Sur la suggestion de Lluciole
Soi-disant parce qu’il n’y a pas de compétence particulière à avoir, juste de la curiosité.
J’ai croisé à plusieurs reprises des gens curieux qui ont tenté d’approcher le ballet et sont ressortis quelque peu perplexes de leur premier Lac des cygnes. Si vous êtes dans ce cas, cet article est pour vous. Sinon, on se connaît probablement déjà, tu peux retourner twitter avec tes balletomanes préférées, ou assommer les énormes trolls des montagnes que je risque d’introduire entre les princesses et les fées.
D’abord, commencer par le Lac des cygnes est une intention louable, mais pas forcément une bonne idée, et pas uniquement parce qu’on a largement le temps d’avoir mal aux fesses. Le côté magique, aérien, gracieux (c’est le pire compliment qu’on puisse faire à une danseuse, je crois ; cela me donne l’impression d’être une belle potiche évaporée) ou que sais-je encore, le côté qui charme le béotien est aussi celui qui risque de copieusement l’ennuyer (une potiche meuble un appartement, pas une soirée).
À éviter également lors d’une première soirée : Coppélia, difficilement compréhensible si l’on n’a pas son précis de pantomime avec soi ; La Belle au bois dormant, qui contient un risque d’identification trop forte avec l’héroïne ; La Sylphide qui risque de passer pour une précieuse ridicule (moins cependant que son amoureux en kilt).
Qu’aller voir alors ? Selon les goûts, Don Quichotte pour l’énergie à l’espagnole, La Fille mal gardée pour rire dans un cadre désuet ou, mon préféré, La Bayadère, pour son exotisme kitsch et délectable. Et dans les ballets classiques par la technique qu’ils utilisent mais qui appartiennent à notre époque : La Dame au camélias. Dans l’absolu, parce que nous ne sommes pas en Russie (la bouleversante Anna Karénine de Boris Eifman) ni en Angleterre (la drôle et gentiement spectaculaire Alice au pays des merveilles de Wheeldon), je recommanderais plutôt du néoclassique ou du contemporain, un Boléro, un Sacre du printemps ou une pièce comme Vertical Road, bref, un truc qui vous terrasse au fond de votre siège. Parce que la danse, c’est ça : des corps, des sensations, des sentiments. Le ballet, ça peut être ça, aussi, mais il ne faut pas se laisser arrêter par la couche de codes, de conventions et de pudeur bien sédimentée au fil des siècles, ni par les livrets abracadabrants, aussi complexes que gentillets. Au milieu de tout ça et de la technique virtuose se cachent aussi des moments d’humanité pure, des instants qui peuvent vous faire rire ou vous émouvoir, parce que soudain le mouvement devient geste, devient porteur de sens et de sensations. Le propos de ce billet n’est pas de pointer du doigt ces instants-là (pour ça, j’ai un projet un peu plus ambitieux qu’une note de blog, qui me trotte dans la tête), mais d’écarter ce qui pourrait vous empêcher de les voir.
Je ne comprends rien à l’histoire.
Voyez-y la preuve que vous êtes normalement constitué. C’est normal. Ce qui n’enlève rien au côté irritant de la chose. Pour ne pas passer un acte entier à vous demander quel serait le statut Facebook du mec en bleu, s’il est ami, amant, amoureux, père, frère ou ennemi de la nana en orange, un seul remède : lire le livret avant d’assister à la représentation. Soit vous avez 12 € à dépenser et vous arrivez avec assez d’avance pour lire le programme, soit Wikipédia et les pages perso des balletomanes sont vos amis. Tant que les personnages n’apparaîtront pas avec une étiquette à leur nom plantée dans leur chignon comme sur un plateau de fromage, je ne vois pas d’autre solution à vous proposer.
J’ai compris l’histoire : tout ça pour… ça ?
