Dix danses

Il faut entendre Decadanse comme décalogue, décasyllabe… dix comme l’idée de florilège, car ce best-of de chorégraphies d’Ohad Naharin n’entretient aucun rapport avec la décadence. Le jeu de mot fait simplement sourire, comme les provoc’ bonhommes lors des adresses au public. Les passages où quelques membres du public sont invités à monter sur scène me font regretter de ne pas être au parterre mais, pointe de jalousie à part, elles m’ennuient assez vite. C’est sympatoche, ça bouscule le public de Garnier auquel il ne faut vraiment pas grand chose pour être bousculé*, mais je préfère voir les danseurs s’en donner à coeur joie.

De passer en une semaine de la Batsheva au ballet de l’Opéra, la première chose qui me frappe, c’est la beauté des danseurs. Ce n’est pas que les danseurs de la compagnie d’Ohad Naharin soient moins beaux ; simplement, la question ne se pose pas. À Garnier, cela me saute aux yeux : ces danseurs ont entre autres été sélectionnés pour leur plastique, la beauté de leurs lignes. On ne pourra pourtant pas accuser les danseurs de se tenir sur la réserve ; ils se jettent dans la danse à corps perdu, avec un plaisir évident. Simplement, comme le souligne Cléopold, l’école est là, encore plus frappante dans cette occasion de dynamitage.

Cela a son propre piquant, d’autant que chaque danseur gagatise à sa manière. Caroline Osmont, par exemple, que je revois très drôle et très classe en tutu lors de son concours de promotion, est ici en pleine battle, incroyable d’accents syncopés. Marion Barbeau, le corps qui ploie, s’étire et se retrouve élastique, semble branchée sur du 2000 volts ; il s’en faut de peu qu’elle entre en fusion (ce qui, je dis ça je ne dis rien, ressemble beaucoup à la définition astronomique de l’étoile). À l’inverse, Seo-Hoo Yun affiche une tranquillité paradoxale au milieu de ce joyeux chaos, et transforme en alchimiste son apparent sous-régime en présence accrue. Et on pourrait continuer ainsi de danseur en danseur… 

La pièce en elle-même, en revanche, souffre de sa construction en patchwork. Le dernier morceau, notamment, d’une vingtaine de minutes, déséquilibre l’empilement d’extraits plus brefs. Surtout, il intervient après l’acmé que constitue le passage hyper connu des danseurs en demi-cercle ; mitraillés par la musique, ils se soulèvent en domino et cambré de leur chaise, jusqu’à l’effondrement répété du danseur en bout de course. Comme à chaque fois qu’Ohad Naharin colle au rythme, le résultat est hyper puissant ; la sauce retombe lorsque le lien entre musique et danse se distend, les corps suivant une trajectoire connue d’eux seuls, à laquelle on s’intéresse avec plus effort à mesure des interprètes (petit faible pour Antoine Kirschner). La provoc’ amusante de la dernière pièce, où les danseurs défilent les uns après les autres pour exhiber une partie anodine, improbable ou lunaire de leur anatomie, était pour moi émoussée de l’avoir déjà vue (au cinéma avec le NDT). J’ai passé une bonne soirée, au final, presque déçue pourtant de n’en avoir pas passé une excellente.

*  Je ne sais pas si le choix de participants relativement âgés relève d’un pur effet sociologique ou de la volonté d’accentuer l’effet comique de décalage entre le public et les danseurs, mais cela a présenté quelques inconvénients : il a fallu rapidement évacuer une vieille dame (et son danseur binôme esseulé) en coulisses, tandis qu’une autre dame, désorientée, n’a plus su retrouver l’escalier pour retourner dans la salle et a hésité d’une coulisse à une autre…

Gaga au Venezuela

Je mets un certain temps à comprendre pourquoi ce Venezuela d’Ohad Naharin ne résonne pas en moi : à quelques trop rares mesures près, la danse entretient un lien pour le moins désinvolte avec la musique ; ça passe derrière (la bande-son), ça passe devant (les mouvements)… Il me faut faire des efforts d’attention pour que ça ne me passe pas par-dessus, et me boucher les oreilles à certaines occasions (le spectacle devrait être sponsorisé par les écouteurs Bose).

Mais une fois encore, les danseurs de la Batsheva Dance Company sont dingues à observer, avec cette inversion inhabituelle : les filles sont d’abord puissantes, les garçons d’abord sensuels. Billy Barry en particulier est fascinant en danseur de salsa désarticulé, jambes maigres qui tricotent sévères, torse ondulant au mépris de toute colonne vertébrale. Mais chacun a son mode d’être, de fascination, par exemple Matan Cohen à l’aplomb rock, version brune du chanteur Sting ;  Hugo Marmelada, une douceur à la Gaspard Ulliel. La puissance dégagée par les filles est phénoménale ; leur présence est un festin anthropophage, je m’en gave lorsqu’elles se laissent conduire à dos d’homme, de l’avant à l’arrière scène, de l’arrière-scène à l’avant scène, pendant une éternité qui s’abolit dans la fascination, comme un moment d’absence devant un feu d cheminée (alors qu’on ne se dit jamais qu’on va mater un feu de cheminée).

