Journal de décembre 2/2

Samedi 16 décembre

Un message WhatsApp de JoPrincesse m’a rappelé que l’élection de Miss France allait commencer ; j’ai rebranché ma télé pour l’occasion — l’occasion étant de s’amuser à commenter l’émission en groupe. Miss France est toujours une bonne occasion de faire le point sur ses propres contradictions, et d’observer (en décalé) les répercussions des évolutions (lentes) de la société : cette année, les limites d’âge étaient élargies, le jury était exclusivement féminin (à défaut du male gaze, on élimine le soupçon de beauferie) et c’est une miss aux cheveux courts (comprendre : impossible à tirer en chignon) et à la silhouette moins Barbie que Twiggy, qui a été élue.

Reste la fascination :  pour ces jeunes femmes que l’élection semble vraiment faire rêver au premier degré (comment est-ce possible ? une année d’enfer à base de bises, foires et crampes aux zygomatiques attend l’élue), et pour la beauté, qui persiste ou s’efface derrière le lissage généralisé, mais toujours se fraye un chemin malgré tout ce que de cruche on essaye de leur accoler. À ce propos : l’émission ne pourrait-elle pas embaucher un coach de chez TedX pour entraîner les Miss à une prise de parole standardisée qui ne les fasse pas passer pour des idiotes ? ou est-ce recherché ; est-ce que ça fait Miss de réciter : je – suis – sincère – et – spon-ta-née ?

Une fois la gagnante révélée, j’ai débranché ma télé — probablement jusqu’à l’Eurovision.

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Dimanche 17 décembre

 

Manque de sommeil (pour des bêtises, ça craint), promenade au parc Barbieux. Je me dépose à défaut de me reposer en une sieste qui ne vient pas : apaisement temporaire de l’anxiété prompte à bondir.

Le coin des pins au parc BarbieuxCime des arbres et ciel bleu rayé de deux traces d'avion

Dans une vitre carrée, reflet de l'immeuble ouvragé en brique et moulures d'en face
Les habitants qui entraient dans la résidence m’ont regardée bizarrement, se demandant manifestement ce que je pouvais bien prendre en photo.

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Lundi 18 décembre

Rêve. C’est le deuxième voyage en Norvège avec Mum. Nous sommes dans un hôtel, elle dans une chambre, moi dans une autre partagée, hasard, joie, avec le rebound guy. Au matin il passe son bras autour de moi, c’est tendre, mais il recule la tête : “Je suis désolée, mais…” Je comprends, je complète : “… mais je pue de la gueule” (le petit-déjeuner au maquereau fumé). Il part vite, dommage, même si je savais qu’il ne fallait rien en attendre, j’aimais bien cette tendresse.

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Il n’y a pas de chauffage dans le théâtre, glacial, et nous sommes censées danser en tenues estivales, ô joie, ô crève. La répétition et la générale sont infinies, mais le plaisir du spectacle est là, repères sur scène, maquillage en coulisses — je n’en ai pas racheté depuis une dizaine d’années, mais j’ai retrouvé un eye-liner turquoise (pas séché, miracle) assorti à ma robe, La La Landesque dans la coupe à défaut de la couleur. La ceinture lombaire s’escamote facilement dessous, c’est parfait.

En coulisse, à la pause, on discute avec quelques filles du chœur et on se retrouve à jouer aux dates de naissance : un instant d’incrédulité les saisit quand j’énonce une date bien antérieure à 2000, et elles ne parviennent pas non plus à croire que J. a plus de 40 ans  — “ça conserve, la danse !” concluent-elles en reprenant leurs gestes suspendus face au miroir. Les chorégraphies plaisent aux chanteurs du chœur ; certains plaisantent que l’on sauve le spectacle, sans que l’on sache s’ils manquent de confiance en eux ou bien dans le projet dans lequel ils ont été embarqués.

