Neneh supernavet ?

Bingo du film de danse (les rubriques sont reprises dans l'article)

Par curiosité pour la représentation de la danse classique en dehors du milieu des connaisseurs, je suis allée voir Neneh Superstar. Petit tour des clichés avérés ou évités en jouant au bingo du film de danse.

Outsider sans toutes les qualités ☑️
Entrée dans une école prestigieuse ☑️

Neneh, une jeune fille noire qui vit dans une cité intègre l’école de danse de l’Opéra de Paris et réussit envers et contre tout : le synopsis reprend à 100 % le cliché de tous les teen movies sur la danse… mais au service d’une noble cause dans la mesure où il s’agit moins de faire un film sur la danse que sur le racisme (les bons sentiments à eux seuls n’ont en revanche jamais fait un bon film).

L’actrice principale est mauvaise danseuse ☑️

Certaines sont de bonnes (voire très bonnes) danseuses classiques, mais ce n’est clairement pas le cas de l’actrice principale. J’en ai fait un contresens, persuadée que le directeur l’avait prise uniquement pour faire sa comm’ progressiste : elle est censée être la meilleure de sa classe. Et ça, c’était avec une doublure.

L’actrice principale est mauvaise actrice

Nonobstant son niveau en danse classique, la jeune actrice principale est assez géniale. Après très rapide enquête, il s’avère qu’Oumy Bruni-Garrel est la fille de Louis Garrel et de Valeria Bruni-Tedeschi. Ça explique des choses, et en même temps, elle joue mieux que ses parents.

Gros plan sur les pieds

Les gros plans sur les pieds sont en nombre très raisonnable : les mauvais esprits diront que c’est parce que l’actrice n’est pas gâtée à ce niveau-là et qu’il a fallu limiter le recours à sa doublure, mais on a aussi une attention poétique portée ailleurs, avec notamment au début du film un joli plan sur une main déliée.

Tout est rose

Exceptionnellement, tout est blanc. Le film dénonce en effet un milieu raciste, obnubilé par la blancheur. Dans les faits, c’est probablement moins grossier que la directrice campée sur « nos valeurs », mais il suffit de lire la biographie de Misty Copland, par exemple, pour comprendre qu’il y a des (gros) progrès à faire.

Neneh à la barre parmi ses camarades studio blanc, justaucorps blancs

Pardon, sauf chez Repetto. Quand on fait un placement de produit, on a une image de marque à respecter.

Bouts de verre dans les chaussons

Les bouts de verre ont été remplacés par des crottes – méchanceté puérile qui a du moins le mérite de ne pas entraîner de blessure physique. À moins que ce ne soit pour souligner le code couleur, avec un caca presque noir dans des chaussons presque blancs. Sur le coup, ça m’a surtout fait penser à cet épisode d’Atypical où la gamine issue d’une famille moyenne mais hyper douée en course à pied découvre que ses camarades huppées et jalouses ont tagués ses chaussures, sans comprendre l’investissement que cela représente pour elle.

Danseuse anorexique

Le culte de la minceur est indéniable, on voit ce qu’il peut impliquer en termes de contrôle du poids et de l’alimentation… mais on ne fonce pas dans le cliché de la danseuse anorexique. L’héroïne est même très saine de ce point de vue, s’indignant que sa mère ne lui serve pas des frites comme à ses copines. Ça fait du bien. (Entendons-nous : les troubles alimentaires nécessitent qu’on en parle, mais de manière nuancée, pas plaquée comme une équation ballet = anorexie.)

Le rôle de la mère est joué par Aïssa Maïga.

Corps souffrant ☑️

La danse classique est une discipline rigoureuse qui demande beaucoup d’efforts… sans que ceux-ci soient pure souffrance : alléluia, on évite les gros plans sur des visages grimaçants. (Peut-être parce que la classe de l’héroïne n’est pas sur pointes ; il n’empêche : alléluia.)

