Je vois, je vois… un geek sous l’élégant, des identités avec lesquelles jongler

 

À Camden Market, ex-repère de punks devenu le refuge de toutes les bizarreries vestimentaires, j’ai vu Palpatine, celui-là même qui la veille essayait un haut-de-forme, à présent coiffé d’une casquette gavroche, portant un manteau bien coupé et un sac Dunhill à la main (avec un vrai sac Dunhill à l’intérieur, et j’ai dû le lui rappeler lorsqu’il se désolait que le sac en papier cartonné se soit abimé), je l’ai vu s’écarter du main stream de la foule, se diriger et entrer dans une boutique de jonglerie où le vendeur avait des écarteurs aux oreilles et un sweat avec une énorme poche kangourou pour loger plein de balles de toutes les couleurs. Mais celle qu’il avait en tête, c’était une boule transparente de madame Irma qui aurait rétréci au lavage de cerveau pour qu’on puisse jongler avec. Enfin jongler… la manipuler, plutôt. Entre les doigts agiles du vendeur, sa transparence la fait sembler en lévitation. Lorsque j’essaye, c’est tout de suite moins glorieux ; je suis surprise par le poids et vérifie un certain nombre de fois que la boule n’a rien de la fragilité de sa cousine de voyance. Palpatine hésite, on traîne un certain temps, je poursuis mon initiation avec une balle bleue plus légère qui ne risque pas de me briser les phalanges quand je tente de la faire sauter du bout des doigts sur le plat de la (même) main. Et puis une fois qu’on s’est bien amusé, qu’on a appris we’de better practice on a bed pour ne pas rayer la boule, qu’il ne faut pas la laisser traîner parce que l’effet loupe (« lens », je fais répéter au vendeur, je croyais que c’était réservé aux lentilles de contact) pourrait faire prendre feu, que j’ai failli tuer quelques clients de mes essais aventureux, que la chance du débutant refluait, et que je pensais qu’il était temps de libérer le vendeur pour d’autres clients, portés sur les massues, Palpatine qui semblait pourtant s’être résigné à l’indécision et observait mes essais une autre boule immobilisée entre ses mains timides, regrettant déjà un peu d’être raisonnable, a décrété qu’il la prenait. J’étais surprise et contente comme une gamine devant un adulte qui décide pour une fois de ne pas être sage. Je suis maintenant curieuse de voir quand il s’entraînera au maniement de la chose (et donc si il y touchera).

Ça me bouffe.

 

La Pâtisserie Valérie, en français dans le panneau, est une Pomme de pain anglaise. En plus cupcake. En plus crémeux. Pour tout dire, les gâteaux ont même l’air franchement dégueux dans la vitrine. Surtout quand on revient de chez Richoux, trois magasins plus loin. Mais Pink Lady ayant plaidé la cause de leurs scones (pas mauvais, il faut bien le dire, quoiqu’un peu gras une fois qu’on a englouti ce galet bourratif 1), j’ai bien voulu tenter un plat sur le pouce avant de les goûter. Ils ont un sandwich poulet- poivron rendu dément (à son échelle de sandwich mais ils sont maintenant si perfectionnés…) d’être tartiné non pas de margarine ou même de beurre mais… d’houmous !

Je suis donc revenue sur mon a priori. Cependant, si je fais volontiers un détour par la Brioche Dorée avant d’aller à Garnier, quand on me dit « salon de thé », je pense davantage à Dalloyau ou à Mariage Frères (leurs scones sont délicieux ; même allure que chez Valérie en plus digeste)… donc plus à Fortnum and Mason qu’à Valérie. Pourtant, quand mon quart d’heure tête de mule est passé et que j’ai goûté le thé qu’avait commandé Palpatine, force a été de reconnaître qu’il était délicieux, voire meilleur – mais aussi, quand je pense au thé, je pense d’abord aux gâteaux qui l’accompagnent : où est mon carrot cake ?.

Alors avec le souvenir d’un petit-déjeuner englouti sept heures auparavant et une attente qui commençait à s’éterniser, avec des trucs crémeux qui circulaient autour de nous et dont la simple vue commençait à m’écœurer, trucs crémeux qui allaient me faire grossir sans m’avoir auparavant fait plaisir (si c’est le cas, je ne regarde plus à la dépense -calorique), l’estomac sur pattes bourgeois que je suis, contrarié par ce qu’il avait rêvé et n’était pas, bien davantage que par ce qui était, a pété un câble et je suis partie feuilleter des bouquins dans la librairie la plus proche pour me calmer, après avoir planté mes acolytes sans autre forme de procès. Toutes mes excuses à Pink Lady (c’est tout aussi impoli envers Palpatine, me direz-vous et vous aurez raison, mais lui sait d’expérience que ce n’est pas dirigé contre lui). Cela fait un certain temps que je pense à un post sur les pensées d’un estomac sur pattes mais il faudrait vraiment que je le rédige pour qu’il y en ait un mode d’emploi et qu’on sache si et quand cette chose vorace va vous péter entre les doigts.