L’unique représentation se déroule bien, à l’exception d’un fumigène qui se déclenche au moment où nous sommes censées interagir avec le public, porté disparu. C’est la première fois que je remontais sur scène cette année ; sans surprise, j’aime toujours autant ça, surtout dans des chorégraphies sans enjeu technique où l’on peut surjouer à loisir. On me rapporte avoir entendu que la fille en robe bleue était expressive, la fille en bleue remercie, elle a bien fait le clown aux côtés de ses camarades qui avaient le smile ou la banane selon le vocabulaire des uns et des autres. Je suis heureuse d’avoir pu être sur scène avec elles malgré mes possibilités physiques limitées.

Après des semaines de répétitions casées dans les temps de TP, on a l’impression d’avoir accompli et donc achevé quelque chose, mais nous sommes lundi soir, la semaine ne fait que commencer malgré la fatigue et après le buffet, il faut rentrer : on donne cours le lendemain.

Go on chantonner La La Land pendant des jours et des jours.

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Mardi 19 décembre

Un rêve où je parcours beaucoup. Je conduis une voiture qui ne freine pas vraiment sans que ce soit dangereux, j’escalade un portail avec des tiroirs, pratiques comme prise pour les pieds (qui escalade une penderie à l’extérieur ?). À un carrefour de cailloux et de neige, un homme clame son envie d’y chier ; est-ce là que j’ai goûté la neige tout à l’heure ? J’espère pas. Déjà je l’ai dépassé, j’ai à aller.

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N. et moi donnons un cours à nos camarades de classique. N. me semble plus rêche dans son ton ; nous sommes toutes dans une grande fatigue. Elle donne la barre, je la prends, perds et retrouve les sensations comme des néons en fin de vie. Je donne ensuite le milieu, et ce n’est pas la même chose que de faire cours aux contemporains. C’est plus difficile pour moi : en l’absence d’erreurs manifestes de coordination, la correction devient plus subtile.

Il faut bien l’avouer aussi, ce n’est pas aussi amusant : la culture de la discipline et de l’obéissance amenuise les réactions verbales ; on donne cours à l’aveuglette (et j’imagine qu’on peut vite avoir l’impression erronée de donner sans recevoir). Vous pouvez parler ; Répondez-moi ; Ce n’est pas une question rhétorique ; Vous avez besoin qu’on le marque en musique ? ; Je dois en déduire que non ? Je comprends mieux l’insistance des professeurs à nous faire réagir verbalement… mais j’ai toujours du mal à répondre individuellement quand un professeur pose une question au groupe. Sauf à patauger dans les grandes largeurs, je préfère ne pas ralentir les autres en demandant une nouvelle démonstration, et copier via le miroir ce que j’ai imparfaitement mémorisé.

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Sciences de l’éducation en visio avec le boomer qui me hérissait le poil. Il aurait résisté à notre attente, inscrite dans le paradigme de la transmission (= le prof apporte un savoir à l’élève), pour nous faire éprouver le paradigme de l’appropriation (= le prof apporte un savoir-faire, il aide l’élève à apprendre par lui-même), qui est le sien et celui que la direction lui a demandé d’apporter. Est-ce seulement pour ça qu’il y a eu énervement et réticence de mon côté ? Ok pour l’aspect méta, mais faut bien un contenu, ne serait-ce qu’à partir duquel méta-réfléchir. Et je l’attends, ce contenu, ce savoir, c’est vrai. Je suis à un âge où j’ai la prétention de savoir réfléchir, j’attends qu’on m’aide à nourrir cette pensée. Or ce cours ne m’a pas stimulée ; il n’y a pas eu de court-circuit, de déplacement-renversement. À moins que… ?

