Brokeback Moutain

 

Il n’y a pas de « secret » : à l’Ouest, rien de nouveau.

Vous pouvez être gay et cow-boy, vous n’échapperez pas au mythe de la passion selon lequel il n’y a d’histoire d’amour que lorsqu’il y a beaucoup d’obstacles pour l’empêcher. Homos et hétéros, même prise de tête ; vraiment une charmante façon de faire reconnaître les premiers par les seconds : vous non plus, vous n’avez pas le droit d’aimer. Alors voilà la misère humaine au pied de l’immensité de la montagne, forêts silencieuses, ciel orageux, fraicheur des lacs. Le Monde interprète cette débauche de nature comme la construction de l’idylle originelle des amants – et dire que j’ai zappé ce thème kundérien, mit temps cyclique, sentiments aussi purs que l’eau de source, et proximité avec les animaux (ouais, tomber sur un ours est idyllique). On pourra se gausser de la beauté des images, mais le seul enthousiasme que j’ai jamais eu pour le Wyoming remonte au temps où j’étais lectrice de la saga des Flicka de Mary O’Hara, et j’ai bien cru au début du film que j’allais faire une overdose de paysages. N’écoutant que ma tendance moutonnière, j’ai néanmoins suivi – et fait bon voyage, malgré ou peut-être même à cause du traditionnel schéma de l’amour-passion, auquel on se laisse finalement bien prendre. Un bel exemple de vies de merde ratées (la permanente blonde d’Anne Hathaway aussi) qui rassurera tout un chacun dans la mesure où le spectateur n’a qu’à taper sur les doigts de la méchante société homophobe pour oublier que les personnages coincés l’ont tout autant été de leur propre chef, et qu’il n’appartenait qu’à eux de faire d’autres choix. Évidemment, on fait mourir l’un des amants pour étouffer irrémédiablement cette idée dérangeante. Et arracher quelques larmes, parce qu’il faut bien reconnaître que le mutique à la belle gueule est efficace. A tel point que je ne suis pas certaine que ce film n’ait pas été proclamé chef-d’œuvre par un chef de meute.

 

Cab ou pas cab ?

… d’adresser une déclaration d’amour au caissier du MK2 pour assister à la projection de New York I love you, suite au titre ô combien original à Paris je t’aime ? Le principe de courts-métrages a été conservé et même raffiné : les courts-métrages s’enchaînent comme les plans d’un seul, les titres ne viennent éviter la confusion qu’au générique de fin, bref, l’ensemble est beaucoup plus homogène (moins relevé, du coup ?). Certes, un épisode blanc qui aurait pu être magnifique si on y comprenait quelque chose (celui qui se suicide est-il un souvenir, un fantasme ? Celui qui vient ensuite est-il son fantôme ?) ménage une pause au sein de la métropole bruyante, mais aucun vampire ne s’y promène non plus. L’unité, qui plus est, est assurée par la division en plusieurs temps d’un même épisode, qui permet à certains personnages de réapparaître et donc aux histoires de se croiser.

Car c’est essentiellement de cela dont il est question dans ce film où la ville qui ne dort jamais n’a pas plus de réalité qu’un songe, et dont la pomme emblématique n’est pas celle de l’amour : de rencontres. D’êtres qui se croisent et un instant se distinguent de et dans la foule, reconnaissent une personne dans un étranger qu’ils n’ont jamais vu, telle la jeune fille remarquée par un peintre (rien n’est plus propre à éveiller la curiosité pour quelqu’un que d’apprendre qu’on a suscité la sienne). L’histoire amoureuse n’est alors qu’un cas particulier de la rencontre qui peut être cocasse (le pickpocket qui essaye de piquer sa nana à un autre voyou de son espèce ; le jeune homme qui se rend compte qu’il met tous ses efforts à draguer… une prostituée), tendre (le couple de petits vieux ; une gamine blanche et son père métis que l’on prend pour le baby-sitter – craquant danseur, trahi par son sourire, ses cuisses et ses tours, dont le générique me confirme qu’il s’agit bien de Carlos Acosta, wouhou ! J’en ai secoué Palpatine qui ne connaissait pas le nom de la star cubaine), simple (le couple qui porte un coup au coup de foudre, ayant noué une relation à partir d’une discussion sans arrière-pensée) ou extravagante (le puceau qui, après avoir été déniaisé par une jeune beauté paralytique accrochée à un arbre, découvre en la ramenant bien après l’heure convenue à son père que la demoiselle fantaisiste se préparait en réalité à un rôle – remember dans Paris… Natalie Portman et Gaspard Ulliel, la comédienne et son aveugle – l’inverse eût été gênant, Ulliel étant tout de même le degré suprême du croustillant) ; en tout état de cause, marquante (l’homme qui accorde une attention renouvelée à sa femme après avoir été excité puis éconduit par une autre, qui épargne son destin à la première).

