Vues de Londres et de l’esprit

 

Dans le subway : des lunettes noires et carrées qui tentent de faire rentrer dans des cases la chaire informe d’un visage ; un pantalon écossais ; une casquette de marin avec sa cordelette ou son ancre jaune (la mémoire ne sert pas toujours pour les finitions) ; des chaussures dorées. Tout cela sur la même personne qui effeuillait, en les tournant à coups de poing ouvert, les pages de son journal, rapidement lu, donc. A temps pour aller croire à son utlilité, proclamée par le badge de membre d’une association caritative. Un pantalon écossais, des chaussures dorées, de grosses lunettes noires et une casquette de marin, pour mémoire – avec une ancre jaune, my yellow subwaymarine.

 

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a) fusée
b) oeuf de Pâques extraterrestre
c) suppositoire géant

 

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Dans une autre vie, je me réincarnerai en pingouin ; j’aurai des impressions étranges, le dos cartonné et peu de marges, mais j’aurai une couverture gauffrée inventive et je me collectionnerai : je serai un Pengouin book (mais pas un Rousseau).

 

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Sous les feuilles vertes et flottantes d’un platane urbain, des cheveux et un genou relevé sont adossés à une grille noire, au coin d’une rue dont le nom est resté à côté d’un petit blason rouge, sur une plaque blanche que ma vue surplombante m’a empêché de lire. Après une hésitation trop prolongée, j’attrappe mon appareil photo, mais le bus à deux étages n’a pas encore redémarré que la figure de l’attente a été recouverte par un homme qui la masque et l’embrasse. Ebranlement ; le bus jette quelques feuilles que l’avancée des non-événements.

 

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Dans un coupe-gorge :
des amants côte-à-côte
à contre-nuit contrée de lumières oranges
et peut-être des gorges serrées.

 

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On aurait pu croire, mais non, ce n’est pas la Tamise qu’a peint Van Gogh.

 

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Il arrive un parapluie violet à la tige métallique, garni de guirlandes de fleurs blanches et roses comme le pourtour d’un chapeau. Il passe et, au lampadaire suivant, descend sur un couple qui s’abrite de la pluie et de la cohue de trottoir, évite de justesse une nouvelle boule de fleurs suspendues. Penchés comme s’ils fuyaient en cachette, ils ne l’ont pas été encore assez pour dérober le secret des fleurs arrachées.

 

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Un tea tour à Londres

 (les posts des musées de Vienne viendront plus tard)

 

Pour se reposer d’une journée de marche : des scones, chez Richoux. Palpatine a découvert la clotted cream et n’a pas tourné autour du pot. Tant qu’ils sont chauds, je les aime encore mieux nature, pâte et raisins. C’est comme les Panzani, impossible de s’en lasser.

Pour continuer à faire du shopping : un muffin caramel et noix de pécan de chez Fortnum and Mason. Se lécher les doigts après avoir raclé avec l’ongle les rainures du papier, avant d’aller tirer de la boutique l’énergumène qui devrait lui aussi en manger pour trouver des chemises à sa taille.

Pour suivre les conseils d’Ariana : un carrot-cake, de chez Fortnum et Mason encore. Comme on s’est rendu compte que ce n’était pas possible de le manger à la main, on a ramené la part dans le train. Une table et deux cuillères plus tard, il a fallu se rendre à l’évidence : moelleux et doux à souhait, sucré et citronné juste ce qu’il faut, ce gâteau est à lui seul une raison* de retourner à Londres, pour le déguster assis au salon de thé. La Sachertorte peut aller se rhabiller.
Puis des toasts de marmelade de citron vert -j’ai bien dit marmelade, pas lemon curd- par curiosité pour les deux pots que nous avait commandé Ariana, chez Fortnum and Mason, toujours. L’acidité est neutralisé par le sucre, qui n’en est plus écœurant comme dans la marmelade d’orange. Epathée.

 

La lime marmelade est une parfaite transition vers le petit-déjeuner : j’ai rapidement vérifié que c’était bien du porridge que je mange quand je me fais chauffer des flocons d’avoine avec du lait (le plus qui fait frétiller la moustache de la souris : une touche de Nesquick ou pire mieux encore, une noisette de Nutella), avant de reprendre mes Weetabix et de m’attaquer aux pommes paillassons, aux œufs brouillés tout mousseux et autres légèretés de l’English breakfast.

 

Et pour un bon repas, direction Mayfair : the Market Brasserie, à Shepherd market, sert un risotto au gorgonzola et aux épinards, qui tue tout – meilleur qu’en Italie. Le poulet cajun grillé d’un autre risotto est également une tuerie. Les clients et les serveurs sont sympas, en particulier le Marocain qui explique la présence de petits tableaux parcourus d’inscriptions en français dans le texte.

Enjoy your meal !

 

 

* Parmi les moult raisons de retourner à Londres :

  • étrenner la valise orange reçue pour mon anniversaire

  • manger un fish and chips

  • aller voir une pièce au Shakespeare Globe theather

  • retourner voir l’ENB et le Royal Ballet ; et pourquoi pas des musicals en plus des ballets

  • trouver Freed et des pointes à ma taille

  • quadriller Notting Hill

  • écumer les librairies

  • vérifier si je partage l’avis de Melendili sur les dédicaces des bancs de Hyde Park.

  • autres (les suggestions sont les bienvenues)

 

Widerschein

Doppelgänger : Demel, deux touristes

 

Pas de jeu des sept erreurs possible. Il est en revanche possible de chercher à quels monuments correspondent les reflets.
Pour s’échauffer, un cheval blanc d’Henri IV – non, ce n’est pas une statue équestre.