Blague à part, il faudrait que je trouve un moyen de résoudre l’antinomie ‘être contrarié dans ses désirs/ vouloir faire plaisir aux autres’, sans chercher à retourner le « non » qu’on pourrait leur opposer simplement (« non, je n’ai pas envie de danser dans ce numéro là », « non, je préférerais aller ailleurs que chez Valérie »…) en colère contre ma petite personne à la fois égoïste (ou despotique, comme on voudra) et incapable de le reconnaître en face à un moment donné (parce que les autres n’y sont pour rien si leurs envies ou décisions vont en sens contraire et contredisent les miennes, c’est normal ; c’est toute seule que je me contrarie). Ce qui finit au pire en crise de larmes, au mieux en petit être hargneux et désagréable. L’image de cocotte-minute de Palpatine n’était peut-être pas si mauvaise en fait. Sûr, c’est moins sex que la cocotte, mais là, c’est cuit.

– Hé, ma cocotte ! Minute !
– … ?
– T’es pas sur un divan rouge, là. L’est même orange ton layout.
– Justement. Out ! (c’est évident qu’une morfale est une chieuse en puissance, non ?)

1 Pas de mauvais esprit, pas de comparaison avec Richoux, mon choux. (Silence) Richouuuuuuux !

(au) sortir de sa/la coquille

Je ne sais pas si c’est d’exercer mon regard à dénicher dans les textes guillemets mal fermés, majuscules non accentuées ou colocations néologisantes et à repérer l’intrus qui fait que les choses ne sont pas comme elles devraient être, mais aujourd’hui j’ai sauvé une carte de cantine sur le couloir tapis roulant de la mort poubelle et par conséquent sa propriétaire de son rachat, ainsi qu’un sac en plastique contenant du tulle rose fushia, et par conséquent la gamine à qui on allait faire un costume.

Entrer au Couvent

 

[Mercredi 5 janvier]

 

Malgré le nom de ce restaurant, on y est entré plus volontiers qu’on en est ressorti, sous une pluie battante, sans parapluie, avec des chaussures à la semelle trouée. Ou comment devenir d’une humeur de gremlins aux Gobelins. J’ai néanmoins été un gentil mogwai toute la soirée. Normal, on mange et en bonne compagnie. Pensez donc, mon voisin d’en face m’a fait goûter ses gnocchis au roquefort – raison pour laquelle il est impératif que Paris-Carnet se déroule de nouveau dans ce lieu- après que nous ayons ensemble longuement hésité sur la carte pourtant pas très longue.

Juste avant de venir, j’avais lu à la fac dans Books un article sur The Art of choosing, l’auteur émettant l’hypothèse que si le choix est toujours préférable au non-choix, un choix restreint le serait également à de plus nombreuses options. Cela s’est vérifié le soir même pour la réservation d’un hôtel londonien (au choix-ou pas- minuscule, bruyant, dans le « grand Londres », loin de tout transport en commun, hors de prix, dirigé par des incapables, des mal-aimables, des incapables mal-aimables ou des mal-aimables incapables ; d’où ‘la nuit porte conseil’ et on se pieute sans avoir arrêté de décision) mais je ne suis pas certaine que cela fonctionne tout à fait pour la nourriture – pour moi (ou alors avec un choix très restreint qui, pour le menu du réveillon, s’est résolu de la manière suivante : je n’aime pas les petits oiseaux et les champignons ne m’aiment pas, donc je prends la dorade).

Autre point commun au menu : mon voisin a également élevé au rang d’obsession artistique une de mes lubies, celle des « détails bizarres » dixit Palpatine, adepte du panoramique. Du coup, on s’est mis à faire une partie de pierre-caillou-ciseaux photographique, rayures et autres figures abstraites contre ombres et reflets, avec un ex-aequo sur la photo des lampes du self du Barbican face à un même type d’accumulation, mais de caisses de vin cette fois-ci. C’est qu’y a à boire et à manger à Paris-Carnet.

Reconstitution sonore

 

Au pied du lit, l’eau coule, régulièrement d’abord puis avec des modulations, selon les parties du corps qu’elle rencontre et dont l’énumération constituerait un blason prosaïque du pommeau de douche. Quelques sons brièvement jetés, le gant de toilette est rincé.

Les draps se froissent sous mes jambes qui s’étirent tandis que des grincements proviennent, étrangement proche, de la cage d’escalier, ponctués d’un choc à chaque palier. Pour un peu, j’aurais l’impression de dormir dehors.

Le gond d’une porte cède. Les bruits se déplacent, je les suis dans l’appartement.

Le ronronnement du micro-onde dure quelques minutes et se termine par une sonnerie. Quelques minutes plus tard, la sonnerie se répète deux fois, rappel à l’ordre, le bol est toujours à l’intérieur. Un temps encore, le frottement de pas traînés et un déclic suivi d’un clac annoncent sa libération.

Plainte étouffée du cuir qui se remet du choc du corps qui s’y est laissé tomber et roulement du fauteuil.

L’intervalle entre les bruits trahit l’engourdissement du sommeil à peine révoqué, des forces qu’il faut chaque jour rassembler et ranimer, des gestes lents auxquels il a fallu, chaque fois, un temps pour se résoudre. Pause ensommeillée. Un tintement, bientôt raclement, métallique fait savoir que la cuillère tourne rond dans le bol. Une main froisse un sachet plastique, à la recherche d’un pain au lait pour accompagner le chocolat chaud.

Il est temps que je me lève pour aller moi aussi petit-déjeuner.