Esquisses chorégraphiques

Samedi 13 mai au Colisée de Roubaix

« Il y a les spectacles de fin d’année et LE spectacle de fin d’année de l’École du Ballet du Nord. Venez assister à une représentation inoubliable dans l’une des plus belles salles de la région. »

C’est ainsi que le Colisée vend ce spectacle gratuit. Inoubliable, rien que ça. On dirait un parent d’élève qui s’emballe. Je lui accorde que ce n’est pas le spectacle de fin d’année moyen. Il y a un sacré boulot derrière. Les ensembles sont très travaillés, à la fois dans l’espace (épatée par les alignements des plus jeunes Oo) et la synchronisation, ce qui fait que l’ensemble a de l’allure, indépendamment du niveau individuel des élèves. Je note, je note, dans mon carnet imaginaire de future prof.

Les grandes sur pointes, par exemple, interprètent une pièce très Jerome Robbins dans l’esprit, sur du Chopin, avec des robes et des ports de bras fluides, dans un kaléidoscope de formations : des trios, des duos, de nombreuses entrées et sorties, des diagonales en groupe en descendant, en solo en remontant la scène en déboulés… Les pas restent globalement simples (pratique pour être ensemble), mais ça respire, c’est plaisant à voir, très dansant. Avec un peu de recul (merci la place au balcon), on arrive à oublier les genoux et les pieds pas tendus, voire patauds, de certaines (à moins que ce ne soient des pointes trop neuves ?) — ça choque forcément un peu l’œil quand le reste est là. In fine, j’ai été aussi surprise par la disparité du niveau technique que par la présence et le sens artistique du groupe ; à une époque où l’on s’est un peu trop habitué à compter le nombre de tours et à relever le degré des arabesques, cela fait du bien de voir l’attention concentrée sur ce qui fait la beauté de la danse. J’espère réussir à pareillement mettre mes élèves en valeur le jour où j’en aurai.

Il faut attendre la première pièce contemporaine des plus âgés (chorégraphiée par Sabrina Del Gallo) pour oublier le contexte de spectacle de fin d’année, et voir une qualité de mouvement qui réveille votre empathie kinesthésique de spectateur.  J’ai souri intérieurement de retrouver une ambiance clubbing de groupe sur de la musique électro, soit le parti pris de notre promo pour la dernière carte blanche. Ça donnait envie de les rejoindre sur scène, en tous cas. Et certaines danseuses sont carrément wow.

Le spectacle se finissait par la pièce qui a motivé ma venue comme spectatrice et pas seulement en tant que future prof de danse : Cage of God de Fábio Lopez, ancien danseur de Thierry Malandain et chorégraphe de la compagnie Illicite Bayonne. C’est là qu’on voit la différence entre un professeur, même très bon, et un chorégraphe : on n’a plus des élèves face à soi, mais des danseurs. Les chignons banane et les mini-shorts blancs sur tunique chaire achèvent la métamorphose en danseurs néo (j’ai l’impression de redécouvrir les trois danseuses que je connais via la formation). Fumigènes, lumières aveuglantes, musique anxiogène à fond les ballons, on y est. Le groupe a totalement investi la gestuelle du chorégraphe, muscles puissants, doigts finement articulés, dos archi cambrés. Tous, solistes d’un instant ou corps de ballet, se lancent à corps et énergie perdus dans cette pièce de quasi 20 minutes, bluffants. C’était 🔥.

(C’est le genre de pièce qui me donne envie de me ré-essayer au contemporain. Mais il y a un gros travail de remise en forme physique à faire avant ne serait-ce que d’y penser.)

Ciné de mars-avril

Everything, everywhere, all at once (sur OCS)

Quand on ouvre les fenêtres en voiture alors qu’on roule vite, il me faut toujours un moment avant de trouver mon souffle, cinglée par l’air. C’est pareil pour Everything, everywhere, all at once, que j’avais lancé pour me détendre, sans me douter de l’exigence du rythme : j’ai interrompu deux fois le visionnage avant de me faire à l’afflux visuel et d’entrer vraiment dans le délire. Je ne suis pas certaine d’avoir retenu grand-chose de l’histoire mère-fille qui se joue, noyée dans une myriade d’univers avec des doigts-Knacki et un bagel-trou noir destructeur de l’humanité, mais j’ai passé un bon moment. Puis j’ai toujours une tendresse particulière envers les gens qui déploient des trésors d’imagination pour nous rassurer sur nos choix de vie, postulant pléthores de vies parallèles alternatives pour vérifier qu’on ne peut pas tout avoir, et que la plus éclatante n’est pas nécessairement la plus heureuse.

La contrôleuse des impôts comme ennemi terrifiant (on ne voit pas son presse-papier-plug sur la photo)
Everything bagel

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Je verrai toujours vos visages

L’essentiel du film consiste en séances de parole entre détenus et victimes d’infractions similaires, préparées en amont par des médiateurs. Comprendre, non pour pardonner à l’autre, mais pour se réparer soi : c’est tout l’intérêt de ce dispositif de justice restaurative. Je verrai toujours vos visages est optimiste sans être joyeux, un concentré d’humain trop humain porté par une pléiade de bons acteurs (notamment Leïla Bekhti, Élodie Bouchez et Gilles Lellouche).