Avec emphase, il nous dit qu’il nous aime même si on n’est pas d’accord avec lui, même si on reste du côté de la transmission plutôt que de l’appropriation. Cela a le don de me fait lever les yeux au ciel intérieurement. Ça m’exaspère et en même temps, est-ce que ça ne m’exaspère pas justement parce que ça vient apaiser quelque en moi, aussi joué cela soit-il de sa part à lui ? Il avait passé les séances précédentes à nous dire qu’il s’en fichait de ce que l’on ferait ou non de son cours ; les liens que l’on parvenait ou pas à faire avec l’enseignement de la danse, il n’en avait rien à cirer — de nous non plus, c’était le ressenti du groupe. Cette attitude ne me semble pas très indiquée quand on sait que l’indifférence prononcée ne suscite pas autre chose que rejet. Même si c’est pour faire la démonstration que des élèves nous échapperont toujours ; on ne peut pas être apprécié de tous, il faut travailler avec ceux qui ont envie de travailler avec nous. Le moins que l’on puisse dire est que je n’ai pas eu envie de travailler avec lui. Ses cours ont été assurément désagréables, peut-être un peu moins stériles que prévus.

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Vendredi 22 décembre

Étrange comme la fin des cours nous débarque souvent seul d’un coup dehors sur la route pour rentrer chez soi. Le bâtiment nous vomit, et c’est tout, c’est fini. Pour amortir cet effet et fêter la fin du semestre, certaines sautent dans le train pour retrouver leur famille ; pour celles qui restent, nous décidons d’enchaîner sur un déjeuner au restaurant. Au plaisir que cela me procure, je me rends compte que ça me manquait, ce type de sociabilité. É. a toujours le chic pour amener les autres à faire des bilans, et chacune se met à chercher trois mots pour résumer son semestre : il y a du dur, du beau, de la fatigue — des “montagnes russes”, on approuve toutes.

Plus tard, alors que je lutte contre l’épice pour finir mon bimbimbap (“Comment t’as fait pour manger ça ?” me demandera É. après avoir avalé un bout de champignon qui avait effleuré la fatidique sauce rouge)(de facto, les champignons ostracisés n’ont pas été sauvés du gaspillage), Z. nous raconte comment on vit le temps à Madagascar. Il n’y a pour ainsi dire pas d’heure : quand on part en vacances, on fait ses valises, on sort et on attend la voiture ; on ne sait pas si elle va arriver en fin de matinée, à 13h ou le soir, peut-être que ce sera le lendemain, ce n’est pas grave, on ne se presse pas. Comme on ouvre des yeux ronds, elle nous explique qu’en rentrant de l’école ou du boulot, ils vont tous s’asseoir dans la rue devant chez eux ; ils prennent un siège ou pas, et ils restent là, à regarder passer les gens, les voitures, les enfants qui rentrent de l’école, à se saluer entre voisins, à discuter… jusqu’à ce que la nuit tombe et alors, avant de rentrer dîner, avant de se quitter, on fait une pile de main où on attrape en la pinçant celle d’en-dessous, une sorte de tous pour un et un pour tous géant —quand il y a de la rancune, parfois, elle avoue pincer un peu fort, c’est aussi le moment de régler ses comptes, manifestement. J’imagine à sa grimace la force qu’elle doit y mettre (d’autant que je connais sa tonicité musculaire).

Elle nous raconte avoir trouvé une vidéo en malgache qui explique cette conception du temps, par opposition à celle du monde occidental : chez nous, le temps est linéaire et on est toujours tourné vers le futur, vous vous dépêchez tout le temps, en Europe, tout le monde court partout, c’est elle qui fait des yeux ronds et avance les dents dans le vide de l’absurdité ; à Madagascar, le temps est circulaire, une sorte de bandelette qui serait liée au moment présent et qui défilerait sous nos pieds… avec le futur dans le dos et le passé en face. L’ange de l’Histoire de Walter Benjamin ! (Ce qui m’avait tant marqué était peut-être simplement un emprunt permettant un regard un peu décentré.) Je garde l’exclamation pour moi, ce n’est pas le moment de la couper avec une référence philosophique. C’est plus important qu’elle trouve ses mots ; il lui en manque moins que d’habitude, d’ailleurs, son flot trouve son rythme quand on ne l’interrompt pas pour suggérer la formulation de ce qui, à notre goût, tarde à venir. Son explication-récit éclaire d’un jour nouveau cette habitude qu’elle a de caler des rendez-vous au beau milieu des cours, de sous-estimer les temps de trajet et de jouer les prolongations à un endroit sachant qu’elle arrivera en retard là où elle est attendue ; cela fait complètement sens si seuls le présent et la présence à ceux qui sont avec nous importent. C’est même nous qui en devenons un peu absurdes. (Si je l’avais retenue, je conclurais par l’interjection que Z. a essayé de nous apprendre, pour manifester sa perplexité-désapprobation. Nos essais l’ont bien fait rire.)