Mère encombrante
Père hostile ou absent

Bonne surprise, le rôle des parents est joliment écrit. À rebours de la mère qui reporte ses rêves sur sa progéniture et du père qui n’en a rien à carrer, la mère de Neneh préférerait qu’elle poursuive des études normales, et c’est son père qui l’encourage sans faillir. J’aime beaucoup le dialogue où la mère demande à son mari de lui citer une danseuse étoile noire, et lui en retour lui demande de citer une danseuse étoile blanche : le racisme, ils connaissent ; la danse, non. Et aideront leur fille en fonction.

Petites bourgeoises arrogantes ☑️

La danse classique est un milieu de bourgeois : sociologiquement indéniable. C’est ce qui rend si croquignolet le montage rapide de la présentation des candidates : elles ont toutes pris des cours particuliers, vécu dans les beaux quartiers voire à l’étranger, et ont des prénoms qui ne laissent aucun doute sur leur origine sociale… prénoms dont on découvre au générique qu’ils soient bien les leurs !

Prof archi-sévère ☑️

Le milieu de la danse classique est strict, régi par de nombreuses règles, avec obligation d’être tiré à quatre épingles : jusque-là, on est d’accord. Le film le montre aussi comme un milieu autoritaire voire arbitraire, où la directrice et les professeurs passent leur temps à interrompre le cours en dépit du bon sens pédagogique : oui mais non, pas comme ça. C’était bien de visionner Graines d’étoiles, moins de confondre cassant et capricieux.

Extrait du Lac des cygnes

C’est bien connu, il n’y a que Le Lac des cygnes dans la vie. Si le film se termine sur la musique de Tchaïkovsky, se présentant malgré lui comme un « Billy Elliott du pauvre » (pour citer @La_Beaubeau), l’extrait principal se concentre sur la variation de la claque de Raymonda : un choix qui a le mérite d’être original et interprété par Léonore Baulac (laquelle étrangement ne respire pas).

Scène d’audition improbable ☑️

Même en passant sur les épreuves individuelles, l’absence de niveau et les tatouages décalcomanie, l’insolence dont Neneh fait preuve en reprenant le pianiste ne serait jamais passée comme affirmation de soi. L’année dernière, notre prof d’analyse d’œuvre avait attiré notre attention sur ce topos de la scène d’audition, en se demandant le pourquoi de sa persistance, en dépit de toute vraisemblance. Pas de réponse convaincante, si ce n’est le plaisir-vengeance qu’on éprouve à voir triompher envers et contre tout quelqu’un qui se serait fait broyer dans la vraie vie, et à qui on nous propose de nous identifier.

D’ailleurs c’est moi ou ces lumières rappellent un peu celles des studios de Fame ?

Street dance ☑️

Il faut toujours un autre style à opposer / mixer avec le classique. Aucun discours ici sur cet autre manière de bouger… dans laquelle Oumy Bruni-Garrel est pourtant beaucoup plus à l’aise.

Le genre de grand jeté qui passe très bien en baskets.

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Visionner Neneh Superstar requiert un gros effort de suspension de l’incrédulité quand on fait soi-même de la danse classique. Petit florilège des moments où j’ai imaginé Julien Meyzindi en PLS — cet ancien danseur de l’Opéra est crédité au générique pour les conseils sur la danse classique (mais ce n’est pas parce qu’on parle qu’on est écouté).

  • Les élèves font des dégagés à la barre. Le prof interrompt : « Ça suffit, on passe aux grands sauts. » Aux grands sauts, grands dieux. Ce n’est pas du coq à l’âne, c’est du coq au tyrannosaurus. (Pour les néophytes : les dégagés se font au début de l’échauffement ; les grands sauts constituent l’un des derniers exercices du cours.)
  • Le même prof engueule les élèves et rappelle les comptes, cinq, six, sept, huit… totalement en dehors de la musique.
  • Je n’ai pas non plus compris quel accent il voulait avec la tête en attitude. Le médecin malgré lui a été propulsé prof de danse, je ne vois que ça.
  • Les élèves alignées (sans être espacées) font des soubresauts tellement désynchronisés qu’on dirait le jeu de la taupe et du marteau.
  • Les barres de danse sont en V au milieu du studio de danse (bon, en l’absence de barres murales, pourquoi pas)… et y restent pendant le milieu.
  • Tout cela n’est rien à côté du chignon du Maïwenn. Alors d’accord, j’ai chopé le parallèle avec celui de Neneh, mais ce n’est pas parce qu’elles ont toutes les deux grandi dans une cité que la directrice doit avoir le chignon de Little My dans les Moumines. Aplatissez-moi tout ça avec le dos de la brosse.
Jamais aucune danseuse pro n’arborera un tel chignon. Jamais.

