Trisha Brown and grey

Foray Forêt

Après quelques minutes de silence, une fanfare se met à jouer dans le lointain – ce qui, au théâtre, signifie en coulisses. Là dessus, à côté, les danseurs enroulent et déroulent ce mouvement propre à Trisha Brown, sans toutefois la qualité de rebond qui donne leur caractère jubilatoire aux pièces récentes que j’ai pu voir. Peut-être à cause de la musique, reléguée au rang de souvenir, ou des rayons lumineux figés en toile de fond dans un coucher de soleil indéfini, affadi par le temps, il y a cette fois-ci quelque chose de plus distant, ni triste ni contemplatif. Les tenues dorées des danseurs, qui me font penser à des pharaons de casino, achèvent de me donner l’impression d’une douce ironie que je ne saisis pas bien.

 

If you couldn’t see me

Une danseuse seule, de dos, enrobée de couleurs chaudes comme filmée par une caméra thermique. Battements attitude et ronds de jambe, elle multiplie les esquives pour ne jamais tourner son visage vers nous. Le public se retrouve dans la position du danseur qui observe le solo en répétition depuis le fond du studio – sans miroir pour rétablir le lien, as if I couldn’t see you. Et pourtant, je la vois, je la sens présente et elle doit probablement tous nous sentir derrière elle, regards tendus vers son visage qui se dérobe tant et si bien que c’est l’arrière de son corps tout entier qui finit par devenir son visage – un visage étrange et poétique. Juste avant que la lumière ne s’éteigne, je pense soudain que ce n’est pas forcément la danseuse qui parle dans le titre, If you couldn’t see me, mais peut-être le spectateur-Eurydice qui suit l’artiste-Orphée, qui ne peut tourner la tête sans mettre fin à la danse. Eurydice part en fumée, le public en applaudissements.

 

Astral Convertible

John Cage, des tours métalliques avec quelques projecteurs éparpillées sur scène, des académiques gris : sur le papier, cela ressemble à s’y méprendre à une pièce de Cunningham. Et de fait, hormis quelques portés dynamiques sur la fin, Astral Convertible est beaucoup plus structuré par les poses/pauses que par le flux du mouvement. À cause du titre, j’imagine les danseurs au sol comme des convertibles que l’on peine à déplier – même en restant en mode canapé, je commence à somnoler les yeux grands ouverts. Une lettre à poster, oubliée sur le meuble de l’entrée, me ramène dans le vif du sujet. Mais après tout, il est question de meubles dans le programme, dont le déplacement aurait structuré la chorégraphie. Je reste un peu dubitative, comme ce qui est de la capacité des petits projecteurs à faire office de ciel étoilé. La tête dans les nuages plus que dans les étoiles, j’en conclus que la maturité a du bon. Les années 2000 sont une meilleure cuvée.

Initiation au Bunraku

Quand l’animation japonaise est une affaire de marionnettes

Un spectacle de marionnettes japonaises. J’ai coché la case du formulaire d’abonnement dans un moment d’égarement amoureux. Puis Philippe Noisette a prévenu sur Twitter que, passé le 10e rang, on ne voyait rien sans jumelles. Cela ne m’a pas franchement rassurée, même si j’ai ensuite découvert que Palpatine et moi avions fort heureusement hérité d’un rang C. Le rideau qui s’ouvre sur un musicien assis en tailleur sur un piédestal ne me dit rien qui vaille non plus : l’espèce de cithare dont il joue avec une spatule à raclette m’a toujours semblé dans les films un élément de folklore dont il ne fallait pas abuser. Quand je comprends que cela accompagnera toute la pièce, je me prends à regretter Mozart et les marionnettes de Salzbourg – ma seule autre expérience de marionnettes, je crois, en dehors des Guignol de mon enfance. Manipulées à vue par une armée de marionnettistes habillés de noir des pieds à la tête façon Ku Klux Klan ninja, les marionnettes japonaises n’exercent pas d’emblée la fascination de leurs consoeurs occidentales à fils. Il faut du temps pour oublier le trio qui s’active autour de chaque personnage – ainsi que le quatrième larron qui arrive à toute vitesse, courant accroupi, lorsqu’on doit retirer un chapeau (rangé dans sa petite pochette à chapeau).

