Living drums

 photo Drumming Live

Photo d’Herman Sorgeloos   

Anna Teresa de Keermaeker, deuxième round. Une fois installée, j’ai à peine le temps de remarquer que le tapis de sol est orange, à l’exception d’un lai noir, traversé par les branches d’une étoile elle aussi orange, et de déglutir ma dernière bouchée de sandwich au poulet qu’un coup de percussion déclenche lumière et mouvement. Le coup d’envoi est donné : la force d’inertie jouera cette fois-ci en notre faveur, perpétuant, ô joie céleste, le mouvement en continu.

Les percussions jouées en live au fond de la scène, qui tantôt martèlent, tantôt tintinnabulent, ainsi que les trajectoires nébuleuses mais néanmoins décidées des danseurs me font penser à Alban Richard – à moins que ce ne soit l’étoile au sol, comme tombée de sa Pléiade. Heureusement, la chorégraphie est mâtinée de Trisha Brown : sans atteindre cette qualité de rebond qui donne l’impression que la pièce est d’un seul tenant, parcourue d’un seul et même mouvement, la danse d’Anna Teresa de Keersmaeker est animée d’une semblable énergie. On y court, on y saute, comme pris du besoin impérieux de courir, de sauter, et on court et on saute, inépuisable, car la joie qui en naît fait encore courir, fait encore sauter.

Les corps ne se touchent pas tout de suite mais ils cherchent et soutiennent le regard avant de s’emboîter le pas – le regard décidé d’une gymnaste sur le point de s’élancer dans une diagonale, la connivence en plus. On attendrait des collisions et l’on est surpris ça et là par une rencontre : un danseur qui en déplace un autre d’un bond, tous deux avec leur force d’homme, ou une petite robe argentée, soulevée jusqu’à la naissance des cuisses, soulevée jusqu’à faire voltiger les longs cheveux noirs…

Drumming live n’est pas une révélation mais c’est une bonne soirée, sous le signe du soulagement : lorsque le lai étoilé, lancé par un danseur, se retrouve subitement en rouleau sous le pied d’un autre et que les lumières ont été éteintes d’un coup de percussion, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer. Collants, T-shirt et sac orange, j’étais en phase, sûrement. 

Mit Palpatine

Une saison au théâtre de la Ville ?

Le public du théâtre de la Ville n’a pas grand-chose à voir avec celui des autres théâtres et on y croise bien peu de balletomanes quand le tiers de la programmation est étiqueté danse. C’est que ce théâtre est à la culture ce que Leader price est à l’alimentation : on y trouve le meilleur comme le pire, à des prix raisonnables. La tradition veut que l’on goûte avant de dire que l’on n’aime pas. Cependant, si vous voulez éviter de faire grincer votre siège en partant au milieu de la représentation (également une tradition du théâtre de la Ville), voilà quelques conseils profilés. Attention, le premier qui me parle du public au pluriel verra son adresse IP bannie de ce blog.

 

Pina Bausch :
♣ c’est un film en 3D.
♥ c’est Le Sacre du printemps.
♦ c’est 1980.

 

Jérôme Bel :
♦ vous avez particulièrement aimé Cédric Andrieux.
♣ ce nom vous dit quelque chose, ou peut-être pas.
♥ ce n’était pas le chorégraphe de Véronique Doisneau ?

 

Vous avez :
♣ une bonne vue, fût-elle corrigée.
♦ des lunettes.
♥ des jumelles.

 

La dernière pièce de théâtre que vous avez vue était :
♥ probablement un Molière ou un Racine.
♣ d’un auteur russe.
♦ politisée ou transdisciplinaire.

 

Le cirque :
♦ pourquoi pas au théâtre ?
♣ celui du Soleil a été une belle découverte.
♥ vous vous souvenez des contorsionnistes et des chevaux.

 

Millepied est :
♥ le futur directeur de l’Opéra de Paris.
♣le mari de Natalie Portman.
♦ le cadet de vos soucis.

 

Votre journal favori :
♦ est La Terrasse ou Télérama.
♣ est Slate.fr ou Rue 89.
♥ vient de disparaître.

 

Le Lac des cygnes est :
♣ de Tchaïkovsky.
♦ sujet à être revisité.
♥ inratable.

 

La bayadère est :
♣ un motif récurrent des magazines de déco.
♦ une figure indienne.
♥ un peu kitsch mais la descente des ombres, quoi.

