Hong Kong : les dim-sums et les noodles

Mimi dim-sum géant !

 

On ne goûte jamais aussi bien un pays étranger qu’en goûtant sa cuisine, qu’elle soit gastronomique, populaire ou même industrielle. Rien que l’adaptation des franchises internationales à la population locale est amusante à observer : Haägen-Dasz propose ainsi une glace au thé matcha, tandis que le cône à la mangue figure parmi les classiques Nestlé à côté du trio vanille-fraise-chocolat. Starbucks confirme la chesnut-mania déjà soupçonnée à l’abord des rares pâtisseries occidentales qui proposent toutes un Mont-Blanc : la crème de marron a investi le cheesecake et fourre ce qui ne serait autrement qu’un muffin au chocolat. M’interrogeant sur cette marotte, j’ai obtenu une explication plausible de la part de ma collègue : la texture de la crème de marron est assez proche de la pâte de haricots rouge, ingrédient d’une bonne partie des desserts locaux. Préférant le marron au haricot, j’ai essayé une boisson lait-marron, tout aussi délicieuse que le jus de pomme à la cannelle de la même marque (qui explique les vertus de ses boissons par ses effets sur le Qi – ça ne s’invente pas), ainsi qu’une brioche fourrée à la crème de marron, achetée dans l’une de ces nombreuses bakery qui me faisaient de l’oeil à cause de leurs casiers transparents en leur libre service façon boutique de bonbecs. Cet unique dégustation tendrait à confirmer le soupçon que tout, petits pains divers comme viennoiseries, a le même goût, celui de la brioche. Si vous n’avez pas de pain…

En parlant de ce qu’il n’y a pas : les laitages. Tout aussi vrai que les Asiatiques ne digèrent pas bien le lait, les souris ne peuvent pas se passer de fromages une semaine entière. C’est donc avec un grognement de soulagement que j’ai mordu dans une barre de cheddar (oui, une barre de fromage, comme on aurait une barre de céréales) (oui, du cheddar, on fait ce qu’on peut) achetée chez Mark & Spencer. Et pour fêter ça : de l’eau minérale. De même qu’en Australie, l’eau est déminéralisée. Distillée, même, indiquent les bouteilles offertes par l’hôtel. Merci bien, je ne suis pas un fer à repasser.

Avec une bouteille d’Evian et de la carbolevure, je suis prête à tenter l’aventure culinaire. Sachant tout de même que mon intrépidité s’arrête là où commencent les pattes de poulet. Chez Tim Ho Wan, the Dim-Sum Specialists, une fille assise à côté de nous en grignote tranquillement comme on rousiguerait une côte d’agneau, recrachant seulement les petits os de temps à autres. Je préfère m’attaquer au riz gluant cuit à la vapeur dans une grande feuille de bambou et autres dim-sums. Les udon ont été écartés après le premier jour ; c’était la deuxième et probablement seconde fois que j’en mangeais. Il faut se rendre à l’évidence : je ne possède manifestement pas les enzymes qui permettent de détruire ces grosses nouilles qui me donnent l’impression de remonter dans mon gosier comme des vers de terre dans un film d’horreur (après le western spaghetti, je vais inventer l’horreur udon).

Je préfère me concentrer sur la découverte du séjour : les dim-sums. Cela correspond en gros à ce que j’avais toujours appelé, avec l’aide de Picard, des bouchées vapeur. En gros, parce que, d’une part, les dim-sums désignent aussi d’autres mets qui se partagent à plusieurs et, d’autre part, la bouchée vapeur Picard est au dim-sum ce que le pain étranger est à la baguette parisienne. Ou, pour être plus précis, peut l’être car il y a dim-sum et dim-sum. Au début, j’avoue que je ne suis pas emballée outre mesure par ces petites bouchées de pâtes fourrées au porc, aux crevettes ou aux légumes. Peu à peu, pourtant, j’apprends à faire la différence entre le dim-sum de base et le dim-sum étoilé : le premier, un peu masse, un peu collant, est bon, bien bourratif ; le second… ah, le second ! Quelle brillante idée a eu le Michelin de consacrer un guide à Hong Kong et Macau ! La farce est fine, la pâte aussi, que l’on sent fraîche, fraîche, légère. Tellement fraîche qu’à Din Tai Fung, on voit les cuistots travailler en cuisine, étaler des petits carrés de pâte avec un mini rouleau à pâtisserie qui dépasse à peine de la main, déposer une cuillerée de farce à l’intérieur, puis rouler le dim-sum avec le geste habitué du fumeur qui se roule sa clope – coup de main indispensable pour que les bouchées au porc aient bien leurs petits plis caractéristiques, bien dessinées, rassemblés en pointe. On dirait de petites figues dans les grosses paluches des cuisiniers qui travaillent en cercle, comme des employés de bureau qui discuteraient à la pause café – un ou deux, assis, assurent l’étalage de la pâte.

À Xia Mian Guan, le dernier soir, on assistera au spectacle encore plus impressionnant de la préparation des noodles : après avoir été étirée et rassemblée en hélice comme les cordes d’une balançoire apprêtée pour un tour de toupie infernale, la pâte est roulée en boudin, lequel, sans cesse étiré et replié comme une housse de couette devient un écheveau de nouilles, roulées dans la farine pour ne pas se recoller les une aux autres, dans l’indivision dont elles sont nées, puis jetées telles quelles dans la marmite. Les gestes sont amples, bras écartés ; même si cuisinier a la dextérité d’un enfant qui créé des formes avec un élastique entre ses doigts, le travail doit finir par être assez épuisant. Il n’en demeure pas moins fascinant, Palpatine et moi regardant cela comme des enfants hypnotisés par le feu.