Peu à peu, pourtant, ce que l’on n’arrivera certes pas à percevoir comme musique est néanmoins perçu comme ponctuation au récitatif et le regard se laisse happer par les petits visages aussi inexpressifs que lumineux, inclinés comme seuls les Asiatiques savent le faire1 (chez un Occidental, qui a une notion de l’humilité beaucoup plus limitée, ce serait pour bouder ou minauder) – et par les mains, plus finement articulées que le reste du corps, qui me rappellent l’opéra chinois vu en face, au Châtelet, par leur manière de désigner et de s’effacer devant le monde environnant. C’est donc la gestuelle qui me fait entrer dans ce curieux univers, bien plus que l’histoire, qui semble n’avoir été écrite que pour susciter les tremblements des marionnettes en pleurs, spasmes et soupirs. Peut-être est-ce aussi ce dont on se sont le plus proche lorsqu’en héritier du Cid et de Roméo et Juliette, on a du mal à concevoir l’amour comme ce qui donne la force de sauver son honneur par le suicide (lequel permet à l’amour véritable de se réaliser2) – et non pas comme ce qui est mis en balance avec l’honneur ou conduit à se suicider en son nom quand l’être aimé vient à disparaître. (En revanche, quel que soit le côté de la planète que l’on habite, on met toujours au théâtre beaucoup de temps à mourir.)

Au final, parmi quelques longueurs et beaucoup d’étrangetés, surgissent des moments d’intense poésie, comme lors de l’introduction, où l’héroïne vole au poing d’un marionnettiste au milieu de papillons – de papier, agités depuis les coulisses, et colorés, projetés sur l’écran juste derrière –, et de la conclusion, où les amoureux voient leur âme s’éloigner sous la forme de deux lucioles enflammées, avant de se tuer l’un l’autre devant un paysage hivernal d’arbres esseulés. J’aurais adoré un usage généralisé de la vidéo, moins traditionnelle mais plus poétique – à la manière, un peu d’un Akram Khan. J’espère que les connaisseurs ne s’étrangleront pas trop s’ils venaient à lire cela (une balletomane japonaise y assistait pour la cinquième fois !).

 

À lire, l’introduction de l’article de Wikipédia pour en savoir un peu plus sur la technique et l’organisation du bunraku, et surtout l’entretien avec Hiroshu Sugimoto, publié dans le programme et reproduit dans le dossier pédagogique du spectacle, pour approcher la philosophie de cet art.

 

1 Parlant de la musique, où l’on est « intentionnellement, dans une sorte d’imperfection », Hiroshu Sugimoto ajoute « qu’on évite, dans les arts visuels du Japon, tout effet de symétrie, toute définition d’un centre, d’un axe ordonnant par un milieu arithmétique ». L’inclinaison de la tête entrerait-t-elle dans cet esthétique de la dissymétrie ? 

2 « […] dans le contexte chrétien, où le suicide est considéré comme une offense à Dieu – peut-être même l’offense suprême – une telle volonté de mourir, affirmée comme elle l’est ici, aurait sans doute été impensable. On ne peut y disposer à sa guise de la vie que Dieu vous a confiée. Alors qu’au Japon, détruire sa vie dans le but d’être accueilli par la divinité et d’entrer dans un état de Pureté est parfaitement concevable. » « La pièce est tendue vers un temps absent, celui d’après la mort, qu’elle donne à imaginer. Elle a convaincu la jeunesse de l’époque que ce temps était celui d’une expérience de la beauté qui ne pouvait avoir lieu dans le monde des vivants. » Cela entraîna la prolifération des suicides d’amour, contre lesquels les autorités durent prendre des mesures !

Living drums

 photo Drumming Live

Photo d’Herman Sorgeloos   

Anna Teresa de Keermaeker, deuxième round. Une fois installée, j’ai à peine le temps de remarquer que le tapis de sol est orange, à l’exception d’un lai noir, traversé par les branches d’une étoile elle aussi orange, et de déglutir ma dernière bouchée de sandwich au poulet qu’un coup de percussion déclenche lumière et mouvement. Le coup d’envoi est donné : la force d’inertie jouera cette fois-ci en notre faveur, perpétuant, ô joie céleste, le mouvement en continu.

Les percussions jouées en live au fond de la scène, qui tantôt martèlent, tantôt tintinnabulent, ainsi que les trajectoires nébuleuses mais néanmoins décidées des danseurs me font penser à Alban Richard – à moins que ce ne soit l’étoile au sol, comme tombée de sa Pléiade. Heureusement, la chorégraphie est mâtinée de Trisha Brown : sans atteindre cette qualité de rebond qui donne l’impression que la pièce est d’un seul tenant, parcourue d’un seul et même mouvement, la danse d’Anna Teresa de Keersmaeker est animée d’une semblable énergie. On y court, on y saute, comme pris du besoin impérieux de courir, de sauter, et on court et on saute, inépuisable, car la joie qui en naît fait encore courir, fait encore sauter.

