Journal de juin

2 juin

J’enfile mes nouvelles chaussures de marche, sans savoir si c’est pour marcher ou m’arrêter immédiatement et lire dans le jardin – hésitation devant le portail. D’imaginer le trajet pour sortir de Montrouge me décourage d’avance : ce n’est pas que ce soit bien long, c’est que c’est toujours le même ; il faut encore et toujours remonter la grande rue commerçante dont je connais presque par cœur l’ordre des boutiques et des restaurants, jusqu’au beffroi puis au périphérique. Il faut répéter ce trajet qui, sur la trace GPS de mes pérégrinations de l’année, déborderait la route, comme creusée d’allers-retours au stylo bille. En sortant dans la rue, je prends résolument de l’autre côté, biaise jusqu’au beffroi. Une fois l’effort fourni pour s’arracher du quartier déjà cartographié, la force d’inertie s’applique au mouvement, et d’un pas devant l’autre, je ne m’arrête pas au parc de la porte d’Orléans comme je le projetais, je poursuis jusqu’à Montsouris.

Je serais d’humeur à fuir : l’appartement, ma vie, coucher avec le premier venu, abandonner la formation, tout gâcher, saccager – ça semble tellement léger, joyeux presque, dans l’inconséquence du fantasme. D’humeur aussi à ne rien faire de tout ça, renfrognée dans l’à quoi bon. Je m’assois dans l’herbe comme on laisse tomber, rageusement et sans rage aucune, car il y faudrait encore de l’énergie.

Il faut un peu de temps pour que le parterre à côté de moi cesse d’être composé de fleurs ou même de roses, pour que j’aperçoive l’étincellement du soleil dans une goutte de rosée ayant survécu jusqu’en ce début d’après-midi ou, relevant la tête entre deux chapitres, l’ombre d’une fourmi dans la transparence d’un pétale. La lecture laisse à mon cerveau le temps de faire la balance des sons, comme on fait celles des couleurs sur une photo : fading out de la circulation, curseur tiré à la hausse du côté des oiseaux. Un apaisement relatif émerge à mesure que l’environnement se précise, dans une mise au point progressive, à chaque entre-chapitre. Le vent. Des feuilles aux formes et aux coloris différents. Des collégiens qui passent, une carte à la main, en quête du prochain lampadaire ; certains cherchent des balises, d’autres à esquiver la course d’orientation. Les cimes hautes. Une bestiole sur ma cuisse. JoPrincesse dans mon téléphone. Une dame en robe blanche, qui promène son perroquet blanc en trottinette. Son perroquet blanc ?! Son perroquet blanc, à droite du guidon. Diffraction de la conscience dans son environnement : il y a bien eu une ellipse temporaire de ce je vener. Les grands arbres, c’est toujours une bonne idée.

rose au parc Montsouris

C’est comme si les événements de l’an passé, mis en sourdine par une année de métamorphoses accélérées, trouvaient soudain à se déployer dans le temps étal des immenses vacances qui viennent de commencer. Je régurgite la colère contre l’ex, la colère contre moi, de ne pas l’avoir déversée, et celle de rester coincée, encore et dirait-on toujours, avec ces peurs ridicules et ces névroses que je suis lassée d’appeler miennes – un sabbat silencieux où sont conviés tous les prétextes. Je pourrais hurler en entendant les voix qui animent les émissions que le boyfriend regarde à jet continu, parfois en surimpression avec les bruitages des jeux vidéos ; des voix incisives, au même débit contrôlé, qui s’interrompent et se soutiennent sans répit. Cet épuisant brouillard auditif fonctionne à merveille comme prétexte empêchant toute écriture, et surtout celle du bouquin sur la danse que je voulais finir cet été, que je me vois d’ici ne pas avancer, reconduisant l’impression de ne jamais aboutir quoi que ce soit.

Je pourrais reprendre des visites chez la psy, mais je suis exaspérée par avance de la pauvreté des leviers : bien dormir, faire de l’exercice régulièrement, marcher dans la nature, dessiner ou méditer par quelqu’autre moyen que ce soit – tous moyens que j’ai à ma disposition, mais que je me mets à exécrer quand je constate ma volonté démusclée.

L’exaspération repart, revient, se ravale, guette.

En discutant devant le frigo, j’apprends que le boyfriend, véritable éponge émotionnelle, a lui aussi (conscience d’avoir) des accès d’énervement ces temps-ci. On s’entre-éponge, conclut-on avant de manger nos burgers devant Au poste. C’est typiquement un film que je n’aurais jamais regardé seule ; j’aurais arrêté le visionnage avant la fin, exaspérée par le récit sans cesse empêché, retardé – un Tristam Shandy de l’absurde. Restant concentrée par égard pour le boyfriend, qui a loué le film exprès pour me le faire découvrir, je suis bien obligée de reconnaître qu’il y a d’excellents passages – et de constater que nous n’avons décidément pas le même humour.

L’exaspération muselée se déchaîne tard dans la nuit, au moment où je pense enfin pouvoir dormir, sans plus de lumière ou de bruit à côté de moi. Dans son livre sur l’abstinence, Sophie Fontanel raconte en avoir eu assez, à un moment de sa vie, d’être secouée ; alors que je ne suis pas loin parfois de partager ce ressenti et que la centralisation de la sexualité (hétérosexuelle) autour de la pénétration me laisse de plus en plus dubitative, c’est cette nuit-là précisément ce dont j’avais envie : non pas de plaisir, mais d’être secouée, d’être mise hors de moi. S’ensuit un corps à corps avec lequel l’amour n’a pas grand-chose à voir, si ce n’est qu’il rabat sur moi la violence que je voudrais prêter à l’autre et dont il n’use pas. À la place, il immobilise sa caresse et me maintient, les mains autour du crâne, jusqu’à ce que mon esprit furieux coïncide avec le bocal dans lequel il se tournait et se retournait en se cognant. Ostéopathie de la rage comme acte d’amour. Je n’arrive pas à comprendre comment il peut comprendre si bien ce dont j’ai besoin, bien mieux que moi, même. Quand je lui demande, il ne sait pas, il ne fait que lire mon corps, qui serait très expressif. Peut-être que mes émotions, lassées d’attendre que je les ânonne maladroitement, se font la malle en s’incarnant.

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3 juin

J’avance à tâtons dans la journée, heureuse de ne plus ressentir d’exaspération, m’attendant néanmoins à ce qu’elle me saute dessus à tout moment. Pour la tenir en respect, je petit-déjeune seule, dans le calme. La météo me soutient avec son temps gris : aucune urgence à sortir, je n’ai pas l’impression de gâcher ma journée en restant à l’intérieur. Et le boyfriend sorti, me voilà à écrire tranquillement tout ceci. Il avait raison : j’avais peut-être besoin de me retrouver seule. Mettre un peu d’ordre dans mon ressenti, après avoir éprouvé le besoin d’en mettre dans son intérieur à lui, si bordélique et cracra que je sois (j’ai fait la poussière du salon en loucedé, avec de vieilles chaussettes trouées à moi)(tranquille sur le fait qu’il ne remarquera rien).

