New York restaurant – Hopper

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      Le jeu est simple, il s’agit d’inventer un scénario à partir de ce tableau d’Hopper, proposé par Olivier. Curieuse de voir ce qu’il évoque pour vous.

      Empiler ces assiettes. Sales. J’aurais de la chance si la cuillère ne s’en ira pas valdinguer avant que je parvienne à la cuisine. Dure journée de travail, les dossiers ne manquent pas, des embrouillaminis à démêler pour hier, comme d’habitude. Cela fait du bien de se retrouver, un peu au calme, au milieu du brouhaha. Empiler les plats, en trouvant le bon équilibre. Améliorer la stabilité de la pyramide de porcelaine. C’est vrai qu’on n’est jamais aussi isolé qu’au milieu d’un doux brouhaha… là où le bruit devient bruissement pour nous envelopper… une protection sonore, un cocon où l’on peut parler sans être entendu. Sa bague tinte légèrement contre le verre à vin vide parce qu’elle n’en boit pas –elle m’a demandé un verre d’eau pour prendre quelque médicament-, contre le verre à pied vide qu’elle caresse machinalement. Qu’elle fait tournoyer lentement, au rythme d’une valse qui résonne devant ses yeux, qui se glisse au premier plan, devant le brouhaha de la salle. Les reflets de la lumière des réverbères, dehors, filtrée par le rideau jaune, glissent sur la surface lisse et courbe du verre. Elle les observe tournoyer, avec une mélancolie distraite. Enfin, j’imagine. Je sens sa présence juste derrière moi… sans être entendus… La cuillère que j’ai placée en haut de ma composition pour qu’elle ne déséquilibre pas la pile d’assiette émet un bruit vif en glissant – démenti sonore. Contrepoint à l’ambiance feutrée des conversations isolées. Ils ont jeté un coup d’œil à la maladroite que je suis. Si je me retournais, elle aurait un sourire. Nullement condescendant. Vague seulement, perdue dans la contemplation de l’homme qui lui fait face. Qui lui, lui parle tout en l’admirant. Ce nouveau chapeau rouge… seyant… exquise… Les mots se perdent. Cette femme est rayonnante. Je le perçois alors même que je lui tourne le dos. Je n’ai plus vraiment de raison de m’attarder à présent. La blancheur de mon tablier est aveuglante –le patron est intransigeant, là-dessus, cela fait partie de l’image du restaurant- mais n’attirera pas l’attention comme son éclat, à elle. Une présence de plante verte, lumineuse et invisible. Je lisse du plat de la main la nappe devant moi, depuis le centre jusqu’à l’angle. Le même tissu que mon tablier. Je fais partie du restaurant. L’oubli du blanc. Tout juste si l’on me remarque – à peine m’entend-t-on- intégrée au tableau. Tu prendras un dessert ou préfères-tu y aller ? La nappe n’a plus de pli devant moi. Elle ou moi soupire. L’instant de répit est fini. Le chassé-croisé doit se défaire. Rentrons… Je m’esquive en cuisine avec mon plateau. Esquisse.

Le rêve de Cassandre – Woody Allen

A ne pas lire si vous comptez le voir ou que vous êtes un inconditionnel enragé de Woody Allen.

Titre décalé mais prémonitoire : un massacre, sans le côté épique de l’Iliade

Je ne suis pas une grande dévoreuse de film *recule d’un air épouvanté devant le gouffre qui me sert de culture cinématographique*, aussi ai-je peut-être manqué toute la subtilité de la chose – toujours est-il que je n’ai pas été enthousiasmée. Loin s’en faut.

Deux frères s’offrent un petit bateau (je peux mettre « petit navire » aussi, à vous de choisir votre référence), qu’ils baptisent le rêve de Cassandre. Encore deux qui connaissent leurs classiques… Leurs économies prennent le large, et lorsque le petit frère*, gros joueur, est dans les dettes jusqu’au cou, qu’il risque les représailles de ses usuriers et que son grand frère, petit (et surtout futur) entrepreneur en immobilier, n’a pas non plus les moyens de l’aider, vous avez le nœud de l’intrigue. On se tourne naturellement vers l’oncle prodigue, a self-made man pas très clean, qui en contrepartie demande comme « petit » service qu’ils assassinent un de ses associés qui pourrait faire des révélations plus que compromettantes. Le grand frère, épris d’une actrice (pleine de charisme pour le coup) au –dessus de ses moyens entraîne son frère. La navigation vers les enfers, pleine de doutes et d’alcool, est plutôt calme. Mer plate. Ni désespoir poignant ni classe du malfrat éhonté ;  j’étais persuadée, jusqu’au moment où l’on entend les coups de feu (théâtre grec : le crime est hors-scène, rapporté ensuite – par une coupure de journal, comme il se doit) que l’assassinat n’aurait pas lieu. Le film aurait pu s’arrêter là, pas transcendant, mais ça finissait sur un crescendo.

