Bits of London

À la table du petit déjeuner, une petite fille blond pâle, pas bien réveillée, porte un maillot de quidditch Gryffondor qui la fait ressembler à Luna. Lorsque le père, que j’avais pris pour la mère à cause de sa queue de cheval, se lève pour aller se ravitailler au buffet, il découvre un T-shirt Star Trek – famille de gentils freaks.

 

Sur Leicester Square, enfin sorti des travaux à l’exception de la statue centrale, un frère et une sœur jouent sur des smartphone : le frère en bleu sur un smartphone rose ; la sœur en rose sur un smartphone bleu.

 

Le tailleur de Palpatine, logé dans une petite maison anonyme aux fenêtres-guillotines, nous demande si l’on souhaite boire quelque chose et a l’air un peu étonné de notre réponse : il nous ramène de l’eau dans de grands verres à bière.

Je prends part au brainstorming sur les tissus à utiliser mais je crois que c’est uniquement pour pouvoir jouer avec les nuanciers et feuilleter une à une les étoffes aux couleurs, reflets et motifs délirants. Le tissu noir à têtes de mort vertes a déjà été utilisé comme doublure – j’espère apercevoir lors des essayages les ronds orangés et moirés so soixante-dix.

 

– Il n’y a plus qu’à traverser le parc.
– Non mais ce n’est pas le bon parc.
– …
– On devrait faire des itinéraires comme ça, pour voir si les gens arrivent à destination, comme des recettes : prenez un parc, traversez-le…

 

C’est au Royal Albert Hall qu’on aurait dû donner le nom du Coliseum : l’impression que l’on a, perché en haut de cette gigantesque arène, est exactement celui que j’imagine pour le Colisée de Rome. Je n’ai pas été très très attentive pendant le concert, trop occupée à observer les gens debout, en tailleur ou allongés au parterre, compter les tuyaux de l’orgue et débusquer les buffets cachés à l’arrière de certaines loges.

 

L’averse orageuse londonienne typique met en relief le dallage très inégal des trottoirs : d’immenses flaques se forment, où l’on plonge la totalité du pied si on n’y prend garde – l’équivalent du bain de pieds désinfectant à l’entrée de la piscine, la propreté en moins. Rapidement, les parapluies ne sont plus suffisants et les piétons se transforment en grenouilles sauteuses.

 

Au moment où, errant dans Camden market depuis une vingtaine de minutes et désespérant de trouver le glacier indiqué par Hugo, on envisageait de se rabattre sur le carrot cake, l’échoppe des Chin Chin Laboratorists est apparue devant nous. Des nuages de fumée coulent des saladiers où tournent des batteurs électriques pour refroidir les préparations liquides à l’azote. Des blouses blanches aux lunettes de chimiste s’affairent tandis qu’on lit la description de produits vantés comme hyper naturels – un contraste qui résume bien le paradoxe du bio, plus médical que naturel. L’apricot and jasmine ayant été remplacé par le rose and lychee, cela sera chocolat, avec des morceaux de chocolat blanc grillé. Je ne sais pas ce qui est le plus surprenant de la glace à l’azote ou des miettes sans la moindre trace blanche qui ont le goût de chocolat blanc. À moins que ce ne soient les yeux du vendeur très mignon, qu’avait oublié de mentionner Hugo : je fonds avant la glace.

 

Un, deux, trois, beaucoup de saumons à contre-courant alors que l’on rentre à l’hôtel. Quand une foule de saumons remonte la rivière, c’est qu’ils sont la rivière – proverbe du soir londonien. On remonte à la source : la mosquée déverse des flots d’hommes barbus en tuniques blanches et de femmes Casper, qui irriguent les trottoirs et se dispersent dans les rues, les bus, les canaux qui mènent à Little Venice et ailleurs.

 

Des triangles en folie : toastés, à la marmelade d’orange, trempés dans le thé au petit-déjeuner ; nature ou complets, brie-cranberries-raisin, fromage-chutney de carottes, œuf-mayo-cresson ou custard ham le reste de la journée.