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4 juin

Quand j’arrive chez elle, au milieu des cartons, M. me demande si je veux sa seconde ceinture lombaire. Pour toute réponse, j’ouvre le zip de mon hoodie, découvrant la mienne : une amitié de meufs sujettes aux lumbago.

Je prends une moitié de pain au chocolat (gros, riche) dans l’appartement qu’elle quitte ; la seconde me rattrape une fois arrivés dans l’appartement où elle emménage. Le sachet de viennoiseries tarde toutefois à se vider : personne ne partira tant qu’il ne sera pas fini, menace joyeusement sa mère.

Je sens mes cuisses durcir à mesure que se multiplient les deux mêmes étages ; cela fait pourtant du bien de sentir son corps. L’allégresse de ce cours de step improvisé est ruinée par le buffet à volonté du midi, où m’anime moins le plaisir du goût que d’avoir tout goûté.

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Invectives inarticulées à l’avant du bus – les passagers s’immobilisent à mesure que leur auteur remonte l’allée centrale. La part animale de chacun se rétracte et à l’affût fait le mort, tandis que la part humaine tente de convertir cela en indifférence. Cette brèche dans les conventions sociales nous rappelle qu’il suffirait d’un rien pour que le pacte de non-agression vole en éclat et que notre prochain nous tue comme un rien.

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Black Mirror comporte donc un épisode feel good, malgré son titre : Hang the DJ!

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Je glisse dans le sommeil dans l’odeur de camphre. Bonheur d’être massée.

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5 juin

Pour feinter le découragement et rouvrir les fichiers de mon bouquin sur la danse, je les remets en forme sous Pages. Une chose en entraînant une autre, je corrige une coquille, style les titres de ballet, reprend une expression mal tournée, écrit deux lignes en fin de paragraphe, puis en rédige un entier.

Je ne sais pas si c’est de l’avoir coulé dans une nouvelle interface, mais le texte me semble à nouveau (enfin ?) une matière malléable, alors que les projets longtemps abandonnés me laissent habituellement désemparée, sans plus de prise ni point d’entrée. Quelques passages me semblent certes avoir solidifié dans le temps, mais ce sont ceux qui nécessitent le moins de réécriture. Le reste est affectivement assez loin pour être remanié, reformulé, trifouillé.

Je rédige, quoi ? deux fois quinze ligne, et pourtant remettre la main à la pâte m’allége immensément, dissolvant la crainte de l’inaboutissement définitif en chantier ouvert. Lisant ensuite quelques pages dans le jardin, je retrouve le plaisir de la simple matérialité du monde extérieur, telle qu’elle ne peut rapparaître qu’après une immersion dans un exercice intellectuel.

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Courte session de yoga avec, en fond sonore, les attaques commanditées par le boyfriend depuis sa tablette. Alors que je me grandis en moutain pose et qu’Adrienne incite à sentir the upward current of energy, une pluie d’orage se met à dracher dru downward.

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Un joli épisode de Black Mirror pour clore la journée : San Junipero. Suivi par le premier épisode de Stranger Thing, mais ça joue trop sur les nerfs pour que je me lance dans la série.

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6 juin

Je compte les lignes, et finalement une page. Quelques vérifications aussi, qui ne sont pas du luxe : la mémoire modifie aisément les chorégraphies.  Quand je sèche, pour ne pas décrocher, je style les titres de ballet au hasard d’un paragraphe.

Lors des visionnages de vérifications, je tombe presque à chaque fois sur des vidéos d’Aurélie Dupont, Nicolas Leriche et Manuel Legris : coup de vieux et de nostalgie ; je fais désormais partie des balletomanes qui ont connu une génération de danseurs qui ne se produisent plus. Ça rajoute une couche d’émotion au Jeune Homme et la Mort, ce corps qui n’existe plus dans cet état de jeunesse, la beauté.

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La beauté d’une discussion tout nus. Des névroses sur fond solaire. Des nœuds dans un arbre dessiné dans l’enfance. Si on n’a pas de problèmes, c’est qu’on a un problème. Aller vers les autres pour aller bien avec les autres, plutôt que d’attendre d’aller bien avec soi pour aller vers les autres. Devenir sage par l’enseignement, plutôt que d’attendre-atteindre la sagesse avant de l’enseigner. Ça me parle, et ça fait ressortir les taches de rousseur sur son nez.

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Black Mirror du jour : USS Callister, apprécié derrière un plexiglas émotionnel.

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7 juin

Pas de rédaction aujourd’hui, mais des notes prises devant des vidéos. Double tour en l’air, cabriole.

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Lecture au soleil, les pieds dans l’embrasure de la fenêtre. Une lumière à faire se pâmer devant le grain des feuilles d’un livre dont on a suspendu la lecture, ou n’importe quelle surface poussiéreuse à vrai dire, qui dépitait l’instant d’avant. Je savoure l’anticyclone émotionnel.

ombre d'un rebord de fenêtre en fer forgé et jardin derrière

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Découverte d’un atelier de lithographie dans la rue du boyfriend ou presque, à l’occasion d’une petite exposition de BD. Les planches me laissent indifférentes, mais j’aime le lieu : l’espace est lumineux, évasé autour d’une magnifique presse ancienne, ponctué d’affiches vintage, de dessins et de motos – un atelier vraiment, d’artiste ou de mécano. La déco plairait à mon père. Je reste fascinée par le dessin de l’orée d’un bois de boulots ouvrant sur une clairière de neige, noire, dessinée au corps gras sur une énorme pierre. Je ne sais pas si l’impression est la même une fois l’image tirée en négatif, mais en l’état on dirait une scène d’Ida.

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Black Mirror du jour : Shut up and dance. La série est un bon plaidoyer pour la justice, tant la vengeance y apparaît plus glaçante que le mal.

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Les entrées qui suivent ont été rédigées un bon mois plus tard.

8 juin

Crêperie avec JoPrincesse. Je ne me souviens plus de quoi nous parlons (souvenir mélangé aux conversations WhatsApp), seulement que nous passons un bon moment. Une perle de plus sur un collier d’amitié.

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9 juin

39° de fièvre dans le RER. Mum me raconte ses déboires au boulot, les gens qu’elle managent et ceux qui prennent tout arrangement comme un dû. J’essaye de suivre, entends surtout qu’elle a besoin de vider son sac. Depuis la pandémie, les gens ne feraient plus aucun effort, organisant en priorité leur vie personnelle et faisant rentrer le boulot dans ce qu’il reste d’emploi du temps, demandant à déplacer telle réunion parce qu’ils ont rendez-vous ici ou là, parfois à des heures où tous sont tenus d’être en poste. Il y a ceux qui abusent et il y a une tendance générale, que Mum semble déplorer alors que je ne suis pas loin d’approuver – une différence de génération, probablement : quand on a passé toute sa carrière à honorer ses obligations salariales et à agencer sa vie privée autour comme on pouvait, penser autrement reviendrait à se reconnaître floué. En même temps, j’ai été élevée par une juriste, et un contrat est un contrat ; il faudrait avoir l’honnêteté de le rompre si on ne veut plus y souscrire. Je suis d’accord sur la forme, peut-être moins sur le fond, sur le rapport au travail – mais si j’ai le luxe de ce recul, c’est aussi parce qu’elle est là pour moi en back-up (moral et) financier durant le temps de ma reconversion.