Sur la photo qu’H. m’envoie un peu plus tard, nous avons toutes les deux les mains en cœur devant le visage, à la japonaise (H. est japonaise), et le plaisir de ce moment partagé rejaillit sur mon expression, je m’aime bien sur cette photo, ça faisait longtemps.

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Je suis passée de pas assez à trop d’idées de cadeaux pour le boyfriend ; je finis mes achats en état de nausée décisionnelle.

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Samedi 23 décembre

Dans ce rêve, je dois me rendre à Montparnasse. Les bus n’y vont pas, je suis dans une partie de la ville que je ne connais pas, ou mal, et quand je me souviens enfin de l’existence du GPS, que je pense être tirée d’affaire, les rues qu’il m’indique avec des boudins colorés comme des lignes de métro londoniennes ne correspondent pas à l’intersection hausmanienne que j’ai devant moi.

Quatre heures à s’activer entre rangement et organisation avant de prendre le train.

paquet cadeau kraft avec un bonhomme de neige dessiné dessus

paquet cadeau kraft avec des boules de Noël dessinées dessus… et une souris avec un bonnet de Noël, suspendues comme les boules par la queue

Dans le métro parisien, la jeune femme en face de laquelle je m’assois, près des soufflets qui relient les rames, semble lutter contre les larmes. Je lui tends mon paquet de Mulino Bianco à la noisette, m’excusant devant son air surpris “Vous n’avez pas l’air bien…” Elle proteste que ça va, ça va, mais pioche quand même un biscuit de réconfort. Je n’insiste pas, plonge dans mon téléphone pour lui épargner de croiser mon regard et, quand je relève la tête à une station ou une autre, lui jette un coup de sourire à la dérobée. Sur le point de descendre, elle me souhaite de bonnes fêtes ; on se sourit pour de vrai.

(J’avais oublié cet épisode ; c’est d’apercevoir le paquet de Mulino Bianco sur les photos qui m’y a refait penser.)

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Dimanche 24 décembre

Dans le RER, je n’ai pas du tout l’impression d’aller réveillonner, seulement de me rendre à un repas de famille. Grâce au Secret Santa édictant la règle d’un unique cadeau, la hotte est légère cette année ; je ne porte que mon habituel sac à dos.

Mum débattait du sujet dans la voiture avec ma grand-mère et attaque, c’est le terme, dès l’apéritif : pourquoi ma cousine est-elle vegan, elle voudrait comprendre. La juriste a requis. Ma cousine, qui espérait bouffer tranquillement ses canapés de houmous au poivron, soupire et se lance à contrecœur dans la défense et illustration de la cause animale. (La pressure animale ne m’empêche pas de m’enfiler la moitié de la tête de moine comme chaque année ; je serais plus sensible comme argument à la crème au chocolat, épices et tofu soyeux que ma cousine me fait goûter en dessert — et comme je suis pesco-végétarienne mais pas vegan, j’ai aussi savouré la bûche en merveilleux de Fred). Mum expliquera le lendemain que c’est la radicalité qui la perturbe — du régime plus que de l’attitude : ma cousine n’est en rien prosélyte, comme tient à le souligner le boyfriend, elle n’a pas esquissé l’ombre d’un reproche à quiconque dégustait le foie gras de ma grand-mère (sous-entendu : elle fiche la paix à tout le monde, ayons pour elle les mêmes égards).

