Dimanche matin (de la semaine dernière), la moyenne d’âge a chuté de 50 ans à Pleyel. Pour un peu, je me serais sentie vieille au milieu des gamins, venus pour le ciné- quand leurs parents venaient pour le -concert. Symptôme sans appel lorsque je découvre des dessins animés qui ne figurent pas dans MON Fantasia : « C’était mieux avant », quand la texture des peaux de cétacés n’étaient pas repoussante de réalisme numérique et que les baleines ne volaient pas dans les airs. Des baleines dans les airs… on aura tout vu – sauf les hippopotames en tutu et les flamands roses au yoyo, qui manquaient cruellement à l’appel. Heureusement, Dukas se décarcasse et l’apprenti sorcier a fait tourbillonner tous ses balais-bassons. Rhapsody in Blue fait également partie des meilleurs moments : son swing new-yorkais et sa narration polyphonique très structurée changent des évocations animistes de la nature, où tout est libre jeu de formes et de rythmes. L’abstraction ne doit pas être facile à appréhender par les gamins (les questions qu’on entend de-ci de-là me rappellent que je n’ai à peu près jamais regardé la cassette d’un bout à l’autre d’un coup) ; elle correspond davantage à la rêverie esthétique d’un adulte. Les images prennent le relai de ces métaphores que j’aime provoquer lorsque j’assiste à un concert. Plus besoin de les filer, elles défilent devant mes yeux. L’imagination est au repos, il n’y a plus qu’à se laisser emporter par l’onde dans les miroitements lunaires de Debussy (impressionniste, donc), par les roulé-boulés de Donald et Bacchus (je me souvenais des centaures – ce sont eux, je crois, qui ont donné envie à ma cousine de faire de la flûte traversière) ou par les grands cheveux de demoiselle nature qui manque de se faire réduire en cendres par l’oiseau de feu volcanique. D’une manière générale, les forces du mal, auxquelles est associée une certaine puissance tellurique, sont plus inspirantes. Les grands élans de l’orchestre donnent lieu, à l’écran, à de formidables jaillissements : c’est de là que je tiens mon image d’arbre qui pousse à n’en plus finir et je suis persuadée que les nuées de chauve-souris qu’éructe la musique de Beethoven sont à l’origine du projecteur de Batman. Une fois rattrapé le petit décalage entre l’orchestre et la projection, cela fait vraiment de l’effet. Mais le plus fantasiaque reste, avec l’Apprenti sorcier, Casse-Noisette : la danse des champignons est – découverte – un régal de pizzicato. Vraiment, rien de tel que le muet pour donner envie de fredonner.
Catégorie : Musique
Alto ou tard
Cette grande fête de dix minutes, un carnaval ? Pourquoi pas. Je n’aurais pas apporté de masque mais j’ai volontiers participé à la sauterie de Dvořák en sautillant d’une fesse à l’autre.
Pendant que l’alto de Tabea Zimmermann tziganise avec Bartók (à moins que ce ne soit un effet de la robe, qui semblait être de la récup’ de carrés Hermés plissés contrefaits), j’observe Christoph Eschenbach diriger. Le Voldemort de l’orchestre se livre à un magnifique duel : à chaque instant sur le point d’être gagné et débordé par la musique (la lumière rouge avance, touche presque sa baguette), il en reprend toujours le contrôle et la redirige (la lumière verte regagne du terrain).
Palpatine me prévient à l’entracte : Brahms, c’est de la meringue. Je m’attends à des arabesques d’apparence crémeuse dans tous les sens mais non : les notes s’évaporent avant même qu’on les ai goûtées. Ce sont les altos, eux-mêmes souvent oubliés entre les violons et les violoncelles, qui ont les plus beaux passages, de très beaux mouvements de l’âme, dont on se dit qu’ils seraient vraiment mis en valeur repris ailleurs, par quelqu’un d’autre, qui les organiserait différemment (oh wait, un compositeur). En l’état, Brahms a tout de la chantilly Dalloyau : une préparation qui rend délicieusement légères les pâtisseries qui l’incorporent mais relativement insipide en tant que telle. Je me fie donc aux gourmets mélomanes et à leur art de déguster, selon lequel, pour goûter Brahms, il faut somnoler.
L’art de la cavalcade
La veille du concert Chostakovitch du Mariinsky, Palpatine regardait à la télé un film où un Écossais menait le soulèvement de ses compatriotes face aux Anglais ; il fallait absolument que j’attende la scène de la bataille avant d’aller me coucher, sous prétexte que le héros s’y montre un stratège de génie. La manœuvre militaire ne m’a pas franchement ébahie mais il faut croire que j’étais bien dans l’ambiance car, le lendemain et le jour suivant, je n’ai entendu que cavalcades grandioses et chevauchées sarcastiques.
La Symphonie n° 12 rallie les cavaliers des quatre coins du monde (bon, d’accord, pas du monde, de l’Eurasie), depuis le montagnard qui abandonne son cheptel pour traverser les plaines jusqu’au gardien de phare qui accoure métaphoriquement sur ses white horses – toute affaire cessante, comme au signal d’une inaudible corne de brume. Les silhouettes des uns s’effacent et se superposent aux paysages des autres dans une grande chevauchée polyphonique.