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Et hors danse ? La partie familiale est plutôt bien traitée. L’histoire de la directrice en revanche… Qu’une femme qui a pratiqué le passing pour masquer ses origines sociales adopte les valeurs de son univers d’adoption au point de les défendre avec virulence contre de nouveaux arrivants qui lui ressemblent, d’accord, c’est un mécanisme de défense intéressant. Avec autant de méchanceté, mettons. Mais le revirement total après un accident et une balafre, sérieusement ? Avec la porte vitrée qui se brise en mille morceaux après s’être simplement cognée contre ? Je n’arrive même plus à savoir si c’est le scénario qui pêche, ou l’interprétation sans nuance — ni du coup transition — de Maïwenn.

Peut-on parler de la cicatrice, aussi ? Il faudrait confirmation de quelqu’un qui sait faire des points de suture, mais cela semble à peu près aussi délicat que la danse de la jeune héroïne. Quant à ses feutres Posca, ça m’étonnerait qu’une enfant vivant dans ce milieu social et sans appétence particulière pour le dessin utilise des feutres aussi chers pour du coloriage.

Bref. Supernavet approximatif ? À peu près. Et pourtant attendrissant par moments.

Films 2022

Janvier : Madeleine Collins (ciné), En attendant Bojangles (ciné), The Trial of the Chicago 7 (Netflix), Annette (ciné), Sybil (TV), Belle (ciné), Twist à Bamako (ciné), La Place d’une autre (ciné)Février : Une jeune fille qui va bien (ciné), Crazy stupide love (Netflix), Passing (Clair-obscur sur Netflix FR), The King (Netflix)Mars : Viens, je t’emmène (ciné), Belfast (ciné), Le Chant du loup (Netflix), The Dig (Netflix)Avril : En corps (ciné) / Mai : Polisse (TV), Downton Abbey II (ciné) / Juin : Au poste (VOD) / Juillet : I’m your man / Ich bin dein Mensch (ciné), Decision to leave (ciné), Tempura (ciné)Août : American Psycho (Netflix), Bolshoi (Amazon Prime) / Septembre : Plan 75 (ciné), Point d’équilibre (Amazon Prime), Premier contact (Netflix) / Octobre : Prisoners (Netflix), Radioactive (Amazon Prime) / Novembre : What we do in the shadows (VOD), Chat noir chat blanc (Netflix ?) / Décembre : Armageddon Time (ciné) / Casino (Netflix) / Get out (Netflix)

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Le premier constat du bilan ciné de l’année, c’est que je ne vais plus beaucoup au cinéma. Celui de Roubaix ne passe que des films très populaires, presque toujours en VF (un blockbuster, ça se voit en VO, déso pour le snobisme). Aller au cinéma implique donc de se rendre à Lille, le temps de trajet se rapprochant dangereusement de la durée du film ; la tentation des plateformes de streaming est alors grande. Mon abonnement virant au mécénat, j’hésite depuis des mois à résilier ma carte UGC, mais j’ai à chaque fois l’espoir de retrouver la motivation de sortir davantage (et la carte UGC, c’est aussi l’assurance de pouvoir faire pipi comme on veut quand on est en ville).