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Dancing Pina

La danse de Pina Bausch se prête décidément bien au documentaire. Pour un peu, elle passerait mieux à la caméra que sur scène, lorsque le geste est explicité dans la transmission, et les émotions qu’il remue chez les interprètes, captées à fleur d’instant.

J’ai aimé qu’il n’y ait pas de voix off, seulement les artistes qui s’expriment, danseurs et passeurs. J’ai aimé qu’on suive à la fois une transmission tout ce qu’il y a de plus classique, à une compagnie classique européenne, et celle, plus ébouriffante, de l’École des sables, rassemblant des artistes de toute l’Afrique aux parcours plus divers, avec une performance finale du Sacre du printemps dansée non pas dans un théâtre, la scène préalablement recouverte de terre apportée par bennes, mais sur le sable, sur la plage, avec le vent et quelques badauds qui n’ont pas été contenus hors-champ, un simple sillon délimitant l’espace de représentation. C’est un peu dingue.

À la fin de la séance, un monsieur  se tourne vers moi (envie de parler) et me raconte qu’en je-ne-sais-plus-combien, il avait eu la chance (envie de parler de lui, bon), alors qu’il était à l’école normale de Lille (envie de faire l’important, va pas falloir que ça dure trop), d’assister à une masterclasse… de Béjart. J’avoue, je n’avais pas vu venir la chute. (Pour l’envie de faire celui qui s’y connaît, c’est un peu raté, mais c’est mignon.)

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Awakenings (sur Amazon prime)

Première heure de film : les bons sentiments, une belle histoire édifiante, bon, pourquoi pas.
Seconde heure de film : les bons sentiments sans rythme, avec enlisement dans le pathos, c’est non.

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Bonne conduite

Déjà évoqué dans le journal d’avril.

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Fantastic Mr. Fox (sur OCS)

Une histoire toonesque, but make it animation, make it Wes Anderson. À la fois décalé et attendu. Drôle.

Le boyfriend, avec son œil de graphiste, a remarqué que Wes Anderson adorait les plans symétriques, centrés. Impossible de ne plus le voir une fois qu’on l’a vu.

Les quatre mousquetaires

Cette adaptation des Trois Mousquetaires est du même acabit que le cookie qui a précédé la séance : rien de mémorable, mais ça fait bien plaisir sur le moment. Surtout les plans où Lyna Khoudri fait sourire François Civil.

Le D’Artagnan de François Civil est une tête à claques et à baisers. Ses entrevues avec Constance ont été ajustées pour ne pas faire hurler une sensibilité moderne, ça passe de justesse (la maladresse feinte, censément touchante, de François Civil est un brin exaspérante), mais ça passe, grâce à ma faiblesse hétérosexuelle à l’aplomb de Lyna Khoudri. Cette dernière semble tout droit sortie de La Place d’une autre où je l’ai découverte ; on croirait qu’elle a fait trois pas pour passer d’un plateau de tournage à l’autre. Je n’ai en revanche pas réussi de tout le film à savoir d’où je connaissais la reine, jouée par Vicky Krieps : c’était l’actrice de Phantom Thread. Eva Green, elle, is and will be Eva Green, toute Milady qu’elle soit.

Porthos me surprend d’être incarné par Pio Marmaï : contrairement aux autres, à Romain Duris qui fait du Romain Duris, à Vincent Cassel qui fait du Vincent Cassel, etc., il ne fait pas du lui-même, ou à la marge.

Athos rend Vincent Cassel vaguement moins insupportable que d’habitude.

L’Aramis de Romain Duris me file un coup de vieux — je ne nous ai pas vus vieillir, tous, depuis L’Auberge espagnole. Ses tics passent moins bien, ou c’est moi qui les trouve désormais plus énervants qu’agaçants.

Aramis (Romain Duris) : "Tu veux pas le tuer, s'il te plaît ?"

Aramis (Romain Duris) : "Il m'exaspère."
Un mood. (Aramis à propos de D’Artagnan, mais ça peut se transposer des personnages aux acteurs.)

Le zozotement minaudé de Louis Garrel pourrait produire le même effet, mais il est rudement bien employé en roi mollasson. Baisse temporaire de testostérone, ça fait du bien dans ce film qui en est trop plein… ou pas assez ? En tentant de ménager la chèvre originale et le chou spectateur d’aujourd’hui, on sort le roman de son époque sans atteindre les attentes de la nôtre. Dans cet entre-deux uchronique, toute cette testostérone, pour laquelle je suis pourtant venue (plaisir hétérosexuel assumé face au casting annoncé), me lasse rapidement. Surtout lors des scènes d’action nocturnes qui m’ont semblées mal éclairées, dans une salle de cinéma qui l’était trop (à tous les coups, les vieilles ampoules incandescentes des sorties de secours ont été remplacées par des LED sans adaptation de Watt). Heureusement qu’il y a quelques punchlines. Des gros plans sur les mains. Et les fossettes de François Civil.

Journal d’avril

Week-end du 1er et 2 avril

Ma grand-mère se fait conduire par sa fille chez sa petite-fille, découvrir où j’habite. Elle est manifestement très heureuse d’être là, d’être reine.

Tasses de thé et tartine de nocciolata

Mum a réservé pour l’occasion une chambre d’hôte dans ma rue. Je découvre ainsi l’intérieur de ces grandes maisons bourgeoises qui me fascinent tant.