C’est à cette occasion que nous nous réconcilions totalement avec les noodles, après quelques tentatives pauvrettes tenant davantage de la nouille instantanée. C’est doux, fondant… et accompagné d’une délicieuse viande de bœuf dans une sauce brune, sorte de pot-au-feu sauce barbecue (Hong Kong vous déclenche une fringale de légumes, mais vous rappelle aussi pourquoi vous n’êtes pas végétarien). Le précédent plat de noodles à valoir le détour, dégusté chez Din Tai Fung, ne m’avait pas permis d’apprécier pleinement la douceur de la pâte, laquelle amortissait surtout la sauce au sésame pimentée. La dernière fois que j’ai mangé un plat aussi pimenté, c’était sur un marché, en Italie : il y avait deux sauces au choix pour accompagner le sandwich au bœuf et, lorsque le charcutier a demandé « Piquante ? », j’ai pensé piquant au lieu de piment et j’ai répondu si. Non pas si à la libertad, mais si à la bouche en feu, et pas seulement à la bouche, mais aux lèvres : il est un degré de piquant où l’on se sent très Angelina Jolie de l’intérieur. Hot, yeah. Mais entre le sésame et les cacahuètes qui parsemaient le plat, j’ai été obligée de manger jusqu’à la dernière nouille ; encore après, j’ai touillé la sauce du bout des baguettes à la recherche de morceaux de cacahuètes. Ma seule erreur a été de garder un dim-sum aux crevettes pour la fin.

 

Car il y a tout un art du dim-sum, et à l’art de la préparation répond l’art de la dégustation. On apprend sur le tas, en observant nos voisins. La découverte majeure consiste à placer le dim-sum dans la cuillère, ce qui, en constituant un sas de refroidissement, évite de se brûler et d’en mettre partout. La surprise du dim-sum, qui est fait toute la saveur, c’est en effet le petit bouillon qui baigne la viande dans son jus et gicle en bouche quand on perce la pâte d’un coup de dents, en faisant un véritable délice. Au bouillon se mêle normalement la sauce vinaigre-soja, nous apprend… le mode d’emploi. Le dernier jour, arrivés avec nos valises criant touristes !, on nous a apporté, avec la carte, un mode d’emploi, en français dans le texte ! Je ne résiste pas au plaisir de vous le transcrire ici.

  1. Vérifiez que le gingembre soit dans la soucoupe. Ajoutez le vinaigre et la sauce de soja (Quantité conseillée : 1 dose de soja pour 3 doses de vinaigre) ou selon votre préférence.

  2. Il est conseillé de goûter le XiaoLongBao d’abord nature, pour apprécier sa saveur. Pour les suivants, prenez-les à l’aide de vos baguettes et trempez-les dans la sauce.
  3. Mettez le XiaoLongBao dans la cuillère et percez-le pour lui permettre de refroidir un peu.
  4. Mettez un peu de gingembre sur le XiaoLongBao. Puis dégustez-le tout à l’aide de votre cuillère pour ne pas perdre le délicieux bouillon. Attention, le bouillon à l’intérieur est brûlant !

D’abord nature puis avec la sauce : c’est ce que j’avais fait spontanément. Je fais toujours ça : goûter les éléments un par un puis ensemble, deux par deux, puis trois si le plat s’y prête, puis quatre, cinq, etc. C’est la première fois que je trouve ce plaisir analytique et combinatoire officiellement érigé en mode de dégustation. Avec la sauce soja, avec le vinaigre, avec la sauce soja et le vinaigre, avec la sauce soja et le gingembre, avec le vinaigre et le gingembre, avec la sauce soja-vinaigre et le gingembre… la même frénésie s’empare de moi qu’avec les makis : je n’en ai jamais assez de six pour épuiser un seul repas les combinatoires offertes par le gingembre, le wasabi, la sauce sucrée et la sauce salée (qui ne sont pas exclusives, non !). C’est peut-être cet aspect ludique qui m’a rendu accro aux makis que, comme les dim-sums, je n’avais pourtant pas trouvé extraordinaires la première fois. Les dim-sums pourraient donc devenir une nouvelle marotte, d’autant qu’au plaisir combinatoire propre à chaque bouchée vapeur s’ajoute celui d’agencer les différents types de bouchées les unes par rapport aux autres.

 

Ces dim-sums me font toujours penser à la même chose. Pensez-vous à la même chose que moi ?