On ne cesse de nous le répéter, New York est une ville cosmopolite et, si on bouffe à même le salad bowl (WASP, Juifs, Asiatiques, immigrés, vieille femme digne, jeunes hommes à la dégaine d’artiste…), c’est tout de même commode pour faire se rencontrer des personnages de tous horizons. Le cab, motif récurrent, permet ainsi de faire la liaison d’un point à un autre de la ville, d’un court-métrage à un autre, et entre les personnes qui s’y engouffrent en même temps et partagent un peu plus que le taxi jaune le temps d’un trajet.

 

Le mariage à trois, 2, 1 : partez !

Les personnages se tournent autour ; le réalisateur tourne autour du pot ; le spectateur, chèvre ; l’heure, peu ; la caméra, beaucoup, pour suivre les retournements de veste. A vous filer le tournis – mais c’est peut-être de rester sur sa faim, le creux à l’estomac n’est jamais très bon. Pourtant, quand je jette un coup d’oeil à ma montre, je ne suis pas certaine de vérifier uniquement si l’heure légale a sonné pour manger ma pomme (quand on sort avec Palpatine, qui peut attendre onze heures pour commencer à avoir faim – pourtant, il n’a pas de réserve, je peux vous l’assurer-, on prend l’habitude de manger le dessert avant le plat).

 

Après le tête à tête, le face à face…
Peut-être pas moins romantique : regardez-moi toutes ces boucles

 

Pourtant *deuxième, action diction* il y a Louis Garrel à se mettre sous la dent. Il est acteur (oui, oui, on sait, mais dans le film aussi), et l’amant de Harriet (Julie Depardieu), qui elle aussi doit jouer dans la pièce d’Auguste (Pascal Greggory), son ex-mari. Lui n’a pas vraiment digéré la particule, et tente toujours de remettre sa main caressante sur Harriet, si bien que (je l’ai lu quelque part, mais ne sais plus où, donc je lèse César) ce n’est pas l’ex-mari mais l’amant qui risque d’être cocu. A ce trio de vaudeville recomposé s’ajoutent le producteur, qui, attablé, sait qu’il va déguster, et Fanny (Agathe Bonitzer), la « fille dans les étages », étudiante qui s’occupe du courrier du dramaturge (toute l’inaction se passe chez lui) et qui occupe un peu la fonction de la confidente dans les pièces de théâtre, celle qui permet des apartés dialogués. Pour jouer, ça, ils jouent : Théo (Louis Garrel) soigne sa sortie en annonçant au dramaturge réticent à le faire jouer, son mariage avec Harriet, tandis qu’Auguste s’écoute beaucoup parler. On joue, on surjoue, mais on s’amuse bien peu. Surtout lorsque Théo s’est fait la malle : l’entreprise de récupération, oui, non, merde, de Harriet est tout bonnement infinie.

 

Au début, Auguste oppose le cinéma, l’ « art de se taire », au théâtre, qu’il préfère parce qu’il est plus amusant, plus vivant, de parler. Ironie tragique pour un film dont « la bavardise de certains dialogues [empêche] Le Mariage à trois d’être un grand film ». Je serais assez d’accord avec le Monde. La prédominance de la parole ne me gêne pas : chez Rohmer, c’est parfois beaucoup plus littéraire et bizarre que cela, seulement, s’ils parlent comme ils n’écrivent même pas, les personnages de Rohmer ne s’écoutent pas parler et la pose paraît beaucoup moins longue. De plus, lorsque la caméra se pose un peu, on a parfois droit à de magnifiques plans, comme lorsque Harriet et Auguste sont de chaque côté d’une poutre et que le soleil filtre à travers les cheveux de la première. D’avoir su se taire, les personnages nous offrent alors un dialogue plus riche. Curieuse phrase d’Harriet : « tu ne crois pas qu’on se connaît un peu trop pour se séduire ? ». Au contraire, non ?

 

 

Le rythme (même si c’est beaucoup dire) reprend avec la réapparition de Louis Garrel. Deux, c’est trop peu, Harriet et Auguste sont lassants ; quatre, avec Fanny et de producteur, ce n’est pas encore cela. On connaît la musique, pour le cinéma comme pour la poésie, mieux vaut préférer l’impair. Il y en a toujours un qui fait tapisserie (le producteur est nécessairement hors-jeu), mais les tensions circulent et les trio se recomposent. L’histoire devient pluriel. Harriet fait semblant de croire à une liaison entre Auguste et Fanny, parle à la jeune fille (que le dramaturge veut faire jouer à sa place) comme si c’était le cas et, à force de jouer une histoire -ce sont des acteurs- on la fait exister.

 

Pas de sous-entendu sans sensualité, on frôle le baiser lesbien

 

Comme chez Agatha Christie où le plus évident est toujours le plus surprenant, Fanny se révèle, comme l’Electre de Giraudoux, et nous la joue petite Catherine de Heilbronn, amour pur d’origine non certifiée pour celui au service duquel elle s’est mise. Et qui, du coup, est touché par la grâce.