Ma grand-mère, elle, découvre enfin La Piscine, qu’elle a vu à la télé, en film et en reportage. Elle va pouvoir le dire aux copines. D’ailleurs, réflexion faite, on repassera le lendemain à la boutique du musée pour acheter un second exemplaire du Connaissance des arts dédié. C’est de famille, réflexion faite.

Au restaurant italien, ma grand-mère attrape son verre à deux mains, comme un enfant se gardant d’être malhabile. Je la visualise toujours avec la serviette dans l’autre main que celle du verre à pied, pour tapoter les traces de rouge à lèvres.

Dans les rues, ou non pavées, ma mère est toujours trois mètres devant, ma grand-mère trois mètres derrière, l’une agacée par les pas de geisha de l’autre. Pressée par le froid, aussi. Ma grand-mère pense que nous avons été trop optimistes ; elle, s’est habillée suffisamment chaudement. En réalité, ma mère et moi serions tout à fait bien avec nos cachemires si nous marchions à notre rythme habituel : notre baromètre vestimentaire inclut la chaleur dégagée par la marche, et nous n’avons pas pensé que celle de notre grand-mère équivaut désormais à rester assis dehors sur un banc.

Tous sont mouillés, d’ailleurs, quand ils existent. Je pense au petit fauteuil du magasin de danse, qui permettra une halte assise — et pas du tout de musarder entre les justaucorps, qu’allez-vous penser ? Mum m’offre celui que j’avais essayé il y a un moment et renoncé à prendre, pas sûre, un peu cher. Me revoilà enfant gâtée.

On s’invite à tour de rôle, Mum au restaurant italien, moi à l’Arrière-Pays où l’on fait descendre la moyenne d’âge, ma grand-mère chez Pancook, trois Welsh évidemment, elle n’avait pas mangé de frites depuis des années.

Verre de cidre, tasse à cage et sac à main de ma grand-mère avec des gants en fourrure qui dépassent

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4 avril

Au soleil les yeux mi-clos
les branches du saule pleureur prolongées par mes cils arc-en-ciel
je sens dans mes doigts le sang battre contre la tranche du livre refermé
sur ma joue la promesse du printemps qui se fait désirer

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Week-end du 8-9 avril

Parfois les visites amicales me transforment en guide touristique blasé de ma propre ville, et parfois, elles inversent la vapeur et rouvrent un espace de découverte au sein du bien trop (peu) connu. Après le restaurant La Clairière, trouvé grâce aux renseignements végétariens de C., Melendili m’a entraîné à la Wilderie, qui l’avait fait saliver sur Instagram : pourquoi diable ne vais-je pas plus souvent bruncher ? Jus pressé, tartines de houmous d’asperges et saumon gravelax, dans une profusion de saveurs que je n’irais jamais chercher par moi-même (légumes anciens, purée de poids cassés, pousses de choses que je mange uniquement poussées…), et voilà ma vibe bobo rallumée en un rien de temps.

Je rentre pour la première fois dans la boutique de Meert sur les talons de Melendili. Je n’aurais pas pensé à venir y sniffer du thé, ou juste rassasier ma curiosité, après avoir trouvé leurs gaufres insipides. Plaisir de faire les boutiques, d’entrer et de sortir, regarder, commenter, sans intention aucune de rien acheter.

Echiquier carré de chocolats Jeff de Bruges
Lundi de Pâques et magret de canard en E2.

Nous allons voir l’exposition sur Isamu Noguchi au LaM, musée d’art moderne de la métropole lilloise, et Villeneuve-d’Ascq se met à exister pour autre chose que sa fac tristounette. Je n’étais pas allée au musée depuis des lustres ; ça me ravigote et me décrasse la fibre culturelle.

Surtout, pouvoir discuter au long cours, et pas par tranches de deux heures espacées de deux mois. Je pourrais prolonger le thé du matin toute la journée ; Melendili doit me rappeler d’aller me doucher.

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10 avril

É. <3

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11 avril

Elle m’avait prévenue, j’avais oublié les dates. Le plaisir n’en est que plus grand : Luce, dans le coin pour raisons professionnelles, passe dîner à la maison. En semaine. Pour une seule soirée. Je ne sais pas si ça m’était déjà arrivé depuis que j’ai emménagé à Roubaix, de refermer la porte derrière quelqu’un peu avant minuit, avant le dernier métro, après avoir passé des heures à papoter, d’abord autour d’une tarte salée, puis sur le canapé. C’est la seule chose qui me manque réellement ici, les bouffées hebdomadaires, impromptues, d’amitié.

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12 avril

Collages non collés

J’ai tiré la petite table basse blanche devant la porte-fenêtre et je découpe d’anciens programmes de spectacle au soleil. Cela me fait du bien de suivre des trajets méticuleux aux ciseaux. Il faudra faire avec le dépit final. Les collages non collés sont restés en plan quelques jours avant d’être glissés dans une pochette transparente, comme un puzzle pour un jour plus inspiré.

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13 avril

Pour éviter que notre choré donne l’impression d’un patchwork avec nos petites phrases chorégraphiques juxtaposées, chaque groupe en apprend des bouts à d’autres, de manière à les tuiler. Sur les 2 comptes de 8 de contemporain avant-après notre diagonale classique, il y a un plié dos arrondi qui enchaîne sur un saut qui fait demi-tour. J’ai une légère appréhension quand les filles me le montrent, mais ça va ensuite au gré des répét, je fais petit, ça passe. Jusqu’au moment où. Le retour du lumbago.

