ABT : Sadler’s without sadness

[et un understatement pour le 4 (février), un !]

C’est pour l’American Ballet Theater que Palpatine et moi sommes retournés à Londres. Officiellement, du moins, c’est ce que nous nous sommes dit et le prétexte initial ne nous a finalement pas fait mentir sur notre but. Un peu comme le New York City Ballet, l’American Ballet Theater déborde d’énergie et leur danse beaucoup plus straightforward que ce dont nous avons l’habitude est une belle récréation. Les alignements ne sont peut-être pas parfaits (et encore, c’est plus une question d’espacement à l’intérieur de lignes bien tenues – de haut, impossible de tricher) mais l’expressivité n’est pas l’exclusivité d’un ou deux solistes, et ce malgré des chorégraphies qui exigent une rapidité et un ciselé incroyables. Pas de lyrisme mais de la vivacité, des muscles mais pas en force, du nerf sans crise ; c’est l’American way of dance.

Seven Sonatas avertissait d’emblée que cette façon de danser n’a rien de superficiel et que l’absence d’abandon lyrique n’empêche pas l’expression de l’intimité. Au contraire : lorsque rien ne dégouline à l’extérieur, il est plus aisé d’accéder à l’intériorité. Ne vous méprenez pas, cependant : la chorégraphie d’Alexei Ratmansky n’a rien d’introspectif et les trois couples qui évoluent sur la musique de Domenico Scarlatti (jouée au piano en arrière-scène, et non pas à moitié en coulisse côté jardin comme il en va d’habitude) sont aussi vifs voire espiègles que passionnés. Il est amusant de constater que ce pas de six est composé un peu comme un pas de deux : il s’ouvre et se ferme sur une scène de groupe, et fait se succéder les couples, ensembles puis par variations féminine et masculine, avant de nous proposer une variation sur ces variations, avec filles et garçons en groupes distincts, qui doivent finalement les réunir. Les robes blanches cherchent toujours à mieux épouser les corps, c’est extrêmement fluide, on aurait parfois presque l’impression de voir du patinage artistique, comme lorsque, en manège, les garçons retiennent les filles de tomber en écart et les font tournoyer ainsi, en les tenant sous les épaules. De quoi balayer toute réticence.

Et comme les robes ne font pas tout, il faut que je vous fasse comprendre tout le bien que je pense d’Herman Cornejo (surnommé « col Danton » par Palpatine qui, à Londres, mate presque plus les mecs que les nanas), petit chose aux cheveux bouclés très émoustillant (les cheveux bouclés sont un fantasme – à distinguer des moutons frisés que nous pouvons avoir à l’opéra), surtout quand il attaque l’espace avec une sensualité féroce. Puissant (j’ai soudain comme un doute : si j’aime tant cet adjectif, serait-ce à cause de son contraire ?). C’aurait été un argument pour me faire prendre espagnol en LV2. Et comme mes hormones ne sont pas mon unique critère d’appréciation, je me dois d’ajouter que David Hallberg, aux cheveux non seulement plat mais blonds, m’a presque fait frissonner juste en écartant l’espace comme des rideaux, en écartant les bras avec les paumes flex, avant de se replier par un imperceptible sautillement en sixième pliée et épaulée.

David Halleberg, ses cheveux, son coup de pied.

Et Yriko Kajiya qui de ses bras enserre son genou contre sa poitrine alors que son partenaire la tient, légèrement désaxée, à la taille… On pourrait en dire autant de Xiiomara Reyes et Julie Kent, d’où vous devez conclure que ces effluves de Dame aux camélias à l’américaine étaient une petite tuerie.

 

 

Twyla Tharp mériterait d’être Known by heart, comme le titre de son duet qui déménage. Gillian Murphy, une bombe rousse qui aurait pu danser avec the mask, et Blaine Hoven, pour le mouvement d’épaule duquel on pourrait se damner, offrent avec un peu d’humour et beaucoup d’énergie un duo explosif, avec dérapages contrôlés – sur pointes et sur un bon mètre, s’il vous plaît. Ce type de danse par rebond (un mouvement arrivé à sa fin en déclenche un autre qui semble le contrecarrer) -une sorte de Trisha Brown survoltée– a un effet délirant sur moi ; c’est toujours bon signe lorsque, ayant intériorisé et suivi le mouvement sans m’en rendre compte, je fais un geste involontaire sur mon siège, qui le prolonge et lui donne la réplique. Le surnommé « Junk » duet n’est pas de la junk food, l’affaire mérite que je creuse cette histoire de pyjamas rouge dont Palpatine ne s’est visiblement toujours pas remis.

Ce n’est pas la bonne danseuse, mais c’était pour vous donner une idée de jazzy.