 

 

Quelques claques, mais cela reste très saint sain sein

 

L’histoire n’est pas encore réglée par ces deux duos ; encore faut-il s’assurer qu’ils forment des couples. Et entre le tripotage d’Harriet (« -et çe t’a plu ? lui demande Théo. – ça ne m’a pas plu… ça m’a excitée ») et le charme que Théo fait à Fanny… un petit Garrel en train de dire des âneries sur sa chaise (comme dans Les Chansons d’amour, d’ailleurs)… il a les meilleures répliques, soit dit en passant, joyeusement cyniques sur les bords. Le ras-le-bol des enfantillages de ses aînés le rend brillant ; c’est parce qu’il en rajoute qu’on sent qu’il voudrait que cela cesse. En attendant, autant aller voir ailleurs, mais Fanny n’en a rien à cirer ; c’est là où il n’y a aucun enjeu qu’elle montre le plus d’aplomb et une certaine conscience de sa place dans les jeux de séduction (au début, on dirait plutôt une vierge inspirée – « elle a l’âge emmerdant », dit Auguste, et Palpatine se marre à côté de moi – vous êtes marrants, il faut bien que jeunesse se passe). Lorsque Fanny part ramener la voiture de sa mère, Théo monte avec elle, et il faut attendre qu’il se fasse éconduire et que Harriet et Auguste noient dans l’alcool leur angoisse d’une liaison entre les jeunes pour que les deux couples soient établis. La pièce est finie – Auguste n’écrira jamais la sienne.

 

Début du film, il manque encore quelques marches pour s’embrasser

 

Observations fines, incessants déplacements des couples et des trios, jeu qui risque toujours de ne pas être ludique… ce pourrait être un excellent film ; j’ai besoin d’un peu de bonne volonté pour ne pas le qualifier de mauvais.

 

Les chaussons rouges

 

 

Miss Red, fan des shoes de la même couleur, m’avait gardé une invitation de Télérama pour assister à la reprise du film de Michael Powell et Emeric Pressburger. Pas de chance, cela n’était écrit nulle part, il fallait retirer les places dans les deux jours, même pour des séances ultérieures. Qu’importe, je ne regrette pas qu’on ait aiguisé ma curiosité. Les Chaussons rouges ont fait date, tout le monde vous le dira – au risque de ne dire que ça ; c’est qu’il fait aussi daté…

 

… le public

Palpatine et moi faisons brutalement chuter la moyenne d’âge de la salle, assez élevée pour que la plupart vienne revoir et non découvrir le film. Le petit vieux de devant, assis au premier rang comme un enfant sage, qui a ri seul (avant de faire rire la salle) à une pseudo-tentative d’aphorisme, et dont les reflets de la montre indiquait qu’il dirigeait l’orchestre à la fin du film, a raconté à Palpatine avoir assisté à sa sortie alors qu’il avait quinze ans – je parie qu’il était amoureux de l’héroïne.

 

… l’ambiance

L’esthétique est kitsch comme peut l’être Autant en emporte le vent – à ceci près que la musique passe beaucoup mieux d’être intégrée à l’histoire et non motivée par un effet dramatique (dans tous les sens du terme). Le maître de ballet est plus vrai que nature, ou plus slave que russe ; la chevelure rousse de Victoria Page, jeune danseuse embauchée par le directeur des ballets Lermontov, n’est visiblement pas divisible en cheveux ; sa bouche est aussi rouge que le titre du ballet créé pour elle, et ce, même au réveil ; quant à Julian Craster, le jeune compositeur engagé comme répétiteur en même temps qu’elle, il l’aime « d’un amour vrai ».

Mais le conte est bon (tiens, tiens, vous revoilà, miss Red) : adapté d’Anderson, le ballet chorégraphié spécialement pour le film autorise celui-ci à quelques accès d’onirisme, d’autant moins indigestes qu’ils sont contrebalancés par d’autres séquences plus terre-à-terre. Par exemple, lorsque Victoria accepte l’invitation de Lermontov à 8h, elle s’ y rend parée d’une robe de princesse turquoise, avec cape en satin à crever de chaud sous le soleil méditerranéen et mini-couronne au-delà du ridicule assorties. Heureusement, lorsque la réincarnation de Peau d’âne (si vous ne devez cliquez que sur un lien, c’est sur celui-là) se rend compte qu’il ne s’agit pas d’un dîner mais d’une petite réunion de travail pour lui annoncer qu’on l’a choisie comme soliste, elle a assez d’esprit pour justifier l’incongruité de sa tenue en prétextant qu’elle allait justement sortir au moment où elle avait reçu le message.