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14 avril

Overdose de choréologie, j’ai du mal à rester courtoise dans ma communication non-verbale.

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15 avril

La journée de désintégration (sic) de la fac est annulée : soulagement d’avoir enfin un week-end à soi.

RDV avec l’ostéo grand-manitou. L5 déplacée. Ligament L4-iliaque déplacé. La routine. Une thoracique tournicote dans le mauvais sens (au moins je sais pourquoi je ne cambre plus). La lordose lombaire se tient en cyphose : je suis une crevette géante. Je plaisante, mais la séance est plus calme ou plus triste que les autres fois : lassitude ? décalage horaire ? Elle est moins survoltée, revient tout juste de Cuba, où elle possède une maison qu’elle fait rénover pour trois fois rien. La séance suffit à lui payer les plans de l’architecte.

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Lundi 17 avril

Lumière du soleil à travers la verrière du studio

Préparation procrastinée jusqu’au stress intense. Lorsque c’est mon tour de diriger les 17 petites boules d’énergie mal coordonnées en éveil-initiation : tourbillon, j’attrape juste des regards brillants, des bouilles qui répètent mes onomatopées, des bras qui se tendent, oublient avoir une articulation centrale nommée coude, des Regarde ! Comme ça ? avec des foulards qui restent accrochés aux collants par je ne sais quel miracle d’électricité statique. Avant d’être un peu dépassée par les événements, il y aura eu notre grand cercle, moi qui rivalise d’énergie avec eux pour essayer de canaliser la leur, des regards à la ronde comme une caméra embarquée dans un match de quidditch, changements de niveaux à tout va peu recommandés pour le lumbago — Pourquoi t’as une grosse ceinture comme ça ? — je n’ai jamais été autant dans le plié, pour me mettre à leur taille, ne pas les écraser de la mienne, qui ne les impressionnent pas du tout de toutes façons.

Ma séquence est très approximative, ma gestion du temps clairement mauvaise, j’ai évidemment parlé trop vite, mais les retours de la formatrice n’y font rien, je suis contente de moi. Au soulagement se mêle une forme d’euphorie légère, comme il y a une décennie à la fac, lorsque j’avais senti l’écoute polie de mon auditoire devenir captivée par ce que j’exposais, moi, rendez-vous compte, ce fut l’unique fois ; l’enseignante pouvait bien être dubitative sur quelques points de technique narrative, j’avais la classe avec moi, c’était inédit, l’adrénaline de l’oral-pensum transformée en quasi-jubilation. Je les ai perdus ensuite, mais brièvement, j’ai eu les enfants avec moi.

Impression soleil couchant

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Jeudi 20 avril

Les enfants sont en nombre impair, me voilà en binôme avec Lucien. On doit inventer une petite choré par deux : qu’est-ce qu’on fait ? On conspire, on fait simple, on balance les bras, puis les pieds, on monte et on descend, sans se perdre des yeux. Depuis la position accroupie, on fomente un tour en l’air ; ça crée des liens, mine de rien, de s’attendre accroupis pour un tour en l’air surprise, c’est pas rien, t’es prêt ? Yeux brillants, grand sourire et petites fossettes, évidemment qu’il est prêt, il n’a même pas besoin de répondre ; on retombe accroupis en tournant sur nous-mêmes, et on pourrait dévisser vers le haut, qu’à cela ne tienne, nous dévissons vers le haut pour nous redresser. Il faut un salut, aussi, alors nous nous inclinons l’un vers l’autre, un bras dans le dos.

C’est comme ça qu’un peu plus tard, j’ai eu le droit à mon premier « T’es trop belle » suivi, au câlin suivant, par « Et en plus t’es super gentille ». Prise au dépourvu, je me suis trouvée transformée en mi-cuit au chocolat, le cœur fondant. Vous ai-je dit qu’en plus cet enfant a des chaussettes renard ?

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Vendredi 21 avril

Ma camarade E. me rapporte qu’une des jumelles lui a demandé où était passée sa ceinture lombaire : qu’elle nous confonde m’a dédouanée de régulièrement l’appeler par le prénom de sa sœur.

Parlant prénom, je suis épatée par le revival de prénoms anciens : Lucien, Simone, Céleste, Léonie… Sans compter les prénoms que je n’ai jamais entendus de ma vie, qui m’obligent à consulter leur orthographe sur la liste d’appel pour ne pas faire répéter trois fois les enfants.

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Samedi 22 avril

Un bref moment sans enfant, N. assise en tailleur dos au miroir relève la tête de l’ordinateur devant lequel elle multitask : « Je pourrais pleurer de fatigue. » +1

Je ressors hébétée de cette semaine de 6 jours avec des 6 ans. Lessivée.

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Dimanche 23 avril

100 % de réussite au DE pour les 3e année. Y’a plus qu’à refaire la même l’année prochaine.

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Lundi 24 avril

Le risotto est moins long à touiller quand il vient m’enlacer.