Dans la Symphonie n° 8, ce ne sont plus des hommes qui cavalent mais des courants d’air ascendants qui s’infiltrent sous les toits, tournent autour des poutres, parcourent les charpentes, s’insinuent dans les moulins, les granges, peut-être même les maisons, plus ou moins vides, où il y a plus ou moins à épier. J’ai aussi l’image fugace d’un tourbillon de mouches mais je ne suis plus certaine qu’elle ait été convoquée par cette symphonie-là.
Dans la Symphonie n° 11, les cavaliers sont des guerriers – des hordes de guerriers, en bataillons trop bien ordonnés, qui défilent à perte de vue : ma caméra imaginaire est sans cesse obligée de revenir en arrière pour appréhender l’immensité des troupes et de la plaine qu’elles recouvrent, survolant comme un bombardier les rangées toujours nouvelles de cette interminable armée.
Et puis un intrus, le Concerto pour violon et orchestre n° 1, où ne cavalcade que l’archer de Vadim Repin. C’est virtuose mais un peu trop aigu pour mes oreilles après une journée de bourdonnement d’ordinateurs. (Je crois que je ne suis pas une inconditionnelle du violon.)
Rappel du premier épisode.
Concert immobilier
Situé à proximité des commerces dans un quartier très vivant, grand studio meublé avec coin bar à la parisienne, rangements surprenants et cage à ours dans l’entrée, chauffage collectif, boisson courante. Contactez Monsieur Haydn en frappant à sa fenêtre d’un coup de sarbacane à cotillon.
Réf. : Symphonie « parisienne » n° 82, « L’Ours »
Dans un immeuble de charme, trois pièces spacieux avec parquet et cheminées loué vide, grandes fenêtres avec balustrades ouvragées donnant sur cour, portes ouvertes sur la vie tragique des anciens locataires, pièces en enfilade propice aux douces œillades, couloir pour se retourner sur son passé et l’amour perdu, lit double à couette bleue défait d’un côté seulement, peintures blanches récentes, eau fuyante, chauffage solitaire au gaz mais possibilité de remettre les cheminées en activité pour se réchauffer le cœur et de transformer une pièce en chambre d’enfants qui feront craquer le parquet, sur lequel vous aurez tant de fois glissé en silence. Sérieuses garanties chorégraphiques exigées. À prendre rapidement (propriétaire à la main sûre et délicate mais tenant à peine sur ses jambes). Contactez l’agence Amadeus par lettre recommandée calligraphiée.
Réf. : Concerto pour piano n° 23
Dans un immeuble moderne avec gardien, beau duplex clair et calme au sixième et septième étages, tout confort (isolation du vent, insonorisation filtrante laissant entrer le bruit des oiseaux…) pour une habitation écologique permettant de vivre au rythme des saisons, grande baie vitrée avec vue imprenable sur la nature environnante. Contactez Sibelius pour une visite après le premier orage du mois.
Réf. : Symphonies n° 6 et 7
Visites collectives assurées par Paavo Järvi. Ne faites pas comme moi, un peu distraite par ces histoires d’appartements à louer, préparez votre dossier pour faire d’une pierre deux coups et fêter la pendaison de crémaillère en même temps que le quatre-vingt-dixième anniversaire de Menahem Pressler.
Avec Palpatine dans le rôle du co-locataire régulier
Clavecin
J’avais déjà entendu du clavecin en CD et vu l’instrument exposé à la Cité de la musique, mais je n’en avais jamais entendu en concert – du moins pas seul, en récital. C’est désormais chose faite grâce au concert de Céline Frisch proposé par le théâtre de la Ville. Et chose à refaire car, si Ligeti au programme excitait Palpatine et ma curiosité, les pièces de William Byrd, qui constituaient l’essentiel du récital, m’ont également beaucoup plues. Un morceau entamé et c’est le robinet de notes qui est ouvert, nous éclaboussant de ses sonorités métalliques comme crépite le feu. Il ne manque d’ailleurs plus que ça : un feu de cheminée. La douche de lumière qui entoure la claveciniste est bien trop statique ; on s’attendrait à ce qu’elle vacille et grimpe, pleine de vie, jusqu’au double clavier. Je ne sais si c’est le motif de la veste de Céline Frisch ou le pull et la cordelette des lunettes de l’accordeur, mais j’ai l’impression d’écouter un lointain parent jouer dans une maison de campagne, un tapis moelleux sous les pieds. Point de torpeur cependant : à ces images se mêlent celles, anachroniques d’au moins deux siècles, des danses de Pride and Prejudice. De part et d’autre de cette Angleterre fantasmée surgissent les curieuses explorations de Ligeti : Continuum donne une idée de ce qu’aurait donné Einstein on the Beach au clavecin, qui à ce moment-là se rapproche étonnamment de l’orgue et du téléphone (imaginer ici une machine rétro-furturiste avec un clavier de synthétiseur et plein de LED rouges qui clignotent à qui mieux mieux) ; Passacaglia ungherese invente le clavecin mécanique, qu’on imagine jouer avec des cartes perforées ; quant à Hungarian rock, cet oxymore folklo, on le verrait bien dans la bande originale d’un Tim Burton avec des squelettes dansant le quadrille, accompagnés par un orchestre à l’harmonica et au banjo – parce que, s’il y a bien un truc étrange avec le clavecin, c’est que sa sonorité ressemble bien moins au piano qu’à n’importe quel instrument à corde. Pour le coup, l’anglais est moins fourbe : le clavecin est bien une harpsichord.