Concours du corps de ballet de l’Opéra, rideau

Concours et bonne marche de la maison

Chance pour les jeunes, risque d’injustice pour les plus expérimentés, le concours est une institution contestable, à l’image de cette note sur 10, « donnée par la Régie de la Danse et basée sur l’assiduité et la conscience professionnelle au cours de l’année écoulée », qui accompagne celle sur 20 du concours proprement dit et peut autant être un moyen de rattraper un danseur qui s’est manqué ce jour-là que de discriminer à la (trop grande) gueule du client.

Cependant, on oublie souvent, en critiquant cette formule, qu’une nomination discrétionnaire, comme c’est le cas pour les étoiles, n’est pas plus garante de justice et de légitimité. À ce niveau, le concours a au moins le mérite d’une relative exposition – sinon au public, du moins à la presse. Quelle autre solution pourrait-on imaginer ? Un vote du public, qui ne tiendrait pas compte de ce que l’on a besoin d’un premier danseur qui soit assez grand pour être le partenaire de telle étoile, que cette danseuse-ci se blesse régulièrement et n’est pas le choix le plus solide pour occuper une place centrale dans le corps de ballet, etc., etc. ? Tout choix est nécessairement excluant et parfois, lorsqu’on est face à un groupe d’artistes tous plus talentueux les uns que les autres, la seule bonne décision possible est d’en prendre une (c’est pour ça qu’une seule coryphée a été nommée *cough, cough*). Les injustices qui ont (eu) pour nom Emmanuel Thibault, Mathilde Froustey ou Sarah Kora Dayanova sont mises en avant par le concours mais prennent probablement leur origine ailleurs, dans leurs relations avec la direction et la perception qu’en ont leur hiérarchie. Attendons de voir ce que donnera le changement de règne côté management et ressources humaines.

(Remuant tout ça, je me prends à rêver d’une journée de gala ouverte au public, où chaque danseur, quel que soit son grade, pourrait présenter la variation de son choix, sans être sanctionné par la décision d’un jury.)

 

Le who’s who des balletomanes anonymes


  Impressions danse

  

  

  Danses avec la plume

  

  

  Le Petit Rat

  

  

  À petits pas

  

  

  Danse-Opéra

  

  

  Une saison à l’Opéra

  

  

  Palpatine

 

  

Lire aussi le déroulé d’un concours type, minute par minute, comme si vous y étiez d’Amélie, ainsi que son palmarès personnel.

In darkness, silence and frustrated elation

Darkness is hiding black horses, Saburo Teshigawara

On m’avait annoncé l’ennui. Je ne sais pas si c’est l’entreprise palpatinienne d’initiation à la culture nippone qui commence à faire effet ou le résultat de mon esprit de contradiction, mais le fait est : je ne me suis pas barbée. C’est pour moi une petite victoire personnelle que de ne plus associe la lenteur à l’ennui. Certes, le style du chorégraphe n’est pas très expansif et les costumes ressemblent à du Comme des garçons tailladé au canif (ou à des lambeaux de costumes d’Halloween, dans une vision plus anglo-saxonne). Il n’empêche, la scénographie cultive le mystère avec ses mini-geysers de fumée et le mouvement fascine par son déploiement continu : on suit du regard Aurélie Dupont qui lève la paume de la main comme si elle venait de la découvrir, Nicolas Leriche qui part en vrille au petit trot, et l’on s’en laisse distraire furtivement par Jérémie Bélingard qui passe plié en deux, en coup de vent, avant que le couple ne surgisse au sein du duo. Les trajectoires restent distinctes dans le trio : un passage quasi-robotique fait garder à chacun ses distances et, lorsque les danseurs sont ensuite aspirés par une même spirale, leurs gestes s’esquivent plus qu’ils ne s’embrassent.

 

Glacial Decoy, Trisha Brown

Toi qui connais Trisha Brown, tu as aimé celui-ci ? me demande-t-on à l’entracte. Toi qui connais : je connais si bien Trisha Brown que j’ai confondu Glacial Decoy avec Opal Loop/Cloud Installation #72503, également sans musique – je n’avais donc jamais vu cette pièce (et ne l’ai pas vue entièrement, grâce à l’architecture de Garnier). Tu as aimé ? Oui, les va-et-vient des coulisses à la scène me bercent. Au duo central de Sévérine Westermann et Caroline Bance (que j’aime décidément beaucoup) s’agrègent de temps à autres Christelle Granier, Claire Gandolfi et Gwenaëlle Vauthier. Leurs apparitions et disparitions rythment la pièce, qui ne le serait autrement que par le ronronnement du vidéoprojecteur et le bruit caractéristique du changement des diapositives. La respiration des danseuses et le souffle qui fait gonfler leurs robes transparentes et plissées font surgir de ce ressac régulier un mouvement curieusement libre et spontané, comme désintéressé. On peut selon son inclination dormir ou rêver, bercé, apaisé (ennuyé ?).