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Mardi 25 avril

Bonne conduite au cinéma.  Sans Laure Calamy, j’aurais probablement trouvé navrants ces inspecteurs lents à la comprennette et ces chauffards à la beaufitude outrée, mais voilà, il y a Laure Calamy en vengeresse implacable et bafouillante, et sa présence suffit à faire basculer le film du bon côté de l’absurde : je ris à plusieurs reprises en donnant des esquisses de coups de poing sur le torse du boyfriend.

Juste avant, nous testons sur un bout de comptoir une échoppe coréenne qui vient d’ouvrir : leurs raviolis me sortent un peu de mon répertoire de saveurs quotidien — mandu is the new guyoza.

Raviolis coréens, avec une sauce sichuanaise pimentée (en haut) et avec une sauce au vinaigre (en bas)

…Jeudi 27 avril

Après-midi solo au sein de cette semaine de vacances en couple. Je fais une boucle qui part et revient chez mon ostéo-grand-manitou ; entre le cours collectif et le rendez-vous individuel, du temps à meubler, à dérober, au soleil : je passe par un coin de Lille que je n’ai pas encore tout à fait mappé, par un parc en fleurs, en tulipes même, pour acheter une nouvelle paire de pointe (nouvelle comme neuve mais aussi d’une marque dont je n’ai encore jamais testé les chaussons) et prendre en dessert-goûter une glace à l’italienne, peut-être davantage pour ouvrir un espace de déambulation printanière dans la ville que pour le pur plaisir des papilles. Celui associé à la ville buissonnière s’amoindrit un peu à mesure que je retrouve une zone cartographiée par cœur et passages obligés ; trop de monde déjà.

Cour de musculation en chaînes musculaires : d’habitude, je le suis le soir après les cours ; d’y venir un midi, tout est plus léger, ça me rappelle les pauses déjeuner où je m’échappais de ma vie salariée pour aller prendre un cours à Éléphant Paname. Il y a une adolescente que je n’ai jamais vue le soir, mais qui, par sa posture de pré-pro, me rappelle des souvenirs — ça me semble loin, maintenant. On travaille l’en-dehors, et je découvre une fois de plus que, quoique pas de main morte, je faisais les choses à moitié : je sentais les rotateurs tourner les cuisses par derrière sous les fesses, mais pas la continuité qui les tire par devant. Cette fois-ci, l’énième découverte ne m’abat pas, me rend même plutôt guillerette : je commence à comprendre (comprenez : sentir) des choses. Me fait même plutôt rire la tête horrifiée de la prof constatant les a-coups de ma tête de fémur dans l’acétabulum (il y a comme des crans à passer, qui craquent).

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Vendredi 28 avril

Makrout géant : je pense à @_gohu, qui réagit au quart de tour sur Instagram.
Festival de mapping vidéo, sur la mairie de Roubaix

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Dimanche 30 avril

Restaurant 1 est fermé.
Restaurant 2 et sa serveuse malaimable comme une Parisienne délocalisée nous font poireauter une demie-heure avant de nous informer qu’il n’y a plus qu’un seul plat à la carte, et plus de cidre non plus pour faire passer le quinoa, mais que le restaurant 4 propose de la viande et sert encore à cette heure si l’on veut.
Restaurant 3 croisé avant le restaurant 4 peut nous proposer un brunch sucré mais plus de salé : eux aussi ont été dévalisés.
Restaurant 4 en réalité ne sert plus à cette heure.
Restaurant 5 in extremis se rappelle à moi, bien que je n’y ai jamais mis les pieds. Il est 14h30, la cuisine fermera après nous.

Je m’étais mépris sur la qualité des plats, si peu instagrammables. Ce que les photos de Tripadvisor ne disaient pas, c’est que le burger désespérément lisse et ses frites pâlotes sont en réalité savoureux, pain brioché au beurre et frites crousti-moelleuses. Rien d’extraordinaire, mais c’est bon. À la carte, des classiques qu’il ne viendrait à l’idée de personne de revisiter ; en dessert, des profiteroles, de la mousse au chocolat, du tiramisu. Bon, sans surprise, c’est ce qu’on demande au chef, et ce que promet le lieu, avec ses banquettes sombres, ses luminaires nombreux, ses boiseries pleines de miroir, ses serveurs et serveuses en tenue de garçon de café parisien.

C’est fou comme on trouve exactement la clientèle qu’on s’attend à trouver dans ce genre d’endroit, s’étonne le boyfriend. Nous faisons chuter la moyenne d’âge. Un ou deux couples dans la cinquan-soixantaine. Une très vieille dame avec sa fille aux cheveux blancs. Elle mange des escargots, évidemment. Puis un plat copieux, et un dessert avec ça, elle ne va pas se laisser abattre. Nous sommes dimanche. Son nez, ses gestes maladroits me font penser à mon arrière-grand-mère tradi, mamie de Bourges. Pour le boyfriend, c’est sa grand-mère, une de ces petites vieilles qui ne disent rien, ne parlent pas, mais s’enfilent tout ce qui passe, avec un appétit incroyable pour une corpulence si discrète ; son père lui-même n’en revenait pas, elle mangeait tout ce qu’il préparait, deux plats par repas ; le boyfriend se voûte légèrement et mime des deux mains qu’il rabat vers sa bouche, tout, sa bouche se retient de rire, ses yeux rient déjà en billes de flipper dans les orbites alors que ses mains se bâfrent toujours, un véritable évier, je m’insurge et je ris (je peux, la vieille dame est déjà partie depuis un moment) ; cela me fait si plaisir de le voir à nouveau rieur, riant.