 

Vous aimez dîner :
♦ avant le spectacle.
♣ à l’entracte.
♥ après le spectacle.

 

Votre brunch, vous l’aimez :
♥ organisé via doodle d’après une mailing list balletomaniaque.
♣ différent d’une fois sur l’autre.
♦ bio.

 

Vous repérez le côté cour et le côté jardin selon :
♦ les indications places paires et impaires dans le théâtre.
♥ le côté où commencent les diagonales et celui où elle finissent.
♣ que vous voyez ou non les mains du pianiste.

 

Un gala :
♣ est une occasion de découvrir des artistes qu’on n’a pas l’habitude de voir.
♦ ce n’est pas trop votre truc.
♥ vous mangerez des pâtes pendant tout le restant du mois s’il le faut mais vous y serez !

 

 

Vous avez un maximum de ♥ : cher balletomaniaque, je ne saurai que trop vous encourager à tenter la grande aventure du théâtre de la Ville mais, à vous plus qu’à d’autres encore, je me dois de recommander la plus grande prudence. Aussi rassurant soit-il, un nom connu n’est pas une garantie. Le Preljocaj du Funambule n’est pas celui du Parc, l’Anna Teresa de Keersmaecker de Garnier n’est pas forcément celle du théâtre de la Ville, pas plus qu’In the middle somewhat elevated ne vous garantie du WTF le plus total. L’Opéra agit comme un filtre : l’ôter peut être libératoire tout comme cela peut ruiner la poésie de la chose – le paysage médiocre sans filtre Instagram.

Le conseil de la souris : YouTube est votre meilleur ami. Mettez à profit les capacités acquises au cours des heures passées à dénicher des vidéos russes plus improbables les unes que les autres pour trouver des extraits des programmes proposés. En général, on se fait rapidement une idée. Trop lent, trop bavard, trop contemporain… vous finirez bien par trouver quelque chose qui soit assez étonnant pour retenir votre attention et pas trop bizarre au point de vous faire fuir. Bon courage et toutes mes condoléances pour la disparition de Danser.

 

Vous avez un maximum de ♦ : cher cultureux/théâtreux, vous êtes un lecteur assidu ou vous aimez les tests, parce que vous avez continué alors que vous êtes de toute évidence déjà abonné au théâtre de la Ville.

Le conseil de la souris, tout de même, pour que vous ne repartiez pas bredouille : méfiez-vous des « création de 2012 ». Probablement contaminé par la nouveauté publicitaire qui ne compte pas les mois passés en rayon, le théâtre de la Ville a conservé dans le programme 2013-2014 des créations de la saison en cours. Je vous épargne des rediffusions, ne me remerciez pas, profitez-en plutôt pour faire un tour dans un théâtre à l’italienne. Ou tester le resto à côté du Châtelet : la salade chèvre-miel-bacon et raisin vaut le détour et les desserts peuvent être surprenants (avouez que cela fait rêver, un douillet de meringue aux figues). Evitez cependant la mousse au chocolat si vous devez courrir à votre place juste après.

 

Vous avez autant de ♥ que de ♦ et aucun ♣ : vous avez un problème avec les maths mais allez quand même faire un tour du côté du Petit Rat, elle a un profil similaire au vôtre.

 

Vous avez un maximum de ♣ : vous êtes anormalement sain pour traîner sur ce blog sans appartenir à l’une des deux catégories précédentes. Je vous soupçonne donc d’être un mélomane s’étant abrité derrière les questions orientées danse pour ne pas révéler sa nature de mélomaniaque. Aussi discret que vous, l’abonnement spécial musique du théâtre de la Ville vous plaira peut-être. Avec de la musique indienne pour toi, Joël.
Vous n’êtes pas un mélomaniaque ? Vous n’êtes pas Aymeric non plus ? Vous n’êtes ni un spam, ni un provincial, ni un membre de ma famille ? Laissez-moi un commentaire, il faut qu’on aille se faire un ciné.

Le conseil de la souris : insaisissable et curieux comme vous semblez être, je ne vois pas trop ce que je pourrais faire pour vous niveau programmation. En revanche, je vous recommande de faire un tour à l’angle du Sarah Bernhardt : à partir de 20h, il n’est pas rare que les sandwiches soient soldés et, si tel n’est pas le cas, il y a toujours la crêpe à la crème de marron ou au Nutella. 