Mais ça continue. L’entrepreneur le devient vraiment, oublie ce malheureux incident, joue le cinéma avec son actrice, tandis que le frère sombre en dépression. Cette dernière est très bien jouée, bien glauque et malsaine comme il se doit. Et sa copine, ou fiancée, ou femme, je ne sais plus, moyenne plus que médiocre, mais jamais vulgaire malgré ses rêves simples passe très bien l’écran. Si bien que j’aurais plutôt vu le film centré sur la torture du remord, en commençant par cet épisode, en passant le meurtre sous ellipse, qui n’arriverait qu’à la fin, au summum de flash-back successifs – oui, je suis en train de faire des couper-coller grossiers dans la pellicule.

Seulement, le film est platement linéaire, sans véritables temps forts, de A à Z. Woody Allen a-t-il voulu nous faire une tragédie moderne, à l’antique, avec une « action menée jusqu’à son terme » *Aristote inside* ? Désolée, la catharsis n’opère pas. Pour cela, il faudrait qu’on adhère un minimum aux personnages, avant de s’en détacher. Mais ils n’ont rien d’héroïque, le grand est à peine humain, d’une médiocrité morale désolante, et le petit sans épaisseur. La richesse de son jeu n’intervient qu’après le crime – le mal est fait. A défaut de morale ou d’immoralisme cinglant, le film se clôt justement. Alors que le grand veut supprimer son cadet parce qu’il veut se dénoncer pour payer sa faute, il fléchit (morale familiale ou manque de force ?), ils se battent, le cadet tue l’aîné, et comme la coupe est pleine, il abandonne Cassandre à son triste sort et se noie. Et là, ce n’est toujours pas fini, on se tartine les inspecteurs qui constatent les décès (dès fois que le spectateur ait pu l’imaginer), et une scène sur leurs femmes encore insouciantes qui font du shopping – les deux personnages véritablement bien trouvés, au final.

Espèce d’agacement dégoûté. Même réaction idiote que lorsque j’avais lu la Bête humaine : pourquoi ne pas les avoir adossés à un mur et fusillés dès le départ ? On se serait épargné bien de la peine – non pas émotionnelle, ne rêvons pas, mais d’ennui.

* NB : je ne suis plus sûre de qui est le grand et qui est le petit frère, mais bon, c’est un simple moyen de les distinguer.

 

Il était une fois…

… une formule galvaudée, Disney, et un esprit parodique proche du potache.

    Si vous prenez le métro, vous avez dû apercevoir les affiches du dernier Disney, mi-dessin, mi-film. Quand j’ai vu la bande-annonce (ou les premiers instants du film, au choix), je me suis dit qu’on était mal barré et que ça risquait de devenir aussi lourd que les robes meringuées de princesse. Cependant, comme chacun sait, la meringue est vide, mais légère. Ca ne nourrit pas, mais se mange sans faim. Comme les pop-corn, semble-t-il, cette invention du diable, qui vous tire constamment hors du film, et vous fait réviser votre répertoire des « méchantes » pour lancer un regard courroucé au ruminant bruyant derrière vous –la stéréo a ses limites. Peu d’enfants dans la salle, curieusement pour ce film dès 6 ans (je repousse mes limites – et pourrai sans crainte aller tirer le cinquième Artemis Fowl de sous son étiquette 8-11 ans). La parodie fonctionne à tout âge, et l’ironie de ce film convient particulièrement aux adultes. Jugez plutôt : il leur permet de railler leurs idéaux enfantins tout en les conservant intacts (pour un peu je vous ferais le coup du négatif hégélien- non, je sais parfois me tenir). Le renversement dialectique tour de passe-passe est simple : il suffit de scinder l’entité « prince charmant ». Laissez le bellâtre se coiffer de ridicule et d’une couronne de statue de la liberté en mousse verte (la panoplie du parfait touriste se complète par un T-shirt I love NY, un appareil photo, un verre de Coca, et un sourire Colgate), et cherchez le « charmant » qui s’est trouvé un nouveau prédicat, qui s’est fourré dans un homme un brin râleur, tout ce qu’il y a de plus réaliste. Un simple changement de partenaire : le charmant est charmé par la princesse et refile la fiancée au prince. C’est le système des vases communiquant : un peu d’idéal pour le terre-à-terre et cellule de dégrisement pour la jolie niaise. C’est physique. Et les mathématiques ne sont pas exemptes de magie : redoublement de couple, le taux d’humeur amoureuse est explose carrément. Tout cela mis en facteur par le comique : ça ne fait pas un pli. Ca passe comme une lettre à la poste… Cher Père Noël, je voudrais un quelque chose charmant pour l’année prochaine. Surtout pas Prince, c’est très surfait, très superficiel – la mode est de chercher la beauté à l’intérieur. Et puis le côté boulet, c’est plus drôle. La palme revient cependant à l’écureuil couineur, ardemment poursuivi par Queudver. Cette énumération devient bordélique, ajoutons en un bouquet made in comédie musicale quelques autres ingrédients : les éboueurs qui ont dû avoir un mal fou à ne pas exploser de rire en se faisait braquer à l’épée par un zigoto en tenue princière, la princesse qui se taille ses robes dans les rideaux de son hôte ou encore la carte bleue sortie d’un bas de laine par une môme qui a décrété l’état d’urgence – nécessité de faire les magasins pour que sa future marâtre devienne une princesse.