Clairement, vous n’avez pas été entraîné par votre grand-mère tous les mercredis avec Les Feux de l’amour. Revoyez donc vos classiques : coup de foudre, coup de pute, pardon, vengeance, mort, amour et jalousie sont au programme. Seule différence : les noms sont moins américains, mais tout aussi ridicules.
Clairement, les ballets ne brillent pas par l’originalité de leur livret. Parfois davantage pour leur poésie ou leur symbolique, comme Giselle, écrit par Théophile Gautier. A cette époque, l’histoire est souvent un prétexte à caser des divertissements.
Pourquoi les guerriers se mettent-ils tous à danser d’un coup ?
Parce qu’à cette époque, la danse était un art noble et viril, et un guerrier, un bon danseur, patate pardi. Les bonnes choses se perdent… Bon, accessoirement, n’importe quel groupe peut se mettre à danser : sauvages, guerriers, cour royale, prêtresses, villageois… c’est un divertissement. Soit il s’appuie sur une pratique sociologique existante (la danse lors de noces ou d’un bal, qu’il soit royal ou populaire), prétexte chewing-gum (le bal est étiré en longueur : il est bien connu qu’une cour passe sa vie en frivolité et chacun en revue), soit il tombe comme un cheveu sur la soupe.
Ladite soupe est alors un concentré de tout ce qui fait exotique : danse arabe, espagnole, chinoise, russe… Dans Cendrillon, le prince ne parcourt plus le royaume mais le monde entier. Dans Casse-Noisette, on voyage à Confiturembourg, le royaume des délices où l’on présente à l’héroïne (trop jeune pour être décemment mariée au prince, d’où ce substitut aux noces, qui remplace le plaisir sensuel par le plaisir gustatif) tout un tas de gâteries : du chocolat (espagnol), du café (arabe), du thé (chinois), etc. Et si l’on est de base dans l’univers du conte, où l’existence d’un royaume implique l’inexistence des pays et donc de traditions nationales à imiter, pas de souci, l’international laisse place à l’intertextuel : c’est comme cela que débarquent dans La Belle au bois dormant le Chat botté, Cendrillon, le Petit Chaperon rouge et l’oiseau bleu.
Pourquoi toutes les filles sont-elles habillées en mariées ?
Vous êtes probablement devant les Wilis de Giselle, des fantômes de jeunes filles mortes avant leur mariage et qui ont décidé d’en faire baver aux mecs. Dans les ballets romantiques (mais si, c’est romantique, de souffrir), le divertissement pot-pourri exotique est remplacé par l’acte blanc. Vous verrez, c’est fou ce qu’on communique avec l’au-delà dans les ballets. Si vous vous lancez dans un safari surnaturel, vous pourrez peut-être admirer des Wilis, des Sylphides et même des Ombres (blanches).
Ces divertissements ne me divertissent pas du tout.
Si vous aimez la mode, voyez cela comme un défilé. Ce n’est pas pour rien que de grands couturiers font des costumes pour la scène.
Si vous aimez le défilé du 14 juillet, admirez les alignements impeccables et la réorganisations des divisions lorsqu’une escouade ennemie attaque les rangs.
Si vous êtes géomètre, relevez tous les motifs géométriques que prennent les formations.
Si vous êtes une fille, sentez la puissance qui se dégagent des groupes d’hommes, notamment lorsqu’ils sautent.
Si vous êtes un mec, fantasmez sur les jambes qui s’agitent devant vous.
Si vous êtes une fouine (unisexe), repérez celui qui s’est trompé de côté ou celle qui lève la jambe le moins haut.
Et le couple qui se court après et joue à cache-cache, c’est normal ?