D’elle à moi, je constate la fatigue professionnelle, physique et mentale, qui rend la retraite de plus en plus nécessaire, mais aperçois aussi une forme d’intransigeance qui me surprend, probablement parce qu’occupée à m’appliquer une similaire exigence, je n’en avais jamais perçu la dureté. (Corollaire : je suis de moins en moins exigeante envers moi-même. Je le déplore ou m’en réjouis selon les jours.) J’ai retrouvé similaire dureté au cours d’autres conversations (selon la logique inconsciente du : si je l’ai fait, alors les autres le peuvent-doivent aussi), et c’était une autre fatigue qui affleurait, la fatigue de blessures trop anciennes ou légères pour être consciemment envisagées comme telles, micro-lésions familiales et émotionnelles qui peuvent se superposer jusqu’à la carapace.

C’est curieux de voir ses parents depuis l’âge adulte, à l’âge où eux-mêmes étaient parent du petit enfant que nous ne sommes plus. Seulement maintenant je parviens à apercevoir ma mère à distance de son rôle maternel, prise dans le contexte d’une vie plus ample. Et encore, cette nouvelle image ne me parvient qu’à travers un voile de complicité et de tendresse dont je ne peux (ni ne voudrais !) me départir.

39° de fièvre dans l’avion. Dans le siège juste derrière moi, un jeune enfant hurle à pleins poumons pendant 40 minutes, le bruit ne cessant brièvement que lorsque ses cordes vocales s’enrayent. Je ne suis que pure passivité, pure attente d’un lit où me rouler en boule.

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9 juin – 23 juin

Voyage en Norvège avec Mum. Les paysages se succèdent, les symptômes aussi : fièvre, mal de gorge, toux, conjonctivite, frissons… Sur 3 mois de vacances (je sais, c’est indécent), je réussis à tomber malade pile les 15 jours où je pars. Mum prend le relai la seconde semaine, avec une fièvre beaucoup plus coriace.

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Le voyage qui décentre-recentre. Les discussions qu’on emmène avec soi, qu’on aurait oublié de tenir si l’on n’avait pas été ailleurs, c’est-à-dire ici. Sur une plage avec des rochers, des mouettes menaçantes et une coquille d’oursin orange, j’apprends que mon grand-père avait suivi une licence de biologie, que ça l’intéressait vachement. L’information se range à côté d’un souvenir de fossile, dans la vitrine où il exposait ses œufs de collection. D’autres bribes familiales se déroulent, des tensions de vie quotidienne se dénouent au fil des paysages qu’on regarde sans pouvoir les attraper.

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Le voyage me relance sur la question du paysage. En relisant les articles du précédent voyage en Norvège, je m’aperçois que ma réflexion allait radoter. La multiplication des points de vue dans le temps et l’espace (différents angles, différentes météos) ainsi que de la vitesse de défilement (en voiture, à pieds…) reste ma manière préférée de m’installer dans le paysage. Les trois nuits à Flakstad ont été de ce point de vue un bonheur total. Ce bout du monde d’île, vu sous le soleil de jour et de minuit, mais aussi sous la grisaille, sous la brume, est devenu mon endroit préféré des Lofoten.

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En arrivant à Bodø, je suis saisie par la nature de l’air – froid ? pur ? calme ? limpide ? arctique ? je ne saurais dire, mais le bruit de la ville en semble atténué. Elle est là, pourtant, laide et rassurante. De l’autre côté du port, en revanche, ce sont des langues de terre rocheuses et basses qui ouvrent-ferment l’horizon. J’ai l’impression d’arriver en lisière du bout du monde ou d’émerger d’une vie de yoga. Je sens que, du voyage, c’est là où je voulais en venir. (De fait, la ville ne me refera pas le même effet au retour.)

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J’ai traversé le bout de prairie qui me séparait de la plage de sable fin, et j’y suis seule avec les oiseaux en pleine golden hour, à minuit. Minuit, c’est le nombril de la nuit, l’heure magique à laquelle le jour meurt et renaît. Le soleil de minuit, c’est cette magie noire rendue lumineuse, l’abolition des contraires. J’en veux pour preuve les montagnes qui abritent encore dans leurs creux ombragés des plaques de neige, et l’eau turquoise de la mer, qu’on dirait tropicale en photo. Je reste là un moment, à marcher un peu et à arpenter du regard le paysage surtout, essayant de comprendre ce tout oxymorique : les montagnes éclairées comme des décors de cinéma, les fleurs blanches et quand même dorées, les veines dessinées par les vers de sable, le soleil qu’il ne faut pas regarder droit dans les yeux, sa traîne sur l’eau, les chaînes de montagne plus sombres plus lointaines et celles éclairées comme des décors de cinéma, les fleurs jaunes et quand même dorées, les algues, un oiseau, le soleil vers lequel je dirige mon téléphone sans le regarder, faisant tanguer la mer par mon cadrage, les montagnes et la prairie, la mer… non, je n’y arriverai pas. Cette beauté de bout du monde est magique et ne se rapporte pas. Le soleil est toujours là, mais il est minuit passé, il fait froid, il faut rentrer et dormir.

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24 juin

Je profite d’être à Versailles pour savourer un après-midi avec Melendili. Sur un banc dans la cour de la bibliothèque (il menace de pleuvoir), on parle de bourgeoisie, d’image qu’on dégage, et je lui demande si, moi aussi ? Elle ne sait pas comment le formuler, mais : plutôt le petit côté nerd ; avec moi, on a du mal à savoir à qui on a affaire. J’adore qu’une amie,  ayant peur de me froisser, me rassure au contraire.

On parle de rien, mais surtout de tout. C’est facile sans être superficiel. Sa compagnie me met en joie, vraiment. Je repars guillerette.

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25 juin

De retour à Montrouge. J’avais vraiment besoin d’une coupure. Et quel changement d’air que la Norvège !

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27 juin

WhatsApp story. À 10h30, on discute avec Joséphine de la possibilité de se voir dans les prochains jours, avant la naissance du baby. À 13h, elle annonce la naissance de son fils sur le groupe de son anniversaire.

Ma meilleure amie est désormais maman. J’ai beau m’y préparer depuis pas loin de neuf mois, c’est étrange.

La naissance dissipe la crainte que j’avais obscurément de perdre une amie, comme si j’étais sa fille aînée, jalouse de l’arrivée d’un cadet. Ce n’est même plus grandir qu’il faut, ma vieille, c’est vieillir.

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Disons le 28, 29 juin, avant ou après

Remonter à Roubaix pour une dizaine de jours seulement n’avait pas trop de sens, mais j’ai hésité : j’ai du mal avec les nuits hachées – par le chat / les insectes / le gamin du dessus / le partage d’un lit en 140 avec un sacré gabarit. Et pas moyen de s’isoler phoniquement le jour, à moins d’aller lire dans le jardin*.

* sous réserve d’absence de meuleuse

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Un motif inspiré de Norvège me trotte dans la tête et je finis par rouvrir Vectornator, qui a connu un nombre incalculable de versions depuis ma dernière utilisation. Je retrouve ou reprends des repères petit à petit, et prends plaisir à construire mes sujets en combinant des formes rudimentaires, l’une après l’autre, comme dans un jeu de tangram.