 

Dim-sum, que j’emploie commodément pour bouchée vapeur, est en réalité un terme plus vague, qui désigne la petite portion d’un plat que l’on sert normalement avec le thé lors d’un repas qui se rapprocherait du brunch, si j’ai bien compris. Il y a des dim-sums vapeur, mais aussi des frits, des raviolis, des buns, du riz gluant, des légumes marinés… dans le restaurant, c’est la valse des paniers vapeur et des serveurs ; les plats qui encombrent les tables alentours sont à chaque fois bien plus variés et nombreux que les nôtres, et il n’est pas rare qu’ils soient encore bien garnis lorsque les personnes se lèvent pour partir. Il faut manifestement beaucoup de plats pour partager. Cette tendance à la profusion explique peut-être pourquoi, par contraste, nous n’en ayons pas eu pour cher à chaque fois, vils racleurs d’assiette que nous sommes, élevés dans la hantise du gaspillage. Palpatine et moi, qui sommes du genre à compter les pommes noisettes, entendons le partage en un sens beaucoup plus mathématique (équitable, dirons-nous) : trois pour toi, trois pour moi ; c’est ton combientième ? celui-là, tu me le laisses, c’est le mien.

Pour ce genre d’observation, les restaurants plus populaires se sont avérés les meilleurs – même si leur thé, lui, était loin de l’être. Le thé vert au jasmin tient en effet lieu de carafe d’eau. J’ai souvent repensé au vendeur de Mariages Frères qui, face à mon étonnement devant la différence de prix entre deux thés au jasmin, m’avait expliqué les différences de qualité. À Hong Kong, on peut déduire la qualité de ce que l’on va manger du thé que l’on nous sert en arrivant : les étoilés servent un thé très fin, dont on descend plusieurs théières ; les chaînes, un verre de ce qui ressemble à du thé glacé réchauffé – à vous faire douter que la colonisation ait jamais eu lieue. Passant outre ce breuvage légèrement injuriant à l’égard d’une double tradition, j’ai pu goûter un autre plat, semble-t-il plus populaire : le congee, délicieuse bouillie de riz.

 

Congee

 

J’ai en revanche passé mon tour sur la cuisine de rue et ses brochettes plus ou moins identifiables (on a soupçonné l’hippocampe grillé dans un secteur de notable puanteur). Les petites boules jaunes restent un mystère : pomme de terre ? agglomérat de porc ? de poisson ? On reste aussi perplexe que devant les nombreuses boutiques pleines d’organismes séchés, que l’on a du mal à identifier comme végétal ou animal, même si l’on finit par distinguer des moules. Aucune idée de ce que l’on en fait : est-ce que cela se mange tel quel ? se réduit en poudre pour des décoctions médicinales ? Auquel cas, j’espère, elles guérissent de tout ce qu’on peut attraper en mangeant les plats cuisinés sur le trottoir, au ras des gaz d’échappement, que proposent d’innombrables bouibouis. The salmonellose experience, comme l’a surnommée Palpatine !

 

 

Moins traditionnels, peut-être, mais beaucoup plus appétissants étaient les desserts d’Honeymoon Dessert, une chaîne de restaurants proposant uniquement du sucré. Parmi les innombrables déclinaisons à base de mangue, coco, haricot et thé matcha, toujours plus ou moins en gelée ou avec du tapioca, j’ai goûté des pancakes très légers à la mangue et crème fouettée, une soupe mangue-coco où flottait un pudding de tofu, soyeux, que je n’aurais jamais imaginé dans une préparation sucrée, ainsi qu’une soupe chaude de sésame noir avec des jar-jar beans (!). Le tapioca qui accompagnait cette dernière n’était pas très digeste mais le sésame noir, quel goût addictif ! Je vous laisserai donc imaginer l’acmé gustatif que sont les buns au sésame noir, petites brioches à la pâte moelleuse et ferme sans être élastique, qui se tiennent parfaitement entre les baguettes noires avec lesquelles on les approche de notre bouche pour les croquer et révéler un fourrage noir et brillant comme du goudron frais, qui répand chaleur et saveur dès qu’on l’a enfourné. Un délice !

 

 

Le top 3 du séjour :

  • Din Tai Fung (68 Yee Wo Street, Causeway Bay) pour les dim-sums au porc et les buns au sésame noir ;

  • New Shanghai (dans le centre des expositions) pour les dim-sums aux légumes, les seuls à être fins sans être fades ;
  • Xia Mian Guan (dans le centre commercial Elements de Kowloon) pour les nouilles.

Et vous, dans tout ça, vous goûteriez quoi ?

Hong Kong : topographie des interstices de la ville

Il y a des villes pour lesquelles on aimerait avoir un plan en trois dimensions. À Édimbourg, par exemple, on apprend vite que le plus court chemin d’un point à un autre n’est pas nécessairement la ligne droite et que le dénivelé est une donnée au moins aussi importante que la distance. Bien que l’île de Hong Kong soit vallonnée, le relief n’est pas un réel problème : le centre de la ville, construit sur un terre-plein gagné sur la mer, est tout à fait plat, et les quartiers qui montent, derrière, sont desservis par les escalators des Mid-Levels (oui, des escalators en pleine rue !), les plus longs du monde. Non, la raison pour laquelle on aimerait avoir un plan en trois dimensions à Hong Kong, ce sont les passerelles qui permettent de traverser des rues, voire des quartiers, hostiles aux piétons. Elles sont, elles vont, elles passent partout : dans les centres commerciaux, les immeubles de bureaux, les banques, les stations de métro, jusqu’aux débarcadères pour les ferrys qui traversent la baie.

 

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Il n’y avait pas un jeu de construction / de société avec des tuyaux transparents, un peu comme ça ?