Le conte déborde le ballet, comme on pouvait s’y attendre de la part d’un film qui en reprend le titre. Les chaussons rouges que l’héroïne chausse (et qui lui enlacent le pied d’eux-mêmes, avec la célérité de spaghettis ensorcelés) la conduisent à la mort, la condamnant à danser jusqu’à épuisement. Jusqu’au-boutiste, Lermontov l’est aussi, qui exige un dévouement absolu à l’art, si bien que, sommée de choisir entre son amour pour Craster et sa carrière de danseuse, Victoria se laisse entraîner par son rôle, qu’elle meure d’envie d’interpréter, et se jette sous un train (celui que devait prendre Craster, et qui s’était déjà manifesté par un panache de fumée lors de leur première entrevue au bord d’un balcon en pierre, avec une plante en carton-pâte sur le côté – le romantisme outrancier de la situation n’a fait qu’en renforcer le total manque de subtilité – Palpatine et moi de rire comme des baleines). Oui, non, merde. En se supprimant, elle supprime le dilemme, c’est plutôt radical comme solution. Et terriblement poétique rapport à la clôture de la mise en abyme. (J’hésite à vous faire un petit coup de *Kundera power*, d’autant qu’il s’agit de l’analyse d’Anna Karénine qui elle aussi va bon train). Elle ne choisit pas l’art contre la vie, ni la vie contre l’art, mais la vie telle que l’ordonne l’art, même quand le destin qu’il orchestre mène à la mort. Ce retour au conte nous sauve in extremis de l’absurdité de ce suicide. Elle mourut heureuse et n’eut aucun enfant.

 

… la société

Le dilemme final, Craster ou Lermontov, vivre ou créer, n’est peut-être pas toute la question. Certes, on retrouve la même déception que dans the Picture of Dorian Gray, lorsqu’après une nuit d’amour avec Sybil Vane, Dorian découvre que l’actrice a perdu tout son talent avec sa virginité : la jeune fille est désormais incapable de feindre une émotion qu’elle ressent, elle ne peut plus s’identifier à ce qu’elle est de façon inconsciente, devenir ce qu’elle est devenue.

Ce n’est pourtant pas vraiment le souci dans les Chaussons rouges : Lermontov trouve Victoria mauvaise parce qu’elle a la tête ailleurs, et son égale dépréciation de la nouvelle partition de Craster, que tous, y compris le maître de ballet avare de compliment, trouvent formidable, autorise quelques doutes quant à la justesse de son jugement. Il n’y avait rien d’artistique dans la décision par laquelle il avait renvoyé la précédente étoile, Irina Boronskaja, à l’instant même où, interrompant une répétition de Giselle (ou comment chantonner ensuite sur le quai du RER), elle avait annoncé son mariage. Il conçoit la danse comme une religion (après tout, il y a déjà eu des précédents : Claire-Marie Osta a hésité entre les ordres et l’Opéra, tandis que Mireille Nègre a cumulé). Il est malheureusement plus catholique que protestant, et son culte du corps rejette la chair.

On pourrait cependant se demander si c’est vraiment l’amour (physique ou non) qui le contrarie à ce point, ou plutôt la forme que prend le couple à cette époque-là. Sitôt mariée, la femme perd sa polysémie pour n’être plus qu’épouse, c’est-à-dire femme au foyer. Il est alors effectivement difficile de concilier la promenade quotidienne du caniche, avec apprêt excessif et chapeau à la madame de Fontaney, et l’entraînement intensif de la danseuse. Lermontov précipite la chose en renvoyant Craster dont l’orgueil mâle entraîne Victoria dans sa disgrâce : évidemment, il lui faut sacrifier sa carrière, elle qui n’aurait jamais exigé pareille chose de son compositeur de mari. L’artiste veut des chemises aussi blanches que son papier à partition, on dirait. Et cela n’aide pas Lermontov a comprendre qu’aimer et danser s’entretiennent chez un être passionné et peuvent être l’un comme l’autre synonyme de vivre. Le premier dialogue entre Victoria et Lermontov où vivre et danser étaient posés en synonyme (« Lermontov: Why do you want to dance? – Vicky: Why do you want to live?
Lermontov: Well, I don’t know exactly why, but… I must. – Vicky: That’s my answer too.« ) s’est dégradé en se répétant :

Lermontov: When we first met … you asked me a question to which I gave a stupid answer, you asked me whether I wanted to live and I said « Yes ». Actually, Miss Page, I want more, much more. I want to create, to make something big out of something little – to make a great dancer out of you. But first, I must ask you the same question, what do you want from life? To live?

Vicky: To dance.

Vie et art sont à présent dissociés. Exit le cygne, bonjour la poule pondeuse.

 

la danse

Quoique… Irina Boronskaja évoque moins le cygne élégamment désespéré que le volatile effarouché. Elle bat des ailes avec une telle conviction, qu’il faudrait lui rappeler que la cygne flotte et ne risque pas de se noyer. Irina Boronskaja n’est pourtant pas interprétée par n’importe qui : c’est Ludmilla Tcherina, étoile des Ballets de Monte-Carle, tout de même ! Ce qui me confirme l’intuition que j’avais eue après le visionnage d’une vidéo d’archive de la Pavlova : je suis née un siècle trop tard. J’aurais été prima ballerina absoluta. Au moins. On déboule les genoux pas tendus, les cinquièmes suffisent à nous décourager d’imaginer à quoi peuvent bien ressembler des troisièmes, les pieds sont tendus quand on n’y pense, c’est-à-dire à peu près jamais. Le pire reste tout de même les ports de bras. L’expression dramatique confine au burlesque à force d’exagération. Tout est dans l’excès, y compris le formidable maquillage qui prolonge les traits jusqu’aux tempes et dont l’aplat d’ombre à paupière rouge suffirait à expliquer pourquoi j’ai eu tant de mal à en trouver.