Mum est manifestement en mal de prise en main et impose son plaisir d’offrir : la chaussette de papillotes La mère de famille qu’elle a apportée (une délicieuse idée) doit être installée séance tenante, et la boîte de sablés maison est posée ouverte sur la table dès l’apéritif. Elle s’agace de l’organisation décontractée de ma tante, ma tante de la tendance de sa sœur à régenter. Il faut juste un peu de temps (et de champagne ?) à tout le monde pour s’apaiser / se poser. Je me colle alternativement au boyfriend et à la cheminée.

Table basse vue du dessus avec plateau, couverts, bûche de Noël et sablés en forme de nounours, étoiles et sapins

De la sainte trinité  foie gras, huîtres, saumon, je ne retiens que les blinis maison, tellement bons, que je finis par manger seuls comme du gâteau après avoir fait disparaître la tranche de saumon prétexte dans l’assiette du boyfriend. Le second fils du second mari de ma tante n’est pas parmi nous ce soir, mais il a envoyé un délicieux Beaufort à sa place ; j’apprécie décidément ce jeune homme, même quand il n’est pas là. Son frère, d’excellente compagnie et composition, joue comme un gamin avec le kit de survie qu’il a pioché au Secret Santa — il y avait une thématique imposée, le voyage, et ça rend l’ouverture des paquets assez amusante : comment chacun l’a-t-il interprétée ? C’est ma grand-mère qui récupère ma trouvaille, Voir le monde sans quitter la France, un ouvrage qui met en parallèle des destinations exotiques avec leur plan B en France ; en le feuilletant, j’avais trouvé les rapprochements ingénieux et amusants en tant que tels.

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Lundi 25 décembre

La nuit n’en finit pas quand le sommeil est fragmentaire. Quelques heures sur le canapé en bas, quelques heures dans le lit où je retourne pour la couette, malgré les ronflements. La journée qui suit est cotonneuse. Le Panettone du petit-déjeuner a ce goût tranquille des lendemains de fête, Mum est apaisée, ma grand-mère est contente de jouer les prolongations et je mise sur la théine pour me maintenir éveillée. Il y a des cadeaux bonus, très adultes (serviettes et tapis de bain vert céladon ; même l’intitulé de la nuance fait adulte, vous ne trouvez pas ?).

Le temps que tout le monde passe par la salle de bain, il est midi. On pense rester manger un morceau vite fait avant de repartir ; en réalité, on remet le couvert : coquilles Saint-Jacques, reste de la bûche, digestion qui s’éternise — au point qu’on finit par rallumer les bougies dans les photophores en mosaïque-vitrail de feu mon grand-père, la nuit tombée en fin d’après-midi. Le boyfriend est conciliant, lui qui pensait être rentré en fin de matinée.

N. m’envoie une photo de l’affiche que je lui ai dessinée : ça fait tout drôle de la voir imprimée, encadrée, dans un intérieur que je ne connais pas, devenue un objet qu’on a jugé digne d’offrir (et qui a fait plaisir apparemment — première réaction de son père : il y a même mes pavés !). C’est un beau cadeau qu’elle me fait avec cette photo : je n’aurais jamais osé ni même pensé à créer et offrir quelque chose de la sorte à mes proches, mais de le faire pour quelqu’un qui veut l’offrir à quelqu’un d’autre, et que tous ces quelqu’uns en soient satisfaits, ça donne soudain de la valeur à ce qui n’est finalement peut-être pas un avatar adulte du collier de nouilles.

Le soir venu, le boyfriend ouvre ses / mes cadeaux. Tu t’es fait chier à dessiner sur les paquets en plus ! Ce n’est pas le verbe que j’aurais spontanément utilisé. Après avoir pris un instant pour regarder les gribouillages que je ne m’étais pas fait chier à dessiner, il froisse le papier kraft, le regard concentré sur ce qu’il recouvre et découvre, et je repense à la rapidité avec laquelle il avait trié d’anciens dessins à lui en un tas à garder, pour les idées, et un tas, bien plus grand, à jeter sans état d’âme.