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30 juin

Nuit trop courte, je ne suis pas loin de m’endormir sur la table de l’ostéo, qui a pourtant l’air infiniment plus fatiguée que moi. Elle sort d’un Covid… et d’une seconde maternité plus tôt dans l’année.

En sortant cotonneuse-apaisée de chez l’ostéo, le tapis de l’escalier me fait penser à celui qu’il y avait dans l’immeuble de la psy – le velours feutré du bien-être.

Je profite d’être dans le coin pour faire le plein chez les frères Tang – cela me fait tellement bizarre de revenir dans mon ancien quartier. Les morceaux de ville que je n’en pouvais plus de voir, incompressibles d’être de tous mes trajets, sont devenus de bizarres madeleines de Proust, identiques dans leur sachet à la date de péremption un peu dépassée.

Rendez-vous amical au Loir dans la théière. Délicieuse tarte crumble au chocolat : ganache pour le goût, topping granola pour la texture. On continue à se demander comment organiser nos journées et quels hobbys choisir dans les rues de Paris, puis sur les quais. C. tentera de rejoindre une chorale à la rentrée, et garde la couture sous le coude ; je ressasse le triumvirat dessin / violoncelle / hip-hop, sachant que je n’en ferai probablement rien, contrairement à l’idée du sandwich falafel qui nous ramène rue des rosiers.

Quelques jours de mai 2022

1er mai

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2 mai

La pièce classique que nous devions faire n’a pu avoir lieu pour des raisons (de manque) d’organisation et de budget ; nous avons été de facto mis avec les contemporains. Quand la chorégraphe nous a remontré la vidéo déjà visionnée une première fois avec ennui, j’étais en plein down hormonal,  j’avais le dos qui menaçait de se bloquer suite au travail au sol de la veille, et passer une vingtaine d’heures à apprendre et travailler ces mouvements, semble-t-il faits de comptes plus que d’énergie, m’a semblé au-delà de mes forces. Sur cinq danseuses classiques, nous sommes trois à être allées demander à ne pas participer au projet ; la direction a compris notre déception de ne pas travailler notre discipline, s’est excusée pour le cafouillage, mais a aussitôt retourné la situation en nous culpabilisant. Quelle conception de la danse classique pouvions-nous bien avoir… On n’allait pas l’enseigner comme il y a cinquante ans, tout de même… Préférer ne rien faire plutôt que de monter sur scène, elle s’interroge… Cela m’a fait douter, énormément douter, de ma décision de ne pas participer au spectacle, bien sûr, mais surtout de ma présence dans la formation, de ce que je foutais, là.

Alors que mes deux camarades ont été soulagées d’obtenir gain de cause, j’ai passé plusieurs jours dans un état lamentable, me remettant à tout instant à pleurer sans comprendre pourquoi, avec l’impression d’avoir fait une erreur  monumentale, d’avoir manqué de respect à un tas de personne, de m’être mis à dos la direction… Je crois avoir atteint à ce moment le point de dissonance ultime entre mes réflexes de bonne élève docile et ma réserve d’adulte critique. Devant mon état, Mum, qui passait le week-end chez moi, est restée quelques jours de plus en télétravail ; j’ai dû redevenir une enfant pour me souvenir être adulte.

J’ai aussi pris conscience de l’urgence de changer de pilule ; les phases dépressives ne sont pas possibles, même quelques jours par mois – il suffit qu’il y ait une décision à (ne pas) prendre ces jours-ci pour que ça vrille.

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3, 5, 6, 9, 10 mai

Le calme, à trois dans le studio. N. lance une musique et chacune invente pour soi son exercice à la volée. On dégouline comme rarement. Ensuite, on chorégraphie, et ça prend forme, petit à petit. On remet même les pointes, ce qu’on n’avait pas fait depuis septembre.

Chacune propose une partie, l’apprend aux autres ; on effectue quelques modifications pour simplifier et harmoniser l’ensemble, mais personne ne remet en question les trouvailles des autres ; travail de groupe efficace et agréable comme rarement.

Je rase les murs dans les couloirs et j’ai l’impression d’être une outlaw réac à la pause déj, mais je me sens bien dans le studio, dans mon corps qui retrouve au quotidien une gestuelle qui le maintient et l’épanouit, malgré la chaleur.

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7, 8 mai

Même si elles ont lieu tous les quinze jours, maximum trois semaines, les retrouvailles sont toujours intenses – et les départs difficiles. Pourtant, je ne serais pas certaine de vouloir troquer cette attention brûlante contre une présence forcément plus distraite d’être continue.

Le boyfriend me montre l’épisode Be Right Back de Black Mirror, et je me retrouve cramponnée à lui comme si j’allais le perdre ; je suis trop petite pour regarder Black Mirror toute seule. Le recours à un droïde, programmé pour être conforme à l’être aimé et perdu, matérialise la perte avec plus de violence que toute représentation du vide. On assiste à une prolongation inhumaine du deuil, rendu impossible par cette résurrection de synthèse.

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10 mai

J’essaye de me faire toute petite dans la rangée des places réservées par la formation, pour le spectacle litigieux. La pièce est moins éprouvante en live qu’en vidéo, même plaisante quand il s’agit de voir comment mes camarades se la sont appropriée. Je me demande encore si mon refus n’était pas exagéré, mais je n’éprouve aucun regret à ne pas être en scène, et cette tiédeur, au lieu de m’inquiéter, me rassure : je constate avoir bel et bien fini le deuil de mon rêve d’interprète ; je ne serai pas un professeur jaloux de ses élèves.

S’ensuit une pièce proposée par les élèves de l’école (dont certaines sont à la fac avec nous), et je retrouve la danse contemporaine que j’aime, avec des danseurs pris dans l’ivresse du mouvement. J’ai même un petit moment d’émotion lorsque les danseurs se sautent dessus et s’accrochent à leur partenaire, comme mus par un désir impérieux (je me rends alors compte qu’il n’y a à peu près aucun contact physique entre les danseurs dans la première pièce).

Parce que le cafouillage d’organisation n’a pas été assumé, on en est arrivé – ce qui n’aurait jamais dû arriver – à se poser la question de la participation au spectacle sous l’angle du goût.

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11 mai

Premier cours de « progression technique » de l’année, aka le cours où on apprend à donner cours, à construire les traditionnels exercices de la barre et du milieu en fonction d’un objectif à définir, et à « passer commande » de la musique au pianiste, aka le moment où l’on découvre que l’exercice soigneusement préparé et répété à la maison ne tombe pas du tout juste. C’est assez fou que cela n’arrive qu’en fin de première année, et c’est un soulagement : le voilà enfin, cet espace pour développer le savoir-faire du métier auquel on se forme, au-delà de la seule acquisition d’un savoir, sans avoir à craindre encore le faire (n’importe quoi) dans le grand bain.

Soulagement aussi d’avoir comme nouvelle directrice cette formatrice qui s’adresse à nous comme à de futurs collègues, même si nous avons encore  tout à apprendre, et non comme à des élèves qui voudraient jouer au prof. La direction précédente, plus paternaliste, déplorait que nous ne montrions pas la responsabilité qu’elle nous incitait à prendre… tout en la découragent par des manières infantilisantes. La position d’étudiant futur professeur n’est décidément pas facile à déterminer dans un monde où le danseur reste élève toute sa vie.