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Quelques tendances :

  • Un début d’année marqué par Virginie Efira dans Mademoiselle Collins, Bojangles et Sibyl.
  • De judicieux choix de midinette : Timothé Chalamet dans King, mais surtout Eddy Redmayne dans The Trial of the Chicago 7 (très bien rythmé, des répliques au cordeau) et François Civil dans Le Chant du loup (avec Paula Beer en prime).
  • Quelques bons films français (si, si) : Le Chant du loup précédemment cité, mais aussi Polisse et Viens, je t’emmène.
  • D’émouvants noirs et blancs avec Passing et Belfast.
  • Toujours un œil tourné vers l’Asie : excellent Decision to leave, Tempura tout à fait dispensable, Plan 75 perturbant et émouvant (une dystopie sans effet spéciaux, qui colle quand même des frissons dans le dos : pour ne pas s’effondrer sous le poids de sa population vieillissante, la société japonaise propose aux personnes de plus de 75 ans de se faire euthanasier, contre un petit pactole à dépenser auparavant et un suivi téléphonique… qui vont justement rattacher à la vie l’héroïne qui s’était résolue à se la laisser ôter).
  • Des films clairement dispensables : j’ai déjà cité Tempura mais la palme revient à Radioactive, biopic le moins rythmé de l’histoire.
  • Des tentatives pour partager l’humour du boyfriend : Au poste, What We do in the Shadows, Chat noir chat blanc. Même si j’entrevois en quoi ça peut être drôle, rien à faire, ça tombe à plat pour moi ; je trouve ça poussif. Hors comédie romantique (comment ai-je pu passer à côté de Crazy Stupide Love si longtemps ?), il me faut des parades d’intelligence – traits d’esprit, ironie – quand lui affectionne la simulation de l’idiotie pour souligner la bêtise ambiante et s’amuser de son absurdité. Je suis beaucoup plus réceptive à ses découvertes en matière de thriller (Prisoners, Get out) et science-fiction (engouement pour Premier contact, avec questions de langage et paradoxes temporels).
  • Si je devais n’en retenir qu’un, sans hésitation : I’m your manIch bin dein Mensch en VO.

Ciné de mars 2022

Viens, je t’emmène

Une prostituée se décompose en voyant au JT qu’un attentat a eu lieu juste à côté de l’hôtel où elle fait des heures sup’ non payées, tandis que son nouvel amant continue à s’activer entre ses cuisses… et ne s’arrête que lorsque surgit le mari, inquiet pour sa femme, prêt à rembourser le client dont il n’imagine pas qu’il était là gratis.

Il faut un peu de temps avant que le film trouve le rythme que sa bande-annonce augurait, mais à partir de cette scène, c’est plutôt savoureux de débandade et de nawak savamment dosés. Surtout quand le client se retrouve à accueillir dans son immeuble le présumé terroriste de l’attentat…

Alain Guiraudie brasse les clichés comme le client les seins opulents de son amante : avec volupté, pour son/notre plus grand plaisir. Pour autant, ses personnages ne sont pas des stéréotypes, ou seulement dans le regard des autres : ils débordent sans cesse les préjugés dont ils sont l’objet, sans pour autant les infirmer avec certitude. Le gamin-SDF-arabe relâché par la police est-il innocent de fait ou par manque de preuve ? Peut-on être terroriste et lire Lucky Luke ? Le mari disant que le voile de sa femme est une lubie de celle-ci dit-il vrai ? Peut-on vraiment craindre une quelconque radicalisation quand celle-ci considère comme un déguisement grotesque la burqua que son mari lui a offerte ? Le mari jaloux que notre héroïne prostituée cocufie avec plaisir est-il vraiment un personnage si amusant que cela ?

Jean-Charles Clichet joue pas mal le mec paumé, autant balloté par les événements que les croyances qu’ils suscitent, tandis que Noémie Lvovsky est parfaite en Isadora(ble), prostituée au grand cœur, grand corps, grande gueule (ça fait bizarre, mais ça fait du bien, vraiment, de voir des scènes de sexe avec des corps non hollywoodiens – même si on peut aussi s’interroger sur la facilité avec laquelle le burlesque prend la place de l’érotisme absent….).

