Les premières gelées se forment
Jeudi 23 octobre
Les déménageurs sont déjà devant la porte lorsque le boyfriend me réveille : cette porte est à une heure de route et c’est moi qui ai le permis. Il n’est pas encore 8h. Ils sont arrivés à l’heure où nous pensions qu’ils partiraient.
Le boyfriend est comme un gamin le matin de Noël quand les déménageurs commencent à faire entrer tout ce qu’il faudra déballer. Ça y est, il est chez lui. Je le vois enfin détendu et souriant ; ça vaut le coup d’avoir un petit pincement au cœur de le voir ainsi, heureux.
Les déménageurs passent avec des choses variées sous ou dans les bras ; les nôtres ballants, il n’y a plus qu’à les aiguiller — là, dans le salon, dans la chambre à gauche, dans la pièce du fond qui, à force, pour les déménageurs aussi devient le bureau… Des bouts de Montrouge arrivent là. De Vanves aussi, de la maison de ses parents décédés, et ça ou le café lui retourne les tripes, je me retrouve un moment seule à dispatcher des affaires qui ne sont pas les miennes dans un espace où je n’ai rien projeté. Et ça, Madame ?
À leur départ, au début, je déballe toute la vaisselle, celle que je connais et celle de son enfance, je sectionne, déballe, défroisse, empile, range dans le lave-vaiselle et les placards, je m’active, fuis dans le divertissement en croyant aider. Ses amis arrivent, repartent. La frénésie cesse. Les pièces s’apprivoisent. Je mappe la lumière, les bruits, entre évitement et prédilection. On inaugure le vieux canapé en cuir dans lequel je ne m’étais jamais assise. La fibre est raccordée. On accroche les rideaux occultants dans les chambres. Je reprends la relecture du roman de mon amie M. La nuit tombe autour des baies vitrées nues et noires du salon. On réchauffe de l’aligot acheté au Super U bien achalandé du coin. Premier dîner. Première nuit dans la maison.
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Vendredi 24 octobre
Au réveil, les branchages sans tronc par la fenêtre, tamisés par la moustiquaire.
Réveil tardif, oubli, retour, détour… Nous n’avons plus aucune avance ; je conduis au maximum des limitations de vitesse. Voiture garée au parking de location, bras encombrés, je fais tomber des trucs. Le boyfriend me dit midi vingt-cinq ; j’ai vingt à ma montre ; c’est vingt-cinq, s’énerve-t-il ; je ne comprends pas. Avance ! il me crie dessus et je me mets à crier moi aussi, cri de décharge très aigu. Tout va bien ? demande le monsieur à qui je remets les clés de la voiture. Un couple d’hystériques, voilà qui nous sommes en cet instant. Il est midi vingt-et-une et le train est à midi vingt-cinq, apprends-je en entrant dans la gare ; la veille, il m’avait dit, ou j’avais compris, tente-cinq. Nous nous installons dans le train, il part, je décompense lacrymal.
Le retour est laborieux : nous nous infligeons le métro parisien sans Paris, nous n’avons pas de direct cette fois-ci et le second train dans lequel enfin nous sommes assis ne part pas parce que quelqu’un est parti, quelqu’un quelque part s’est suicidé sur les voies — présence de personne dans les voies, c’est la formule consacrée, incrustée.
Au soir, le boyfriend reprend sa place devant l’ordinateur, effaçant les quatre jours quasi sans écran, sans voix qui ne sorte pas d’un corps présent. C’est comme s’il avait tellement hâte d’avoir sa baraque qu’il ne pouvait plus vivre ici qu’en attente, en stockage. Ça me vénère, ça ou l’appart crade, surtout après la maison vide immaculée ; je passe mes nerfs en ménage, malgré ou à cause de la fatigue, au moins ce sera propre. Évidemment il n’est pas dupe, et mes pleurs et ses bras, et son envie d’être chez lui plutôt que de fuir chez moi.
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Samedi 25 octobre
Le petit monde de la danse pensait qu’il ne faudrait pas y compter, que ce serait complet, mais c’est loin de l’être, ce n’est pas notre public, me dit la guichetière de la matinée (l’après-midi donc), et j’obtiens une place pour non pas un mais les deux programmes présentés au Colisée par la Martha Graham Company. Cela fait plaisir à voir, me dit la guichetière du soir espoir, quand je dansote de la joie devant le comptoir pour la seconde fois de la journée.