Elena, le cul entre deux chaises

Il y a deux legs des années 1980 qu’il vaut mieux oublier : les coupes de cheveux et les pièces de danse contemporaine. Quatre ans après 1980 vu par Pina Bausch, Anna Teresa de Keersmaeker créé Elena’s aria, que ses tics de contempo rendent tout aussi peu enthousiasmant.

 

Une rangée de chaises

Commençons par interdire les chaises aux chorégraphes contemporains. Il n’y a que James Thierrée pour être assis et danser. Sans vouloir faire mon indécrottable classique, la danse c’est quand même mieux sur ses pieds. Assis, c’est la position du spectateur, pas du danseur. Il ne faut pas s’étonner ensuite que les spectateurs prennent acte de l’inversion des rôles et se lèvent à leur tour. Rien d’inhabituel à cela, le théâtre de la Ville doit avoir le plus fort taux de départ en cours de spectacle – une L1 art du spectacle vivant, en somme. Ce qui continue de m’étonner, en revanche, c’est que les gonds des fauteuils pliables ne soient pas huilés en conséquence.

 

De la lumière avec parcimonie

Un bobo cultureux n’en est pas vraiment un s’il n’a pas de lunettes. Réjouis-toi, toi qui souffre d’une excellente vue, l’ambiance a été conçue de manière à ce que tu doives forcer sur tes yeux : encore une saison de spectacles dans ce goût-là et tu arboreras à ton tour une monture, au choix, noire et carrée, petite et rouge, ronde et écaille de tortue. Parfait pour ne pas voir que cela n’a aucun sens, contrairement à Cesena, qui était imprégné du mystère de l’aube.

 

En robe et talons aiguilles

On a inventé le lycra mais non, il faut des robes sans stretch, qui plissent bien pour montrer qu’on n’a cessé de les remonter et que ce n’est pas si facile, que c’est même carrément épuisant, d’être une femme libérée. Soi-disant.

On croyait aussi s’être libéré des pointes en sortant du classique mais les contraintes, c’est un moteur artistique : tant pis si les équilibres sur talon font des mollets pois chiches. Tant pis si on a l’air d’une poule qui a envie de faire pipi en tournant accroupie, fesses en l’air, moulées dans la robe retroussée.

 

La parole

La date de création de la pièce et la tenue des interprètes ne sont pas les seuls éléments qui fassent penser à la danse théâtre de Pina Bausch. On y parle. Ou plus exactement, on y lit : des lettres adressés aux hommes, absents de la scène. Je ne sais pas trop ce qui est le plus (in)compréhensible, du français prononcé avec un fort accent ou de l’allemand – en allemand dans le texte, parce que tu n’as pas le profil théâtre de la Ville si tu n’as pas fait allemand LV1. LV2 à la rigueur : là, tu comprendras que la narratrice était jeune et que John était un gros bâtard menteur.

 

Le ventilateur

Non seulement le ventilateur fait des danseuses des filles dans le vent mais, en l’absence de musique, il permet aux spectateurs tuberculeux de tousser tout leur soûl sans effet d’écho. L’effet secondaire, c’est qu’au bout d’un temps d’attente, lorsque les cheveux sont rabattus sur une mine renfrognée, bras et jambes croisés, on a envie d’aller chercher la coiffeuse pour lui dire qu’il est temps d’arrêter la machine et d’enlever les bigoudis.

 

La vidéoprojection

Des images d’archives sont vidéoprojetées : des immeubles et des ponts dynamités implosent en nuages de poussière. Ce serait impressionnant si la toile n’était pas au format double raisin, perdue sur un côté de la scène et si les danseuses, déjà à terre, ne se mettaient pas elles aussi à s’effondrer. Un moment de groupe qui, ne serait-ce la redondance, est assez beau.

 

De la musique après toute chose

La musique remplit beaucoup trop l’espace. Alors d’accord pour quelques extraits d’opéra mais des vieux enregistrements avec des grésillements, alors, et diffusés en sourdine, pas plus audibles que des souvenirs.

 

Bis repetita placent

Russell Maliphant peut répéter le même mouvement pendant un quart d’heure : il hypnotise – au point que, lorsque la chorégraphie reprend ses droits, c’est à regret que l’on s’arrache de ce mouvement repris jusqu’à l’extase. Lorsque l’arrêt d’une répétition provoque un soulagement, c’est qu’elle n’est ni envoûtante, ni fascinante, ni stimulante. Seulement redondante.