Les corps sont appétissants pour l’amateur ou grassouillets pour le balletomane : on pardonne aux danseurs d’avoir des cuisses si développées lorsqu’il fleur faut soulever ces gracieuses et lourdaudes Willis. Peut-être n’aurais-je pas été appréciée en Myrtha, finalement, étant dépourvue de la générosité de ces demoiselles. Les rondeurs d’une danseuse sont belles tant qu’elles n’entravent pas le mouvement : elles font paraître Tcherina pautaute, tandis qu’elles donnent (des) forme(s) à la danse de Moira Shearer, la danseuse qui joue Victoria Page. La technique approximative de l’époque s’oublie durant le ballet proprement dit, que les réalisateurs ont eu l’intelligence de mettre en scène et non de capter à plat, enregistrement passif de ce qui se passe sur scène.


 

Avec les décors et les costumes, la gestuelle plus retenue (moins débordante serait peut-être plus juste) de Moira Shearer, le cordonnier bondissant et ensorceleur de Leonide Massine, on apprécie pleinement un spectacle qui pourtant ne correspond plus à nos critères techniques ou esthétiques. La vitesse d’exécution, corrélat de l’aspect brouillon de la danse, ne laisse pas le temps de s’appesantir sur celui-ci. Cela n’arrête pas de tourner – étourdissant. Noureev et son adage « un pas sur une note » trouvent là une tradition dans laquelle s’inscrire.Je me figure mieux à présent ce que pouvaient donner les tempi des ballets des siècles passés, deux à trois fois plus rapides qu’ils ne sont joués aujourd’hui, selon Pierre Lacotte (à propos de la Fille du Pharaon, il me semble me souvenir).  Il faut voir à la barre la vitesse de leurs ronds de jambe – et ce n’est pas de la mayonnaise.

Pour ceux qui ne comprennent pas mon ébahissements, prenez pour analogie les effets spéciaux lors du ballet : par exemple, les fondus-enchaînés qui superposent des oiseaux ou des fleurs aux danseuses en porté (il faut bien cela pour leur conférer une certaine légèreté) vous paraîtront vieillots. Je ne me moque que pour le plaisir : on voulait des artistes (et des tragédiens qui sachent jouer la comédie), non des athlètes ; le spectaculaire ne passait pas nécessairement par la technique (pas aussi développée – moindres connaissances anatomiques ? Pas encore l’époque de la course effrénée citius, altius, fortius ? Pointes moins performantes ? – on découvre le coup de pied de Moira Shearer seulement lorsqu’on lui ôte ses chaussons rouges…). Bref, avoir apprécié la danse ne m’a pas empêchée ensuite de faire l’hippopotame en tutu sur le quai du RER – plus Fantasia que fantaisie si l’on considère le montage de l’énorme vague qui remplace l’orchestre et laisse en place le chef, réincarnation de Mickey apprenti sorcier (une âme plus poétique y voit une vague d’applaudissements).

 

 

En dépit de tous mes sarcasmes, je n’ai pas vu les 2h15 de film passer. Certains éléments prêtent à sourire, mais, en dépit de ce que suggèrent les critiques, obnubilés par le tour de force technique que constitue la restauration de l’œuvre, dont, en tant que telle, ils se débarrassent en lançant le gros mot de « chef-d’oeuvre », le film reste bien autre chose qu’une pièce de musée, grâce à sa composition d’ensemble : ce n’est pas en effet la carrière d’une belle jeune fille, que l’on suit, ni son idylle avec un autre artiste talentueux, mais, comme le suggère l’ouverture du film, qui coïncide avec celle des portes du théâtre, c’est l’histoire d’une troupe qu’on nous raconte. Le bazar du plateau durant les répétitions, l’agitation panique avant la première, les coulisses.. Et des personnages un peu plus nuancés qu’il ne paraît : Victoria n’est pas qu’une cruche amoureuse, tout comme Lermontov n’est pas un tyran de l’Art et fait preuve d’une réelle sensibilité envers sa danseuse, qu’il a l’élégance de ne jamais séduire. Un peu kitsch, oui, mais pas forcément mièvre (celui qui a toujours raison dégote carrément un
parallèle avec Lynch, c’est dire si ce n’est pas violent…), même lorsque Craster et Victoria se tiennent immobiles et enlacés, allongés dans une calèche…


 

Un critique en or

 