 

Les écureuils aiment les princes. Surtout lorsqu’ils sont à croquer. J’en lance un bout à un écureuil roux répondant à tous les critères du cute. Il apprécie tellement que, lorsque je m’apprête à remettre le paquet dans mon sac, il laisse tomber le petit morceau qui lui glissait entre les pattes et, me confondant avec un arbre, s’élance directement à la source des gâteaux. Surprise qu’il me grimpe dessus, je pousse un cri strident. Je vois en même temps les touristes alentours se retourner, les plus proches se mettre à rire et l’écureuil redescendre pour s’emparer des gâteaux qui, dans mon agitation, sont tombés du paquet. Encore heureux, la bestiole n’aurait pas hésité à me griffer tout le corps et à mordre pour que je le lâche ; je me voyais déjà dans un remake des oiseaux d’Hitchcock. La jambe toute griffée, jusqu’au sang sur la cuisse – je manque un peu d’écorce, voyez-vous – je déclare l’embargo de nourriture pour les écureuils du monde entier, vérifie mentalement que je suis bien vaccinée contre le tétanos et nomme l’écureuil à la place du pigeon dans le rôle du rat volant tandis que Palpatine me rappelle la cage spécial visage de 1984. J’en ai recroisé ensuite, qui m’ont dévisagée avec un air mauvais. Tout ça parce qu’en face d’une petite souris, ils pouvent jouer aux gros écureuils. Saletés. Beware of the squirrel. Don’t feed the squirrel or the squirrel will feed off you.

 

Quatre petits pots sur la table : strawberry, raspberry, blackcurrant et l’orange marmelade que l’on a seul vidé méticuleusement, chaque matin.

 

Premier étage, premier rang, j’ai pris place à bord du magicobus : cerné des deux côtés par deux gros bus londoniens, il s’amincit et se faufile sans encombre.

 

Sur les dalles, les pavés, les trottoirs, le bord de la chaussée, les allées, les gravillons, la terre battue, la pelouse, on a marché, marché… Le soir, quand les tendons à l’arrière de mes genoux sont complètement crispés et que je teste différentes manières de claudiquer, je demande à mon compteur subjectif le nombre approximatif de kilomètres parcourus : huit, dix, douze, treize, quinze, dix-huit… les kilomètres s’additionnent au fur et à mesure que mon GPS préféré retrace mentalement la carte de nos déambulations. Le tout en sandales, garanties ampoules proof.

 

Les vitrines qui font penser à… JoPrincesse : des Monsieur et Madame partout, en peluches et en mugs, mais pas de Princesse – pour cause de concurrence déloyale à la monarchie, sûrement ; Hugo : une lampe lapin spottée près de Carnaby street ; Palpatine : des cufflings en forme de pingouins (je préfère les cufflings aux boutons de manchette, qui m’inspirent le même sérieux que les rouflaquettes).

 

Snog, recommandé par Pink Lady, propose de composer sa coupe sur mesure en choisissant un parfum de yogurt glacé et un ou plusieurs topping. Moi qui ai toujours envie de dépareiller les coupes à la carte, d’enlever le coulis de ceci, de rajouter de la chantilly à cela et de tester de nouvelles combinaisons gustatives, c’est tout à fait à mon goût. Le concept embête Palpatine, qui n’a pas envie de se casser la tête pour « des bêtises ». Combiner les saveurs et les textures ne me semble pourtant pas très différent des associations de tissus et couleurs qu’il arrange avec goût dans son habillement.

 

Pourquoi les businessmen britanniques font-ils paraître les français avachis ? Palpatine m’assure que les costumes, trop longs par chez nous, sont ajustés au millimètre outre-Manche : le pantalon casse sur le soulier au lieu de plisser, les manches de la veste laissent apercevoir celles de la chemise et les entournures rendent impossible de voûter les épaules, contraignant à se tenir extrêmement droit. Ces précisions vestimentaires me permettent d’entrevoir la véritable réponse à ma question, une évidence : la veste ne cache pas les fesses. Londres est pleine de petits culs élégants.

 

Quelle heure est-il ? 11h50, l’heure d’aller se laver les dents. Palpatine retombe dans un demi-sommeil. Un quart d’heure plus tard, il me repose la question, me souhaite un joyeux n’anniversaire et se rendort.