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Mardi 26 décembre

J’ai rêvé qu’avant son cours de danse, sans qu’elle ait rien demandé, je corrigeais le double rond de jambe à la seconde d’une enfant en justaucorps bleu. Elle moulinait dans le vide au lieu de revenir jusqu’au genou.

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Gâteau au chocolat, truffe, sablé de Noël, morceau de gâche avant de passer les portes automatiques du Monoprix. Il fait nuit en ressortant, les couronnes de Noël suspendent leurs lumières tout du long de l’avenue, et  je me sens davantage dans l’esprit de Noël maintenant que Noël est passé.

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Mercredi 27 décembre

J’ai rêvé : je passais l’EAT classique et je ne l’avais pas (en même temps, en dansant derrière un voile tendu en avant-scène ?) ; je croisais mon ex, on se reparlait et il partait en m’ébouriffant les cheveux sur le dessus du crâne.

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C. et moi nous transvasons alors que je la récupère à la sortie de son travail : j’éclabousse un peu d’enthousiasme à marcher de nuit dans des rues de Paris qui ne me sont pas bien connues-trop connues (le regard rafraîchi, les illuminations — j’admire le dôme des Invalides éclairé à défaut de décorations de Noël dans ces quartiers austères), et elle me fait part de son constat en demi-teinte sur la vie parisienne d’adulte trentaine avec boulot stable, sans enfant et sans intention d’en avoir.

Elle a une vie culturelle riche, très riche, même. Je ne cesse d’être épatée de sa curiosité tous azimuts, qui se porte ces temps-ci sur les galeries d’art — elle me raconte le plaisir de pousser les portes cochères et de pénétrer à l’intérieur des quartiers clos, découvrir ce qu’il y a derrière. L’absence de projet de vie évident commence pourtant à se faire sentir comme un manque. C. n’est pas à court d’occupations, mais ne serait-elle pas en train de remplir des heures — arbitrairement ? Serait-ce le moment de changer d’emploi ? Doit-elle chercher un nouveau poste ? (Elle n’y avait pas songé jusqu’à très récemment — de la même manière qu’elle n’avait pas songé au statu quo de son couple, jusqu’à peu de temps avant de prendre le large.)

On passe en revue le pour, le contre, le bien au contraire et le pourquoi pas. Je ne sais pas trop quoi répondre, sachant que ni la réponse ni la question ne sont là. Mon statut de privilégiée en reconversion m’y a fait échapper, mais je connais cette absence de gros projet ; j’y pensais comme à un immense plateau, sans le relief de ce qu’on a gravi pour se construire — une grande étendue plate jusqu’à la mort, où toute colline serait à creuser soi-même, artificielle, vaine. C. a la sensation d’avoir presque trop de temps à occuper tandis que j’avais celle d’en manquer, mais c’est la même surenchère de consommation culturelle pour nourrir un manque difficile à identifier et combler. La drogue fait de moins en moins effet, il faut augmenter les doses — jusqu’à ce qu’on ne puisse plus douter de sa nature de divertissement. Et alors quoi ? Pas facile de retrouver l’envie en-deçà de la nouveauté.

Boyfriend et bo bun nous sortent de ces impasses au long cours pour renouer avec le plaisir immédiat, indéniable, de la bonne nourriture en bonne compagnie. Les nems végétariens sont panés de dentelles de tempura, je me promets de goûter une prochaine fois la soupe de raviolis aux crevettes, et le potage pékinois est grandement loué par le boyfriend pourtant picky en la matière.

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Trop froid pour s’endormir vite, trop chaud dans la nuit, un réveil 5h du mat’… le sommeil réparateur, ce n’est pas encore ça.