Prise de remords ou d’ennui ou de court par le TD de recherche documentaire de vendredi matin, je me suis décidée à jeter un œil à quelques ouvrages critiques sur Kundera pendant les heures suivantes que le déjeuner ne parviendrait certainement pas à combler jusqu’au cours suivant. L’âge d’or du roman : le titre ne m’attirait pas, ça m’évoque trop un pré vert avec un arc-en-ciel doré au-dessus, à compléter, entre les deux, par ce à quoi s’applique l’expression, en l’occurrence, des livres. La quatrième de couverture m’a mise dans de meilleures conditions : l’auteur de l’essai explique qu’il a délibérément donné cette expression un peu vieillotte comme titre en guise de pied de nez aux éternels pessimistes pour qui le pire est toujours à venir, et le meilleur à partir. Et de montrer que la production littéraire de notre époque n’a rien à envier à celle du passé. Les articles sur Kundera étaient délicieux, si bien qu’après avoir fait couler un peu d’encre, je me suis octroyée le préface en dessert. Une défense de la critique. Je voudrais y revenir, parce qu’elle m’a d’autant plus facilement transformé les neurones en pop-corn qu’elle a ravivé des découvertes amorcées cet été à la lecture d’un numéro de la Quinzaine littéraire consacré au sujet.

 

Auparavant, je n’avais jamais porté attention à la division de la critique en analyses universitaires et en compte-rendus journalistiques. Pour être exacte, il faudrait dire que je n’ai même jamais pensé qu’elles pussent être unifiées (et sans unité, pas de division) : outre qu’elles occupent des espaces séparés, elles sont encore distinctes du point de vue de la temporalité, l’analyse universitaire arrivant après la lecture, la présentation journalistique, avant. Mais quand j’entends qu’on déplore l’état de la critique qui ne remplit plus sa fonction, je me dis que ma séparation n’est peut-être qu’un malheureux indice d’une situation dangereuse. Les journaux, en effet, ne critiquent pas (plus?), ils présentent les dernières parutions, et les quelques lignes qu’on leur consacre ne permettent pas d’effectuer un tri. Le choix n’est plus critique mais marketing ; le sujet, objet de consommation. De l’autre côté des lignes, à l’université, on travaille beaucoup sur les siècles passés, au risque que leur travail « à partir de » n’en vienne implicitement à leur faire penser qu’ils s’éloignent du bel et bon, bel et bien perdu.

Les classiques sont l’assurance qu’on ne perdra pas son temps qui, dans la perspective du littéraire n’est pas de l’argent, mais un élément porteur de sens, dont il est constamment à la recherche à travers un temps de lecture qui ne se contracte pas comme les trajets en train que l’on fait passer avec. On ne peut pas tout lire et l’on veut d’autant mieux bien lire. Derrière l’arrimage aux classiques, ce label rouge de la signification en littérature, il y a peut-être aussi la crainte de ne pas savoir quoi lire (problème de la critique qui fait défaut), et surtout de ne pas savoir quoi en penser (problème de la critique – sur quels critères juger d’un ouvrage ?). Je dois reconnaître que je m’aventure bien peu dans le domaine de la littérature contemporaine. Je me laisse entraîner par la couverture orange et l’incipit de l’Oiseau à ressort, de Haruki Murakami ; j’ai dans l’idée de lire un jour du Kazuo Ishiguro, dont on avait traduit un extrait en prépa ; la Bacchante me prête le Fusil de chasse ; j’espère que le livre de Marie Billedoux, que j’ai acheté à la sauvette au Relay sera moins mièvre que le nom de son auteur ; mon regard formaté à l’étiquette jaune tire un Paul Morand du rayon – confiance progressive à la collection de l’Imaginaire ; j’achète Vente à la criée du lot 49, de Thomas Pynchon pour comprendre quelque chose au cours de mercredi prochain… un peu de hasard et beaucoup de professeurs, j’ai toujours peur de lire des bêtises. Classique. Ce sera un nouvel essai.

 

Guy Scarpetta raconte comment il en est venu au sien : au cours d’une conversation, personne ne s’entendait sur l’époque qui constituerait l’âge d’or du roman, mais tous le situaient dans le passé et tous ont unanimement rejeté la possibilité qu’on puisse y être, là, maintenant, paradoxe qu’a tenu Guy Scarpetta. Pour le soutenir, il est aller à la librairie du coin acheter quelques ouvrages bien sentis pour ses hôtes qui ont dégusté. L’âge d’or du roman, c’est un peu faire au lecteur anonyme le cadeau que le critique a offert à ses amis.

