne pas en être là dans 10 ans. Alors on rit encore un peu, oui, mais parce que ça craint. Bien plus que le pull-renne de Noël qu’on retrouve en forme de clin d’oeil à la fin du générique (de la salle blindée, j’ai été la seule à en profiter). 

La fin du monde, juste

J’avais beaucoup aimé Les Amours imaginaires, puis je me suis ennuyée à mourir devant Laurence Anyways, au point de ne pas donner une chance aux films suivants de Xavier Dolan. Juste la fin du monde m’a cependant fait de l’oeil, à cause de son acteur principal. Qu’il s’agisse d’une adaptation, d’une pièce de Jean-Luc Lagarce, promettait en outre de limiter les débordements du jeune réalisateur au niveau du scénario (de fait, un seul clip, comme un cheveu sur la soupe). Alors j’ai tenté, et grand bien m’en a pris parce que, même si le film est parfois un peu poussif, ça transpire l’humain.

Louis (Gaspard Ulliel, qui s’appelle décidément souvent Louis ces temps-ci) revient dans sa famille après douze ans d’absence pour annoncer sa mort prochaine. Je ne spoile rien, tout cela est dit dans les cinq premières minutes du film. On ne sait pas de quoi souffre le jeune homme, ni à quelle échéance il est condamné, mais cela importe peu : cette mort annoncée, connue seulement du public et du principal intéressé, sert surtout de clôture. Il n’y aura pas de prochaine fois ; tout doit se jouer ici et maintenant, dans un huis-clos intense qui n’est pas sans rappeler Carnage. Les personnages s’empoignent avec la même (absence de) politesse et la même violence, dans un même mélange d’attraction et de répulsion : on aime ce frère-fils-beau-frère admirable ; on l’aime tellement qu’on le déteste de ce que lui ne nous aime pas, pas assez, pas autant. La caméra, braquée sur les visages en gros plan, ne laisse aucune échappatoire, aucune possibilité de prendre du recul, aussi accablante que la chaleur subie par les personnages. C’est viscéral, et très intelligent.

Le terme de « non-dit » revient dans toutes les critiques que j’ai lu, pour caractériser les tensions entre les personnages. Pourtant, les choses sont dites : de biais, de travers, maladroitement, mais elles sont dites, lors de face-à-face successifs dans des pièces isolées. Comme un Cluedo.

Dans sa chambre, la petite sœur de Louis (Léa Seydoux, sensible et butée) lui dit son admiration, et sa déception aussi, qu’il ne s’occupe pas plus d’eux, même si elle ne veut pas lui reprocher quoi que ce soit.

Dans la cuisine désertée, la belle-sœur (Marion Cotillard, parfaite de balbutiements) lui dit qu’elle n’a rien contre lui, mais ne veut pas être mêlée à tout ça, prise à partie.

Dans le cabanon du jardin, sa mère (Nathalie Baye, caricature surmaquillée) lui dit qu’elle ne le comprend pas, mais qu’elle ne l’en aime pas moins, et l’enjoint à encourager les autres, cette fratrie dont il s’est défaussé. Ils ne veulent pas des réponses, ils veulent de l’amour.

Dans la voiture du frère qu’il a accompagné chercher des cigarettes, enfin, celui-ci (Vincent Cassel, presque faux tant il marque son hostilité, au mieux taciturne) met les points sur les i : il refuse d’être mis dans sa poche ; il ne se fera pas embobiner par les petites magouilles langagières du grand auteur.

Tout est dit. Il n’y a pas quelque chose à dire qui serait tu ; il n’y a rien à dire à cet étranger de la famille, qui ne cesse de sourire, par nostalgie, pour s’excuser. Après douze ans de cartes postales, le small talk sur les photos des enfants et les poules du voisin sonne faux ; on attend autre chose : des updates dignes de ce noms, des déclarations, des explications, des amandes honorables, mea culpa, tout ça. Mais de chaque côté, la vie a passé et il est difficile de la résumer ; il n’y a pas grand-chose à en dire, c’est comme ça : la famille qui macère dans sa médiocrité et l’auteur à succès qui, s’en étant arraché, n’a jamais eu envie de revenir. (On comprend vite pourquoi ; l’erreur n’était pas de partir, mais de revenir. Sans retour, cependant, pas de film… d’où cette mort annoncée.) Il n’y a plus rien à dire, il n’y a plus qu’à gueuler, à pleurer, à taper. À partir, une bonne fois pour toute, une dernière fois.