Une affaire de famille

(un film  d’Hirokazu Kore-eda)

Un homme embarque une gamine enfermée dehors, seule sur le balcon d’un premier étage. Il l’emmène, et nous avec, dans sa famille de bric et de broc : la grand-mère n’a qu’une petite fille, qui travaille comme écolière dénudée ; un peu plus âgée qu’elle est l’amante de l’homme qu’on a d’abord croisé, qui ne parvient pas à se faire adopter par le jeune garçon qui a pourtant l’âge d’être son fil et devient peu à peu le grand frère de la petite fille enlevée-recueillie. Ils ne se sont pas vraiment choisis, mais ils se sont attachés dans un mélange d’indifférence et d’extrême générosité, liés par les larcins dont ils vivent, vivotent, dans la râlerie et la bonne humeur.

De chapardage en vol de shampooing, il ne se passe pas grand-chose, mais tout tient là, dans l’espace minuscule de la maison squattée-partagée, et l’intimité qui se crée et les rassemble en les opposant à l’extérieur, ceux qui paient leurs courses ou taisent la disparition d’une enfant non désirée. Tout tient là, et de manière fort précaire comme la fin du film le laissera apparaître, dans la dislocation, mais c’est une précarité qui n’est finalement pas pire que le triste ordre en retrait duquel elle se tient, plus moral peut-être mais sous doute moins éthique. Tout tient là, dans les yeux et les cheveux noirs de cette enfant à croquer, comme on dit – mais là, on le pense -, qui vous mord le cœur de choupitude abandonnée et requinquée. Yuri, quand j’y pense, c’est à une lettre près et en beaucoup plus jeune mon amie japonaise de primaire, Yui, devenue malgré elle la mascotte kawaï de la classe.

Ohne Palpatine

Les Invisibles

Sous l’adjectif : des femmes à la rue, qui trouvent un éphémère refuge dans un centre d’accueil de jour. Alors que l’une des femmes qui le gère se fait déborder par la fatigue, l’impuissance et l’empathie, son frère tente de la conforter ; il lui dit toute son admiration pour elle, dont il est fier, et pour son travail, que lui ne pourrait pas faire. Je suis comme ce frère : je ne pourrais pas. Recommencer chaque jour, prendre la misère à bras le corps sans savoir par où commencer pour que chaque effort ne s’annule pas de lui-même, perdu dans les règlements absurdes et l’inertie de personnes démunies – de ressources mais aussi d’espoir, et parfois même d’une intelligence moyenne.

Louis-Julien Petit filme ça très bien, avec humour et dignité : les paroles et les corps engoncés, les divagations d’esprits malades qui n’ont pas pu être soignés, les borborygmes de personnes dont on ne sait si elles ne savent pas raisonner ou juste articuler, l’incapacité à intégrer certaines conventions sociales qui paraissent évidentes pour nous autres plus fortunés…  Ce qui fait jeter l’éponge et détourner les yeux, le film le remet sous notre regard, inlassablement, jusqu’à ce qu’on recommence à voir ces personnes comme des personnes, qui peuvent avoir leur place dans la société, que l’on doit aider à trouver une place dans la société – et qui doivent le vouloir elles-mêmes car, le film ne fait pas l’impasse sur ce point douloureux, on ne peut pas sauver une personne malgré elle.

Premières vacances

La bande-annonce m’a éclatée ; le film aussi. Dans le genre comédie romantique française décalée fondée sur Tinder, on ne fait pas mieux. Camille Chamoux et Jonathan Cohen sont excellents, et les répliques, bien écrites, bien envoyées. Une fois n’est pas coutume, je me suis davantage identifiée à lui, un peu boulet et attaché à son confort, qu’à elle, clairement plus roots et fonceuse. En bonus, on a même un petit relent de Spike (Coup de foudre à Notting Hill) via le second rôle du coloc’ qui fait de la musique expérimentale avec tout ce qui lui tombe sous la main, dont des brocolis.  Je n’en dirai pas plus, parce que faut arrêter de tout trouver bien, Marion.

Mit Palpatine

Wildlife, une saison ardente

Finalement, cela ne va jamais. Les années 1950 et la banlieue d’une ville américaine paumée ne sont que la forme consacrée de cette dérive-dépression qui fait que ça ne va pas alors que ça ne va pourtant pas si mal. Un couple se désagrège sous le regard de leur fils, trait d’union-désunion qui s’efforce de les rassembler en famille, mais c’est encore en-deça : la dépression en couleurs, vague à l’âme qui empêche de continuer comme ça, même si on n’imagine pas vraiment autrement ou en rêve peut-être, et encore. Il n’y a pas que la femme, qui s’échapperait bien du foyer ; l’homme aussi, fuyant comme volontaire pour éteindre le feu qui ravage la région. On ne fait rien qu’endiguer, attendant une intervention extérieure, pas même divine, la neige, une occasion. C’est lent et minant, mais. Reste le visage moiré de Carey Mulligan, qui se scrute comme un ciel par météo changeante, toujours dans l’espoir d’une éclaircie.

Si vous avez besoin d’une catégorisation à la Télérama, sachez que c’est un film Oh, putain (si, si, vous savez, ce genre de film où un spectateur jure de soulagement au moment où l’écran noir laisse place au générique).

Mit Palpatine

The Happy Prince

… il s’exile à Paris et y meurt dans la misère en 1900. C’est généralement par une phrase du genre qu’on conclut la biographie d’Oscar Wilde. Rupert Everett fait le pari d’y faire tenir l’essentiel de son film et d’un coup de canif entame le glamour du poète maudit. Le potentiel rocambolesque du bagne, de la drogue et de la fée verte s’oublie derrière un amas de chair en pleine déchéance, dont la lèvre supérieure toujours humide pourrait constituer une efficace synecdoque.

Cet Oscar Wilde campé par Rupert Everett physiquement, instinctivement, me répugne, et j’ai le plus grand mal à adhérer au film. L’incarnation de Bosie ne m’aide pas davantage ; je le trouve gênant de beauté canonique et de vanité. Il n’y a guère que le personnage de Robbie, occulté par l’histoire, qui parvienne à m’attirer quelque sympathie. Quant aux traits d’esprits auxquels on associe l’écrivain, ils ne fusent pas vraiment. Je retiendrai une saillie facile mais bienvenue dans l’atmosphère étouffante de la chambre du malade (I’m at war with this wallpaper. One of us has to leave) ; et une autre, bien plus subtile et cynique d’être répétée à Bosie (l’amour-passion, partagé jusqu’à épuisement des stocks) après Robbie (l’amour serein, non retourné), quelque chose comme : he loves me in ways you cannot imagine.

Mit Palpatine