Je m’amuse à repérer les professeurs de danse et les élèves présents, sursaute quand un de l’an passé que je croyais parti plus au sud me salue dans la file des toilettes (il est bien parti, mais revenu en vacances dans sa famille). Le para-social, comme l’appelle le boyfriend qui repose ses pieds à la maison (chez moi), fait partie du plaisir.
Fait aussi partir du plaisir : imaginer que la magnifique Médée qui ne sourit pas quand elle danse, même quand elle n’est pas Médée, même quand la jouissance du mouvement déborde les visages autour d’elles, imaginer que cette splendide danseuse a senti l’intensité de mon regard sur elle lors des saluts, pile en face d’elle, et que c’est non pas à moi mais à cause de moi qu’elle attendrit alors son visage. Ça fait partie des histoires que j’aime me raconter dans le velours amniotique des salles de spectacle. C’est mon pouvoir secret de spectatrice de l’autre côté de la rampe. Mais il doit rester secret, insu des danseurs du moins, et non, je ne veux pas faire un selfie avec l’un des danseurs sorti saluer son professeur, même si nous avons eu quelques fois ce professeur en formation, trop peu pour que je puisse penser à le dire mon professeur — et préciser être moi-même ballet teacher, non non non, what’s wrong with you? or with me?
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Dimanche 26 octobre
Où est passée la journée ? Dans un élan non contraint, j’ai presque fini de créer ma nouvelle barre à terre, et pffft. Ça accroche un peu dans le genou et coulisse davantage dans le haut du dos : la hernie discale serait-elle de l’histoire assez ancienne pour que je progresse en souplesse dorsale et reparte à la conquête de mes arabesques ?
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Lundi 27 octobre
Dernier cours stretching postural avant les grandes vacances de la prof. Je m’énerve contre mon bassin qui ne reste pas en place dans les grands battements alors que l’amplitude est possible pour mon corps, regarde me dit la prof en tenant ma jambe dans une position que je ne parviens pas à trouver seule. Mon corps ne connaît pas le chemin ; même sous 90°, je lève la hanche.
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De courtes averses tombent parfois
Mardi 28 octobre
Mon intolérance aux sons que je ne produis pas m’oblige à faire pièce à part (si j’accumule les heures à passer outre, à la fin plus rien ne passe). Jusqu’à aujourd’hui, ma tranquilité sonore se faisait au détriment de ma posture — jusqu’à ce que je pense à rapatrier dans la chambre la table de jardin (de terrasse) que m’a offerte le boyfriend. C’est incongru, mais pratique et harmonieux, le gris-bleu dans le camaïeu bleu-gris.
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Mercredi 29 octobre
Lire les blogs le matin depuis mon lit, laisser un commentaire ici ou là, collectionner des extraits, me donne l’impression aristocratique de m’occuper de ma correspondance avant les affaires de la journée (préparer mes cours).
La création des cours est laborieuse, anxiogène. C’est un effort renouvelé à chaque exercice, bien supérieur à ce que demande chaque exercice. J’y suis qu’il faut encore s’y remettre — et n’en pas voir la fin.
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Jeudi 30 octobre
Cours particulier : je n’ai pas envie d’y aller, et une fois que j’y suis, ça va, ça fait même mieux qu’aller, j’y prends du plaisir, à ce travail individualisé, à observer, (re)découvrir et corriger une organisation posturale dans le détail. Des choses qui n’ont pourtant jamais été cachées se révèlent, essentielles (la rotation interne bien visible au niveau des genoux) ou amusantes (oh, l’annulaire et l’auriculaire qui se rétractent en couronne !), des tics se trahissent (un petit dandinement de satisfaction tout mignon pour s’installer dans son corps), des évidences s’imposent (la cage thoracique trop en arrière par rapport au bassin, qui part en antéversion) et des priorités s’établissent. Je saurai dorénavant quoi vérifier rapidement en cours collectif. C’est si utile que, si je dirigeais ma propre école, j’inclurais un cours particulier avec l’inscription annuelle pour les cours collectifs.