Premier printemps dans mon nouveau chez-moi : je découvre les espèces et le calendrier de floraison du jardin sur lequel je donne.

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14 mai

Faire visiter la ville à quelqu’un et la découvrir à cette occasion. Déjeuner à l’ombre des immeubles ; promenade à l’ombre des arbres. Le Vieux-Lille est minéral, toute la verdure concentrée en lisière, dans le parc de la citadelle. C. et moi en faisons le tour sans la voir, que ses murs et la forêt, une étoile en pleine ville.

Première glace lilloise à l’italienne, en heure creuse, plusieurs tours de cadran avant le goûter, et c’est un glacier validé par sa pistache.

On rentre on sort des boutiques, j’ai perdu cette habitude, n’ai envie d’aucune babiole, que j’anticipe poussiéreuse. C’est bobo, je répète ça à tout va. C’est ci ou ça par rapport à Paris, aussi. Les référents ont la vie dure. Le Vieux-Lille est le Marais, on a trouvé la bonne comparaison pour la densité de population.

Croquettes de crevettes samedi, Welsh dimanche.
Parc de la citadelle samedi, parc Barbieux dimanche.
Ceux qui sont du coin auront résumé : Lille samedi, Roubaix dimanche.

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15 mai

À force de s’interroger pendant ses randonnées, C. commence à avoir quelques notions de botanique. Elle reconnaît plusieurs espèces lors de notre promenade au parc Barbieux, et nous cherchons ensemble le nom d’autres auxquelles je n’avais pas spécialement prêté attention et qui soudain nous intriguent. Une pancarte suspendue en collier au tronc d’un arbre devance nos questionnements et nous introduit à ce hêtre commun à marges roses, tandis que Google Lens confirme myosotis et pensées, précisant leur teneur. C’est étonnant comme nommer élargit le réel. Le redonne à voir : voilà que ce hêtre pourpre pleureur n’est plus rachitique, mais nativement dépressif, probable admirateur des saules locaux, dont il ne saurait toutefois égaler la splendeur.

Le parc Barbieux plaît à mon amie, et cela me réjouit plus que de raison, c’est-à-dire vraiment. D’avoir pu partager mon parc.

Après avoir déposé-abandonné C. au musée de la Piscine, j’assiste au spectacle de fin d’année de l’école des ballets du Nord. Je suis venue un peu pour faire acte de présence, un peu par curiosité, plus ou moins prête ou résignée à devoir le regarder comme future prof de danse, et non comme spectatrice. Dès le premier tableau, pourtant, je suis soufflée par la présence d’une élève avec qui j’ai été en cours, et que j’estimais très solide, sans lui imaginer une telle envergure artistique. Me voilà remise à ma place de spectatrice.

Probablement ai-je encore des réflexes de jugement à désactiver pour devenir une bonne prof. Probablement aussi mes a priori sont-ils moins ancrés que je l’aurais cru : à plusieurs reprises, le regard de la future prof se confond avec celui de la spectatrice – avec les grandes, techniquement avancées, mais pas seulement. Je me surprends par exemple à apprécier ce tableau où le bruit des machines à tisser transforme les gestes raides des petits en gestes mécaniques relevant d’une véritable proposition artistique. Si la chorégraphie du professeur est assez inventive pour gommer les maladresses des élèves, ceux-ci, montrés à leur avantage, proposent un spectacle qui ne s’adresse pas uniquement au public tout acquis des parents. À la limite, il n’y a pas de mauvais enfants-danseurs, il n’y a que de mauvais professeurs-chorégraphes (no pressure).

Bonne nouvelle, donc : la schizophrénie entre mon moi perplexe-méprisant et mon moi enthousiaste-encourageant n’est pas incurable. J’entrevois néanmoins pourquoi nombre de professeurs de danse sont des spectateurs de ballet très occasionnels : il est difficile d’ajuster ses attentes si l’on alterne rapidement de l’un à l’autre. Le revers du ballet gracieux, c’est un apprentissage fort ingrat, et on ne saurait tenir indéfiniment ce grand écart.

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17 mai

Suivre un cours sur la communication non verbale face à un miroir, c’est tout un concept. Je nous aperçois toutes bras croisés, renfrognées sur nos sièges, N. les sourcils froncés de défiance – bullshit incoming. Mais j’ai beau soigner ma posture et essayer de me composer une mine attentive, je surprends régulièrement mon reflet qui rechigne. Le corps ne ment pas : je m’ennuie.

L’intervenante rappelle des généralités sur l’espace en danse : l’espace de son propre corps, et celui du studio ; le haut : le ciel, aérien, léger ; le bas : le poids, la terre, la mort… La mort ressort de ce flot de banalités que je m’apprêtais à balayer d’un revers de la main, me retient : et si ma difficulté à travailler au sol en contemporain avait symboliquement à voir avec ça ? Les os qui bleuissent la peau quand ils sont écrasés de manière répétés contre le sol, les muscles qui refusent de se relâcher s’il faut encore bouger… toujours cette histoire de lâcher-prise, d’abandon, devant laquelle le professeur de contemporain ne cesse de me replacer. Lorsqu’il imite ma manière de faire, en grossissant le trait pour appuyer son propos, on croirait à une crise d’épilepsie, contraction nerveuse sur contraction nerveuse.

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18 mai

Il fait tellement chaud dans les studios que je suis habillée pour la danse classique comme pour un cours de pole dance.

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20 mai

Devant nos camarades, les élèves de l’école, leur directrice et la nôtre, nous dansons la chorégraphie classique pour laquelle nous nous sommes battues (preuve s’il en fallait une que les larmes, fussent-elles versées à notre corps défendant, sont une arme).

Le rideau n’a pas été tiré devant le miroir : on se retrouve avec soi-même comme public, le regard par-dessus les élèves assis par terre. Peut-être parce qu’elle est assise sur une chaise, ou plus sûrement parce que son visage paisiblement rayonnant est encourageant, je m’accroche un peu trop au sourire de la directrice – comme une élève soucieuse d’avoir bien fait qui oublie la classe lors de son exposé.

Je ne me suis pas écoutée sur le temps de préparation que je savais qu’il me fallait, j’ai conséquemment paniqué et abordé notre morceau de bravoure cardiaque avec le souffle déjà trop haut placé de qui ne sait plus expirer. Tandis que le pilotage automatique prend le dessus, j’habite mon corps haletant plutôt que l’espace, percevant par fragments : rien, le miroir, un sourire d’élève, le regard du prof de contemporain, N. dansant avec moi – des bribes comme enregistrées par la lumière d’un phare, intermittente depuis un point fixe, depuis ma tour de contrôle qui ne contrôle plus rien. Je me trompe dans le manège, rate mes fouettés à l’italienne, soit la difficulté technique que je peux habituellement me targuer de passer. J’en oublie tout le reste, la chorégraphie qui roule, rodée, synchronisée ; les brefs moments que je savoure, même, quand je me ressaisis et que je marque les accents, les épaulements – quand je danse.