Avant de penser au vacillement de la critique, je me serais plus longuement étonnée sur ce contre-exemple du sens du progrès – qui reste un des fondements de notre pensée même si nous avons assez creusé pour le faire remonter à la conscience et le sortir de la foi dans laquelle le positivisme l’avait plongé. Pas d’avancées en littérature sinon a posteriori. En un sens, c’est tout à fait juste, il n’y a pas de progrès en littérature (ou alors seulement en terme de conscience et de réflexivité – risque de tourner en rond, d’ailleurs). Mais l’absence d’avancées n’a pas à dégénérer en hantise de la régression. Le pessimisme littéraire serait-il si peu moderne, loin de la tentation du progrès, à brandir ses classiques des siècles passés en réaction ? A moins qu’il ne le soit que trop, et l’indice d’une résistance forcenée contre le préjugé de notre temps – pas un préjugé, mais le préjugement, la crainte de penser par soi-même et de s’abriter derrière les arguments d’autorité. Je ne dis pas qu’on n’ait pas besoin de repères qui fassent autorité, mais il faut les avoir éprouvés auparavant : après avoir goûté l’intelligence de Guy Scarpetta sur un auteur que j’ai lu, je suis tout à fait disposée à me diriger vers l’inconnu qu’il me désigne dans ses autres articles. D’une manière plus générale, le choix que l’on fait de ses critiques l’est aussi (critique), puisqu’il ne faudrait pas que le temps de passé à choisir ses lectures (paralittérature) nous ôte celui de les faire (littérature)… Il est toujours bon de savoir à qui l’on a affaire : par exemple, j’apprécie les critiques de danse détaillées et pertinentes de Syltren, mais je les (re)garde a(vec) une certaine distance, car j’ai pu constater sur des distributions que nous avons eu en commun (pas très difficile, il semble toutes les voir^^) que nous n’avons pas du tout la même sensibilité.

Il ne s’agit pas d’abord de trouver des critiques qui aient des goûts semblables aux nôtres, mais en l’intelligence desquels on ait confiance. Car, quoiqu’en disent messieurs Robert et Collins, un spoiler, dans une bonne critique, ne gâche rien. Plus on montre la cohérence d’une construction, plus la place devient forte – elle peut être complètement apparente (comme chez Kundera), cela n’ôte rien au suspens, dont la véritable nature pourrait bien être le suspends, « the willing suspension of disbelief » de Coleridge. Et Anouilh de présenter au début d’Antigone chacun de ses personnages et le destin qui les attendent : tout est dans le déroulement. Lorsque je lis une critique de Bamboo étiquetée « spoiler » comme « fragile » sur un carton de déménagement, en me disant que de toutes façons ce bouquin ne me dit rien, ou je n’irai pas voir ce film, c’est précisément une fois qu’elle en a dégagé le fonctionnement- patiemment, archéologue du sens avec son pinceau- que j’ai envie de me
précipiter sur son pré-texte. Peut-être parce que j’ai ainsi un angle d’attaque, une interprétation dont je suis curieuse de voir si je l’adopterai et si oui, avec quelles nuances.

Quid des histoires qui reposent sur un renversement final, me direz-vous ? Regarder The Village a-t-il encore un intérêt lorsqu’on sait ? Cas délicat ; celui qui laisse échapper le truc ruine la magie et est volontiers taxé d’indélicatesse. J’ai oublié son nom, mais j’ai toujours une dent contre la cruche qui avait laissé échapper que Dumbledore mourrait dans le 7ème tome que je venais juste de commencer ; ne pouvait-elle pas me laisser tranquillement croire à la petite souris ? Et pourtant… quand il est passé à la télé, je n’ai pas pu voir The Others jusqu’au bout (shampooing impératif ou trop petite pour me coucher tard, je ne sais plus), et j’avais demandé à ma mère la fin de l’histoire. Quand j’ai récupéré le DVD chez mon père, l’histoire ne m’en a pas paru moins fascinante ou effrayante. Une histoire est bien ficelé lorsque, alors que vous avez repéré et coupé toutes les ficelles, elle tient encore d’une pièce. C’est même à cela qu’on reconnaît qu’elle sera toujours ragoutante.

Guy Scarpetta utilise pour argument une analogie musicale : si un profane peut écouter de la musique et l’apprécier, les musiciens vous diront qu’entendre l’entremêlement des différentes lignes musicales, les thèmes et les variations, bref, la structure, ne diminue en rien le plaisir de l’écoute, bien au contraire. J’en suis si intimement persuadée que je trouve frustrant de ne pas être capable de saisir ces nuances, qu’une reprise (le refrain pour les pauvres d’oreille dans mon genre, qui ne perçoivent que la partie émergée de l’iceberg) m’apaise, et que la lecdture d’une telle analyse me met en joie. Pour Guy Scarpetta, l’analogie lui sert à rendre convaincant son propos sur la critique, assimilée au déchiffrement de la partition (la lecture rejoue toujours l’œuvre par la suite) ; déjà convaincue, je vais en sens inverse, la littérature me sert de paradigme pour aborder la musique.