 

Doux mensonges, Jiří Kylián

Alors que les vidéos de ses chorégraphies me font rêver, j’ai peu vu de Kylián. Donner Doux mensonges à Garnier n’a pas franchement amélioré cet état de fait. Tout repose sur un jeu de trappes, qui tantôt propulsent sur scène tantôt avalent en sous-sol danseurs et chanteurs, une caméra étant censée suivre et retransmettre leurs évolutions sous la scène (voilà le dispositif narratif d’où le mensonge peut naître). Répartition des trappes oblige, les chanteurs se trouvent utiliser celle qui se trouve côté jardin, tandis que les danseurs empruntent celle qui se trouve côté cour – de notre côté, à Palpatine et moi, qui devons donc nous contenter d’apprécier à l’écran la beauté d’Ève Grinsztajn et le T-shirt noir délicieusement transparent d’Alessio Carbone. Ironie que de ne jamais mieux voir un danseur que lorsqu’il ne se trouve pas sur scène.

On rit carrément jaune lorsqu’on a un billet à 47 euros, certes payé moitié moins grâce à l’abonnement jeune Arop mais qui n’offre même pas un spectacle à la hauteur de cette moitié. Soyons cohérent : soit on programme des pièces qui n’utilisent le fond et les bords de la scène que de manière marginale de manière à offrir à la majorité de la salle un spectacle complet, soit on adapte la grille tarifaire ! Sur les trois pièces de la soirée, deux sont respectivement au tiers et à moitié visible par la moitié de la salle (un tiers de Glacial Decoy, que l’on reconstitue par défaut par symétrie asynchrone ; la moitié de Doux mensonge et en l’occurrence, pour le côté cour, la quasi-totalité de la danse). Dans ces conditions, ma place ne vaut guère plus de 10 euros. Heureusement que le choeur des Arts florissants était là pour apaiser les âmes : chants grégoriens et madrigaux a capella m’ont empêchée de savoir si les larmes naissantes étaient de frustration ou de joie.

Mit Palpatine.

Wang et Ramirez : Borderline

Il ne faut pas nous faire peur comme ça, cher théâtre de la Ville. En lisant le programme avant la représentation, Palpatine et moi nous demandons si nous avons bien fait de faire le déplacement jusqu’aux Abbesses. Il y est question de pièce politique, qui questionne la ligne de partage entre inclusion et exclusion, en mêlant à la danse les témoignages de personnes en marge de la société. Typiquement le genre de sombres et bons sentiments qui me fait fuir. À le voir comme un simple rappel de la distribution, on finit par oublier pourquoi le bout de papier qui présente le spectacle s’appelle un programme. Heureusement, la danse est souvent à la fois en deçà et au-delà du programme affiché, censé donner une grille de lecture à ceux qui ne sauraient pas comment l’aborder autrement : le mouvement réintroduit la polysémie et offre au spectateur la possibilité d’interpréter ce qu’il voit comme il l’entend. Le premier tableau me rassure : j’ai eu raison de faire confiance à YouTube.

Attachées à un filin, deux filles se livrent bataille pour atteindre une structure métallique en avant-scène mais les efforts de l’une entravent toujours celle de l’autre, qui se trouve alors éjectée en arrière de manière assez spectaculaire, un peu comme dans un film de kung-fu (ou alors c’est le chignon dressé sur la tête de la danseuse coréenne qui m’y fait penser). La compétition est violente, quasi animale par moments, mais laisse aussi deviner l’humour qui traversera de part en part le spectacle, notamment grâce à des positions improbables qui défient les lois de la gravité. Bien que Borderline soit constitué d’une suite de tableaux aux tons assez variés, le premier introduit un certain nombre d’éléments récurrents qui donnent au spectacle sa cohérence.