 

Je n’ai pas été chez Richoux, je n’ai pas mangé de scone, je n’ai pas été dans la librairie à côté de Fortnum & Mason, je n’ai pas traîné les pieds à Savile Row, Palpatine n’a pratiquement pas râlé contre le tube et je suis presque contente que le HMV de Piccadilly ait disparu : je n’ai pas envie que Londres devienne un pèlerinage.

 

Vingt-cinq ans aura été un anniversaire sans bougie, une belle journée tranquille, que l’on n’essaye pas à tout prix de transformer en fête – plutôt un acquiescement au temps qui passe. Il paraît que la perception qu’on en a s’accélère avec l’âge : ne pas s’en effrayer, ne pas non plus fantasmer une facilité future, prendre sa respiration et avancer – on ne mûrit qu’à son temps, toujours un peu trop lentement. Le temps avance plus vite que nous : on a cherché en vain dans les livrets de 2012 et 2011 le portrait devant lequel on était tombé en admiration au concours annuel de la National Portrait Gallery ; cela fait trois ans qu’il trône dans le salon de Palpatine, que je squatte de plus en plus régulièrement. iDeath, qu’il s’appelle. D’une beauté à couper le souffle.

Lose is beautiful

Cette fin d’année à Londres restera dans mes tablettes comme un « voyage à anecdote », expression pittoresque pour évoquer un certain art de la lose. Tout un roman…

 

Chapter 1: The omen

En partant de chez moi l’avant-veille du départ à Londres pour rejoindre Palpatine, je fais tomber mes clés. La poignée de la porte me semble un peu poisseuse et quand j’examine le porte-clef dans la paume de ma main, je constate plusieurs fissures. Ce porte-clé, remis par Palpatine voilà maintenant deux ans, est un petit coeur en plastique rempli d’un liquide rouge où baigne, en compagnie de quelques paillettes, un autre petit coeur en plastique rouge, embroché par une flèche de Cupidon. Objectivement, c’est atrocement moche, nous sommes d’accord, aucun problème là-dessus. Palpatine en était parfaitement conscient lorsqu’il m’a remis en riant de ma grimace la « love key« , ancien achat de charité. A l’usage, elle s’est révélée rudement pratique, sa grosse forme permettant de retrouver aisément ses clés au fin fond d’un sac en vrac (et dieu sait que je fais le baudet depuis que je suis aventurée dans cette garde alternée). Dans la poche, je l’avais sous la main pour me rappeler le second degré qui a fait notre complicité ; il était entendu que la tendresse ne devait pas tourner à la kitschounerie, tout entière contenue dans le porte-clé (j’espère ne pas devenir un bisounours parce qu’il s’est déversé). En somme, la love key s’était parfaitement intégrée, jusqu’à former une boucle kundérienne :

Un seul porte-clés. La clé de chez moi accrochée à un autre summum de kitschounerie offert par la famille qui m’avait hebergée lors de mon stage de danse en Alabama, et sur lequel on pouvait lire « I can’t help it if I’m good-looking ».

Deux porte-clés. Après une période d’essai, où j’ai surtout essayé de ne jamais oublier le trousseau du jour, j’ai incisé mon porte-clé et y ai ajouté la love key. 2 en 1. Le gros coeur ironique tire la langue au premier porte-clé. Il était temps, j’allais finir par le prendre au pied de la lettre.

Un unique porte-clés. Un jour, le premier porte-clés en a eu assez de n’être plus pris au sérieux et il s’est cassé. Toutes les clés sont restées sur le même porte-clés, celle de Palpatine et celle de chez moi, qui est devenue synonyme de chez ma mère tandis que chez Palpatine, je faisais comme chez moi. (Pour éviter un chez nous abusif ou un chez ma mère qui laisse penser que ce n’est plus chez moi, j’ai pris l’habitude de dire à Ivry, à Versailles.)