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Belfast

Un huis-clos porte ouverte, dans une rue de Belfast où les Protestants se font persécuter par des Catholiques émeutiers. Double intelligence de Kenneth Branagh : se placer du point de vue d’une famille catholique qui ne comprend pas ce déferlement de haine – ni victime ni bourreau donc, mais sommée de prendre partie ; et s’intéresser aux trois générations concernées, des grands-parents au petit dernier, entremêlant ainsi le récit à hauteur d’enfant et les enjeux adultes (le frère aîné est en revanche laissé de côté, allez savoir pourquoi). Rues à feu à sang à sac et grands regards lumineux sont réunis dans le même noir et blanc étincelant : une photographie superbe, vraiment. C’est sur ce terreau de choix qu’a fleuri une belle migraine ophtalmique, coupant les sous-titres d’un accent à couper au couteau avant de s’étaler en plein écran.

Bonus plaisir : Dame Julie Dench dans le rôle de la grand-mère.

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Le Chant du loup (vu sur Netflix)

Un • bon • film • d’action • français : Antonin Baudry nous offre le luxe de n’avoir aucune mention inutile à rayer. Le casting est de surcroît un régal : Reda Kateb et Omar Sy en commandants de sous-marins, ça met déjà de bonne humeur, mais alors François Civil en oreille d’or badass qui peut détecter le modèle d’un sous-marin au clapotis qu’il fait, c’est tout bonnement jouissif. Comble de l’extase en reconnaissant Paula Beer, que fait-elle là mais quelle bonne idée. J’aurais frétillé sur place si la tablette n’était posée en équilibre sur mes jambes. Immersion totale et tension nerveuse : la couette a pris cher.


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The Dig (vu sur Netflix)

L’affiche avec Carey Mulligan en pleine nature m’a fait douter avoir déjà vu le film, mais c’était à Far from the madding crowd que je pensais – non pas que ça change grand-chose vu le peu de souvenir que j’en ai gardé ; je me souviens essentiellement de ses traits pâte-à-modeler humaine, changeant au gré des émotions comme des nuages, et c’était suffisant pour me pousser à regarder le film de Simon Stone.

Ralph Fiennes s’y présente en excavator, un diplôme universitaire le séparant du titre d’archeologist ; il n’en mène pas moins des fouilles pour une Carey Mulligan pas très vaillante mais toujours émouvante. J’ai été un peu trop prompte à imaginer une histoire entre cette veuve et cet homme mal accordé à son épouse, mais suis ravie de mon erreur : cela fait du bien, les récits de liens en-dehors du sentiment amoureux. Ce dernier est traité en intrigue secondaire, délégué à Lily James que je n’arrivais plus à restituer (Dontown Abbey), mais dont j’apprécie décidément la présence.

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Les Shtisels, une famille à Jérusalem (vu sur Netflix)

Cela fait plusieurs mois que je regarde cette série, mais j’ai fini la troisième (et actuellement dernière) saison ce mois-ci. J’ai d’abord été intriguée par le mode de vie juif orthodoxe, les destins étriqués qu’il semblait imposer… et puis pas forcément, et j’ai fini par m’attacher aux personnages comme dans n’importe quelle autre série. Moins habituel, je me suis attachée à la langue, qui ressemble furieusement à l’allemand par moments, et pas du tout à d’autre, ce qui ne m’empêche pas de marmonner phonétiquement des borachem, bemet, toda de temps à autres pour accompagner les personnages et savourer leur yiddish.

(Je la vends très mal, mais regardez-la.)

Ciné en février 2022

Une jeune fille qui va bien 

« On n’a pas la peste, quand même », mention juive sur la carte d’identité, confiscation de biens : la bande-annonce comprend la quasi-totalité des références du film au sort des Juifs. De fait, le film de Sandrine Kimberlain, et c’est là son intelligence, n’est pas un film sur les Juifs pendant la Seconde guerre mondiale, c’est un film sur une jeune fille qui se trouve vivre à cette époque et être d’une famille qui allume des bougies pour Shabbat. Juive, elle le devient par le port de l’étoile jaune ; sinon, c’est surtout un sacré numéro, sœur espiègle, amoureuse aux grands yeux, et apprentie comédienne. Oui, c’est vrai, elle a une curieuse tendance aux évanouissements, mais pourquoi envisager la menace latente quand on peut très bien les expliquer par l’anxiété face au concours d’entrée au Conservatoire ?

