Le Grand Bain

L’introduction décalée-échevelée énonce l’impossibilité de faire rentrer un élément rond (la vie, les cycles, l’organique) dans un carré (les règles, l’organisation, le boulot-boîte) : aussitôt j’entends Arielle Domsbales tenter de méditer sur sa baignoire. Un cercle est un carré ; un carré est un cercle – iooooooonnnn. Peut-être ne m’étais-pas pas autant marrée devant une comédie française depuis Un Indien dans la ville, tiens.

Dans Le Grand Bain, Gilles Lellouche rassemble une Pléiade brochette de bons acteurs, qui jouent des laissés pour compte pas méchants mais… bien gentils, quoi. Le film débite à toute vitesse les aventures de ces gars particulièrement lents à la comprenette : la concaténation des rythmes entraîne, implacable, le rire. Je m’y laisse d’autant plus facilement aller que la bêtise est jouée, par des lettrés ; dans la vie, elle aurait plutôt tendance à me terrifier. Puis c’est bien fait, c’est humain : le rire qu’on établit d’abord comme un cordon sanitaire entre eux et nous devient peu à peu contagieux ; on commence par rire de pour finir par rire et sourire avec, pris de sympathie pour des personnages qu’on avait d’abord pris de haut. Merci les gars – et Virginie Effira, que j’adore à chaque dois davantage, ici impayable en entraîneuse de natation synchronisée qui lit du Rilke à son équipe de bras cassés pendant les entraînements.

Les Animaux fantastiques : les crimes de Grindelwald

Mes souvenirs du premier volet étaient confus, éclipsés par le niffleur et les pommettes d’Eddie Redmayne (probablement mon fantasme type numéro deux après Gaspard Ulliel). Dans ce deuxième opus, on fonce vers l’intrigue en survols piqués un brin épuisants. Les relations entre les personnages sont presque uniquement développées lors de pauses express entre deux rebondissements épiques – pause, avance rapide, on est en retard sur l’intrigue, il faut tout caser. Pour compenser, il y a du scoop : Dumbledore gay ! Dommage qu’il ait scellé un pacte de sang avec Johnny Depp, qui me court un peu sur le haricot (il fallait probablement une antithèse au combo Eddie Redmayne + Jude Law). Mais globalement, c’est l’éclate, surtout sur les sièges en cuir vibrant du cinéma hong-kongais que Palpatine tenait à juste titre à me faire tester : je m’attendais à un Futuroscope bis, mais les vibrations sont discrètes, assez fortes pour être ressenties sans distraire du film. Petit kiff à chaque attaque à la baguette (et le feu d’artifice <3) : j’ai, littéralement, vibré avec Eddie Redmayne.

Mit Palpatine

Épiphanies bonus :

  •  J’ai enfin trouvé à qui Katherine Waterstones me fait penser : même bouille joufflue-choupie-dépitée que Carey Mulligan !
  • Le méchant est toujours l’Autre, et l’Autre est étranger, au moins de consonance : après un Voldemort en français dans le texte, Grindelwald affiche un patronyme allemand qui permet de filer la métaphore du mage noir nazi.

Mortal Engines

On repère facilement ce qui fait un mauvais film, mais un film médiocre, à quoi ça tient ? Je me le suis demandé confusément pendant Mortal Engines, choisi un peu par défaut pour tester un cinéma vietnamien délirant où l’on est installé… sur un lit ! Le plaisir de se calfeutrer en public mais pas trop dans les coussins, abrité par une énorme tête de lit, et de siroter un thé posé sur une petite tablette à côté, l’a emporté sur le questionnement et s’est confondu avec le plaisir du film qui se gâche sans arrière-pensée, le frisson à pas cher et le spectateur content, pas exigeant.