J’avais oublié ce que c’est de se regarder quand on danse, de se soutenir mutuellement du regard face à l’œil du public ; le regard qui, au quotidien, nécessite d’être soutenu est ici soutien, on y plonge avec une confiance habituellement réservée aux amoureux (l’intrusion toujours repoussée du public crée l’intimité). Cette réflexion me dépasse par la tête quand je plonge dans le regard de M., une tête de moins que moi mais prête à (me) guider dans une valse mal maitrisée. Une valse à trois temps, comme c’est troublant (ce décalage avec le couple d’à côté), comme c’est charmant (espérons).

En racontant cet épisode, il me semble me souvenir d’un plaisir que je n’ai pourtant pas perçu dans l’instant d’après : le temps de raccrocher les costumes et de récupérer mes affaires éparpillées, notre public était en cours, les couloirs vides, nos badges pour l’accès aux studios rendus, et les dernières de notre promotion en route vers le métro, que je suis la seule à ne pas emprunter. Contrecoup de solitude et d’indécision, je m’empêtre dans mes maladresses, incapable sur le moment de décider de la joie et du soulagement auquel m’enjoignent mes camarades. Deux jours plus tard, je le vois : we did it. Je peux retenir le regard de la directrice de l’école ou bien celui de la directrice de la formation, une vision anguleuse à la serpe ou une vision ronde de joie ; il ne tient qu’à moi d’emprunter l’un ou l’autre, c’est comme un chemin, je peux choisir le regard que je porte sur ce moment, sur tout moment en réalité.

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21 mai

Promenade sur le chemin de la médiathèque

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22 mai

Après floraison et fanaison, la clématite des montages s’est mise à faire de grosses boules blanches duveteuses…

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24 mai

Avez-vous participé à une activité artistique de médiation culturelle ? Si oui, quel bilan en tirez-vous ? 

Que rassembler 80 enfants dans une même salle n’est pas une bonne idée.
Que l’on est en permanence sur le qui-vive.
Que les dynamiques de groupe peuvent être redoutables.
Que cela n’a pas grand-chose à voir avec la danse. Que peut-être ce n’est pas grave, que c’est même mieux comme ça. Mais que ce n’est pas pour moi.

Voilà ce que je n’ai pas répondu au questionnaire de satisfaction lancé par la formation, où pourtant je n’ai pas mâché mes mots (je les ai remâchés, pour être le plus honnête et le plus poli possible). Je n’avais jamais autant mesuré la difficulté de faire des remarques sans donner l’impression de râler.

…25 mai

Officiellement en vacances. Quand je suis rentrée la veille, le salon était baigné d’un soleil tamisé par les voilages ; il m’a semblé beaucoup plus spacieux, aéré. Désencombré : des choses, mais surtout de ce que j’y trimballais dans ma tête.

Je suis soulagée de ne plus avoir à me sentir nulle. Je saisis ce qu’il a de violent et d’absurde à formuler les choses ainsi, mais c’est en ces mots que cela me frappe. Suspens de toute comparaison, analyse, évaluation : soulagement. Tant pis pour ce que cela implique de relation à soi à régler dans le futur ; on verra ça plus tard.

Journée de rangement, préparation, ménage, dans une perspective d’avenir rouvert, désencombré lui aussi : pour la première fois depuis longtemps, je fais les choses à faire sans les ressentir comme des corvées (toujours à rattraper d’être repoussées), préparant au contraire le terrain pour profiter du temps à venir. Je suis presque contrariée, le lendemain, de quitter mon chez moi pouponné pour rallier Paris. J’avais envie d’aller de l’avant dans ma solitude, de reprendre le blog, l’écriture, mes petits projets. Je le dit au boyfriend lors de notre visio quotidienne : mon but, cet été, c’est de reprendre et de finir l’écriture de mon bouquin sur la danse. Il s’étonne que je cours de but en but, et que sitôt l’un atteint, je m’en fixe un autre. Je ne pourrais pas, une fois de temps en temps, me laisser aller ? Profiter de ces trois mois sans rien m’imposer, sachant que le laisser-aller est borné, qu’en septembre la rentrée m’obligera à reprendre les rênes ? Tout à mon sentiment d’inaccomplissement, je n’avais pas vu les choses ainsi. Il m’a rappelé tous les changements opérés en un an.

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26 mai

Rapide photo des roses du jardin avant de les quitter jusqu’à l’année prochaine

La soirée n’est pas de trop pour se retrouver – soi, à deux. J’ai beau savoir, j’oublie à chaque fois la déferlante des bras, de la chaleur, de la tendresse, comme il importe moins de réussir (et quoi ?) quand on est déjà aimé.

…27 mai

Ayant du mal ces temps-ci à éprouver une joie toujours aléatoire, je me rabats sur la satisfaction, plus sûre, et me découvre de surprenantes envies de ménage (qui passent rapidement, après un premier shoot de satisfaction facile).…

28 mai

Journée à ne rien savoir quoi faire, rachetée in extremis par un épisode de Black Mirror (Nosedive).

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29 mai

Lors d’un déjeuner, mon attention est digne d’une focale 50 mm : soit je fais la mise au point sur mon interlocutrice, et chaque fourchetée a le même goût, soit elle se fait sur ma salade, nimbant la conversation de flou. // Très bonne salade composée de bobo, quinoa, saumon, avocat, pamplemousse, avec pour twist la sauce aigre-douce qui, dans mon enfance, allait forcément avec du riz et du poulet. // Conversation traînant un peu de tristesse, puis s’illuminant peu à peu à mesure qu’on quitte les sujets sociaux et le travail pour revenir à la sphère intime et artistique, que je n’aurais jamais songé à quitter.

Gaufrettes légères au chocolat, Dinosaurus, cookies Granola, palets bretons : moisson d’enfance et d’huile de palme. J’ouvre presque tous les paquets pour le goûter. Cela fait plusieurs jours que j’ai des fringales de sucre et de réconfort, discrètement beurré (fantasme de Millie’s cookies crousti-fondants, mais les boutiques ont fermé). Je crois pouvoir les satisfaire avec des cochonneries industrielles comme les appelait mon grand-père. Après plusieurs gâteaux, je n’en suis plus sûre, cela continue ; j’ai envie de manger quelque chose d’autre de précis sans savoir exactement quoi, ni si cela me nourrira ou me remplira.

Journée de frustration sans objet. Cela fait plusieurs jours que j’ai du mal à éprouver de la joie ou des envies véritables – je n’ai pas l’énergie adéquate pour les seules que je pourrais avoir. Je ne me repose pas vraiment, je ne me distrais pas vraiment non plus. Je m’ennuie, je crois ; je n’avais jamais perçu la vague parenté de cet état avec la déprime. C’est probablement l’équivalent temporel dans tensions que l’on ressent au moment de s’allonger dans son lit, le soir, alors même qu’on se met en position de les faire disparaître. Il faut le temps que l’année écoulée se dépose dans le champ de la vacance.

Zappant, on se retrouve à regarder Polisse à la télé : je laisse passer toutes les horreurs et me mets à sangloter sur un pan de mur rempli d’unités centrales avec leurs étiquettes de saisie. Après le film, le boyfriend me presse contre lui pour faire sortir ce qui reste ; il vient me chercher du retrait où je constatais me rétracter, et peau à peau, me ramène à moi et à lui. Je ne distingue plus la gratitude de l’amour.