C’est toute la force du film de réussir à reléguer-refouler l’arrière-plan historique le temps de nous faire vivre les émois et les élans enthousiastes de cette jeune fille comme les autres – juste un peu plus piquante, plus irrésistible, parce que la caméra suit la double comédienne avec un regard amoureux. Rebecca Marder,  de la Comédie française, surjoue-t-elle comme actrice de cinéma ou joue-t-elle seulement à merveille ce rôle d’apprentie comédienne ? Un ange passe. Un troupeau d’anges passe. À vrai dire, ce serait presque la marque stylistique de Sandrine Kimberlain, dont on reconnaît le style de jeu même quand elle se trouve derrière la caméra.

On est là à se dire que c’est agaçant à ravir, à attendre les baisers du bel assistant ophtalmologiste et les résultats du concours d’entrée au conservatoire, quand l’écran noir de fin nous prend par surprise. La réalisatrice évite si bien la position surplombante du destin rétrospectif qu’on se retrouve soudain dans celle de toutes ces vies, toute cette vie : fauchée.

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Crazy stupid love (Netflix) : comment ai-je pu passer à côté de cette pépite pendant tant d’année ? Emma Watson, Ryan Gosling, Steve Carell et Julianne Moore nous offrent une comédie romantique qui n’oublie pas d’être d’abord une comédie, aux répliques parfaitement écrites et envoyées. Il se peut que des coussins aient été maltraités pendant le visionnage.

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Passing (Clair-obscur en VF sur Netflix) : la photographie est splendide, même si, comme le fait remarquer le boyfriend, on sent un peu trop l’école de cinéma : quand on visionne le film sur tablette et qu’on ne peut pas se promener dans l’image, on retrancherait bien quelques (dixièmes de) secondes à chaque plan. Un peu lent-long, donc, mais splendide. Et déroutant : l’amie d’enfance de la protagoniste, Afro-américaine pâle de peau, se fait passer (d’où le titre Passing) pour blanche… y compris auprès de son mari raciste. Cela m’a plongée dans une perplexité sans fin, le visage de l’actrice ne laissant pour moi aucun doute sur (une partie de) ses origines. Je  me suis mise à scruter les mille nuances chromatiques de peau noire, moins noire, jamais noire en réalité dans ce film en noir et blanc, la couleur oscillant en fonction des éclairages, à contre-jour, au soleil, en soirée, dans le regard des uns et des autres… jusqu’à abdiquer : la photographie du film révèle la couleur de peau comme statut social.

Celle qui prend la lumière, c’est cette femme blonde qui regrette de s’être coupée de celle qu’elle était ; pour goûter à une vie authentique, qui ne lui est plus permise, elle s’immisce dans celle d’une ancienne amie, jusqu’à faire surgir la rivalité. J’ai été bien contente de regarder le film sur tablette, à la fin, lorsque le retour sur image s’est avéré nécessaire pour lever un doute… et installer une ambiguïté prévue par le scénario. En arrêt sur image, j’ai vu ce que je voulais voir : un bras contre un corps ; mais pas ce que je voulais : s’il pousse, protège ou accompagne dans le moment fatidique du passing away.

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The King (Netflix)

Moi au boyfriend :  » Je suis contente de l’avoir vu avec toi, parce que je ne l’aurais pas regardée seule », sous-entendu : il me faut quelqu’un pour me dire quand la guillotine est tombée, que je puisse de nouveau regarder l’écran.

Le boyfriend en réponse : « Je suis content de l’avoir vu avec toi, parce que je ne l’aurais pas regardé seul non plus, c’est trop girly. »

GIRLY.

Les mecs se défoncent en armure au marteau dans la boue, dans un contexte où la politique internationale est un concours de bites géant, mais c’est trop girly. Matez un peu le pouvoir de mon crush de cougar sur le boyfriend : il suffit qu’il y ait Timothée Chalamet (et Robert Pattinson) au casting pour que le film devienne girly. Du coup, pour la rubrique « genre » de la critique de Télérama le jour où le film passera à la télé, je propose : Thimotée Chalamet en armure.