 

Le touriste qui souhaite prendre un peu de hauteur sur la rue trouve d’abord amusantes ces passerelles, ludiques échangeurs humains qui dominent, pour une fois, les automobiles. Pour un peu, on se prendrait pour une voiture volante de film futuriste, à flotter au-dessus des voies rapides. On voit du paysage (urbain), parfois des fresques (mais pas de graffiti) et, le week-end, des hordes de Philippines qui pique-niquent, discutent et se font les ongles de pied assises sur (parfois dans) des cartons, dans le froid, le bruit et la pollution – une conception des loisirs qui tient beaucoup du camp de réfugiés. On s’amuse comme on peut : la Philippine avec ses cartons, le touriste avec ses passerelles. Mais le touriste déchante lorsqu’il comprend que la passerelle qu’il cherche à emprunter, et dont l’accès reste introuvable, est l’unique moyen de traverser la route. Commence l’errance dans les couloirs, les boutiques qui s’enchaînent, niveau, podium, allée, les boutiques de luxe, les échoppes, d’autres couloirs encore, certains fermés, d’autres en extérieur, des places intérieures, des cours, des halls, des tours, des détours ; ils nous rendront chèvre et nous finirons comme décoration de Nouvel An, aimables biquettes de centre commercial.

 

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 Et si cette mignonne chèvre-pelote était en réalité un bouc-Minautore de centre commercial qui tricote-traficote le fil d’Ariane ?

 

Car si tous n’en sortent pas, tous les chemins mènent à Rome au mall. La plupart des passerelles, comme des grandes stations de métro, débouchent sur un centre commercial – l’illustration parfaite de Métrologie, petit essai de littérature expérimentale dans lequel Michel Fieux décrit la logique de désappropriation de soi qu’entraîne le métro, labyrinthe souterrain qui brouille nos repères, nous pousse à agir comme des robots (on bipe) et nous prépare tout naturellement à devenir un consommateur répondant passivement aux stimuli publicitaires. Le sentiment d’être pris au piège est total au Peak : l’attraction touristique qu’est le funiculaire débouche sur un centre commercial vertigineux (le but est d’avoir une terrasse avec vue imprenable et payante), dont il est difficile de s’extraire – non pas à cause de l’attrait de la marchandise, mais de la sortie, qui n’est nulle part indiquée. Après avoir tourné pendant un quart d’heures comme des souris en cage, mutualisant nos relevés topographiques avec d’autres compagnons d’infortunes, nous finissons par nous retrouver dans des cuisines à l’air libre. La sortie n’était pas au rez-de-chaussée ni au premier étage (grand classique) mais au deuxième étage (on avait sous-estimé le dénivelé en misant sur le premier). Remotivation de la catachrèse : un attrape-touristes.

 

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Le centre commercial du Peak. Enfermement vertigineux.

 

Il n’en va pas de même pour la population locale et, au cours du séjour, le malaise diffus qui accompagne le passage obligé par le centre commercial s’estompe. Habitude ? Conditionnement, déjà ? M’y perdre m’exaspère toujours, mais il n’y a plus ce sentiment d’écoeurement. Pour les Hongkongais, le centre commercial est mainstream ; c’est un centre, on y vit, on y passe (il y a très peu de bancs et beaucoup de panneaux indiquant qu’il est interdit de s’asseoir sur les rebords), sans s’attarder ni trop réfléchir. C’est un chemin comme un autre, qui a le mérite d’être à l’intérieur (j’imagine que c’est plus qu’appréciable pendant la mousson), avec des restaurants à portée d’estomac (on trouve de bons restaurants dans les centres commerciaux à Hong Kong ; les chaînes n’y sont pas forcément synonymes de qualité moyenne).

 

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 Les sols et les vitres sont si brillants qu’on repère souvent une boutique par son reflet… Ici, la sortie.

 

Je ne sais pas où j’ai lu ça, dans le magazine Air France de l’avion, je crois : un homme mi-Européen mi-Américain qui expliquait que les centres commerciaux sont une véritable culture aux États-Unis, que cela a quelque chose d’authentique, contrairement à ce que l’on perçoit sur le vieux continent. Malgré l’import culturel que cela représente, il y a de cela aussi à Hong Kong. Il suffit de remarquer le peu de monde dans les boutiques pour comprendre que le centre commercial ne pousse pas plus que cela à la consommation.

Le matraquage publicitaire est à l’extérieur, dans les rues saturées d’enseignes lumineuses ; les centres commerciaux, eux, sont reposants avec leurs couloirs presque vides, calmes et climatisés. Les boutiques sont presque vides, elles aussi, et pour cause : ce sont très souvent des boutiques de luxe. Palpatine a failli faire une syncope en découvrant que Berluti et Dunhill pouvaient se trouver dans un centre commercial et qu’Hermès jouxtait H&M dans la liste des marques sur la borne d’information. Trouver les Tiffany’s et les Cartier est presque devenu un jeu. Mystère sur la rentabilité de boutiques aussi nombreuses (même si on a constaté au Peak qu’on pouvait effectivement avoir une envie pressante de sac Furla). On énumère, à n’en plus finir : Armani, Bulgari, Chanel, Chaumet, Dior, Givenchy, Gucchi, Hugo Boss, Lalique, Lanvin, Loro Piana, Mui Mui, Ralph Lauren, Roberto Cavalli, Valentino, Vuitton1… On dirait une liste de divinités. Peut-être qu’en les ajoutant à celles, tout aussi peu identifiables, du taoïsme, on atteindrait les 99.