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Vendredi 31 octobre

J’ai ouvert WhatsApp pour souhaiter un joyeux anniversaire à mon demi-frère. Mon précédent message datait d’un an tout pile : Joyeux anniversaire.
Je finis de préparer mon cours pour les petits et cela me dégage l’après-midi, la tête, une journée de vacances ressenties. Plaisir, joie. Le soir pourtant, l’anxiété mise à distance revient, ne m’a probablement pas quittée, planquée dans une forte tension au niveau des mâchoires.

Sur le haut des bâtiments et les cimes du parc Barbieux, la lumière incroyable du soleil levé au moment de se coucher, juste après la pluie. Ça gonfle la cage thoracique de beauté, poumons branchifiés. Glorieux, doré, flamboyant, enflammé, embrasé… les mots tombent feuilles mortes face à la lumière aux couleurs. C’est jaune et rouge et orange, orange aussi le teint de ces deux étudiants-d’école-de-commerce qui se font face. Une voiture remonte le large trottoir piéton pour ne pas emprunter la déviation des travaux. Laideur fugace. La lumière décroît. Beauté fugace.

Le cliquetis de la manette de jeu. Je pourrais la passer par la fenêtre. Est-ce la misophonie ? la tension dans la mâchoire ? Je m’énerve d’un rien. Comment fait-on pour habiter ensemble ? Pour supporter que l’autre vous manque alors qu’il est là — qu’il devient encombrant ?
Ça va ? Non ça ne va pas, décèle le boyfriend dans la cuisine, avant le dîner. Et c’est la première fois de la journée que nous nous voyions, que nous sommes présents l’un à l’autre. Soulagement de ses tâches de rousseur braquées sur moi.
The Gentlemen : une saison de huit épisodes, court mais efficace — sauf cette fin, bâclée si elle doit rester sans deuxième saison. Anyway, la conjugaison du flegme britannique et de la nonchalance badass ne pouvait que fonctionner sur moi. C’était parfait après Breaking Bad — on retrouve même l’acteur de Gus Fring, toujours impeccable, toujours dans le business de la meth. (J’ai en revanche dû Googler l’acteur jouant le frère du protagoniste pour retrouver où je l’avais vu : c’était Luke dans Lovesick !)
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Samedi 1er novembre
[rêve] rideau de douche à tirer entre les deux toilettes et la douche, j’utilise les toilettes il n’y a personne, plus tard j’ai besoin d’y retourner, les passagers d’un long courrier ont débarqué, ils ont besoin de se rafraichir, un jeune homme s’impatiente, je prends trop de temps, quand je sors il mime le mouvement par lequel je me suis étrillée, quel besoin, il est excédé [rêve] de la maison de ma grand-mère, à l’étage, une machine à laver tourne dans la première chambre après la salle de bain, les vibrations se propagent, cette lézarde que je suis du regard autour de la pièce, est-ce que je la découvre ou est-ce qu’elle se propage sous mes yeux ? la maison tremble, le paysage se met à défiler par la fenêtre, la maison va s’écrouler, je grimpe pour rester à la verticale à mesure que le plan s’incline, m’extrais par la fenêtre, rester le plus haut le plus longtemps possible comme dans Titanic, ma tante, ma mère étaient dans la maison, dans les chambres, tout le monde est saufBlue Eye Samouraï : j’y suis allée un peu à reculons, mais je vais poursuivre.
Lire un chapitre avant d’aller se coucher, quelle bonne idée quand un récit de viol déboule dans le roman (Betty : très dur donc, très beau aussi, malgré la dureté, à cause de — contrepoing).
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Les feuilles d’érable et le vigne vierge rougeoient
Dimanche 2 novembre
Je boue d’une colère qui, comme la tristesse en SPM, ne vient de nulle part, ne m’appartient pas. Tout m’agace et m’énerve, je hurle d’énervement encore plus fort que de douleur d’avoir passé le pouce sur le disque du mixeur, mais quelle conne, je hurle contre moi, pleure contre le boyfriend, je suis tout le temps en colère en ce moment, il voit bien, n’a heureusement pas assez dormi pour être contaminé par ma rage. J’en ai les mâchoires crampées — à moins que ce ne soit l’otite qui revienne. Gouttes dans les oreilles, tisane au CBD, j’ai l’air dépité. L’humeur ne s’allège que lorsque je m’oublie dans la lecture et le soir, quand la journée est de toutes façons foutue, autant en profiter.