Et sinon, à part ces querelles de mec/meuf et le fait que « Chalamet a la classe quoiqu’il fasse, ce con » ? On a affaire à un souverain dans la veine platoniste, qui hérite du pouvoir alors qu’il n’en a pas la moindre envie, tente de calmer le jeu autour de lui, et s’y trouve embarqué en essayant de ne pas devenir ce qu’il méprise. J’avais découvert ça avec The West Wing, série sur la gestion de la Maison Blanche par un équipe de good guys embarqués en realpolitik : autant je déteste suivre l’actualité politique ou apprendre l’Histoire, autant j’adore observer les tensions entre les impératifs moraux et les enjeux du pouvoir (la politique versus le politique, peut-être).

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Normal People (FranceTV)

Ici aurait du se trouver une série de screenshots de tendresse, main sur la nuque. J’avais besoin de ça en février.

Je suis tombée amoureuse du personnage, ai-je dit à Melendili qui m’a conseillé la série. Elle a renchérit sur son personnage à lui. Je pensais à elle (beaucoup trop de tentations d’identification et d’homo-auto-érotisme avec les premières de la classe maigrichonnes). Leurs parcours sont tracés avec beaucoup de justesse – et de malentendus à base d’auto-sabordage (communiquez, bordel)(et n’attendez pas pour aller chez le psy).

J’ai rarement vu des scènes de sexe-tendresse si belles – même si, à la fin de la série, je me suis rendue compte avec une pointe de déception que c’était très phallocentré : le SM soft existe, la tendresse aussi, mais pas le cunni.

Ciné de janvier 2022

Une des mes résolutions (plaisante) pour l’année 2022 : cesser de faire du mécénat avec ma carte UGC illimité et retourner au cinéma. Surtout que Lille compte 3 salles proches du métro et bien synchronisées entre elles : pas de redondance, plein de films à voir, et de fait, six films vus ce mois-ci (+ 2 en home-ciné).

L’année aura commencé sous le signe de Virginie Effira, que j’apprécie décidément beaucoup. Madeleine Collins, c’est elle. C’est elle aussi qui rattrape Romain Duris, un peu faux, dans En attendant Bojangles : la justesse revient quand son personnage pique la vedette au narrateur-admirateur. Dans Sybil (vu à la TV), sa présence m’a fait oublier que le film ne va  nulle part, s’échouant sur une île peuplée de comédiens (featuring Sandra Hüller, la chouette actrice de Tony Erdman, et feu Gaspard Ulliel, je ne m’en remets pas). Aussi lumineuse dans le rire que dans les larmes, toujours très humaine, la sensibilité intelligente mais pas intello.

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Madeleine Collins : beaucoup plus fin et troublant que ce que l’histoire de double vie laisse supposer. Et qui de mieux que Virginie Effira pour nous faire glisser de la comédie annoncée vers un drame qu’on n’avait pas anticipé, quand bien même sa source nous est montrée dès les premières minutes ?

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En attendant Bojangles : de la nécessité de la fantaisie pour ne pas sombrer dans la dépression. La fantaisie à tout prix, au prix de la folie. Mention spéciale pour l’oiseau exotique tenu en laisse, nommé Mademoiselle Superfétatoire (indispensable, donc).

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The Trial of the Chicago 7 (sur Netflix): regarder ce film pour Eddy Redmayne? Overruled! Le film vaut pour lui-même et ses dialogues sacrément bien écrits (j’ai tapé mon oreiller de jubilation par moments). Face à un simulacre de procès, on voit se dessiner les postures des contestataires, moins conformes qu’on l’imagine à l’image que chacun renvoie au reste du groupe – mais informées par leur background (est-ce moi qui suis davantage sensible à la manière dont notre éducation nous façonne, y compris lorsqu’on lui tourne le dos ?).