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Au moment de nous quitter, il me dit ma chérie et ça me tombe sur le cœur comme une douche chaude sur des muscles courbaturés. (La première fois, je me suis retenue de ne pas grimacer à cette appellation kitsch dans laquelle je ne me reconnaissais pas. Les fois suivantes, je n’ai rien répondu, me retournant intérieurement pour voir à qui, quoi en moi, ce surnom pouvait être destiné, comme on se retourne pour vérifier qu’un regard nous est adressé. Aujourd’hui, dorénavant, la douche chaude comme un met rare.)

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Le parc Barbieux, bondé, m’aère les jambes sans m’aérer l’esprit. Les fleurs de magnolia sont déjà presque toutes tombées, l’arbre fuchsia presque verdoyant.

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Pendant les vacances,
quelque part entre le 24 et le 30 avril

La reprise consistera en 20h de danse en 4 jours. J’aimerais cette fois-ci ne pas me blesser, même si je ne me fais pas trop d’illusion avec une telle montée en régime. J’avais projeté de m’entraîner quotidiennement pour augmenter progressivement la sollicitation musculaire et cardio, mais c’était oublier la fatigue et le repos. Tout ce que je peux dire est que je n’ai pas rien fait, même si je doute que ce sera assez.

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Quand É. est là, je gravite autour de lui. Rien ne m’empêche de faire autre chose, et je m’y emploie, à faire autre chose, je me propulse d’une pièce à l’autre pour y déplacer les objets, les assigner à un endroit qu’ils occuperont le temps d’être à nouveau utilisés, j’écope les casseroles dans l’évier, j’écrase les bouteilles de lait ou de Coca vides, mais quand les possibles sont rouverts par la trêve d’un ordre temporairement reconquis, je reviens vers lui, É., le canapé, et si j’ouvre le clapet de l’ordinateur, ce n’est pas pour écrire, mais passer d’un onglet à un autre, mails, timelines, Duolingo comme une casserole de plus dans l’évier, pardon una pentola.

Il n’y a que lorsque je le sais je le sens à travers la cloison dans le lit où il est allé se recoucher que je parviens à me concentrer, comme si la cloison et le sommeil conjugués atténuaient la force d’attraction juste ce qu’il faut pour qu’il n’y ait plus à s’en arracher. Je vole, plus que du temps, de la concentration — et la dilapide sitôt sa présence revenue. Je suis koala, collante, enveloppante, là, juste là, sur le canapé, insatiable de peau, d’odeurs, de câlins, de discussions, je m’éloigne d’une fesse ou deux quand même, reste là, dans un entre-deux d’action et d’inaction, de plaisir à être là et de déplaisir à rester là, un entre-deux parfaitement calibré pour (et imparfaitement masqué par) les cartes postales d’Instagram.

Sortir du canapé, de la paresse et de chez moi devient un acte d’arrachement. Il faut lutter, et je suis toujours surprise, ensuite, de la facilité qui suit, de la facilité qu’il y a à se mouvoir, à se promener, à faire ce qu’on voulait ou qu’il y avait à faire — l’inertie du mouvement me rendant incrédule de l’inertie qui tantôt me maintenait dans une posture indéfiniment statique.

É., de son propre aveu, fait l’effet d’un trou noir. Autour de lui, le temps s’étire, la volonté se distord, l’injonction à la productivité s’éloigne, la distance avec tout le reste se creuse. C’est incroyablement apaisant, d’abord. Dans un premier temps. Tout le monde n’a pas le pouvoir d’ouvrir des parenthèses d’éternité chaque après-midi. Mais je ne sais pas encore comment négocier le second temps, le retour, quand le temps condensé en une éternité est passé comme un rien. Quand je m’aperçois que je n’ai rien fait. Et certes ne rien faire n’est en soi pas grave, est même appréciable et salvateur à petite dose, mais qui finirais-je par être si je ne faisais qu’être — là, et pas ceci ou cela, telle ou telle ?

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Mon ex était un hyperactif forcené de travail. L’impératif dans lequel il tenait ses plans d’évasion sociale, comme il disait, l’a conduit à un burn-out qu’il n’a jamais admis du vivant de notre relation. Je m’étais habituée. L’abus, c’est quand il s’arrêtait en pleine rue en vacances pour répondre à un mail : qu’il attende que l’on soit attablé et que j’hésite entre toutes les options du menu ! Quelques minutes après une petite mort, il pouvait se remettre à résoudre un bug ; je le savais, le sentais à son absence (les caresses suspendues, le regard tourné vers la computation des méninges). Je crois que j’avais pris le parti de m’en amuser, je riais de lui ; puis le rire a jauni, de dépit je le renvoyais devant son écran.