La colère est une émotion qui ne m’est vraiment pas habituelle. Je ne sais pas quoi en faire, comment surtout ne rien en faire, ne pas bouillir, crier, écraser, brusquer gestes et pensées.
Heureusement, ses mains à la base de mon crâne, relai d’Atlas, me déchargent un temps de mon monde intérieur. Répit contre lui.
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Lundi 3 novembre
Contre la colère, les cours qui reprennent, je m’active, reste activée et, en quelques heures, règle ce que je repoussais de journée en journée. J’éprouve le besoin de me les lister sans cesse, à intervalles réguliers au cours de la matinée, pour que le temps ne soit pas passé nulle part, sans agrément : je me suis épilé les jambes, j’ai lavé le plat à gratin, quelques justaucorps à la main, vidé le lave-vaisselle, descendu les poubelles, passé l’aspirateur y compris dans les câbles derrière le bureau, rangé le linge, lancé et étendu une nouvelle machine, imprimé mes feuilles de cours, renvoyé un mail au gestionnaire de l’appartement pour lui rappeler les questions qu’il a esquivées et réclamé les relevés de charges qui ne m’ont pas été communiqués, répondu rsvp pour assister à une restitution sur la santé du danseur, fait descendre le nombre de non lus dans mon lecteur de flux RSS, mais ce n’est déjà plus une corvée, attention à ne pas traîner plus loin leur il faut.
Il fait désormais nuit en partant bosser — pas encore nuit comme dans le travail salarié, mais déjà nuit. En face de l’arrêt de bus, je retrouve l’appartement au mur bleu et à la porte coulissante, trois images alignées verticalement dans un même cadre et trois assiettes murales. À l’étage du dessus, un homme grandit et rapetisse sur place de quelques centimètres ; il n’y avait pas ce tapis de course ou ce locataire l’hiver dernier.
La lune pleine cesse d’être la lune, redevient un astre lourd et lointain de science-fiction, énorme dans le ciel. Des fumées noires s’interposent entre elle et nous ; on dirait la lune de Mélies, vraiment, une pipe à la place du télescope. Je me rappelle vaguement quelques lignes écrites dans mon adolescence sur un ciel d’huître similaire. Depuis quand n’avais-je pas observé la lune ? Dans le métro, j’interroge le navigateur de mon téléphone : pleine lune colère puis pleine lune chat (il a passé une partie de la nuit à miauler). Évidemment, rien de probant n’en sort, mais j’apprends que cette pleine lune est une super lune, l’ellipse au plus proche de la Terre.
Sur le trajet retour, debout à l’avant du métro sans conducteur, je me force à laisser encore un peu le téléphone dans mon sac, à observer le tunnel, les courbes, les lumières, et peu à peu, c’est un peu forcé, je retrouve ce qui, enfant, m’aurait émerveillée : le chemin lumineux en extérieur, lorsqu’on chemine aérien vers une station-réception ; les tournants et le dénivelé des rails, attraction aplanie, comme chez Gringotts, j’échauffe mon imagination, mais c’est le chariot des dalmatiens hurlant qui me revient, dans le jeu vidéo qu’en tire le maître de Pongo à la fin, que le jeune geek testeur salue d’un adjectif aussi lapidaire qu’au précédent essai, mais cette fois-ci augurant le succès : dément ? géant ? — Cool, c’était juste Cool. Excellent villain, mate.
La reprise est toujours laborieuse quand je change l’intégralité de la barre et des enchaînements. Pour elles comme pour moi, tout n’est que lutte de mémorisation. Je m’embrouille dans mes démonstrations, les ados sont plus ados — mutiques — que jamais. J’en sors dépitée. J’ai envie d’arrêter. Disons que j’ai gagné 30 €.
L’envie d’écrire en revanche revient.