Voilà d’ailleurs une nouvelle confirmation de la correspondance des arts, s’il l’on doutait encore de l’existence de corrélation entre des modes d’expression divers mais qu’une même sensibilité peut faire converger. La domination d’un art sur un autre est une affaire personnelle qui dépend de l’attrait qu’il exerce sur chacun de nous. Palpatine déplorait il y a quelques temps (si tu te souviens de l’emplacement de tes dires, dear cobaye, tu as le droit de m’envoyer le lien) la prolifération de nanars au cinéma, ajoutant que pour le divertissement bas de gamme, il y avait déjà les livres. Curieusement pour lui, peut-être, j’aurais fait exactement la remarque inverse, qu’il y avait les (télé)films pour cela, qu’il fallait laisser aux livres la littérature. Cinéphile et littéraire. Personne n’a raison, parce que chacun à ses raisons, comme écrit Guy Scarpetta au sujet des personnages de la Lenteur (Kundera, who else ?). Je crois que ce n’est que depuis cette année que je commence à comprendre que le cinéma puisse être un art – par le biais de Rohmer, réalisateur « littéraire » s’il en est (qui va piano va sano). Qu’un film peut tout autant donner à penser qu’un roman.

 

 

Un classement des arts en mineurs et majeurs ne contient dès lors pas de jugement de valeur. Quel sens donner alors à ce distinguo ? Guy Scarpetta reprend la distinction de Hemingway : est un art majeur celui qui survit à la mort de son créateur (le peintre laisse des tableaux, l’écrivain des livres, le sculpteur etc.) ; mineur, celui qui meurt avec lui. (Où se trouve la danse, dans cette dichotomie ? Art majeur en tant qu’art de chorégraphe ? Ou art mineur du danseur ? – une fois de plus, elle échappe aux catégorisations. Par sa nature, mais aussi peut-être en raison des théoriciens de l’art, qui m’omettent purement et simplement). Et notre critique de ranger sa discipline dans cette dernière catégorie. Alors que j’ai tendance à valoriser la fierté au risque de l’orgueil et de la prétention, j’aime cette humilité : un bon article critique sait se faire oublier en tant que tel (sinon, c’est que son auteur s’écoute parler, et cherche à bâtir sa gloire sur les miettes grattées à la réalisation d’un autre), il se fond dans la conscience que l’on a de l’œuvre en question, après avoir rendue celle-là plus aiguë et dotée d’une perspicacité qui lui permette de saisir de nouvelles richesses passées inaperçues dans celle-ci. En somme, la bonne critique enrichit, et ne réduit pas. Pas une seule bonne lecture, mais des interprétations d’autant plus valables qu’elles sont superposables. Guy Scarpetta cite Aragon pour qui la critique se doit d’être une « pédagogie de l’enthousiasme ».

Dénigrer est toujours plus facile qu’apprécier (qui n’est pas uniquement synonyme d’ « aimer », même si c’est souvent le cas pour moi qui aime ce que je peux structurer de manière significative), ne serait-ce que parce qu’apprécier nécessite d’exhiber les critères sur lesquels on juge (Guy Scarletta énumère clairement les siens : il considère comme grand roman celui qui 1° explore un territoire nouveau de la vie humaine, 2° renouvelle la forme, et 3° rende indissociable l’un et l’autre). Jugement subjectif, toujours, mais c’est le seul moyen aussi de viser juste. « Pour être juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale, passionnée, politique, c’est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais un point de vue qui ouvre le plus d’horizons », écoutons Baudelaire, et les auteurs, d’une manière générale, ils savent généralement de quoi ils parlent (un démenti au mythe de l’artiste inspiré, génial malgré lui). Pédagogie de l’enthousiasme… Même si les journalistes de Télérama n’ont pas leur pareil pour passer au vitriol ce qui leur a déplu en quelques lignes réjouissantes de méchanceté, il serait peut-être bon de le leur rappeler. Comprendre pour apprécier. *J’aurais voulu être un critique…* (sur l’air de « J’aurais voulu être un artiste). De danse, dans l’idéal.

Enfin non, transversal, dans l’idéal ; danse, littérature, cinéma, philo, peinture, photo… Ce que j’aime par-dessus tout, ce sont les rapprochements improbables mais pertinents, qui ont, comme dans une métaphore, d’autant plus de force que les termes sont éloignés l’un de l’autre. Les articles où tout s’articule (les fragments que l’auteur a empruntés à des univers différents), où tout converge (les réflexions du lecteur, qui trouvent là leur expression la plus directe), d’où tout rayonne (la structuration des pensées en relance de nouvelles). Les articles dont on oublie qu’ils sont démonstratifs, où l’on chemine dans l’esprit et la culture de son auteur. Chez Palpatine, par exemple, ce sont souvent les articles hebdomadaires qui m’amusent, où se rencontrent de façon plus ou moins lâchement noués des remarques éparses, où se constitue l’expérience – ils sont certes éloignés de la « critique » par leur contenu, mais la plupart du temps bien plus proches de l’essai que ses compte-rendus. J’aime que l’on structure le monde de manière imprévue, autre. Puisqu’une critique ne saurait égaler son objet,  plutôt que de s’épuiser à essayer de l’épuiser, je préfère qu’elle l’outrepasse, qu’elle puise à toutes les sources et le prenne ainsi dans ses filets, l’entourant ainsi de son affection et de sa curiosité.