 

Lentement mais bâillement

De nature, je suis plus une extraordinaire fouine bondissante qu’une souris passée à la tapette. Mais j’ai appris à me calmer à regarder : pour preuve de ma sagesse naissante, j’en viens à préférer les Émeraudes aux Rubis dans les Joyaux de Balanchine et, plus fou encore, j’ai réitéré avec joie l’expérience de la danse japonaise. Seulement la lenteur d’Amagatsu n’a rien à voir avec celle de Keersmeaker : là où les corps enduits de blanc, longuement préparés, transforment la moindre respiration en mouvement fascinant, les danseuses rendues banales par leur panoplie de femme se voient obligées de marquer une pause pour faire entrer dans la danse un geste plus ou moins quotidien. En poussant à bout cette logique, on en arriverait à ne plus danser pour signifier la danse – la fameuse non-danse, que Kundera aurait pu rajouter à ses paradoxes terminaux.

Ce n’est pas insupportable. Ce n’est pas mauvais. Juste, cela ne m’intéresse pas. Je préfère réessayer Rain, je préfère être fascinée par Cesena, je préfère sortir de cette impasse – une voie à explorer, sûrement, avant de continuer son chemin.

Empreintes d’un temps enfoui

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Les hommes-galets
 

Anticipez le mouvement, vous suffoquerez d’immobilisme. Cherchez l’immobilité et tout se mettra en mouvement. Le tissu qui frémit de l’onde du mouvement, la cage thoracique qui s’étonne de respirer, l’érosion des hommes-galets sur scène, l’attention des spectateurs tout autour de vous. L’immobilité n’existe pas, on n’en appelle à elle que pour faire apparaître le mouvement, qui a toujours déjà commencé : lorsqu’on rentre dans la salle, la sable s’écoule déjà de deux sabliers, sur des plateaux qui font appel à un équilibre d’avant la justice, d’avant toute société. Umusuna ne nous emmène pas aux origines du monde mais danse le mystère du monde qui existe avant notre venue au monde, avant l’Histoire, avant les souvenirs. Un temps enfoui sous la parole, sous l’écriture, et dont la seule empreinte est le mouvement, le mouvement qui balaye l’immobilité où s’ancre le mythe des origines, comme les archéologues balaient à présent la poussière pour récupérer un fragment passé. Un pas devant l’autre, spectateur : Amagatsu nous a fait entrer dans la danse sans que l’on s’en aperçoive.

 

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Les hommes amphibies
 

On est plongé dans ces « mémoires d’avant l’Histoire » comme dans le silence de la mer, bruissant et inaudible. Enfin muet, on peut être fasciné par les corps qui rampent comme des animaux qu’on ne connaîtrait pas encore, ou plus, étape enfouie entre la bactérie et le poisson ; par les fleurs ou plumes rouges surgies des oreilles comme un superbe parasite, exotique, sur un arbre ; par les cercles qui effacent peu à peu les traces des danseurs ayant rayonnés à partir d’un même point chacun dans sa direction, dans le sable vierge – l’origine réintégrée dans la course à petites foulée des planètes, tour à tour le centre les unes des autres.
 

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Les hommes-planètes
 

Fasciné et inquiété par ces bouches noires et béantes, qui trouent des visages impassibles alors que le corps, baigné de lumière rouge, semble hurler, comme de l’acier en fusion.
 

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Les hommes en fusion
 

Et ces mêmes corps, en groupe, flotter comme algues qui se déploient les unes après les autres. Et pendant tout ce non-temps, échappé d’aucun sablier, du sable coule au fond de la scène, ans s’arrêter, sans envahir la scène, coule, tombe comme s’élève la flamme. On s’abîme dans ce que l’on voit, dans ce que l’on ne voit plus, on s’oublie parfois mais on ne s’ennuie pas. Ou plus. Ou pas encore.  

 

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L’ombre de la main, de la main-serre

Mit Palpatine

Les photos sont pour la plupart issues du site de la Biennale de Lyon et le titre de ce billet est une traduction proposée par le programme.