Les corps ne se touchent pas tout de suite mais ils cherchent et soutiennent le regard avant de s’emboîter le pas – le regard décidé d’une gymnaste sur le point de s’élancer dans une diagonale, la connivence en plus. On attendrait des collisions et l’on est surpris ça et là par une rencontre : un danseur qui en déplace un autre d’un bond, tous deux avec leur force d’homme, ou une petite robe argentée, soulevée jusqu’à la naissance des cuisses, soulevée jusqu’à faire voltiger les longs cheveux noirs…

Drumming live n’est pas une révélation mais c’est une bonne soirée, sous le signe du soulagement : lorsque le lai étoilé, lancé par un danseur, se retrouve subitement en rouleau sous le pied d’un autre et que les lumières ont été éteintes d’un coup de percussion, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer. Collants, T-shirt et sac orange, j’étais en phase, sûrement. 

Mit Palpatine

Une saison au théâtre de la Ville ?

Le public du théâtre de la Ville n’a pas grand-chose à voir avec celui des autres théâtres et on y croise bien peu de balletomanes quand le tiers de la programmation est étiqueté danse. C’est que ce théâtre est à la culture ce que Leader price est à l’alimentation : on y trouve le meilleur comme le pire, à des prix raisonnables. La tradition veut que l’on goûte avant de dire que l’on n’aime pas. Cependant, si vous voulez éviter de faire grincer votre siège en partant au milieu de la représentation (également une tradition du théâtre de la Ville), voilà quelques conseils profilés. Attention, le premier qui me parle du public au pluriel verra son adresse IP bannie de ce blog.

 

Pina Bausch :
♣ c’est un film en 3D.
♥ c’est Le Sacre du printemps.
♦ c’est 1980.

 

Jérôme Bel :
♦ vous avez particulièrement aimé Cédric Andrieux.
♣ ce nom vous dit quelque chose, ou peut-être pas.
♥ ce n’était pas le chorégraphe de Véronique Doisneau ?

 

Vous avez :
♣ une bonne vue, fût-elle corrigée.
♦ des lunettes.
♥ des jumelles.

 

La dernière pièce de théâtre que vous avez vue était :
♥ probablement un Molière ou un Racine.
♣ d’un auteur russe.
♦ politisée ou transdisciplinaire.

 

Le cirque :
♦ pourquoi pas au théâtre ?
♣ celui du Soleil a été une belle découverte.
♥ vous vous souvenez des contorsionnistes et des chevaux.

 

Millepied est :
♥ le futur directeur de l’Opéra de Paris.
♣le mari de Natalie Portman.
♦ le cadet de vos soucis.

 

Votre journal favori :
♦ est La Terrasse ou Télérama.
♣ est Slate.fr ou Rue 89.
♥ vient de disparaître.

 

Le Lac des cygnes est :
♣ de Tchaïkovsky.
♦ sujet à être revisité.
♥ inratable.

 

La bayadère est :
♣ un motif récurrent des magazines de déco.
♦ une figure indienne.
♥ un peu kitsch mais la descente des ombres, quoi.

 

Vous aimez dîner :
♦ avant le spectacle.
♣ à l’entracte.
♥ après le spectacle.

 

Votre brunch, vous l’aimez :
♥ organisé via doodle d’après une mailing list balletomaniaque.
♣ différent d’une fois sur l’autre.
♦ bio.

 

Vous repérez le côté cour et le côté jardin selon :
♦ les indications places paires et impaires dans le théâtre.
♥ le côté où commencent les diagonales et celui où elle finissent.
♣ que vous voyez ou non les mains du pianiste.

 

Un gala :
♣ est une occasion de découvrir des artistes qu’on n’a pas l’habitude de voir.
♦ ce n’est pas trop votre truc.
♥ vous mangerez des pâtes pendant tout le restant du mois s’il le faut mais vous y serez !