Et voilà que la boucle casse avec le gros coeur. J’ai le coeur gros, forcément, et les mains dégoulinantes, fatalement. Opération à coeur ouvert : d’un mouchoir, je fais un sparadrap au porte-clés blessé et je file attraper le train. Mais voilà que bientôt le seul mouchoir à portée d’une seule main est détrempé alors que le petit coeur n’a pas fini de verser sa bile. Impossible de le ranger sans dégueulasser mon sac, impossible de mettre mes gants, j’ai le coeur sur la main et les doigts gelés par le liquide qui continue de couler. Enfin je retrouve Palpatine et,

contrite, lui avoue que j’ai le coeur brisé. 

Se gaufrer à Bruxelles

Souvenir de voyage

 

Ce week-end, j’ai mangé une pomme. Inutile de déguiser, elle avait le même goût que d’habitude. Il a plu, j’ai eu froid, j’en avais assez d’avoir l’air d’un sac à patates, je suis partie en jupe, j’ai eu très froid, la batterie de mon appareil photo s’est révélée n’être pas compatible avec celle du modèle précédent de Palpatine, j’ai râlé, j’ai eu froid, je lui ai piqué son appareil, la section moderne du musée des Beaux-arts était fermé pour rénovation, je n’ai pas vu les tableaux de Khnopff, qui comptaient pour un tiers de ma motivation (gaufre et Magritte pour les deux autres), je me suis fait avoir avec les contingents de place du musée Magritte, je n’ai eu qu’une heure pour le visiter, j’ai encore eu froid, la nuit tombait tôt sur la brume et la bruine, la ville n’est pas très souriante en-dehors de son centre, j’ai eu froid et j’ai été épuisée.

 

 

Pourquoi faudrait-il toujours réussir tout de son voyage ? Quadriller la ville pour avoir tout vu et surtout rien loupé ? Aimer ce qu’on découvre plutôt que la découverte ?


 

De ce week-end, j’ai peut-être préféré le voyage à la destination / la fin d’après-midi et la fin de la nuit à l’hôtel dans les coussins adossés au miroir / la chemise à boutons de manchette de Palpatine / le brunch au saumon, fabuleux œufs brouillés, thé orangé et brioche aux morceaux de sucre, partagé avec Ariana / ce plaisantin rêveur de Magritte / le livre un peu daté mais enfin sur Khnopff / l’attente d’une averse musardée dans une boutique de Cds classiques, musique religieuse, et juste en face, les vitraux d’une église / feuilleter les dessins de Khnopff dans une salle commune de l’hôtel / attendre sur un fauteuil-caisson que l’opéra d’Ariana et Palpatine se finisse et les achève, tandis que je somnole en toute bonne conscience de touriste épuisée, entre les voix qui traversent les murs et les ouvreurs comme des garçons de café qui s’ennuient.


Je suis pessimiste, dit Palpatine et je trouve ça curieux quand on parle du passé immédiat (perfectionniste, plutôt, lorsque le moindre détail peut défigurer l’ensemble). Mais il suffit qu’il s’éloigne un peu (le passé immédiat, pas Palpatine) pour que je puisse dire qu’il est bon de se gaufrer à Bruxelles et que c’est rendre hommage à cette ville que d’imiter sa spécialité1.

 

  1Nous avons également honoré les moules-frites comme il se doit. Parfaitement conforme au régime : pas de dessert après les moules-frites à volonté (il a bien fallu en reprendre pour le vérifier) et pas de chantilly ni chocolat fondu sur la gaufre, juste un cheesecake au spéculos comme dernier dîner.

Gaufre de Bruxelles

 

 

Mais non, je ne vous ai absolument pas floués avec le titre de ce post : ne voyez-vous pas les alvéoles carrées de la gaufre dans toutes ces fenêtres à petits carreaux des façades de la Grand Place ?

N’ayez aucune crainte pour ma santé mentale morfale,  je n’ai pas manqué de manger une vraie gaufre ; il ne va pas neiger, c’est déjà fait :

 

 

Gaufre au sucre, donc. Croustillante à l’extérieure, brûlante et à peine cuite à l’intérieur, comme un de ces chichis qu’on ne trouve qu’à Sanary, parce que « chez Noune, les chichis ont un goût de paradis ». Les madeleines peuvent aller se rhabiller.