Saurez-vous retrouver cette scène ?

    Cerise sur le gâteau : la grappe de ballons. Que j’ai reconnus… c’était le film qui était en tournage à Central Park lorsqu’on était à New York il y a deux ans. Deux ans ! Ils sélectionnaient des gens pour la figuration, tous vêtus de couleurs vives ou mielleuses, bref, très Disney, leur indiquaient avec minutie les déplacements « naturels » à effectuer, et ont refait de nombreuses prises… au final, deux secondes au montage, en arrière-plan flou ! Et Melendili de me rappeler qu’en une journée, on ne tourne souvent que quelques minutes. On croit à la magie, ou on n’y croit pas. Y’a pas que les princes dans la vie, y’a les rêves aussi. C’était la touche too much, le slogan d’Ebly sauce guimauve. ^^

Voilà, vous pouvez à présent prendre un air afligé pour me lyncher. 

La puissance du légume

    Pas de panique, vous ne serez dans ce post aucunement lobotomisé quant à la nécessité de manger au moins 5 fruits/légumes par jour mais je vous recommande tout de même un jus de fruit le matin, une salade à la cantine, ça aide à atteindre le score. Bien qu’en ces jours de post-fêtes, cela ne nous ferait pas de mal. Parce que moins on en mange, plus on l’est – légume. Inversement proportionnel. Non que ma condition de légume évaporé sur le canapé ne me satisfasse. Simplement, je n’en avais pas conscience, et mon premier cours de danse de l’année, hier, m’a renvoyée à ma condition légumineuse. Le chou-fleur qui me sert de cerveau avait beau lancer des signaux à mes jambes, ça tenait moins du stimuli nerveux que de la bouteille à la mer *bande-son : SOS société, nous sommes lààà pour vous aider…*. Et pour parfaire le tout, mes ronds de jambe semblaient battre la mayonnaise.
    C’est le résultat de la raclette-tarte-tatin des vacances placées sous le signe du navet. Navet flasque pour ma pomme, et navet cinématographique dont il faudra que je vous parle prochainement. L’addition se paye, et croyez-moi, elle est sucrée !

Le poids du luxe

Etre classe… pour les marques de luxe, il semblerait qu’il s’agit de ne pas l’avoir, mais d’avoir leurs produits à eux. Vous n’êtes plus classe grâce à ce tailleur Chanel que vous portiez divinement, mais grâce à ce sac Dior où les CDs sont plus nombreux que les disques sur les étagères d’un mélomane. D’une marque qui était un certain repère, on a fait un poinçon qui estampille une classe… sociale, bien plus que le charme de l’élégance. Du coup les marques s’affichent par leur sigle plus que par la coupe ou le dessin, et leurs clientes prennent des poses sans avoir l’attitude requise. Sentiment d’imposture ? Les dos s’arrondissent. Les épaules se voûtent. La clef de l’énigme ? Peut-être se trouve-t-elle dans la publicité desdites marques. Puisque le style ne se vend pas avec la marque et que cette dernière signale à des effluves à la ronde que cela pue le nouveau riche, la nouvelle tendance semble être de minorer ce luxe. Au lieu d’être en osmose avec les richesses et d’y trouver un écrin, on est bien décidé à montrer du dédain pour cette richesse qu’on a tant convoitée.

 

chanel

Coco mademoiselle la joue mutine pudique. La classe du chapeau melon sans la vulgarité des bottes de cuir. Coquine sans être aguicheuse. Savant mélange, mais pas si bien assumé –ou trop joué. Et que je t’arrondis les épaules.

 

Lorsque le pathético-lyrique prend le devant de la scène au théâtre, c’est encore pire. Elle a beau décrocher une étoile, la Juliette de Guerlain languit à la façon d’une jeune fille pulmonaire. Le romantisme éthéré se veut langoureux, il est surtout avachi, et la traîne n’a jamais aussi bien porté son nom. Juché sur son escalier de secours Art nouveau, l’oiseau de la nuit traduit par la courbe de son dos le point de votre interrogation. Où est passé le port de reine ? Les courbes sont belles lorsqu’elles sont naturelles, pas négligées. Un dos voûté ne remplacera jamais une belle chute de reins.

 

 

Quant à Miss Dior (décidemment, si la jeunesse coûte cher, elle ne vaut rien), on est au ras des pâquerettes –rendues invisibles par un gazon tondu si ras qu’on pourrait jouer au golf dessus. Miss Dior vit dans une maison blanche en miniature, un jardin taillé au cordeau, elle est belle, a une robe ravissante, un coup de pied de malade, a ôté ses chaussures comme pour gambader follement sur la pelouse (certainement pour fêter les découvertes de sa virée shopping – ce qui expliquerait aussi le mal aux pieds), et non – elle est tassée comme la petite vieille qu’elle deviendra et arbore déjà une gueule d’enterrement. Toute la misère du monde pèse sur ses épaules. Pas facile d’être riche – ni de porter une robe vaporeuse sans avoir l’air habillée d’un rideau (seule un mannequin de Givenchy peut alors être hot couture). Soit chérie et tais-toi redresse-toi.