 

 

Vous avez un maximum de ♥ : cher balletomaniaque, je ne saurai que trop vous encourager à tenter la grande aventure du théâtre de la Ville mais, à vous plus qu’à d’autres encore, je me dois de recommander la plus grande prudence. Aussi rassurant soit-il, un nom connu n’est pas une garantie. Le Preljocaj du Funambule n’est pas celui du Parc, l’Anna Teresa de Keersmaecker de Garnier n’est pas forcément celle du théâtre de la Ville, pas plus qu’In the middle somewhat elevated ne vous garantie du WTF le plus total. L’Opéra agit comme un filtre : l’ôter peut être libératoire tout comme cela peut ruiner la poésie de la chose – le paysage médiocre sans filtre Instagram.

Le conseil de la souris : YouTube est votre meilleur ami. Mettez à profit les capacités acquises au cours des heures passées à dénicher des vidéos russes plus improbables les unes que les autres pour trouver des extraits des programmes proposés. En général, on se fait rapidement une idée. Trop lent, trop bavard, trop contemporain… vous finirez bien par trouver quelque chose qui soit assez étonnant pour retenir votre attention et pas trop bizarre au point de vous faire fuir. Bon courage et toutes mes condoléances pour la disparition de Danser.

 

Vous avez un maximum de ♦ : cher cultureux/théâtreux, vous êtes un lecteur assidu ou vous aimez les tests, parce que vous avez continué alors que vous êtes de toute évidence déjà abonné au théâtre de la Ville.

Le conseil de la souris, tout de même, pour que vous ne repartiez pas bredouille : méfiez-vous des « création de 2012 ». Probablement contaminé par la nouveauté publicitaire qui ne compte pas les mois passés en rayon, le théâtre de la Ville a conservé dans le programme 2013-2014 des créations de la saison en cours. Je vous épargne des rediffusions, ne me remerciez pas, profitez-en plutôt pour faire un tour dans un théâtre à l’italienne. Ou tester le resto à côté du Châtelet : la salade chèvre-miel-bacon et raisin vaut le détour et les desserts peuvent être surprenants (avouez que cela fait rêver, un douillet de meringue aux figues). Evitez cependant la mousse au chocolat si vous devez courrir à votre place juste après.

 

Vous avez autant de ♥ que de ♦ et aucun ♣ : vous avez un problème avec les maths mais allez quand même faire un tour du côté du Petit Rat, elle a un profil similaire au vôtre.

 

Vous avez un maximum de ♣ : vous êtes anormalement sain pour traîner sur ce blog sans appartenir à l’une des deux catégories précédentes. Je vous soupçonne donc d’être un mélomane s’étant abrité derrière les questions orientées danse pour ne pas révéler sa nature de mélomaniaque. Aussi discret que vous, l’abonnement spécial musique du théâtre de la Ville vous plaira peut-être. Avec de la musique indienne pour toi, Joël.
Vous n’êtes pas un mélomaniaque ? Vous n’êtes pas Aymeric non plus ? Vous n’êtes ni un spam, ni un provincial, ni un membre de ma famille ? Laissez-moi un commentaire, il faut qu’on aille se faire un ciné.

Le conseil de la souris : insaisissable et curieux comme vous semblez être, je ne vois pas trop ce que je pourrais faire pour vous niveau programmation. En revanche, je vous recommande de faire un tour à l’angle du Sarah Bernhardt : à partir de 20h, il n’est pas rare que les sandwiches soient soldés et, si tel n’est pas le cas, il y a toujours la crêpe à la crème de marron ou au Nutella. 

Elena, le cul entre deux chaises

Il y a deux legs des années 1980 qu’il vaut mieux oublier : les coupes de cheveux et les pièces de danse contemporaine. Quatre ans après 1980 vu par Pina Bausch, Anna Teresa de Keersmaeker créé Elena’s aria, que ses tics de contempo rendent tout aussi peu enthousiasmant.

 

Une rangée de chaises

Commençons par interdire les chaises aux chorégraphes contemporains. Il n’y a que James Thierrée pour être assis et danser. Sans vouloir faire mon indécrottable classique, la danse c’est quand même mieux sur ses pieds. Assis, c’est la position du spectateur, pas du danseur. Il ne faut pas s’étonner ensuite que les spectateurs prennent acte de l’inversion des rôles et se lèvent à leur tour. Rien d’inhabituel à cela, le théâtre de la Ville doit avoir le plus fort taux de départ en cours de spectacle – une L1 art du spectacle vivant, en somme. Ce qui continue de m’étonner, en revanche, c’est que les gonds des fauteuils pliables ne soient pas huilés en conséquence.