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30 mai

Seule pour la journée, avec la perspective d’une soirée à deux : c’est vraiment la formule que je préfère, parfaite pour me retrouver puis m’oublier, et pouvoir partager sans m’agripper. Je ne sais pas (encore) vivre à deux le quotidien ; le silence me manque trop.

Grande promenade à pieds dans Paris, articulée autour d’un arrêt ciné pour voir Downton Abbey II : aucune attente, doux plaisir. J’ai versé ma petite larme et avalé (enfin) un cookie aux noisettes et chocolat blanc.

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31 mai

Je finis d’écrire et de mettre en forme ce journal rétrospectif (les entrées sont datées du jour concerné, mais écrites en fin de mois). J’avais oublié le plaisir de choisir et publier des photographies ; de les voir en plus grand que sur l’iPhone avec lequel elles ont été prises, aussi.

Question bonus à ceux qui auraient lu – ou scrollé – jusqu’ici : est-ce que le format de journal mensuel est agréable à lire, ou ce serait mieux scindé par jour ou par semaine ?

Août 2021

6 août

Ma vie a pris un tour qui s’extirpe si bien de l’ordinaire que mon anniversaire ne parvient pas à s’imposer comme le jour extra-ordinaire que j’aime envisager. Les œufs Bénédicte et les pancakes pour lesquels j’avais fait la réservation dans ce restaurant avec Mum, cela n’est précisé nulle part, ne sont pas servis en semaine. Grosse déception qui me coupe même l’envie de cacio et pepe dans une meule de fromage. Gestion de la contrariété niveau 5 ans, alors que je suis si bien entourée et que l’horizon est plus que dégagé pour cette 33e année. Il doit y avoir autre chose. Dans le train, où la tristesse fond sur moi à très grande vitesse, je me rappelle que mon grand-père est mort il y a deux ans jour pour jour. Si je suis honnête, ce n’est pas sa disparition qui m’attriste, mais qu’elle matérialise sans ambages le passage du temps et ma crainte d’en manquer.

Je suis presque soulagée d’être récupérée à la gare et intégrée pour le week-end à un groupe d’amis qui n’est pas le mien, où je ne connais presque personne, et dont l’anniversairée a 40 ans. Ces gens sont incroyables d’amour les uns pour les autres, et il y a ce truc un peu régressif d’être lové l’un contre l’autre dans la vision des autres qui nous font couple à leur tour – et me donnent envie de leur fausser compagnie pour leur donner raison. Il y a aussi les vapeurs de beuh qui me donnent des vertiges ; je me tiens aux murs pour aller me coucher après le barbecue de minuit (j’ai évidemment ruiné les bols de chips, tomates et fromage bien avant).

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7 août

De grands sacs de viennoiseries à l’intérieur, du deal de Doliprane, une longue table (deux) à l’extérieur, des amis qui se connaissent depuis plus de vingt ans, des prénoms que j’oublie ou que je n’ai pas demandés, du bœuf, des saucisses, des merguez, des bières, des andouillettes, du poisson, des travers de porc, des poivrons, des aubergines grillées délicieuses aussi, du soleil, des nuages, une averse, l’odeur vaguement désagréable puis caractéristique – donc nostalgique- de l’humidité, de la pierre et des murs épais, des bougies dans une tarte à croisillons industrielle plus émouvante qu’un fait maison, on a failli oublier mais t’as quand même pas cru qu’on aurait, que ça dit, quatre bougies chassées au Carrefour Market du coin, 40 puis 33, c’est qui qu’a 33, la copine à Titi, puis les merguez reviennent dans le cycle éternel du barbecue, le taboulé, la chambre-alcôve.

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13 août

Je crois qu’on sait qu’on est heureux quand on est heureux sur une aire d’autoroute. Quand on s’attarde à la table de pique-nique entre les camions, les éoliennes et le bruit des TGV qui lacèrent soudain la campagne derrière, derrière le générateur qu’on a d’abord soupçonné de dérailler. La golden hour sublime tout, même une pause Magnum sur l’autoroute.

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14 août

Dernière nuit dans l’appartement où j’ai vécu 7 ans. Ça fait quelque chose. Je ne sais pas si je dois l’accepter et vivre la nostalgie qu’il y a à vivre, ou s’il vaut mieux ne pas s’appesantir, pour être partie avant qu’il faille partir.

La pièce dans laquelle on tourne en carré, salon-chambre-bureau,
l’étroitesse de la vie que j’avais laissé se rétrécir autour de moi,
ça, je ne regretterai pas.

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15 août

Ironie de l’immobilier parisien : c’est en redevant étudiante que j’accède à un appartement d’adulte, après un début de vie active dans un studio. Je mesure ma chance, 31,5 mètres carrés, je n’étais pas à plaindre, je plaisantais seulement : Quand je serai grande, j’aurai une chambre, et je mimais un émerveillement enfantin outré sur le mot chambre.

Je ne sais pas si je dois utiliser le présent ou l’imparfait : traduction grammaticale de cette période de transition, où j’ai encore tous les trousseaux de clés, plus un nouveau.

Tous les cartons ont été déménagés, tout ça pour ça, tout est à refaire-défaire.

7/38, le score du jour se compte en cartons déballés.

Y a-t-il assez de lumière ? D’où puis-je voir le ciel, assise sur le canapé ?
Le salon est baigné de lumière, en réalité, moirée par le feuillage de l’immense saule pleureur d’à côté.
Ce si beau bruissement ne provoque-t-il pas un inconfort stroboscopique ?
J’ai peur seulement de regretter mon quatrième étage, les métamorphoses du ciel qui se reflètent sur les barres d’immeuble en face et en oblitèrent la laideur soixante-disarde, matins à la Hopper, l’Ouest couchant dans les vitres en face, puis les damiers aléatoires de petites fenêtres la nuit – la fenêtre qui devient miroir alors, et devant laquelle on peut danser.

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16 août

Premier jour de télétravail commun chez lui, l’amour deux fois.

De retour chez moi, je n’ai pas l’impression de faire le ménage en récurant planches, poignées, joints, plinthes, vitres et carreaux : j’efface les traces. Un morceau d’ADN me trahit sur un carreau déjà lavé, malgré mon chignon. Il n’y a ni ménage ni crime parfait*. J’efface les traces de mon passage, de celle que je ne suis plus et ne voudrais plus être.

On vide la cave, remonte ce qui était caché : une souris morte intacte est recroquevillée sur une marche entre le deuxième et le troisième étage.

Symbolisme
superstition,
je refuse de jeter avant l’état des lieux de sortie le brin de muguet complètement desséché qui trône sur le bureau en partance pour les encombrants.

(* Mum ferait sans doute une serial killer redoutable tant la scène du crime serait détartrée.)

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17 août

C’est la première fois que je déjeune avec cette collègue, et on s’aperçoit un peu plus tard que c’est notre dernier jour de travail ensemble.
Guyozas tofu-chou blanc-champignons noirs pour elle, guyozas œuf-ciboulette-crevette pour moi, c’est un très bon premier-dernier déjeuner.