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Jeudi 28 décembre

Le boyfriend m’accompagne déjeuner avec ma grand-mère paternelle. J’admire son aisance à faire la conversation ; il trouve toujours le sujet qui va bien : après Dune la veille avec C., la Sologne avec mamie N. (je n’avais jamais pensé que Bourges, ville de mon arrière-grand-mère paternelle, était à la lisière de la Sologne chérie du boyfriend).

Les retrouvailles avec JoPrincesse sont repoussées le temps que se termine ma crève (oui, j’ai fait un autotest Covid, revenu négatif, avant d’aller déjeuner avec ma grand-mère, je ne suis pas une sauvage). Je me traîne dans l’entre-deux poisseux de la récupération. Tomek en parle bien, je trouve, je m’y retrouve :

Quelques jours où l’on se force à ne rien faire […]… Échapper à l’envie — au conditionnement serait peut-être plus juste —, même si ce n’est que reporter à plus tard ce qui est souvent déjà en retard.

En prenant garde de ne pas tomber dans l’àquoibonisme (ou pire) qui pourrait vite pointer le bout de son nez, histoire de bien démotiver par dessus.

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Vendredi 29 décembre

Discuter sur WhatsApp d’un chapitre du roman de M. me redonne de l’aplomb… et l’envie de reprendre la relecture de mon propre manuscrit.

J’accuse aussi le coup d’autres amitiés mal entretenues. La faute à la distance, aux soucis de santé, aux plannings divergents (sans surprise, les nullipares qui sont à Paris pendant les vacances scolaires sont celles que je vois le plus régulièrement), à ceux que je fais passer avant aussi, il faut bien se l’avouer, oui, une fois toutes les trois voire quatre semaines, le boyfriend en priorité, les câlins, le repos au chaud, sans reprendre le métro. Même comme ça, ce n’est entièrement satisfaisant pour personne, si bien que je me demande : est-ce qu’une vie sociale équilibrée, ce serait de décevoir les gens en alterné ? de bien répartir la déception comme une couche d’appareil uniforme avant d’enfourner ?

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Samedi 30 décembre

Chez L., une pâtisserie partagée, des biscuits gingembre-chocolat, du thé à refill infini et la conversation de même. Sur la fin, en me raccompagnant à la gare, elle me raconte comment sa professeure de harpe s’est enfermée dans une posture où elle déplore que d’autres artistes moins talentueux aient plus de visibilité, sans rien faire elle-même pour se mettre en avant. Nous tombons d’accord sur l’importance de ne pas céder à l’aigreur (même si c’est parfois tout un travail de résistance).

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Dimanche 31 décembre

Quoi de mieux que les urgences un 31 décembre ? Le boyfriend y passe des heures avec son pied douloureux et gonflé, avant que la suspicion de fracture soit remplacée par le diagnostic d’une tendinite — hardcore pour faire gonfler le pied !

Il est rentré pour dîner — le seul dîner que je prépare des vacances, si tant est qu’arroser de miel et d’huile d’olive des poireaux puisse compter comme préparation (les maquereaux marinés sont sous vide). On ne réveillonne pas, ça me chagrine un peu ; je n’aime pas les fêtes, mais les dîners entre amis me manquent. Lui n’éprouve aucun FOMO, ravi d’échapper à tout ce qui pourrait être dicté par la société. Le maquereau, c’est vraiment délicieux.

De l’importance d’avoir bien joué à Tetris

Les voisins du pavillon d’à côté hurlent par-dessus la musique, minuit, 1h n’y changent rien. Inutile d’espérer dormir, inutile de s’énerver : je lance Il était une fois Casse-Noisette, m’esbaudit et live-twitte les trouvailles de la production. À 2h, ça ne sert toujours à rien de s’énerver, mais je m’énerve. C’est important de commencer la nouvelle année par un peu de haine envers son prochain ; ça vaccine contre l’illusion des grands recommencements. Je tombe de fatigue avant les voisins vers 3h, 3h30, en rêvant d’aller me rendormir le doigt sur leur sonnette à 6h du matin…

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