C’est marrant, après tout, une ville sur un char d’assaut, qui essaye de phagocyter les cités étrangères, et l’héroïne poursuivie par la créature sans coeur mais-quand-même-avec-un-peu qui l’a élevée et veut à présent sa perte car elle s’est soustraite à sa promesse, de mourir pour ressusciter à son image, sans sentiments, sans tourments, sans le souvenir de son père tuant sa mère. C’est dingue tout de même, le nombre de films qui veulent nous persuader de la valeur des sentiments, de leur beauté censée racheter notre mortalité. On dirait qu’on en a sacrément besoin.

Avec tout ça, ce n’est qu’après la séance qu’une hypothèse de réponse a germée. Le film médiocre, c’est celui où, quand l’héroïne apparaît, tu te dis : voilà l’héroïne belle et rebelle ; quand le gentil boulet beau gosse arrive : voilà l’archétype du mec dont elle va tomber amoureuse. L’universalité devance la particularité censée la véhiculer.

Bohemian Rhapsody

Du bon son et du bon sentiment nuancé*. Même sans connaître le groupe (je connaissais en réalité pas mal de chansons sans nécessairement savoir qu’elles étaient de Queen), ça passe crème (selon l’expression palpatinienne consacrée – chez moi, ce sont des lettres à la poste). Puis Rami Malek est fascinant de présence avec ses faux yeux bleus et ses fausses dents de lapin. C’en est dérangeant : je ne sais pas si l’on remarquerait qu’il joue si bien s’il ne les avait pas (lorsque la beauté est canonique, on la remarque avant de remarquer le jeu, qu’elle tend à éclipser).

* Pas mal apprécié le traitement des origines, que Farrokh Bulsara renie pour s’inventer Freddie Mercurie, avant de renouer et boucler la boucle.

En roue libre

Le livre le plus drôle ne provoque que le sourire parce que le rire est une conduite collective. Dans une salle de cinéma où les spectateurs sont juxtaposés et étrangers les uns aux autres, les conditions du rire sont réalisées.

J’ai repensé à cet extrait récemment lu des mémoires de Simone de Beauvoir lors de la séance d’En liberté ! Un peu plus loin dans la rangée, une femme riait plus fort et surtout plus longtemps que tout le monde. Même s’il a suscité à son tour quelques rires d’amusement, son rire n’a pas eu un effet contagieux ; bien au contraire : il m’a sortie du film et m’a fait regretter de ne pas savourer la comédie comme cette femme la savourait manifestement – et comme la bande-annonce me le faisait anticiper, avec son rythme resserré.

En liberté ! est rythmé, mais le rire vient comme à contre-temps, sans avoir le temps de se propager : les personnages sont déjà passés à autre chose, l’intrigue continue, plus avant dans le délire. C’est ce qui rend le film à la fois frustrant et réussi : il n’est pas qu’une suite de gags. Le comique semble presque obtenu par inadvertance, résultante-résidu de personnages partis en roue libre. Adèle Haenel est parfaite en flic qui part en vrille après avoir découvert que son mari était un ripou, et Pio Marmaï en innocent qui a très envie de faire toutes les conneries pour lesquelles on l’a mis en taule (Rousseau qui vole des pommes en 2018 et combinaison latex). Damien Bonnard et Audrey Tautou viennent compléter ce duo de choc, cette dernière faisant ressurgir le fantôme d’Amélie Poulain avec vingt ans de plus lorsqu’elle demande à son mari libéré plus tôt que prévu de recommencer encore et encore la scène de son arrivée. Ce petit bijou de fantaisie poétique côtoie sans problème le braquage d’une bijouterie en costume SM, avec une otage qui s’exclame « Ah non, c’est pas Daesh » en voyant le braqueur fracasser la vitrine à coup de gode géant. La petite phrase s’est rejouée dans ma tête avec la même régularité que l’anaphore en putain d’Adèle Haenel lorsque son personnage prend conscience que tout ce qu’elle possède provient de coups montés. Mention spéciale aussi pour les CRS qui sortent au pas de course en zigzagant entre les barrière de pseudo-sécurité devant le commissariat, et pour les vigiles qui assistent incrédules à la scène en mangeant des crackers comme des pop-corns. Plus c’est barré, mieux ça passe.