Avengers 2, bis repetita placent

Comme dans la littérature jeunesse, les histoires de super-héros observent une règle d’or : jamais de désespérance. Aussi violents les combats soient-ils, aussi dures les épreuves soient-elles, les personnages peuvent connaître un moment d’abattement mais jamais désespérer. Les histoires de super-héros doivent en outre finir par la victoire desdits super-héros (sinon, ils ne seraient plus super), après des combats qui feraient passer Bruce Willis pour une chochotte et permettent ainsi de maintenir le suspens, faire catharsis et multiplier les effets spéciaux comme des petits pains. Joss Whedon se glisse dans cette grille plutôt contraignante et, sans jamais contrevenir aux règles du genre, les subvertit juste ce qu’il faut pour faire naître le doute et la réflexion, sans jamais entamer la jouissance qu’il y a à voir les ennemis se faire casser la gueule avec panache.

Dans Avengers 2, la clé de l’ambivalence est énoncée par l’ennemi lui-même, intelligence artificielle créée par Iron Man : on crée soi-même ce dont on a peur. Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, en l’occurrence, c’est Ultron, puissance et intelligence artificielle qu’Iron Man a conçue pour faire régner la paix dans le monde et qui, après avoir scanné une base de données ressemblant fortement à la lettre W de Lilou dans Le Cinquième Élément, décide que, pour que la paix soit, il faut faire évoluer l’espèce humaine, terme politiquement correct pour l’éradiquer. L’ennemi initial, qui a instillé cette peur en Iron Man, est vite oublié derrière (car éradiqué par) Ultron, et le combat devient combat contre soi-même. Cela permet notamment d’interroger la belligérance des super-héros : Captain America n’a aucune existence sans guerre et, quelque part, en redoute la fin ; d’où le doute : ne désirerait-il pas la perpétuer ? Et dans ce perpétuel besoin de batailler, les super-héros ne risquent-t-ils pas d’oublier leur mission, à savoir protéger les civils ? Lâché en pleine ville, Hulk terrorise la population (quasiment unanimement black – un message à faire passer ? minorité opprimée par la pauvreté ?) ; redevenu Banner, sa conscience le travaille – c’est le seul que sa peur pousserait à préférer la disparition au combat. Cette attitude, inverse au reste de l’équipe, est tout aussi problématique, car, comme le dit la veuve noire, poussant Banner dans un précipice : « I love you, but I need the other guy. »

C’est encore la veuve noire qui se fait l’incarnation de la Realpolitik lorsqu’elle énonce clairement que si l’équipe est incapable d’évacuer les habitants de la ville et qu’il faut choisir entre les sauver eux et sauver le reste du monde, il n’y a pas une seconde d’hésitation à avoir. Dans le moment même où les super-héros se recentrent sur leur mission, sur la sécurité des civils, dans l’idée que chaque vie compte, est réaffirmé le pragmatisme selon lequel la survie du plus grand monde ne doit pas être compromise par un idéalisme de principe1. Noblesse et franchise Marvel oblige, le sacrifice ne sera pas celui, calculé, de civils innocents, mais celui, délibéré, d’un super-héros, i.e. d’un militaire, pour ainsi dire mort dans l’exercice de ses fonctions.

Jamais ces nuances et ces interrogations ne perturbent ni le ton ni le rythme des combats. La répartie reste cependant plus sanglante que le dézinguage de l’ennemi. En faisant prendre à celui-ci la faire de robots, animés par une intelligence artificielle mais dépourvus d’humanité, Joss Whedon autorise aux super-héros des combats sans pitié, qui permettent aux spectateurs de se défouler par procuration sans jamais grimacer de douleur. Quand on met en pièce en robot, le dégât n’est que matériel : pas d’empathie, on peut y aller joyeusement. Flèches, bouclier, marteau, poings verts, tous les moyens sont bon, y compris la magie rouge d’une nouvelle recrue qui n’est pas sans rappeler la dark Willow de Buffy après la perte de Tara.