Duo concertant aurait pu me faire manquer cette soirée si j’avais dû choisir entre les deux programmes. C’est je crois la chorégraphie de Balanchine qui m’avait le moins enthousiasmée lorsque le New York City était venu à Paris. Il faut dire que Stravinsky au piano et au violon ne met pas franchement à l’aise et comme Ronald Oakland, le violoniste, ne l’était pas non plus, il nous l’a massacré. Même avec mon oreille médiocre, les dissonances de la partition et le grincement qu’on pouvait supposer naturel à l’instrument, je n’ai pas pu ne pas entendre des couacs. Du côté des danseurs, en revanche, c’est virtuose, mais leur extrême technique tourne malgré eux dans le vide et mes considérations s’égarent sur les bonnets (pas de nuit, néanmoins). Les filles ont quelque chose que l’on ne voit jamais à l’opéra : de la poitrine. Je l’avais déjà remarqué avec Gillian Murphy qui devait faire un bon C (selon l’œil connaisseur de Palpatine, qui a davantage le compas dans l’oeil que pour les tailles – et quand je me suis rappelé que j’ai encore plus l’air d’une planche à pain sur scène, je n’ai pu que confirmer) et c’est devenu encore plus visible (D ?) chez Misty Copeland. Curieusement, c’est plus esthétique que chez la première – une question de doublure de tunique très certainement.

 

Alors qu’il danse, chorégraphie pour des films et fait un môme à l’actrice principale, Benjamin Millepied semblerait se moquer un tout petit peu de nous en annonçant que Everything doesn’t happen at once (heureusement, il est sauvé par la date de la création). Certes, une préparation de lino et un échauffement à rideau levé (qui me remettent dans l’ambiance de la répétition du Sacre) indiquent que le spectacle n’apparaît pas ex-nihilo à la seconde, mais par la suite, le chorégraphe prend un malin plaisir à tendre le regard du spectateur et retient à chaque fois in extremis l’éclatement : d’abord synchronisés et/ou exécutés par des danseurs peu nombreux sur le praticable blanc (les autres attendent autour) les enchaînements se dissolvent peu à peu en une simultanéité foisonnante et difficilement préhensible, bientôt rattrapée et ramenée à l’ordre par des lignes quasi militaires, martelées du bout des pointes.



On passe beaucoup son aspi-danseuse dans cette soirée.

Le temps d’échauffement a l’avantage de résoudre les petites fascinations personnelles indépendantes à la chorégraphie avant que celle-ci ne commence. Première remarque : quoique ce ne soit peut-être pas pour les mêmes raisons, Palpatine et moi aurions bien arraché leur robe aux filles (cette espèce de bretelle triangulaire qui fait un dos-nu asymétrique, c’est puissant). Ayant réussi à détacher Palpatine de Gemma Bond (je préfère ne pas imaginer ses fantasmes maintenant qu’il a ce nom) en lui montrant une (fort jolie) asiatique au téléphone (!), j’ai réussi à lui indiquer Daniil Simkin et à lui enjoindre de garder un œil sur ce jeunot pour le moment très nonchalant dans ses étirements (le dessus de la cuisse, quoi, faut réserver l’effet de surprise). Et cela ne loupe pas dans la suite lorsque le corps de ballet se divise : il y a les filles, les garçons – et Daniil Simkin, qui a plus de ballon qu’aucun autre danseur mais se jette dans leurs bras (se jette, je répète, le groupe d’homme l’arrête vraiment au vol, comme des groupies qui recevraient le corps de leur idole) avec moins d’hésitation que la danseuse la plus casse-cou.


Pigeon vole, Daniil Simkin vole !

Je savais déjà à quoi m’attendre ; Palpatine en a carrément oublié de regarder les filles (« mais il est aussi gringalet que moi »). Je me demande vraiment comment il va évoluer (Simkin, pas Palpatine- quoique), parce que, si l’on peut bien l’inclure au sein d’un groupe masculin (c’est déjà un progrès), on ne le remarque alors plus du tout (signe d’un équilibre qui reste à trouver entre des particularités à gommer et une personnalité à ne pas effacer), et lorsqu’il sort du groupe, c’est toujours sur le mode ironique du surdoué qui devient insolent d’aisance, comme à la fin lorsque sa ses pirouettes finales (elles se vendent en moyenne par lot de cinq) sont la force centrifuge qui fait éclater le groupe ramassé autour de lui.

 

Bref, une danse très incarnée, arousing (enthousiasm – what else ?), pour une soirée pleinement appréciée de notre place conquise par replacement en plein milieu du premier balcon. Y’a bon.

Une réflexion sur « ABT : Sadler’s without sadness »

  1. J’ai vu une fois Daniil Simkin, lors du gala des étoiles AU TCE il y a deux ans, et vraiment, je ne sais pas quoi en penser.

    C’est tout simplement un surdoué, il bondit comme personne, il tourne comme personne, il empoigne la scène et embarque le public. Whaou, quel charisme… Mais il ne sais danser que tout seul.

    A 17 ans, ça passe, mais il n’est plus si « jeune » que ça (bon, 22 ans quoi !). Et j’ai l’impression qu’il n’a pas vraiment évolué depuis ses débuts dans les concours internationaux.

    En tout cas, ça avait l’air d’être une très sympathique soirée !

Les commentaires sont fermés.