Portraits féminins

Depuis que j’ai découvert par hasard le BP Portrait Award à la National Potrait Gallery, je vérifie à chaque week-end à Londres si l’édition annuelle ne se tiendrait pas par hasard à ce moment-là. Certaines fournées sont plus épatantes que d’autres, mais je suis à chaque fois enthousiasmée par la vitalité qui émane d’un genre que je pensais par ignorance un peu plan-plan : assis-toi là, je vais te tirer le portrait.

Cette année, parmi les coups de cœur immédiats se trouve un portrait à la Sargent (l’inspiration est revendiquée, et moi, forcément, j’aime) :

Alessandra, by Daisy Sims-Hilditch 

J’aime bien le sourcil qui, plus éclairé que l’autre, semble levé : l’interrogation est gommée par la posture des mains et le gilet très sage, mais elle est suffisante pour animer le portrait. On sent que ça doit dépoter.
Palpatine ajoute une Alessandra à sa collection. Et une Laura, tant qu’à faire :

Laura in Black, by Joshua LaRock

Tout est dans la main, je crois, la bouche entrouverte et le fond esquissé contre lequel cette Laura ressort plus incarnée que jamais. Les photographies en millions de pixels et les techniques de projection d’image sur la toile aidant, on trouve dans l’exposition un certain nombre de tableaux hyperréalistes, mais je peine à les apprécier autant, soit que la haute fidélité se fasse au détriment de la composition et de l’expression, soit que mon œil, éduqué à l’impressionnisme, goûte davantage les traits de pinceaux visibles…

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Le public peut voter pour décerner un prix à son tableau préféré, à côté de ceux remis par un jury de professionnels. J’ai hésité avec les deux tableaux que je viens de vous montrer, mais j’ai finalement donné ma voix à celui-ci :

Karina In Her Raincoat, by Brian Sayers

Un portrait sans visage, ou presque, qui engage davantage le corps, forcément, cela devait m’arrêter. Sans compter que les plis du ciré le rendent dansant. Tête baissé, vêtement ample, personnalité à la fois enjouée et en retrait… vous pourrez appeler ce portrait Karina autant que vous voulez, je n’en démordrai pas : c’est @odette9.

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Top 3, trois femmes… et d’autres encore :

Portrait of Katrina, by William Neukomm

J’aime beaucoup le port de tête de la modèle, son air très digne, très déterminé.

 

Sophie in the Gallery, by Ivan Franco Fraga

Là, c’est le visage fatigué, mais pas dur, grâce au flou, à l’absence de décor qui caractérise la modèle… galériste. (Impression d’un entre-soi artistique.)

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Je me demande dans quelle mesure je ne reporte pas dans l’expérience esthétique un comportement social, habitué que l’on est, dans la rue, dans les médias, à chercher la beauté du côté de la femme (tandis que l’homme le sera secondairement, d’abord pertinent, attirant, etc.). Il serait intéressant de trouver des statistiques sur la proportion de chaque sexe dans les tableaux présentés… et primés. Idem avec l’âge : dans mon top 3, les modèles ont toutes à vue de nez entre 25 et 35 ans… ce qui m’interroge à nouveau : entrerait-il en ligne de compte un mécanisme d’identification ? Au fond, les portraits que l’on aime, ne sont-ce pas d’abord des modèles que l’on désire (être) ?

Du coup, je suis contente que le jury ait primé celui de cette grand-mère mourante. On pourrait y voir un prix moral pour bon sentiment, mais je crois que son regard arrête cette idée :

Silence, by Boo Wang

 

À l’autre bout de la vie, les enfants ont la part belle. Ma sympathie va aux airs butés…

Francesca, by Daniele Vezzani

Mila, by Simon Richardson

Evaporar-se (Fenómeno Del Niño), by Jorge Federico Fernandez Gartner

Seul portrait de ma sélection à représenter un garçon. Exit la beauté ou l’émotion, c’est davantage une expérience sensorielle qu’il reproduit, celle de se dissoudre dans le soleil. Le titre et le laïus font référence à l’écologie, mais je reste sur l’impression poétique que l’enfant va lui aussi s’évaporer, comme la peinture du mur auquel il s’adosse.

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Pour retrouver tous les tableaux, rendez-vous sur le site de l’exposition. Pour qui auriez-vous voté ?