 

Poids et contrepoids

L’avancée des deux danseuses sur le mode des vases communiquant introduit l’usage brillant qui est fait des poids et contrepoids. Le plus frappant est la diagonale traversée par deux danseurs épaule contre épaule ; leur corps est aussi incliné que celui des filles mais ils ne ne sont retenus par aucun baudrier. Leur seul appui est leur partenaire, ce qui donne à cette traversée une allure lunaire, les corps comme en apesanteur. Par la suite, poids et contrepoids sont utilisés de manière beaucoup plus dynamique, plus athlétique. Le poids des corps se décale, offrant une liberté de mouvement aussi brève qu’extraordinaire : pour se compenser, les déséquilibres doivent être rattrapés très rapidement, à la volée ; les muscles se contractent pour rapprocher de soi le poids de l’autre et se relâchent avec une grande vivacité pour changer d’appui. Dans ces conditions, exit le pas de deux mixte : le duo de base est unisexe, pour un poids, une taille et une musculature équivalent. Pour le plus grand plaisir de la balletomane : par la tension qu’ils mettent en jeu, ces duos d’homme sont proprement électrisants – sans même parler des abdominaux en béton indispensables pour sans cesse rétablir son équilibre, dont on a la délicieuse confirmation visuelle à la fin.

 

Home sweet cage

Deux structures métalliques cubiques, dont une face comporte des barreaux : simple mais efficace. La case dans laquelle les deux filles essayaient de rentrer sert tour à tour d’abri, de cage, de prison et de chez soi. Lorsque la danseuse coréenne parvient à s’y introduire, elle y trouve de quoi se confectionner une tenue moins occidentale et sa danse, mi-break mi-contemporaine, se métisse de gestes traditionnels.

Lorsque l’autre danseuse s’y heurte, en revanche, alors que les quatre autres danseurs la traversent sans problème, loin d’y trouver sa place, elle s’y retrouve enfermée. Le solo qui s’ensuit est assez ahurissant – et un peu dérangeant, il faut bien le dire : dans le silence, où l’on n’entend que son souffle apeuré, agitée de spasmes, la danseuse semble se battre contre elle-même. Son bras ou ses jambes, jamais loin de déclarer leur autonomie, l’ébranlent sans cesse dans de nouvelles secousses et la lutte l’entraîne à la limite de la folie – apaisée seulement par le bercement de l’autre danseuse.

Plus tard, dans une synthèse qui dépasse la dichotomie intérieur/extérieur (déclinée sur le thème inclus/exclu avec la première danseuse, enfermé/libre avec la seconde), un danseur-funambule marche au-dessus de la structure, affranchi de cette roue cubique de souris, et la fait bouger de l’intérieur comme un partenaire de pas de deux, sur lequel il prend appui pour mieux le repousser.

On voit aisément à partir de là comment se construit l’interprétation sociétale qui m’avait un peu effrayée dans le programme, parce qu’on n’y devinait pas la relation concrète à autrui, qui fait de l’individu autre chose qu’un simple représentant de la société.

 

Plaisanterie à la marge

Ce que le programme ne laissait pas non plus deviner, c’est que l’humour viendrait faire contrepoids à une thématique engagée, de ce fait jamais moralisante. Présent par touches discrètes tout du long, il ouvre une parenthèse comique au milieu de la pièce : ce sont d’abord les deux filles qui débarquent en talons aiguilles et plateformes, hanches hyper en avant, bras très en arrière, dans une attitude qui tient à la fois du mannequin et du sumo, pour un duel endiablé. Deux filles qui font du breakdance en talons, je suis sûre que sur YouTube, ça ferait des millions de vues ! commente un des mecs, perché sur le bord de la structure comme un glandeur sur un banc, avant de se mettre à raconter une histoire à base de bol de riz qui se conserve plus ou moins longtemps selon que tu lui as déclaré ton amour ou ton indifférence. L’indifférence tue ! finit-il par hurler, alors que son pote enchaîne négligemment des figures à couper le souffle, pour passer le temps. Okay.

 

La sylphide en breakdance

Câbles et baudriers permettent plus que jamais de flirter avec l’interdit de voler. Peut-être est-ce là l’impression que La Sylphide avait fait sur les spectateurs de l’époque. Seulement, débarrassés de la maladresse des danseuses, crispées de se faire trimballer, immobiles, à une dizaine de mètres du sol dans une chorégraphie qui nie l’artifice pourtant visible, les danseurs harnachés de baudrier usent de toute la technique au sol du breakdance pour rebondir et repartir de plus belle. Pas plus que la poussée au sol, le manipulateur des cordes (gréeur dans le programme, assureur en escalade) n’est caché ; il passe de temps à autre sur scène pour détacher un danseur. Dans le dernier tableau, il est y carrément installé, grimpant sur les structures métalliques lorsque la longueur de la corde l’exige.