 

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N’était l’impossibilité de brûler l’encens, le centre commercial serait un temple comme les autres, avec ses idoles dorées et ses rites rassurants. Il suffit de voir des temples et des rites étrangers pour observer la continuité de la religion et de la superstition. Là où l’on ne voit dans un geste de croix qu’un signe d’appartenance à la religion catholique, on s’étonne de ces bâtonnets secoués jusqu’à tomber, des numéros desdits bâtonnets soigneusement recopiés sur des papiers qui ressemblent aux grilles à cocher des commandes de dim-sum et sont apportés au devin pour qu’il interprète les signes (cependant qu’un Sisyphe d’entretien ne cesse d’éteindre et jeter les bâtons d’encens, toujours rallumés par de nouveaux fidèles). Même dans le temple de Man Mo, qui porte le nom des dieux de la littérature et de la guerre, on ne sait pas trop qui on adore ; la statue est surtout une présence : tiens, voilà du Bouddha (élue blague pourrie du séjour).

 

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Ci-dessus : temple de Man Mo.
Ci-dessous : monastère et jardins de Chin Li.

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Pour trouver une certaine spiritualité, il faut aller au monastère de Chi Lin : est-ce l’esthétique du temple, avec ses toits en bois ; celle des jardins, emplis de bonsaïs et de plans d’eau ? Il n’y a pas cet aspect toc que donnent les couleurs criardes du temple de Sik Sik Yuen Wong. Pas d’encens ni d’agitation. Sensation de détente l’espace d’un instant. L’ambiance est au recueillement. Aussi calme que… dans un de ces centres commerciaux de luxe. La spiritualité est un luxe, que ne peut s’offrir le peuple laborieux. Il passe devant et s’incline. Il a des bâtons d’encens à brûler et la marmite à faire bouillir. Quand on a goûté aux noodles qui y cuisent, on ne peut que se féliciter de tant de sagesse. Va porter la bonne nouvelle Hermès, on passe bientôt à table !

 

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1 La France est encore plus représentée dans les produits de beauté : Estée Lauder et Clarins font office de Marionnaud / Sephora local, tandis que l’Occitane joue sur ses origines pour se taper l’incruste.

Hong Kong : illuminations

À la sortie du métro à Causeway Bay, le regard est aspiré vers le haut, cherchant la lumière naturelle au-delà des enseignes lumineuses, dans le corridor de ciel laissé par les buildings. Je ne savais que que New York était aussi en Asie. Ce qui frappe, surtout, outre le monde et le bruit, c’est la saturation de l’espace visuel, dans une surenchère d’enseignes et de publicités. Reprenez votre souffle : bienvenue à Hong Kong.

 

 

On pourrait parler de tissu publicitaire, comme on parle de tissu urbain. Lorsqu’une fenêtre l’interrompt, c’est pour mieux refléter ce qui se trouve de l’autre côté, jamais bien loin.

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Avec mon goût pour les reflets, je suis aux anges. Surtout lorsqu’ils créent des concaténations de cultures, comme ici, où le Mc Donald s’insère dans les caractères d’un restaurant chinois (enfin, à en croire les lampions, parce que l’affiche suivante annonce des Legends of India).

 

Enseignes, publicités, imprimées ou lumineuses, à LED ou à néon, statiques ou clignotantes, ce brouhaha lumineux, que l’on associerait spontanément à Broadway, trouve sa quintessence dans le quartier de Kowloon.

 

 

Peu importe que ce quartier s’anime à la tombée de la nuit, on dit : Bonjour Kowloon !

Vous n’imaginez pas le nombre de boutiques qui portent des noms français – de manière plus ou moins pertinente. Vous déambulez tranquillement dans un centre commercial quand tout à coup… Tout à coup, enseigne vestimentaire. La frenchiness aurait pu faire l’objet d’un safari-photo, au même titre que les chèvres ayant envahi les devantures en prévision du Nouvel An chinois. Je ne me suis d’ailleurs pas remise du French Yvelines Chocolate Burger (sic !) croisé dans une « boulangerie » chinoise. Qu’est-il passé dans la tête du mec pour qu’il nomme ainsi une viennoiserie qui n’a jamais existé en France, pas plus dans les Yvelines qu’ailleurs ? Avait-il un ami habitant là-bas, qui, dans un grand moment de désert de placards, s’est fait des tartines avec du pain à hamburger ? C’est tellement improbable, j’adore la machine à suppositions loufoques que cela met en branle.

Hong Kong souterrain

Les transports font partie intégrante d’un voyage et c’est d’autant plus vrai de notre séjour à Hong Kong que, notre hôtel étant excentré, nous avons beaucoup pratiqué le métro, à raison d’une bonne heure par jour. Le métro a beau être un non-lieu, qui court-circuite la ville, c’est un endroit passionnant à observer quand on est à l’étranger, justement parce qu’il n’y a a priori rien à voir. Dans ce huis-clos quotidien, on peut regarder les gens sans qu’ils se sentent dévisagés, observer leurs habitude et deviner leur mode de vie1. Petit tour des étonnements souterrains.