Rien de plus normal, c’est un pas de deux, le moment qui sert à faire la cour ou à jouir de son mariage (avec tout ce qu’il peut se passer entre ces deux repères). Le pas de deux, comme toute galanterie qui se respecte, a ses règles et se compose ainsi :
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d’abord un adage, avec des mouvements assez lents pour se dire toute la tendresse que l’on se porte, et avec assez d’amplitude pour que danseuse soit un métier à part entière, pas à la portée de la première amatrice venue. Je parle au féminin, parce que monsieur, réduit au rang de porte-manteau, se contente souvent de faire de la muscu : et hop, je te lève une danseuse, et hop, je passe l’aspirateur avec sa jambe, et ouille, je viens de me prendre un genou où il ne faut pas.
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ensuite, chacun exprime l’authenticité de son moi profond à l’autre ou fait son autopromo éhontée (ouais, je saute plus haut, je vais plus loin et je tourne plus vite que les autres) dans une variation. Ces morceaux de bravoure sont souvent extraits des ballets pour être donnés en gala ou en concours. Un peu comme le lieu commun au travers duquel les auteurs classiques rivalisaient de génie, la variation est souvent le point de comparaison entre deux interprétations (ou exécutions, c’est selon). Comme l’exige la galanterie, c’est madame d’abord. Monsieur, pendant ce temps, va boire un coup en coulisses pour se remettre et enchaîner sa variation avec ce qui suit.
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le pas de deux se clôt avec la coda, feu d’artifice où le couple rivalise de virtuosité, aussi rapide et enlevé que l’adage est lent et long émouvant. C’est là que l’on trouve les fameux fouettés, dont le nombre légal est de 32 (technique qui est à la scène ce que l’alcool est à la ville : le moyen le plus sûr de faire tourner la tête d’une fille).
Je ne connais pas les pas.
On n’est pas jeudi, mais je vais quand même vous confier une chose : moi non plus. Ayant commencé la danse avec une prof anglaise, je suis incapable de vous dire si le mouvement qui consiste à plier les deux jambes en n’en ayant qu’une au sol est un fendu ou un fondu. Incapable de retenir longtemps la confusion de temps de pointe et piqué, je me retrouve parfois nez à nez avec une autre fille à la barre (ah ? C’était de l’autre côté ?). Vous m’objecterez que ce n’est qu’une question de vocabulaire et que je connais les pas même si je ne sais pas toujours bien les nommer. Je vous rétorquerai que vous n’avez pas besoin d’avoir fait du solfège pour vous écouter de la musique. Isoler les pas est utile pour mémoriser une variation ou pour verbaliser ses impressions (« j’adore le moment où elle fait son truc, avec sa jambe, là… » n’est pas très identifiant, c’est sûr), pas pour apprécier ce que l’on voit.
Si vous vous sentez démuni, voici un bagage élémentaire qui vous évitera d’employer « entrechats » comme synonyme de « pas » :
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un entrechat, justement, c’est un saut où l’on change plusieurs fois rapidement la position des pieds (en essayant de ne pas se les écraser à l’atterrissage) ;
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un saut de chat se déplace en crabe et esquisse la position d’une grenouille (ne me demandez pas pourquoi le chat, du coup) ;
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un grand jeté est un saut qui se suspend en grand écart ;
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une arabesque consiste, en équilibre sur une jambe, à monter l’autre derrière soi ; si elle est plongée, cela signifie que la danseuse baisse le buste pour gagner en amplitude et se rapprocher de l’écart. L’arabesque est en quelque sorte LA position de la danseuse, qu’il faut une dizaine d’années pour façonner. On pourrait presque reconnaître (le style d’) un ballet à ses arabesques ;
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l’attitude (début et 0’36) est une arabesque avec la jambe de derrière repliée ; elle peut aussi se faire devant (on dit alors dans les cours de danse qu’il faudrait pouvoir placer une tasse sur le talon sans faire tomber de thé) ;
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le grand battement consiste à envoyer très haut sa jambe, devant, sur le côté ou en arabesque ;
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le développé atteint le même point, sauf que la jambe n’est pas jetée tendue mais allongée depuis un plié ;
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forcément, je termine par une pirouette.