BP portrait award

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Kirsty by Clara Drummond, inspiré par le pré-raphaëlisme dixit la peintre

 

Le portrait est un genre périlleux : si le peintre échoue à faire sentir la personnalité représentée, le portrait ne vous parle pas plus que le voyageur assis en face de vous dans le métro.  Un certain nombre de tableaux exposés à la National Portrait Gallery dans le cadre du concours annuel donnent au spectateur l’impression de se heurter contre le mur du visible. Les surdoués du dessin essayent de le masquer par un surcroît de réalisme mais, si la technique impressionne, l’intérêt du portrait ne réside plus dans l’imitation, dont la photographie se charge bien mieux. L’émotion se cache alors dans les petites pancartes qui accompagnent les tableaux et racontent presque toutes une histoire, celle du lien entre le portraitiste et le portraituré. Amis (d’amis), famille, boy et girlfriend (vu certains tableaux, je me demande si ça n’a pas fait d’histoire) ou célébrité, chacun a sa stratégie pour accéder à l’autre.

 

Ved-Mehta-by-Paul-Oxborough

Ved Mehta by Paul Oxborough

 

La vieillesse déclenche plus d’engouement qu’ailleurs, peut-être en raison d’un vécu dont les choix et trajectoires se sont imprimées dans les lignes du visage, et dont le poids a appesanti le corps, plus enclin à prendre la pause. Dans le portrait de Chomsky, c’est d’autant plus sensible qu’il s’agit d’une personnalité ; on y sent la présence  – et la prégnance – de la pensée. L’hyperréalisme d’un visage ayant dépassé plusieurs fois l’échelle humaine inquiète d’abord mais finit par donner une autre dimension au tableau : les taches qui parsèment le gigantesque visage matérialisent l’émergence d’idées, reliées – c’est le propre de l’intelligence – par les rides.

 

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Chomsky by Raoul Martinez
(évidemment, en petit, ça ne fait pas le même effet)

 

À en croire les tableaux exposés, ce n’est pourtant pas l’âge qui constitue la meilleure porte d’entrée vers l’altérité mais son exploration au sein même de l’identité, par l’autoportrait. Alors que la médiation de l’artiste s’arrête parfois à la relation entre le portraituré et le portraitiste dans le portrait, laissant le spectateur à l’écart, l’autoportrait, qui présente le soi comme un autre, permet à l’autre soi qu’est le spectateur de s’y retrouver. 

 

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Self-portrait with Lace Collar by Sophie Ploeg, inspirée par les peintres hollandais des siècles passés

 

Ewan McClure s’est peint de manière à voir le portrait en même temps que sa toile, mettant à distance une image de soi qui n’est pas enfermée dans le rapport à soi, personnel, du miroir.  

 

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Self-Portrait by Ewan McClure

 

Mon tableau préféré, celui pour lequel Palpatine et moi avons voté, est aussi un autoportrait, dont tout narcissisme est évacué. S’il y a un miroir, ce ne peut être ici que le spectateur, qui tout à la fois oblige et permet à l’artiste de se voir et se montrer telle qu’elle est. “It’s hard to understand which part of you to show, but there are times when you simply paint what you see and not what you want to see.” What you see : dans l’autoportrait, le visible n’est plus un obstacle vers l’intériorité mais le moyen de l’extérioriser. Not what you want to see : il y a reddition. D’où le pied, légèrement soulevé, qui marque l’inconfort d’une position pourtant d’aplomb, les mains, légèrement crispées alors que les bras sont presque ballants, et la bouche, légèrement contractée au milieu d’un visage qui serait autrement resplendissant, encadré par l’auréole de grandes boucles. What you see : le tableau renversé, à l’arrière, en témoigne ; peindre un objet à l’envers oblige à observer chaque trait sans le saisir dans l’ensemble d’une image cérébrale cent fois recomposée. Not what you want to see : le grand rideau sur la droite, dont j’ai mis un certain temps à comprendre qu’il préparait le dévoilement, est à contresens de notre sens de lecture, comme si le modèle n’attendait qu’une chose, pouvoir s’en recouvrir. Je veux bien croire que Daniela Astone n’est pas coutumière de l’autoportrait : désirant et redoutant à la fois le jugement du spectateur, elle se fait clairement violence, dans un mélange de pudeur et de franchise que je trouve remarquable.

 

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Self-Portrait by Daniela Astone

 

Non seulement l’exposition est en libre accès mais l’ensemble des tableaux présentés et leur histoire se trouve sur le site de la National Portrait Gallery.