L’organisation. Châtelet est l’antithèse parfaite du métro hong-kongais, où l’on sait gérer les flux de voyageur comme nulle part ailleurs. Les interconnexions entre les lignes les plus empruntées se font non par sur une mais deux stations : on ne descend pas au même endroit selon que l’on veut emprunter la ligne suivante dans un sens ou dans l’autre. Il en résulte des changements hyper optimisés, où la ligne suivante se trouve en face sur le quai (les deux directions d’une ligne sont souvent superposées). C’est au premier changement que l’on découvre…

La discipline. Stupéfaction : les Hong-Kongais attendent le métro en ligne. En ligne ! La réputation des Allemands est totalement usurpée ; même à Berlin, je n’ai jamais vu ça. Les passagers arrivent sans se presser et se placent derrière les précédents, formant peu à peu deux petites lignes devant chaque porte, de part et d’autre de la flèche qui indique la place à laisser aux passagers pour qu’ils puissent sortir de la rame. Mieux encore : quand le métro est plein (c’est-à-dire, selon la conception parisienne, quand il y a encore de la place pour faire rentrer facilement dix personnes par porte), ils restent debout devant les portes ouvertes et attendent tranquillement qu’elles se ferment et laissent place au métro suivant, le nez dans leur smartphone. D’un coup, on imagine beaucoup mieux comment ce peuple peut faire corps et la titraille racoleuse des magazines économiques, façon La Chine en marche, prend une tout autre dimension. Les passagers du métro hong-kongais sont une armée en puissance.

Les lois. Il faut dire que, d’une manière générale, ça ne rigole pas. On ne mange pas et on ne boit pas dans le métro, ni dans les trains ni dans l’enceinte (the paid area). On ne fume pas non plus sur les quais menant aux ferry, ni ailleurs, en fait – à se demander où les fumeurs fument. Des amandes substantielles sont là pour vous en dissuader et vous discipliner. On vous travaille au corps – qu’il faut sain.

La phobie des microbes. Le sol est si propre que l’on pourrait manger par terre – c’est-à-dire si on en avait le droit. Je croyais que l’interdiction de boire et de manger dans le métro était une question de propreté, mais à voir les masques chirurgicaux portés ça et là (les passagers masqués sont loin d’être majoritaires mais ils sont tout de même en nombre non négligeable), il semblerait que ce soit surtout par crainte des microbes. Le soupçon est entériné par la fréquence à laquelle les toilettes publiques sont non pas nettoyées mais désinfectées : toutes les deux heures. Dans chaque cabine, une petite pancarte Flush after use vous rappelle à l’ordre, quand la chasse n’est pas à détection automatique (moyenne de deux chasses par personne, du coup). La seule fois où la propreté s’est vue au niveau des stations services des autoroutes françaises, c’est sur le site touristique du gros Buddha. Ah, ces saletés de touriste

La pudeur. Crainte des microbes ou pudeur, on ne mélange pas sa salive : je n’ai vu aucun couple s’embrasser. Les bisous que je fais à Palpatine dans le cou (puis un peu plus haut à mesure que la barbe repoussait) en deviennent le comble de l’impudeur. Tout juste se tient-on la main. Question tabou corporel, Palpatine pourra vous parler de sa surprise en découvrant sur un étal de journaux du porno chinois, que, contrairement au japonais, il n’avait jamais vraiment vu passer (le plus étonnant, c’est quand même d’avoir réussi à trouver des Chinoises avec de la poitrine, parce que, d’une manière générale, elles en ont à peu près autant que moi, c’est-à-dire pas). Tout cela risque de changer dans les années qui viennent, sous les assauts des sex-toys made in China, que l’on trouve parmi d’autres babioles, plus ou moins artisanales, au marché de nuit de Temple Street ! Pour éviter la frustration enfantine d’avoir un jouet mais rien pour le faire marcher, le dernier stand de la rue s’est spécialisé dans les piles. On a bien ri. Fourni sans piles.

La climatisation. Il n’y a pas de fenêtres dans le métro, mais on a quand même les cheveux qui volettent. Au premier courant d’air glacé, Bill Bryson s’est mis à clignoter dans ma mémoire et je me suis souvenue des États-Unis et de la polaire qu’en plein été, j’étais obligée de trimballer avec moi pour ne pas prendre froid. J’aurais préféré que l’américanisation s’en tienne aux Starbucks.

La taille. La taille des gens, d’abord, plus petits en moyenne qu’à Paris : Palpatine se sent inhabituellement grand ; une dame nettoyant le lavabo des toilettes lève les bras en riant pour me faire signe qu’elle me trouve grande (ou alors elle apprécie ma casquette gavroche, je ne sais pas, après tout). La prolifération des terrains de basket, partout dans la ville, dans les écoles, sur les toits, paraît encore plus curieuse quand on prend en compte ce critère de taille.
La taille des rames de métro, ensuite, comme des gratte-ciel couchés. La longueur est telle qu’à Paris, la tête du métro serait déjà arrivée à la station suivante quand la queue entre en gare. Il n’y a pas de wagon (comme dans la ligne 14), si bien que, lorsque le métro prend un tournant, dévoilant l’interminable alignement des barres, j’ai l’impression de retrouver cet ersatz d’infini que, petite, je provoquais à souhait, en me tenant entre les miroirs qui recouvraient les portes de la penderie de ma grand-mère, me transformant à moi toute seule en corps de ballet (je crois que mon goût pour les mises en abyme vient de là).