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Mardi 4 novembre

Out of nowhere pendant les ports de bras. Si on lui demande qui je suis, pour elle c’est ça : C. fait le geste d’ouvrir une couronne avec une impulsion. Comme une petite explosion, je dis souvent aux élèves, pour que les bras redescendent ensuite plus lentement à la façon des palmiers de feu d’artifice. Je suis touchée. Et tout court et dans le mil. Ça me rappelle soudain ma première année de conservatoire, juste avant l’examen, quand les filles de mon niveau, toutes plus aguerries que moi, étaient venues me demander en coulisses de leur montrer ce que je faisais avec mes bras dans la préparation lors de l’entrée, parce que la prof voulait ça : exactement la même chose qu’aujourd’hui ; sans y penser, je poussais ma première position un peu en avant avant d’ouvrir seconde.
Les musiques minimalistes répétitives que j’envisageais pour la chorégraphie de fin d’année n’emballent guère le groupe, je le vois à leurs visages polis et à cette interrogation vaguement paniquée qui fuse : c’est comme ça tout le temps ? Je leur fais écouter Lumière du jeu vidéo Clair-obscur que j’ai choisie pour les intermédiaires : elles la garderaient bien pour elles et, de fil en aiguille, on se dit pourquoi pas une version instrumentale du générique d’Arcane. Encore faut-il qu’aucun autre prof ne l’ait prise ; en classique, ça ne risque pas (j’ai mon univers, comme me le fait remarquer C.) mais le risque est réel en contemporain et en jazz.
Les vacances ne te réussissent pas, plaisantaient-elles à cause du trop d’énergie que j’ai récupéré et déverse à plein volume en cours, plein de nouveaux enchaînements qu’il leur faut apprivoiser. Je tempère, un peu déprimée, j’ai glissé. Le bus est déjà passé quand nous finissons de discuter choix musicaux si bien que C., encore elle, me ramène en voiture au métro. Elle me reparle de ce truc dit en passant, me fait parler vite fait et me rassure du même mouvement, qu’elles savent comment ça s’organise à l’école, des galas elles en ont fait plein, il faut leur demander, elles peuvent aider. Le métro est à peine à cinq minutes en voiture, mais je me sens beaucoup mieux en y descendant.
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Mercredi 5 novembre
Les élèves sont surprises par la présence de paroles, mais ça change et c’est beau, décident-elles. Personne ne connaît la musique que je leur passe : pas de grand frère ou grande sœur qui joue aux jeux vidéos dans la famille. Ou ce n’est pas le milieu social. Quand je leur révèle que c’est la musique d’un jeu vidéo, une remarque surgit à laquelle je ne m’attendais pas : « Mais on va avoir la honte, si c’est un jeu vidéo. » Je suis d’autant plus surprise que j’aurais au contraire parié sur une espèce de hype. À quel point les jeux vidéos sont-ils déconsidérés pour qu’un enfant ait cette peur réflexe ? « Ce n’est pas fait pour danser la classique, » ajoute-t-elle. Qu’est-ce que les enfants (de milieu bourgeois ?) sont conservateurs… Je dois leur rappeler qu’elles trouvaient la musique belle dix secondes avant. À la fin du cours, elles la chantonnent.
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Jeudi 6 novembre
Un cyclone a balayé les projets de vacances de la prof de stretching postural, l’aéroport de Cuba est fermé pour un bout de temps : les cours reprennent ! L’occasion de s’énerver encore sur ce bassin, « zone muette » où je ne dissocie pas grand-chose. Ça me fait quand même du bien.
Après des tapis de sol, je fais acheter à l’école une paire de ciseaux pour les délivrer de leur gangue plastique. Plaisir de sentir la lame filer et libérer du tout beau tout neuf — même si pas pour longtemps : la qualité est médiocre et on y fait déjà des marques en une heure. Entre les élèves inscrits à l’année et ceux qui viennent rattraper des cours, la salle est blindée, les tapis alignés resserrés comme des sardines en boîte. Quand je guide les exercices debout pour que tout le monde puisse m’apercevoir, en marquant le mouvement des jambes avec les bras, j’ai l’impression d’être un marshaller sur le tarmac d’un aéroport. Le nombre galvanise ; pour un peu, je serais entraîneuse d’aérobic.
Les gens me préviennent d’absences futures, s’excusent d’absences passées. Cette prévenance me surprend encore. Je remercie, sans avouer que j’avais ou j’aurai oublié.