Ce n’était pas qu’une question de porosité extrême (voire d’identité) entre le pro et le perso, ou plutôt cette confusion pro-perso n’était pas qu’une question de timing et d’agenda ; elle colorait tout.  Tout devait être optimisé, rentabilisé (une tendance qu’avec ma peur de gâcher, j’ai très bien assimilée). Il fallait partir à la dernière minute, toujours, et finir par courir, par être en retard parfois, pour ne pas perdre du temps à être en avance (de fait, on a beaucoup attendu sur les quais de gare) ; les villes ne se visitaient pas, elles se quadrillaient, jusqu’à être assimilées, mappées ; les programmes de salles de spectacles se compulsaient, il fallait tout voir, tout caser (les concerts étaient le seul moment où il entrait dans un état proche de la méditation qui lui aérait la cervelle — et permettait parfois à un bug de se décoincer, le loisir devant rester un temps de récupération utile). Il fallait, toujours. Une personnification, jusqu’à la caricature, de la thèse de Corbin sur la société des loisirs (le temps du travail industriel puis salarié a coloré le temps personnel devenu un temps de loisir, clairement délimité et soumis au même impératif de rentabilité).

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On peut dire que je suis passée d’un extrême à l’autre, en terme de rapport au temps et à l’activité dans le compagnonnage. Du faire à l’être. Mon curseur oscille, accroche encore entre les deux. Auprès de mon ex, je semblais à la traîne, dilettante ; auprès du boyfriend, je traîne mon impératif d’accomplissement, acharnée.

Probablement étonné par ce revirement d’ancrage, on m’a demandé dans mon entourage : et ça te suffit ? Ce n’était pas une question piège, on s’enquérait avec sollicitude, l’étonnement abouché au souci de. Mais ça m’a fait intérieurement grimacer, à mettre dans le mil d’inquiétudes irrésolues. Est-ce que c’est comme avec le choixpeau magique, est-ce que ce qu’on veut vouloir a une incidence sur ce qu’on est et peut devenir ? est-ce que ça peut me suffire si je veux que cela me suffise ? Et c’est quoi, ça ? Comme souvent, c’est l’indétermination qui est inquiétante. Est-ce que « ça », c’est l’influence d’un compagnon avec qui je me sens si bien ? la vie que je me prépare, une fois passée la projection des études jusqu’au diplôme de professeur de danse ? Je ne sais pas si ci, si ça, si finir mon bouquin sur la danse, si quoi que ce soit suffira à faire taire le sentiment d’inaccomplissement qui me taraude de temps à autres.

Pourtant j’ai l’impression d’être en bon chemin, vers quelque chose de plus apaisé. Peut-être que de moins s’accrocher à la volonté, on devient moins vélléitaire ? Un peu comme en danse, où l’on progresse quand on comprend comment prendre le mouvement moins en force (laquelle cesse de se confondre avec l’effort). Bref, je suis à point pour reprendre un peu de suivi psy. Et passer une partie non négligeable des vacances à regarder le chat se prélasser sur son coussin, s’étirer sur le canapé, dormir dans l’armoire, pour mieux se cacher et surgir de derrière les rideaux comme une fusée poilue dans ses quarts d’heure de folie.

Mars spectaculaire

C’est la loi des séries : après la désertion culturelle, 3 spectacle en 3 semaines ! (Oui, je sais, c’était la dose hebdomadaire dans la vingtaine parisienne. Non, je sais, la série ne s’est pas prolongée en avril.)

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Samedi 4 mars,
à l’Opéra de Lille

G.R.O.O.V.E. de Bintou Dembélé

Un parcours de déambulation dans tout l’Opéra ? J’avais en mémoire l’expérience de Boris Charmatz au palais Garnier ; cela me semblait chouette de récidiver à l’Opéra de Lille avec une autre chorégraphe. La formule s’avère nettement différente : pas de promenade à la carte, le public est scindé en trois groupes et sommé de suivre les bonnets bleus, roses ou jaunes des ouvreurs, en fonction du bracelet de naissance en papier qu’on nous accroché au poignet (team jaune fluo). Trois groupes pour trois espaces distincts (la rotonde au sous-sol, la scène et une salle de répétition tout en haut) et des embouteillages à l’interclasse, qui renforcent l’aspect fragmentaire de cette soirée.

Extraits de Bintou Dembélé en kaléidoscope :

Sur les marches devant l’Opéra, les danseurs ne dansent pas encore ; ils prennent la pose et en changent quelques fois. Les badauds sentent qu’il se passe quelque chose ; les spectateurs attendent qu’il se passe quelque chose. Les artistes tirent la gueule devant une moto, bad girls bad boys défiant un objectif qui n’existe pas, le public peut-être. Personne ne danse. Je suis partagée face à ce voguing sans mouvement, qui contribue à n’en pas douter à créer cette présence de dingue chez des artistes qui se présentent dépouillés de toute virtuosité, mais nous prive des promesses qu’il nous sont faites. Vous allez voir ce que vous allez voir, semble nous dire ce préambule ; et que voyons-nous ? Quand verrons-nous danser ?

À la rotonde au sous-sol, le chant évoque au micro l’héritage des plantations esclavagistes. Il occupe l’espace, la chanteuse immense dans une immense robe à panier. Assis autour des colonnes, on attend, en essayant de ne pas attendre. C’est une danse minimale, puis plus si minimale mais encore anecdotique, qui finit par accompagner le chant, des ondulations de cheveux, de bras. C’est beau quand on renonce au spectacle de danse qu’on était venu voir, si on y parvient (sinon : illustration).

La scène a été transformée en parking à coup de néons, un corps au sol inerte. Le public erre sans trouver de place jusqu’à ce que le corps soit traîné puis accroché à une corde (les néons empilés sous lui en un mikado-bûcher), et hissé dans les airs comme une victime de lynchage tandis qu’une foule de vêtements désincarnés descendent des cintres, fantômes des pendus de l’histoire. À ce point de la soirée, je suis tentée de la rebaptiser S.E.U.M.