L’anglais. Tout, presque tout, est sous-titré en anglais, quitte à être plus royaliste que la reine. Le fameux Mind the gap, importé par habitude alors même que le gap est quasiment inexistant, se trouve ainsi parfois explicité : please, be aware of the difference of level between the the train and the platform. Bien plus que la conduite à droite ou les uniformes très private school des écoliers (les filles, toujours aussi peu gâtées avec des jupes droites sous les genoux), la langue est l’aspect le plus visible de l’héritage colonial. Et sûrement le plus avantageux : Hong Kong offre ainsi au touriste le dépaysement de la Chine sans les inconvénients de la Chine. Pour se convaincre de la barrière mise à bas, il suffit d’essayer de comparer le nom d’un restaurant donné en chinois dans le guide avec les idéogrammes, comme tracés à la main, de la devanture : compter le nombre d’idéogrammes distincts est encore le moyen le plus rapide de savoir si l’on se trouve au bon numéro, tant la graphie manuelle est différente de la dactylographiée !

L’écriture. Véritable challenge informatique que de permettre la saisie de centaines d’idéogrammes à partir d’un clavier de smartphone… Rien que pour ça, j’ai adoré lorgner sur les téléphones. N’ayant pas le moins du monde l’impression de m’immiscer dans la vie privée des gens, analphabétisme local aidant, je ne m’en suis pas privée : entre deux pages Facebook, j’ai pu observer deux moyens d’écrire des SMS en chinois. Le premier relève de l’OCR : on dessine l’idéogramme à main levée et le téléphone propose le caractère correspondant (ou ceux qui s’en approchent). Le second serait davantage « syllabique » : on compose l’idéogramme grâce à des touches qui reproduisent les traits de base, les touches proposées s’adaptant aux traits déjà choisis, jusqu’à ce que le téléphone soit en mesure de proposer des idéogrammes entiers (un peu comme les machines de la SNCF, où les lettres du clavier se grisent en fonction du nom des gares correspondant aux lettres déjà entrées). L’ardoise magique découverte au Relay de l’aéroport, qui a pour particularité que son résultat est exportable en PDF, prend tout son sens dans un pays où écrire, c’est dessiner.

Il y a aussi les petites idiosyncrasies du métro, qui ne laissent rien deviner sur Hong Kong mais font qu’on le reconnaitra dans les films ou en photo comme étant bien le métro de Hong Kong. Ma préférée, c’est cette affiche :

affiche métro

On ne s’arrête pas quand on entend la sonnerie, mais quand on entend DO-DO-DO – par opposition à DING-DONG (affiche verte), qui indique que l’on doit laisser descendre les passagers avant de monter à bord de la rame.
 

Il y a aussi ce pictogramme de place prioritaire, où le petit vieux, à la différence de la femme enceinte et de l’éclopé, appuyés sur le dossier, est courbé en avant sur sa canne.

affiche métro

 

J’ai pensé aux petits vieux que l’on a croisé dans les rues en train de pousser des chariots de cartons et me suis aperçue à mon retour en France que notre pictogramme présente exactement les mêmes caractéristiques. Comme quoi… Les voyages conduisent à s’étonner de ce que nous ne verrions pas chez nous. Ce regard anthropologique ferait de nous des poètes si nous parvenions à le conserver en dehors du cadre qui l’a fait naître et à le poser sur nous-mêmes au quotidien pour nous voir, nous-mêmes, autres. Illuminations à suivre.

Amsterdâme

Rails de tram

 

En gare de Rotterdam, sur le quai, une gamine aux jambes immenses et toutes fines boit son café en dehors, agite sa touillette comme la fille mal gardée moud le grain. Son chignon tire ses traits fins, creuse ses yeux. L’expression reprend soudain son sens : petit rat comme rachitique.

 

Pigeon sur la place

 

À un moment, j’ai suivi un blog dont le principe était : les photos que je n’ai pas prises. Je n’ai pas pris les guidons de bicyclettes qui dépassaient des haies, comme les cornes d’élans dans la forêt. Je n’ai pas pris cette gamine blonde aux yeux de loups. Je n’ai pas pris, pas comme je le voulais, derrière la vitre un peu fumée, le profil incroyablement pur d’une asiatique que l’on aurait crue recueillie en pleine cérémonie du thé et qui buvait simplement un café avec une amie tout ce qu’il y a de plus néerlandaise. De drie Graefjes. Une suffisait.

 

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 C’est Audrey. Pas au bon siècle, pas dans le bon livre, que j’ai pris pour The Invention of tradition, mais c’est Audrey.

 

Ombre de vélo

 

À vélo, à Paris, on dépasse peut-être les taxis mais à Amsterdam, à vélo, on fait des trucs bien plus rigolos : discuter comme si l’on était assis au café ; promener son chien qui rayonne moins que les roues ; promener son gamin ; promener une tripotée de gamins, collés sur des bancs en face à face à l’avant d’un curieux pousse-pousse minibus néerlandais ; sucer des sucettes ; fumer la pipe ; tapoter le dos de sa voisine ; écouter de la musique et son corollaire : chanter ; rêvasser les coudes sur le guidon ; téléphoner et mieux encore : textoter. Ils sont nés avec un vélo entre les cuisses. J’imagine, à la naissance : un garçon ? une fille ? C’est un vélo !