Le programme parle de manipulation, passant de la marionnette aux dieux grecs. Il y a quelque chose de cet ordre-là dans l’interaction des danseurs, notamment dans un combat deux contre un, lequel se fait rou(l)er de coups à distance (on pense toujours aux pas de deux amoureux mais il y aurait une anthologie des duels à faire dans la danse classique et moins classique, pour rendre compte pleinement du rapport à l’autre et à son corps). Le reste du temps, je préfère y penser comme maniement plutôt que comme manipulation : c’est la main de la danseuse sur l’épaule de l’autre, pour faire plier son anxiété ; c’est la main du danseur qui parcourt ses corps pour réveiller et ordonner ses muscles un par un ; c’est la main du gréeur, ganté comme s’il manigançait quelque chose, main de maître qui œuvre à la beauté du dernier pas de deux, dans lequel l’homme à terre et la femme dans les airs composent avec les aléas de la lévitation bien plus qu’ils ne les subissent. Wang devient une sylphide de chair et de sang, qui se retient au torse qu’elle enlace, s’en éloigne et s’y rattrape dans un mouvement de balancier propre au désir. On croirait voir incarnées les boules de feu du spectacle de marionnettes chinoises !

 

Saluts sous forme de mini-battle. Surprise et plaisir : c’est bon de se rappeler pourquoi on va voir des spectacles de danse ! Le meilleur de la saison pour le moment…

Mum au théâtre de la Ville

Le tout-Twitter ayant boudé ma place pour le premier programme de Trisha Brown, c’est Mum qui l’a récupérée. Le théâtre de la Ville, c’est un peu comme Leader Price : on y trouve le meilleur comme le pire. Je pensais sincèrement qu’on serait plus au niveau de la tarte aux poires que des saucisses en plastique mais Mum a eu le droit à the théâtre de la Ville full experience1. En lisant les réactions à chaud depuis Édimbourg, j’ai crains un instant de me faire déshériter mais c’était sans compter sur le second degré maternel, qui m’a bien fait rire à mon retour. Vous n’étiez malheureusement pas dans mon salon lorsque j’ai eu le droit à une démonstration des ellipses à petite foulée en marche arrière et de l’expression un brin constipée du mec qui fait tellement bien le piquet qu’il pourrait devenir garde de la reine d’Angleterre sans entraînement supplémentaire, aussi ai-je demandé à la principale intéressée (Mum, pas la reine d’Angleterre) de nous en faire un petit compte-rendu…

 

Théâtre de la Ville… Trisha Brown… Je ne connaissais ni l’un ni l’autre, alors pourquoi pas !!

Le théâtre est somme toute moche, style théâtre de banlieue, très peuple et au fur et à mesure qu’il se remplit très branchouille intello. Mais – et ça c’est chouette –, confortable : pour une fois, j’ étais bien assise, la clim ne pas amenée à maudire la terre entière et la sono ne m’a pas détruit les oreilles que j’ai très fragiles (quoique ce qu’elle diffusait aurait pu mais on y reviendra !!).

Le rideau s’est levé sur la première séquence. Deux danseurs faisaient le planton de dos à droite de la scène. Ils sont restés comme cela tout le temps : ils devaient s’emmerder grave !! Une jeune femme un peu ronde s’est mise à courir à reculons en formant des ellipses parfaites avec par moments quelques petits pas accélérés… J’ai essayé de trouver un lien avec la musique (n’y avait-il pas par moments des bruits de train à vapeur ? Peut-être mimait-elle une envie de s’évader, freinée par je ne sais quelle angoisse ?). Enfin, quand je parle de musique c’était plutôt une espèce de bouillie mélangeant mélodies et bruits divers. Très joli.

J’ai donc cessé d’essayer de comprendre quoi que ce soit et ai regardé les corps que j’avais devant moi ou plutôt leurs académiques décolorés aux endroits où l’on transpire naturellement : le long de la colonne vertébrale, sous les seins, sous les bras… Bref, je me suis dit qu’au moins ils auraient pu investir dans des académiques décents d’autant que la couleur carotte-potiron trop cuite n’était pas spécialement seyante.