Souvenir de la soirée des jeunes danseurs chorégraphes

La vague McGregor, très sensible lors de la soirée Jeunes danseurs chorégraphes d’il y a deux ans, est passée : il n’y a plus, cette année, d’influence dominante. Bien sûr, on peut toujours s’amuser à énumérer des noms de chorégraphes mais aucun ne s’impose comme dénominateur commun. La seule tendance qui s’esquisse ne relève pas tant du mouvement que de son rapport à la musique, traitée de manière un brin désinvolte : la musique de Bach s’écoule sans que la gestuelle fluide de Deux à Deux se mêle jamais totalement à la rapidité de son flux, tandis que celle choisie par Julien Meyzendi pour Smoke Alarm tempère la flamme du chorégraphe et des interprètes.

Kalidéoscope enchaîne quant à lui les musiques faciles sans transition mais cela relève davantage de l’esprit du numéro que d’une faiblesse dans la musicalité – Allister Madin est bien moins chorégraphe que metteur en scène. En voilà un qui sait s’entourer : les costumes sont sexy, les filles aussi ; tous s’éclatent comme à un spectacle de fin d’année. On en retrouve aussi bien les tics (les éventails, les passages écart de dos…) que l’enthousiasme (et hop, une acrobatie).

Un autre qui a le sens du spectacle, beaucoup plus travaillé, c’est Samuel Murez. Son Premier cauchemar, peuplé d’hommes d’affaires hypnotisés par leur mallette, me rappelle un peu trop le numéro de la Défense que notre compagnie amateur avait monté pour sembler original mais il est bien rodé – comique assuré.

Pour ce qui est de l’onirisme, il faudra plutôt se tourner vers les Songes du Douanier, traversés par la silhouette de paon de Letizia Galloni et rendus lumineux par Charlotte Ranson. Les costumes qui s’épurent jusqu’au ringrave, le crâne chauve d’Aurélien Houette et les sourires complices du trio formés avec Alexandre Carniato dessinent une animalité sans bestialité : une jungle où l’on joue à chats perché et aux chaises musicales sur des souches d’arbre.

Ce que j’aime, à l’amphithéâtre de Bastille, c’est que l’on est proche des corps : les courbes et les angles que l’on aperçoit d’habitude de loin, toute cette géométrie prend corps dans les dos qui ploient et les muscles qui tressaillent. J’aime la beauté de pudique meneuse de revue de Claire Gandolfi, la puissance d’aigle d’Aurélien Houette, la finesse ébène de Letizia Galloni… En attendant l’année dernière tire pleinement parti de cette proximité quasi charnelle : après un début qui fait tiquer (silhouette se détachant à contrejour d’un fond rouge), les pattes interminables de Lucie Fenwick donnent au solo langoureux chorégraphié par Gregory Gaillard une élasticité assez fascinante et rappellent au présent une pièce que ses lumières et son costume (sorte de grand pull au-dessus des jambes nues) teintent d’un esthétisme un brin daté.

Au final, la pièce dont l’impression est restée la plus vivace est La Stratégie de l’hippocampe. Le titre me plaisait déjà sur le programme et il continue de me plaire, sans que je puisse imaginer le rapport qu’entretient l’hippocampe avec la chorégraphie de Simon Valastro. J’ai découvert ce danseur dans Proust ou les intermittences du cœur : un Charlus sautillant à l’assaut de l’insaisissable, applaudi par un banc d’esthètes aux gants blancs. Sa pièce est aussi expressive que les meilleurs moments de Roland Petit (le passage autour de la table me fait d’ailleurs penser à La Chauve-souris) : des gestes banals acquérant un relief étonnant tant ils sont ciselés, vivaces, si parfaitement attachés à la musique que celle-ci semble avoir été composée pour l’occasion. Cette évocation d’une famille Adams manque sûrement d’une trame narrative mais, franchement, j’ai hâte d’en voir plus. Cela a autrement plus de gueule que la chorégraphie d’une certaine étoile inscrite directement à la programmation de Garnier sans être passée par l’amphithéâtre de Bastille… Et lorsqu’on constate que l’on ne découvre pas seulement des chorégraphes, lors de ces soirées, mais aussi des danseurs (Claire Gandolfi, une totale découverte), on se dit qu’il y a peut-être un petit souci de gestion des talents à l’Opéra… Mais bon, Eleonora Abbagnato a enfin été nommée, les choses vont peut-être s’améliorer. Qui sait, Mathilde Froustey sera peut-être distribuée dans La Belle au bois dormant la saison prochaine.