 

De la lumière avec parcimonie

Un bobo cultureux n’en est pas vraiment un s’il n’a pas de lunettes. Réjouis-toi, toi qui souffre d’une excellente vue, l’ambiance a été conçue de manière à ce que tu doives forcer sur tes yeux : encore une saison de spectacles dans ce goût-là et tu arboreras à ton tour une monture, au choix, noire et carrée, petite et rouge, ronde et écaille de tortue. Parfait pour ne pas voir que cela n’a aucun sens, contrairement à Cesena, qui était imprégné du mystère de l’aube.

 

En robe et talons aiguilles

On a inventé le lycra mais non, il faut des robes sans stretch, qui plissent bien pour montrer qu’on n’a cessé de les remonter et que ce n’est pas si facile, que c’est même carrément épuisant, d’être une femme libérée. Soi-disant.

On croyait aussi s’être libéré des pointes en sortant du classique mais les contraintes, c’est un moteur artistique : tant pis si les équilibres sur talon font des mollets pois chiches. Tant pis si on a l’air d’une poule qui a envie de faire pipi en tournant accroupie, fesses en l’air, moulées dans la robe retroussée.

 

La parole

La date de création de la pièce et la tenue des interprètes ne sont pas les seuls éléments qui fassent penser à la danse théâtre de Pina Bausch. On y parle. Ou plus exactement, on y lit : des lettres adressés aux hommes, absents de la scène. Je ne sais pas trop ce qui est le plus (in)compréhensible, du français prononcé avec un fort accent ou de l’allemand – en allemand dans le texte, parce que tu n’as pas le profil théâtre de la Ville si tu n’as pas fait allemand LV1. LV2 à la rigueur : là, tu comprendras que la narratrice était jeune et que John était un gros bâtard menteur.

 

Le ventilateur

Non seulement le ventilateur fait des danseuses des filles dans le vent mais, en l’absence de musique, il permet aux spectateurs tuberculeux de tousser tout leur soûl sans effet d’écho. L’effet secondaire, c’est qu’au bout d’un temps d’attente, lorsque les cheveux sont rabattus sur une mine renfrognée, bras et jambes croisés, on a envie d’aller chercher la coiffeuse pour lui dire qu’il est temps d’arrêter la machine et d’enlever les bigoudis.

 

La vidéoprojection

Des images d’archives sont vidéoprojetées : des immeubles et des ponts dynamités implosent en nuages de poussière. Ce serait impressionnant si la toile n’était pas au format double raisin, perdue sur un côté de la scène et si les danseuses, déjà à terre, ne se mettaient pas elles aussi à s’effondrer. Un moment de groupe qui, ne serait-ce la redondance, est assez beau.

 

De la musique après toute chose

La musique remplit beaucoup trop l’espace. Alors d’accord pour quelques extraits d’opéra mais des vieux enregistrements avec des grésillements, alors, et diffusés en sourdine, pas plus audibles que des souvenirs.

 

Bis repetita placent

Russell Maliphant peut répéter le même mouvement pendant un quart d’heure : il hypnotise – au point que, lorsque la chorégraphie reprend ses droits, c’est à regret que l’on s’arrache de ce mouvement repris jusqu’à l’extase. Lorsque l’arrêt d’une répétition provoque un soulagement, c’est qu’elle n’est ni envoûtante, ni fascinante, ni stimulante. Seulement redondante.

 

Lentement mais bâillement

De nature, je suis plus une extraordinaire fouine bondissante qu’une souris passée à la tapette. Mais j’ai appris à me calmer à regarder : pour preuve de ma sagesse naissante, j’en viens à préférer les Émeraudes aux Rubis dans les Joyaux de Balanchine et, plus fou encore, j’ai réitéré avec joie l’expérience de la danse japonaise. Seulement la lenteur d’Amagatsu n’a rien à voir avec celle de Keersmeaker : là où les corps enduits de blanc, longuement préparés, transforment la moindre respiration en mouvement fascinant, les danseuses rendues banales par leur panoplie de femme se voient obligées de marquer une pause pour faire entrer dans la danse un geste plus ou moins quotidien. En poussant à bout cette logique, on en arriverait à ne plus danser pour signifier la danse – la fameuse non-danse, que Kundera aurait pu rajouter à ses paradoxes terminaux.

Ce n’est pas insupportable. Ce n’est pas mauvais. Juste, cela ne m’intéresse pas. Je préfère réessayer Rain, je préfère être fascinée par Cesena, je préfère sortir de cette impasse – une voie à explorer, sûrement, avant de continuer son chemin.