Chez moi redevient un appartement de petites annonces, en bon état général, orienté Est, T1 lumineux, pièces bien pensées, cuisine séparée, grands placards dans l’entrée. Bientôt un plan quand l’expert énergétique aura remis ses cotations au propre. Catégorie E. La gestionnaire de l’agence est contente ; elle n’avait que des G cette semaine.

J’ai pensé à prendre en photo le carrelage de la salle de bain, le loup, la dame aux camélias et les autres figures que mon œil a tant de fois débusquées dans les marbrures bleues lors de ses errances anthropomorphiques pour se divertir des TOC.

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18 août

Le déménagement me fait tout penser en terme d’espaces. Je me sens bien dans le studio de danse, et peut-être cette raison fera-t-elle à elle seule que j’y serai à ma place en tant que professeur, indépendamment de toute question de niveau. Pour l’instant, j’y suis cette élève qui sourit niaisement aux autres et trottine pour se placer pour le dernier exercice de chat quatre retiré qui fait office de révérence. Je suis arrivée au cours crevée et mon énergie est remontée au fil du cours (assez raisonnable pour transposer à pied plat certains exercices à la barre et ainsi préserver mon pied gauche, qui n’est plus douloureux mais reste fragile).

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19 août

État des lieux de sortie. Exercice détestable, qui place dans un état de culpabilité a priori.

Avant de rentrer chez E., je fais un détour par le muret du jardin pour laisser aux larmes le temps de couler invisibles. J’ai besoin d’être seule ; je suis si bien entourée.

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21 août

Sur la route à nouveau, j’aurais envie d’hurler, que tout s’arrête, faire une pause, passer un week-end seule à ne rien faire ni surtout penser à devoir faire.

Finalement la perspective de devoir faire s’estompe devant ce que l’on commence à faire.

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22 août

Première nuit dans le nouvel appartement, d’un calme tel que la journée m’apaise, pourtant entièrement consacrée à bouger divers objets, des cartons aux placards, du salon à la chambre, du bac de l’évier à la zone de séchage et divers ustensiles de nettoyages sur diverses surface.

Mieux que la pause Magnum, la pause Ferrero Rocher glacé.

Plus que 3 cartons à déballer sur les 38 totaux.

Bientôt on saura identifier les diverses aires d’autoroutes : celle du poke ball, celle du yaourt au granola, du quinao-noisettes…(La boboïtude commence à arriver sur les autoroutes.)
(J’ai pensé pousser la blague jusqu’à dessiner des illustrations marron et blanches pour annoncer l’aire du poke ball, du yaourt au granola, etc., mais il faut parfois savoir renoncer pour pouvoir passer à autre chose.)

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24 août

Passion se faire faire un certificat médical de non contre-indication à la danse avec une resucée de lumbago. Mon dos n’a pas aimé remonter la grande étagère.

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26 août

Bénis soient les patchs de Voltarène.

Aux Tuileries, A. déballe trois pâtisseries pour deux (son fils de quatre mois nous a cédé sa part). C’est étrange que tout paraisse si normal, après 2 ans sans se voir et un bébé. Quatorze ans que l’on se connait, a-t-elle calculé.

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27 août

Bénis soient les ostéo et leurs mains en or.

Blessure au pied qui a entraîné un déséquilibre, stress, non-ménagement… et beaucoup d’émotions aussi, non ? Le haut de mon colon me trahit apparemment. J’aime assez l’idée que les émotions seraient stockées quelque part de localisable dans le corps, comme de la lymphe – avec la promesse moins abstraite de pouvoir les évacuer peu à peu. Lorsque l’ostéo parle d’énergies, je lève les yeux au ciel intérieurement, mais à la fin de la séance, c’est de gratitude. Je suis bluffée comme par un tour de magie : debout, yeux fermés, ses mains bougent autour de moi et je sens mon axe bouger de gauche à droite et de droite à gauche, de plus en plus faiblement ; il me rééquilibre comme un niveau à bulle. Incrédule encore mais prête à croire déjà, je dis cette chose absurde, que je sens maintenant mon pied gauche plus enfoncé dans le sol que le droit. Yeux fermés, tour de passe-passe à nouveau, et alors je sens, je jure que je sens ma jambe gauche remonter à niveau, dépasser la droite, revenir, s’ajuster. Je serais… je suis… équilibrée ? Je ressors de là gaie et apaisée.

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28 août

Je ne sais pas si énumérer tous les gâteaux, les cadeaux, les noms suffirait à dire la gratitude d’être là avec mes amis au parc de Choisy, mon parc de Choisy, pour un pique-nique-goûter d’anniversaire-départ. Je pouvais difficilement espérer plus belle cérémonie de clôture. Jusqu’à la pluie qui a brisé là, dans le vif et le vivant, la tentation des adieux.

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29 août

Journée sans rien. C’est quelque chose quand ce n’était pas arrivé depuis un moment.

Rien : pyjama, corps nus, dessins. La friction des peaux fait disparaître les tensions qui cohabitaient en nous. Je ne sais pas vivre avec et, dans la fatigue, je ne suis même pas sûre de le vouloir. La mauvaise humeur me semble se réfracter entre nous comme la lumière entre deux miroirs face à face ; je ne puis plus que vouloir être seule pour que cesse toute stimulation émotionnelle. Un fondu au noir. Avant de me coucher, je fais d’ailleurs la chasse aux LED (je tolère à grande peine les rouges et les oranges ; les bleues, blanches et vertes sont mes ennemies jurées). Quand la fatigue me fait percevoir toute accroche sensorielle comme une agression, une journée sans rien est un véritable soulagement.

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30 août

Gratitude pour les gens à gare du Nord qui m’ont permis de passer devant eux aux tourniquets, me voyant paniquée à l’idée de rater mon train (il s’en est fallu de peu). Je me maudis d’avoir pris tant de barda pour prendre le train.

Je rentre chez moi.
Chez moi a déménagé.

Je tente de m’apaiser au parc Barbieux. Il est assez long mais un peu étroit pour cela : bordé par deux routes très passantes, les endroits où l’on oublie le bruit de la circulation sont rares. Il n’empêche : pelouses-panorama, arbres immenses, cours d’eau avec mini-cascade, roseaux et nénuphars (!), explosion de couleurs fleurie… je comprends que la ville ait tracé ses frontières tout autour du parc, le dérobant à Croix : à nous, il est à nous, proclame le plan.

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31 août

Repérage et chronométrage des trajets pour le conservatoire, la fac et les studios de danse. Derniers cartons de livres déballés-rangés. Nouvelle carte de médiathèque et premier butin BD pour célébrer. Je m’enivre de briques, de fenêtres, de soleil, Camille Claudel en street art. La journée pétille de possibles.

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(Les entrées n’ont pas été rédigées au jour indiqué. Il me faut manifestement quelques jours pour que décante le jour et ne pas me retrouver avec des anecdotes curieusement détaillées pour des omissions bien plus essentielles. Si je persiste dans l’exercice du journal, il me faudra trouver mon rythme de croisière, quelque part entre les notes d’Alice, le diario de Gilda, le journal de Guillaume Vissac publié au jour le jour avec un mois de décalage, et le carnet mensuel de Thierry Crouzet – tous diaristes que j’aime à suivre et que je vous invite à lire.)