 

Ombre de vélo

 

Amsterdam ne connaît pas le niveau à bulle. Les immeubles sont plantés le long des canaux comme les dents d’une vieille dame. Comme si du traditionnel voyage en Italie, on n’avait retenu que Pise. Les façades indiquent que cela dure depuis 16xx, 17xx ; ce n’est pas maintenant qu’on va tout remettre d’équerre.

 

Canaux

 

Palpatine s’étonne que je me repère bien. Ce n’est pas compliqué : la ville est en WiFi, les canaux en guise d’ondes autour du point de la gare Centraal.

 

Tram et canaux

 

 

L’herbe – verte : une odeur âcre à certains coins de rue. Les vitrines – rouges : des pièces aux chaises et lavabo rosés, désertées à l’heure du dîner ; une fenêtre très en hauteur derrière laquelle une jeune femme en jeans ôte un blouson après avoir étendu une serviette de plage sur un lit invisible, regardant d’un air las la ville à ses pieds.

(Question idiote : les lanternes sont-elles plus prisées que les néons ?)

 

Sac Rubiks cube

 

Sur les ponts, les chromes des bicyclettes se confondent avec les reflets du soleil dans les canaux – le versant poétique des diamants qui, selon Palpatine, achèvent de faire de la ville un paradis fiscal.

 

Reflet du soleil sur le canal et les vélos

 

Il faudrait le faire : la rubrique nécrologique des parapluies désossés, qui gisent au coin des rues comme de grosses araignées amochées ; la collection de fifty shades of blond (hair) et, sur bandes, les cinq ou six sons de sonnettes que l’on entend en permanence dans son dos parce que le piéton est une invention touristique qui piétine les plate-bande des vélos, toujours en travers de leur (auto)route. Le Parisien est un dilettante : traverser à l’amsterdamois, voilà qui est du sport – peu pratiqué, il est vrai, vélo oblige : deux ou trois passages piétons recensés en quatre jours de quadrillage pédestre.

 

Traversée du parc jusqu'au Concertgebow

 

Tournesols en pot

« Le premier qui trouve le soleil lève le pétale ! »

Auvent photogénique du musée d'art moderne et tournesols

 

Le B, le b.a.-ba de la bouffe : Bagels & Beans, qui vous empaquette votre bagel à la cream cheese honey & walnut dans une boîte à burger bio ; Bed & Breakfast et leur muffins au goût new-yorkais, appel & cinammon. Boulgui-boulga de langues : les ingrédients se déchiffrent en néerlandais grâce à l’allemand, et les commandes se prennent en anglais – que tout le monde parle heureusement. On ne réagit pas au français sur les devantures ou dans les menus : c’est le prix qui fait un choc. Le français est chic, le français est cher : forcément, le Français est râleur.

 

Boîte de burger pour bagel

 

Quand on achète des chaussures à Amsterdam, elles sont déjà imperméabilisées. Et après, c’est Londres qui traîne une mauvaise réputation météorologique.

 

Motif de pluie

 

Marcher seule, à son rythme, jusqu’à baigner dans cette attention flottante qui rend tout visible et vivant puis se retrouver, marcher plus vite, s’animer et discuter jusqu’à oblitérer la ville. Le plaisir de visiter seule et voyager à deux.

 

Chaîne d'un pont couverte de cadenas et une église au loin

 

J’ai vu Isabelle Ciaravola, étoile de l’Opéra de Paris, danser dans la boutique de danse d’Amsterdam, juste derrière la caisse. Papillon, c’est le nom du magasin. J’y ai fait l’acquisition d’un joli justaucorps de pétasse violet.

 

Touriste enfant étalé dans une lettre d'Amsterdam

Dans le a d’Amsterdam…

 

Visiter les sex shops avec Palpatine, c’est ne jamais trop savoir si l’on s’amuse sous prétexte d’informatique embarquée ou si l’on fait une étude de marché sous couvert de lubricité. Inégalités mises à nu : l’un, cheap et plastique, ne risque pas de convenir avec ses sex toys que je verrais bien accrochés au-dessus d’une pêche aux canards, n’était leur caractère sexuel ; l’autre, classe et dentelle, avec des loups qu’on achèterait bien si on avait la moindre idée de l’occasion à laquelle les porter, est tenu par un vendeur trilingue. Alors qu’il tâte le terrain dans un français parfait, je repasse mentalement toutes les âneries que j’ai pu dire dans les minutes précédentes. Mais il n’est que respect, conseils discrets et sourire chaleureux.

 

Tasse de thé à l'opéra

 

Nuages lumineux au-dessus de la ville sombre 

Every cloud has a silver lining. C’est faux : every cloud has a golden lining.

 

Auvent du musée d'art moderne qui se détache sur un ciel ensoleillé d'après orage

 

Aux abords de la gare, un mât, une mouette et. Le ciel vide. 

 Ciel vide

 

La grisaille d’Amsterdam a quelque chose de réconfortant : elle n’est pas exigeante, on ne se sent pas obligé d’être heureux ou rayonnant, de profiter de son week-end. On peut le gâcher tranquillement, pas à pas, pavé à pavé, le laisser ruisseler jusqu’aux canaux et se contenter d’exister, quelque part sous un parapluie.

 

Soleil rasant sur deux lits jumeaux