Quand la deuxième séquence a commencé, j’ai freiné derechef un fou rire, enviant presque les quelques personnes qui étaient parties à la fin de la première séquence après des applaudissements très mous. Une femme d’un certain âge, pour ne pas dire d’un âge certain, quoique très bien faite, se tenait seule au milieu de la scène, une caméra en guise de sac à dos, caméra qui diffusait le film de la même femme faisant à peu près les mêmes gestes. Je dis à peu près car il était de toute façon impossible de suivre correctement puisque la gente dame sautillait et se tortillait puis se retournait aveuglant sur le passage du faisceau les spectateurs qui avaient le malheur d’être dans son rayon (dont moi)…

Heureusement que j’ai entendu une ouvreuse dire que cela durait 6 minutes avant un entracte de 15 minutes sinon je crois que j’aurais abdiqué.

La dernière séquence m’a réconcilié avec la danse contemporaine, les académiques qui moulent l’intimité des danseurs et Trisha Brown : des enchaînements magnifiques, acrobatiques, un emmêlement des corps harmonieux et étonnant !! Seul bémol (c’est le cas de le dire) : pas de musique, juste une espèce de sirène qui se déclenchait par intermittence et qui faisait fortement apprécier le silence qui suivait même si avec ça, je me disais que les danseurs devaient passer leur temps à compter !! Enfin, dernière petite bizarrerie : faisait partie du ballet (où deux jeunes femmes magnifiques dépassaient d’une tête tous les danseurs) un danseur un peu décharné mais avec des grosses cuisses et un fessier trop musclé, un peu raide même si techniquement il n’y avait rien à dire, bref un type que j’aurais plus vu dans une brasserie avec un grand tablier que sur une scène… Au moins, pensais-je, chacun peut avoir sa chance avec Trisha !!

 

1Expression piquée sans vergogne à Andréa, qui m’a beaucoup fait rire avec son tweet : « Ca sent l’herbe dans le RER. C’est un peu the banlieue full experience. »

Trisha Brown and grey

Foray Forêt

Après quelques minutes de silence, une fanfare se met à jouer dans le lointain – ce qui, au théâtre, signifie en coulisses. Là dessus, à côté, les danseurs enroulent et déroulent ce mouvement propre à Trisha Brown, sans toutefois la qualité de rebond qui donne leur caractère jubilatoire aux pièces récentes que j’ai pu voir. Peut-être à cause de la musique, reléguée au rang de souvenir, ou des rayons lumineux figés en toile de fond dans un coucher de soleil indéfini, affadi par le temps, il y a cette fois-ci quelque chose de plus distant, ni triste ni contemplatif. Les tenues dorées des danseurs, qui me font penser à des pharaons de casino, achèvent de me donner l’impression d’une douce ironie que je ne saisis pas bien.

 

If you couldn’t see me

Une danseuse seule, de dos, enrobée de couleurs chaudes comme filmée par une caméra thermique. Battements attitude et ronds de jambe, elle multiplie les esquives pour ne jamais tourner son visage vers nous. Le public se retrouve dans la position du danseur qui observe le solo en répétition depuis le fond du studio – sans miroir pour rétablir le lien, as if I couldn’t see you. Et pourtant, je la vois, je la sens présente et elle doit probablement tous nous sentir derrière elle, regards tendus vers son visage qui se dérobe tant et si bien que c’est l’arrière de son corps tout entier qui finit par devenir son visage – un visage étrange et poétique. Juste avant que la lumière ne s’éteigne, je pense soudain que ce n’est pas forcément la danseuse qui parle dans le titre, If you couldn’t see me, mais peut-être le spectateur-Eurydice qui suit l’artiste-Orphée, qui ne peut tourner la tête sans mettre fin à la danse. Eurydice part en fumée, le public en applaudissements.

 

Astral Convertible

John Cage, des tours métalliques avec quelques projecteurs éparpillées sur scène, des académiques gris : sur le papier, cela ressemble à s’y méprendre à une pièce de Cunningham. Et de fait, hormis quelques portés dynamiques sur la fin, Astral Convertible est beaucoup plus structuré par les poses/pauses que par le flux du mouvement. À cause du titre, j’imagine les danseurs au sol comme des convertibles que l’on peine à déplier – même en restant en mode canapé, je commence à somnoler les yeux grands ouverts. Une lettre à poster, oubliée sur le meuble de l’entrée, me ramène dans le vif du sujet. Mais après tout, il est question de meubles dans le programme, dont le déplacement aurait structuré la chorégraphie. Je reste un peu dubitative, comme ce qui est de la capacité des petits projecteurs à faire office de ciel étoilé. La tête dans les nuages plus que dans les étoiles, j’en conclus que la maturité a du bon. Les années 2000 sont une meilleure cuvée.