Un violoncelle sur l’océan

Concert du jeudi 21 mars
par l’Orchestre de Paris
à la Philharmonie

Le concert commence par une belle promenade en barque… sur l’océan. Ravel est comme ça, l’immensité dans la touche impressionniste.

Le roulis gagne Truls Mørk, qui se balance avec son instrument dans le Concerto pour violoncelle d’Edward Elgar. Le soliste est gigantesque lorsqu’il arrive en scène, et je ne comprends pas sur le moment la remarque qu’y accole Palpatine : « Il a un o barré dans son nom, non ? » Le lien entre taille et origine nordique se fait à retardement dans mon esprit, alors que la musique a déjà commencé. Je forme alors à l’attention de Palpatine un cercle avec le pouce et l’index de la main gauche, le barre avec l’index de la main droite et fait un signe d’approbation de la tête, ou mime la révélation mais c’est bien sûr, je ne sais plus exactement. J’aime ces parenthèses de compréhension mimée. Ou d’incompréhension, mais toujours dans la connivence de qui s’adresse sans parler : un peu plus tard, je tapote sur son épaule et, n’arrivant pas à plier mon doigt comme le soliste sur ses cordes, je désigne à Palpatine ses phalanges, qu’il a aussi laxes que le violoncelliste, au point que les doigts semblent se plier dans le sens inverse de l’articulation.

Le concerto dessine en contre-jour la silhouette d’un homme devant les rideaux translucides d’une pièce victorienne. Je n’y peux rien, on dirait la couverture d’une série Netflix. L’homme à contrejour, sans être âgé, n’est plus dans la force de l’âge. Dans la force des choses, plutôt. Ses épaules ont exercé le pouvoir, probablement, mais la puissance s’en est allée : ne reste que le sens des responsabilités passées, qui pèsent encore sur le présent, irrémédiablement. La musique n’est ni complètement solennelle, ni fantaisiste : c’est une forme de lucidité qui louvoie entre les deux, grave et juste comme la vie qui passe.

J’ai ensuite appris en lisant le programme que cette pièce « testamentaire, réflexion douce-amère sur la vieillesse et sur les violences de l’histoire » avait été composée « immédiatement au sortir de la Première Guerre mondiale ». J’avais vu juste par le petit bout de la lorgnette – comme souvent : je perçois toujours mieux l’individu que le groupe.

La soirée s’est terminée avec Une vie de héros, de Richard Strauss. Je ne sais pas pourquoi, j’attendais à la place la pièce dont je me suis rappelée ensuite qu’elle s’intitulait Mort et transfiguration. Un peu déçue, j’ai trouvé le temps long.

Amanda

Amanda, c’est le même réalisateur que Ce sentiment de l’été (Mikhaël Hers).

La même lumière, les branchages sur les murs.

Les mêmes quartiers de Paris à vélo – sans ceux de New York et Berlin, mais avec Périgueux (sursaut de surprise en voyant la gare où je retrouve mon père, comme à chaque fois que je retrouve à l’écran un lieu que je connais par la répétition). Et le parc de Vincennes, où je ne vais jamais et où je suis allée quelques jours auparavant. Le réalisateur s’y fait dérouler un attentat fictif, bien trop crédible. Un bol de salade ensanglanté, une mère, une soeur qui ne reviendra jamais.

La même thématique impossible : le deuil.

La même manière d’être au plus près de la vie, dans les sourires qui savent ou ne savent pas ce qui leur en coûte, les jours qui n’avancent pas et se concatènent, la lumière trop belle et douloureuse, trop présente, absente soudain et c’est reposant, peut-être, qu’il ne fasse pas si beau quand on est en deuil – cesser un temps d’être aveuglé de soleil comme de douleur. L’éclipse de vie, puis des éclipses de chagrin, quand la joie ressurgit malgré soi. Les larmes à contretemps. Et un Paris-Brest tous les deux jours, ah oui, quand même.

D’autres acteurs, en revanche, qui surgissent de ma filmographie de ces dernières années, des têtes qu’on voit plus ou moins, que j’aime beaucoup et que je suis surprise de retrouver là, comme une connaissance croisée dans la rue : Stacy Martin comme point de fuite de Vincent Lacoste (ce menton, ces galoches) ; et, oh, l’acteur de Premières vacances (Jonathan Cohen) ; oh, Claire Tran, en connaissance croisée, justement, deux minutes pour jouer juste, on se revoit vite mais on ne sait jamais quand.

Une autre intensité d’émotion, au final : le coin de l’oeil plutôt que la gorge. Amanda ne me hantera pas comme Ce sentiment de l’été – la répétition qui amortit le choc, peut-être ? Ou les dialogues qui sonnent moins artificiels, où, du coup, ça ne résonne pas autant ? Il y avait dans l’autre film cette dissonance de cinéma d’auteur, où l’on entend autant le silence d’où viennent les paroles que les paroles elles-mêmes. On ne le retrouve ici que chez Stacy Martin, je crois (style de l’actrice ? bilinguisme ?).

Amanda ne me hantera pas comme Ce sentiment de l’été, mais je suis heureuse d’avoir pu le voir en rattrapage grâce à un festival inopiné à l’UGC du coin.

La masturbation et les sushis

Dans une bibliothèque de manuscrits refusés, où l’on trouve des titres aussi prometteurs que celui que je n’ai pas résisté à reprendre pour le titre de ce billet de blog, une jeune éditrice tombe sur une pépite, qu’elle publie aussitôt : c’est un phénomène littéraire. Un critique néanmoins a du mal à avaler que ce chef-d’œuvre ait été écrit par un pizzaïolo que personne n’a jamais vu lire et encore moins écrire. Que cet homme ait emporté son secret dans sa tombe, il le refuse, et part en enquête comme on part en croisade.

Je ne serais probablement pas allée voir Le Mystère Henri Pick si le critique littéraire n’avait pas été joué par Fabrice Luchini. Toujours fidèle à lui-même, toujours Alceste à bicyclette en Bretagne : désobligeant-désopilant. Mais, une fois n’est pas coutume, on lui tient la dragée haute : Camille Cottin, qui joue la fille de l’écrivain mystère, a l’aplomb et le charisme nécessaires pour rembarrer et son personnage et Fabrice Luchini. Leur duo improbable fait du Mystère Henri Pick un film fort plaisant à aller voir après déjeuner, un après-midi où l’on est engourdi par la fièvre d’un début de crève.


En revanche, je suis tombée sans faire attention sur une séance pour malentendants, avec des sous-titres dont on ne sait jamais exactement où ni en quelle couleur ils vont apparaître : blanc et jaune pour les dialogues, plus ou moins au milieu, à gauche de la table, à droite de la chaise ; rose pour la musique et les bruits d’ambiance dans le coin en bas à gauche… Mine de rien, il faut une certaine concentration pour réussir à en faire abstraction – j’ai ainsi pu vérifier malgré moi ce que le cours d’UX design disait de la vision prériphérique (par opposition à la vision fovéale qui permet de faire focus et lire) : elle est particulièrement sensible aux mouvements et aux couleurs.

Les piles horizontales #6

Pile de 10 livres d'Annie Ernaux en Folio

Les piles horizontales, ce sont les livres lus ces derniers mois ou dernières années, qui s’entassent chez moi au-dessus des bibliothèques en attendant d’être chroniquettés et d’acquérir ainsi leur droit à l’oubli. Aujourd’hui, une série consacrée à Annie Ernaux qui, avec Simone de Beauvoir et Alessandro Baricco, constitue l’une de mes grandes découvertes de mes 25-30 ans.

Continuer la lecture de « Les piles horizontales #6 »