 

 

Allez, un vrai :

 

 

Faisons comme l’ombre du monsieur, grimpons en difficulté…

 

 

… pour atteindre le stade de l’anamorphose :

 

 

Keine Ahnung ?

 

 

Débouler à Vienne

 

Le bureau des boulets, bordélique.

 

Au commencement, il y avait des boulets : Palpatine et moi. Qui n’ont néanmoins pas toujours bouleyé, en témoigne l’escapade au cimetière de Grinzing, rondement menée, tombe de Mahler trouvée sans große malheur.

Mozart, lui, ne repose pas vraiment en paix s’il est vrai qu’on ne cesse de lui manger le nez les couilles la couille. La Kugelmozart est pourtant une confiserie à déboulonner, inventée après la mort de celui dont elle usurpe le nom. Second scoop (histoire de le rétablir dans sa virilité) : le compositeur n’est pas rock, comme on voudrait nous le faire croire, mais bien disco, ainsi que le (ré)clamait cette boule à facettes :

 

 

Si vous avez trop chaud à force de vous agiter sur la piste de danse, secouez plutôt la boule de neige du Belvédère pour vous rouler des pelles made in Klimt (et un râteau artistique) ou prenez deux boules de glace bon marché, dans un Tüten chocolat noisette qu’il ne faudrait pas Becher (lécher suffira).

 

(au milieu du fratras)

 

A finir avant de rester bouche bée devant les immeubles de Hundertwasser, architecte ayant perdu la boule au point de nous pondre cette usine délirante :

 

 

La cerise sur le gâteau n’en reste pas moins la grosse boule dorée du pavillon de la Sécession, imaginé par Otto Wagner (qui a commis une affreuse poste) et Gustav Klimt (deshalb es ist schön), réalisé par Josef Maria Olbrich.

 

 

Article sponsorisé par l’omnipotente Austriabank qui règne sur le petit monde autrichien,

 

avec en partenaire non-officiel une Wurst non-autrichienne, parce qu’avec Knacki ball, c’est bon d’avoir les boules.

 

 

 

Se mettre en boule sur une boule rebondissante –
en velours bordeaux, nous sommes au Belvédère s’il vous plaît !
J’avais très envie de repartir avec une sous le bras,
mais outre le peu d’assise (une boule roule par définition),
cela n’aurait pas été très discret.

 

Faire Grinzing des dents

La visite au cimetière de Grinzing, à partir d’une bourgade fort pittoresque, a été une belle promenade. La tombe de Gustav Malher, qui en était le prétexte, n’avait rien de morbide : c’est à peine si l’on pense qu’un homme y est enterré, tant fleurit, en roses rouges, le mythe qui y est enraciné.

 

 

Le caveau comme fosse commune familiale ou
les poignées comme les fers d’une bague de mariage.

Je ne sais pas si je trouve belle et forte cette éternité partagée,
ou si elle me fait simplement horreur.

 

Avant de trouver le compositeur, pourtant, nous avons erré dans d’autres secteurs et croisé des âmes en peine, en chair et en os : des petites vieilles, surtout, déséquilibre démographique entre les sexes oblige, qui, coup d’œil aux stèles et soustractions, ne feront peut-être pas de vieux os. On ne meurt pas très âgé, dans ce cimetière, et même jeune parfois, comme c’est le cas de l’homme enterré en face de Malher. Peut-être détestait-il le compositeur. Peut-être ne le connaissait-il pas. Ce serait alors d’un inconnu qu’il récupérerait quelques échos de l’attention portée au musicien lorsqu’une passante comme moi se retourne pour voir ce qu’il y a derrière la célébrité et prend la première stèle pour la jeter à cette vaine immortalité.

 

 

La photo rappelle une dernière fois un visage avant qu’un ange passe (la babiole kitsch, devant) et n’efface ses traits par le silence. Pas de briquets pour Kurt, des photophores pour celui qui a vu le jour. C’est très humain un cimetière. Très calme, presque idyllique avec son clocher en arrière-plan. Pourtant, Palpatine et moi ne pouvons nous empêcher d’engager une étude démographique, nominale, sociologique et esthétique, ni de plaisanter du mauvais goût des uns et de l’orgueil des autres.

 

 

Alors pendant que j’ai encore mon mot à dire, je vous en prie, pas de stèle démesurée, pas d’angelots à la cellulite plastique et au rictus de marbre, pas de couronne, ou alors en petite monnaie, et surtout, par pitié, pas d’italiques. Va pour le doré, mais pas d’italiques. Tout sauf ça. Bon, et si à la place des chrysanthèmes, je pouvais avoir des coquelicots ou mieux encore, des fleurs tropicales oranges, ce serait parfait… enfin, achevé, surtout.

De son côté, Palpatine prévient : « celui qui me met une croix, je reviens le hanter ». Il préfèrerait une tombe boudoir sur laquelle on viendrait s’envoyer en l’air. Si jamais des questions de décence et d’outrage publique à la pudeur rendaient ses volontés malaisées à exécuter, à défaut de petites morts, il se contenterait d’une vivante très sculpturale, une version lascive et féminine de cette petite chose légère légère pour clore sa vie comme Chateaubriand ouvre ses mémoires.

 

 

A en croire leur tombe où la date de naissance n’est pas suivie de celle de la mort, certains ont pris les devants. Pas de plus belle vanité que de s’attaquer à l’éternité, s’en rendre compte permet de redescendre sur terre : pourquoi, dès lors, la mention d’une fonction politique sur la stèle serait-elle moins risible que le gynécologue qui a choisi d’y faire graver son métier ? On fleurit les tombes sans voir le florilège des statues sociales de l’éternité – ciel, quelle vanité pour des espoirs décomposés.

 

 

(Tout ceci pour expliquer pourquoi le quart de mes photos viennoises ont été prises au cimetière.)