Je retiens le quiproquo grammatical final digne de La Marseillaise : « If blood is going to flow, then let it flow all over the city!  » L’absence de précision « our blood » transforme l’appel à médiatiser le martyre en incitation à la violence…

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Annette : je suis contente d’avoir vu ce film au cinéma, mais je ne sais pas si je suis contente de l’avoir vu tout court : clairement, chez moi, j’aurais jeté l’éponge avant la fin. Les longueurs sont d’autant plus rageantes qu’il y a quelque chose, il se passe quelque chose dans ces plans infinis saturés de vert et d’orange. L’histoire est cousue de fil blanc, mais cela n’a aucune importance, car tout est dans le décalage de traitement avec ce que l’on attend, à commencer par l’enfant éponyme qui n’arrive qu’au milieu du film, quand on aimerait bien le voir s’arrêter.

En bref,
le vert va vachement bien avec l’orange, il faudrait que j’y pense plus souvent.
Adam Driver est décidément doué pour jouer les sales types auxquels on ne peut s’empêcher de s’accrocher.
Marion Cottillard ne cessera jamais de mourir, comme héroïne d’opéra ou comme victime de violence conjugale.
Annette-Pinocchio, enfant de bois et d’os, est le truc le plus bizarre et le plus réussi du film.
Quand on a des remininences du Phare devant un autre film, ce n’est pas bon signe.
What did I expect en allant voir un film de Leos Carax, aussi ?

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Belle : j’ai apprécié que l’univers virtuel de Belle soit un lieu où l’on se révèle davantage qu’un lieu où l’on se cache : c’est le web dont j’ai fait l’expérience. Bien plus, la perméabilité entre univers virtuel et IRL permet la métaphore. Mamoru Hosoda pousse la dimension symbolique jusqu’au conte, en mettant Belle sur la quête d’une bête rendue belliqueuse par la souffrance. S’occuper de la souffrance d’autrui distrait probablement de la sienne ; dans la vision du féminin dévoué, elle guérit carrément : si le deuil de l’héroïne était le véritable sujet, j’aurais préféré qu’on s’y attarde depuis la nature marginale dans laquelle elle oublie d’habiter, pourtant si splendidement dessinée. En l’état, cela ressemble à un prétexte pour se gargariser de l’inventivité graphique autorisée par l’univers virtuel…

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Twist à Bamako : au milieu d’un pays fraîchement indépendant qui peine à retrouver ou s’inventer une identité, s’enchâsse l’histoire de Lara, jeune fille mariée de force qui prend la fuite, et de Samba, militant socialiste commodément bien plus féministe que les hommes de son époque. L’histoire d’amour n’est pas un prétexte pour retracer l’histoire d’un pays, pas plus que celle-ci n’est le prétexte de celle-là : l’une n’existe pas sans l’autre, et c’est ce qui fait de Twist à Bamako un très bon-beau film, avec des personnages qui se nuancent les uns les autres.

En revanche, ma sensibilité me rend indéniablement plus attentive à l’histoire des corps, magnifiquement filmés dans le désir – notamment cette scène d’amour vertical, où l’on ne voit rien d’autre que les être qui se cherchent puis les corps nus, enlacés mais immobiles, qui se sont trouvés. Travelling en remontant, des fesses jusqu’aux joues, sillonnées de larmes silencieuses.

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La Place d’une autre : cela fera un bon téléfilm pour qui, comme moi, a un faible pour les histoires de servantes-dames de compagnie. Pour une sortie ciné, c’est un peu léger : une infirmière prend l’identité de la dame de qualité qui meurt sous ses yeux, et se présente comme lectrice chez la vieille dame à qui elle devait tenir compagnie. On s’attend évidemment à ce qu’elle soit démasquée, mais le scénario bifurque de manière inattendue… pour l’époque où se déroule l’histoire ; pour une sensibilité moderne, en revanche, cela va un peu trop de soi et fleure l’anachronisme édifiant : faire primer l’attachement filial sur le respect des classes sociales relève davantage du bon sentiment que de l’originalité. Heureusement, grâce à Lyna Khoudri, c’est du bon sentiment en bonne compagnie.