Côté répliques qui tuent, après un premier quart d’heure où tout tombe un peu à plat2, on est servi – même si je crois que ce qui m’aura fait le plus rire, c’est l’ajout, dans l’énumération des peurs auxquelles nous donnons vie, des little beings qui nous supplanterons dans le cycle de la vie… little beings, you know… oh, yes, children!

 
1 Clin d’œil à ce pragmatisme politique : la caméra passe devant un bateau, un vaisseau ou je ne sais plus quel moyen de transport nommé Churchill.
2 Et des blagues involontaires, genre Ultron qui s’est échappé par Internet. Merdalors, les gars, vous n’aviez pas Avast Antivirus ?

Peu de bruit pour quelque chose

Beatrice (Amy Acker) et Benedick (Alexis Denisof)

  

Joss Whedon, c’est le mec qui fait mentir Pascal : avec lui, le divertissement ne détourne pas de l’essentiel, il y conduit. Et il le fait aussi bien avec une série comme Buffy, que ses décors en carton-pâtes n’empêchent pas d’être étudiée à l’université, qu’avec un blockbuster où le sensationnel fait soudain sens ou encore avec… Shakespeare. Much Ado About Nothing, qui conserve non seulement le titre mais aussi le texte intégral de la pièce de Shakespeare, n’a rien à voir avec du théâtre filmé – sauf à se rappeler que All the world’s a stage. Génialement mise en scène (avec trois bouts de ficelle), la comédie shakespearienne semble n’avoir jamais été que le scénario de ce film, qu’on n’arrive décidément pas à voir comme une adaptation tant le texte coule naturellement – on est scié, au générique, de découvrir que la BO a été composée par Joss Whedon à partir de sonnets du dramaturge-poète. L’écart entre la langue originale et le monde moderne se voit atténué par un noir et blanc intemporel du plus bel effet – Joss Whedon dira seulement de ce parti-pris que c’est pour que le film, tourné chez lui en une semaine, ait plus d’allure. Much Ado About Nothing est une fête (de l’esprit) à laquelle le réalisateur a convié ses amis. 

 

Hero (Jilian Morgese) et Claudio (Fran Kranz)

 

Du coup, pour le fan, le générique prend des allures de crossover.

 

Beatrice, l’anti-amour Winifred Burkle aka miss nez, le génie matheux d’Angel
Benedick, l’anti-mariage Wesley Wyndam-Pryce de Buffy et Angel
(mais plutôt Angel, il y est plus sexy)
Dogberry, le capitaine de police Mal, le capitaine de Serenity
Don John, le comploteur machiavélique Simon, le docteur de Serenity qui donne envie de jouer au docteur

 

 

Tragique et comique s’entendent comme larrons en foire, sous la forme de deux couples chaotiques : Don John se met en travers du mariage entre la douce Hero et l’aimable Claudio tandis que Beatrice et Benedick, faisant la sourde oreille à l’onomastique de leurs prénoms, sont trop agacés l’un par l’autre et trop fiers pour reconnaître leur mutuel penchant (alors que le spectateur sait bien qu’ils avaient déjà fini ensemble dans une vie antérieure, lorsqu’ils s’appelaient Fred et Wesley).

  

 

Piques spirituelles bien senties côtoient bouffonneries en tous genres, comme lorsque Benedict se jette à terre, façon roulé-boulé hors d’un train roulant à grande vitesse, pour épier la conversation qui lui apprend l’amour de Beatrice ou lorsqu’il se met soudain à faire des pompes au moment où elle vient le chercher pour passer à table.

 

Emma-Bates-Jillian-Morgese-and-Amy-Acker-in-Much-Ado-About-Nothing

Beatrice n’est pas en reste non plus, niveau gag…

 

 

Et puis, il y a les meilleures didascalies de tous les temps, lorsque Don John, Borachio et Conrade entrent en scène piscine comme des sous-marins, encerclant Claudio par surprise puis, s’éloignant en brasse, exeunt à la nage.

 

Mit Palpatine.