Dégringolade d’intensité en montant dans la salle de répétition sous les toits de l’Opéra, pour assister à une projection vidéo. Il y est notamment question de danse indienne et urbaine ; ça aurait eu sa place dans le cours de la fac sur l’appropriation culturelle.

Bleu, rose, jaune, nous sommes tous regroupés dans le foyer pour un court entracte puis un défilé avec aplomb et tissus métalliques dorés — voguing assumé. On se gêne un peu entre spectateurs. Je me demande l’effet que ça fait au groupe qui vient de la scène (du crime).

Enfin, nous (re)trouvons notre place de spectateur dans la salle, les danseurs sur scène pour une reprise des Indes galantes, aka la chorégraphie qui a fait connaître Bintou Dembélé au grand public (mélomane, parisien, bourgeois, venu assister à un opéra baroque et transporté par un passage de danse krump). C’est assurément le clou du spectacle, si on peut appeler cette soirée spectacle et si, après la performance du pendu, on peut se défaire du clou comme de l’élément christique qui affiche la souffrance. Je suis incapable de bouder plus longtemps mon plaisir face à cette session de rattrapage, tout comme je suis ensuite incapable de résister à l’invitation faite au public de monter sur scène, mais reste un peu perplexe face à cette liesse soudaine (factice ?) après des sujets si graves (besoin de se défouler ?).

Monter sur scène : il ne faut pas le dire deux fois à des danseuses amatrices. Toutes ou presque, nous jetons nos manteaux sur un fauteuil et allons rejoindre sur le plateau les danseurs de Bintou Dembélé et les krumpers locaux venus gonfler les effectifs (dont une camarade de fac, tellement belle en scène même si manifestement un peu intimidée). L’Opéra est transformé en boîte de nuit. De manière contradictoire, je m’efforce d’oublier et de goûter le moment : goûter la salle vue depuis la scène, le plaisir de danser sur une scène où je ne serais jamais montée en tant que danseuse ; oublier qu’hormis une brève interaction avec une danseuse krump amatrice (cœur sur elle) je danse seule, malgré la foule d’inconnus et le petit noyau de camarades, oublier que je dois faire l’effort de m’oublier, ayant davantage obéi à la joie transgressive de monter sur le plateau qu’à une véritable pulsion de danse (pas si enfouie, pourtant).

Quelque jours plus tard, des camarades de fac me feront part de leur étonnement, ne m’ayant jamais vu danser comme ça.

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Jeudi 9 mars,
au Colisée de Roubaix

West Side Story

C’est la production que l’on verra la saison prochaine à Paris, en avant-première à Roubaix. On n’est pas floué sur la scénographie, les décors sont à la hauteur, le cast aussi. C’est bien chanté, bien joué*, bien dansé, avec professionnalisme et énergie. Parfait pour une soirée au débotté avec une place dégotée en dernière minute à 15€.  Je ne sais pas ce que j’en aurais pensé si j’y avais mis la somme que coûte véritablement le spectacle… Et pourtant je suis rentrée (à pieds, ce luxe) en criant intérieurement MAMBO tous les dix mètres. Peut-être que ça manquait juste de quelqu’un avec qui le partager, ou d’entrain collectif ? Quand l’orchestre a repris un extrait de Mambo pour signaler au public la fin de l’entracte, personne n’a surenchéri avec les cuivres.

Par un street artist de Roubaix

* Par un orchestre live, le Colisée possède donc une fosse !

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Jeudi 16 mars,
à l’Opéra de Lille

Mystery Sonatas / for Rosa, d’Anne Teresa De Keersmaeker

Pour nous remercier d’avoir animé des ateliers à destination des scolaires (pourtant intégrés à notre formation), l’Opéra de Lille nous a offert des places de spectacle !

La demi-bande de Möbius métallique attachée aux cintres réfléchit des effets de lumière magnifiques. De la beauté, oui, mais pas au point de ne pas avoir mal aux fesses, sur les sièges pourtant confortables de l’opéra. 2h15 sans entracte, c’est long quand les moments d’empathie kinesthésiques se font rares. J’apprends par la suite qu’ils ont surgi lors les passages qui étaient le moins de Keersmaeker, solos intégrés par la chorégraphe mais proposés par les danseurs. Mon esprit de contradiction a ainsi trouvé le plus de joie sur les cinq sonates dites “douloureuses”, par opposition aux cinq “joyeuses” qui précèdent et aux cinq “glorieuses” qui suivent.

Parmi les pétales de roses séchés que je retrouve en feuilletant mon dictionnaire mémoriel, il y aurait :

  • un moment de douce pénombre, où les danseurs sont comme endormis les uns contre les autres dans un rayon de lune, au milieu des scotchs de couleurs phosphorescents au sol ;
  • des habits de lumière noire ;
  • la danseuse avec une coupe au carré, qui me fait penser à F., avec nous en première année de formation au DE, dont je suis également fan.

À la sortie, mes camarades sont globalement enthousiastes, et je me demande dépitée où est passée ma joie de spectatrice, la vraie, celle née de la fascination, qui donne la sensation d’avoir vécu plus intensément une soirée durant ? Où est passée ma came ?