Dans l’instant, les filles à califourchon sur les garçons à quatre pattes, c’est un peu facile, un peu ridicule ; puis ça traîne, le temps et les jambes, de part et d’autres, et de ces femmes à dos d’homme, on voit surgir des images étranges, l’insecte à deux têtes se superposant aux reines égyptiennes ou indiennes, à dos de chameau ou d’éléphant, la démarche féline des montures se répercutant sur les corps souples. Mon regard passe de l’une à l’autre, sans que je me décide sur qui fixer : l’amazone à la robe asymétrique et la présence brute (Maayan Sheinfeld) ? la garçonne sans décolleté, robe droite, cheveux ras, qui a la force de ses bottes (Hani Sirkis) ? l’aventurière à natte, simple et franche (Yael Ben Ezer) ? Toujours autant de modes de puissance que d’interprètes. On a l’occasion de le vérifier lorsque le spectacle reboote, les mêmes mouvements repris par les mêmes danseurs dans une distribution différente.

Incrédule, je me demande quand cela la chorégraphie va être interrompue ou diverger : après les grandes enjambées qui donnent l’impression qu’un sac de balles rebondissantes a été versé sur scène ? après le duo de rap au micro ! après les allées et venues orientalisantes à dos d’homme ? Et cela continue, implacablement, le spectacle entier est bissé. J’assiste à la reprise des séquences dans un mélange d’incrédulité dubitative (le chorégraphe s’offre du sens à peu de frais, usant de ce que, repris, un pas totalement gratuit prend des airs de nécessité) et de stupeur admirative : il faut oser – donner tout à revoir et d’une certaine manière à voir, puisque sachant à quoi s’attendre, on sait où placer le regard, quel interprète suivre, quel détail rattraper (j’arrive enfin à anticiper le sursaut arythmique des montures dans le passage à dos d’homme). La seule différence vient de ce que les morceaux de tissu blancs, qui étaient battus sur le sol puis jetés en linceul sur le corps d’un homme allongé à la première occurrence, sont remplacés par des drapeaux à la seconde. Je n’ai pas repéré celui du Venezuela, mais j’imagine que le titre de la pièce vient de là.

Mamootot

Balbutier le gaga

Sur les cinq spectacles d’Ohad Naharin présentés à Paris en ce mois d’octobre, j’en aurai vu quatre : Mamootot, Venezuela et Sedah21 à Chaillot par la Batsheva Dance Company ; Decadanse à Garnier (ne me manque que Décalé, une version de Decadanse compatible jeune public à Chaillot). Il fallait bien ça pour rattraper cette lacune : je n’avais jamais vu une seule pièce du chorégraphe « en vrai » – l’enthousiasme monté en neige par le documentaire de Tomer Heymann. Je crois avoir été un peu déçue par les chorégraphies : l’unité de chaque spectacle s’efface derrière leur gestuelle commune, celui-là semblant un prétexte à celle-ci. Heureusement, la gestuelle gaga est fascinante à observer en elle-même : le regard du spectateur part en syncope avec le corps du danseur, qui s’en trouve remodelé ; pendant Mamootot, je me suis surprise à penser que les fesses sont une magnifique partie du corps, moi qui y ai toujours été relativement indifférente, sur moi comme sur le sexe opposé. Surtout, la gestuelle gaga confère aux danseurs une étonnante puissance et singularité : les secousses qui les agitent semblent dessiner le relevé sismographique de leur personnalité. C’est ce qui rend les spectacles de la Bastheva company si intenses, malgré leur structure pas toujours évidente ; on ne voit plus des danseurs mais des individualités, aux contours très marqués (étonnamment forts pour des personnes si jeunes), qui ne s’adoucissent qu’aux saluts, lorsqu’on leur découvre une manière moins frontale, plus souriante d’être en scène.

Chasser le mammouth

Photo de Gadi Dagon

Les gradins de quelques rangées seulement, disposés de plein-pied autour d’un espace nu qu’ils délimitent comme scène, font de Mamootot moins un spectacle qu’une performance. On est là avec les danseurs comme en studio, si près qu’on voit les paupières battre, la sueur dégueulasser l’épais maquillage blanc, jusqu’aux tatouages et aux poils (y compris d’une danseuse – je me suis sentie moins seule). Mais surtout, sans rampe pour les aveugler, les danseurs nous voient ; plus étrange encore : ils nous regardent, passent au ralenti devant nous, scrutent les rangées de spectateurs laissés à leur merci par les lumières allumées.

Lorsque le spectacle est déjà bien avancé, ils tendent la main à quelques spectateurs, dont je fais partie, et sans trop savoir ce qu’on fait, on prend la main, on la serre, les yeux dans les yeux, inconnus ; c’est intense et ça n’est rien, ça n’a pas de sens sinon de rejouer un lien primal, pré-social, où sans code sans sourire on hésite, on se jauge et se lance peut-être, comprenant peu à peu que notre réaction définit en grande partie celle d’en face. C’est un peu bête mais aussi perturbant, un peu, et j’essaye ensuite, du blanc et de la sueur dans la paume, de ne pas penser aux autres mains pas forcément propres serrées avant ; je garde à l’esprit cette main morte jusqu’à chez moi, mon lavabo, et retrouve dans cette hantise éphémère du microbe la trace d’une peur primale de l’autre, inconnu, dont on se défie.

Dans ces instants, Mamootot rejoue symboliquement le face-à-face sans garantie, où l’on ne sait si l’on se trouve face à un chasseur ou à un mammouth ami. À d’autres, chacun vit sa vie, les danseurs comme individus ou comme groupe, coulés dans le même corps d’un costume unisexe, bleu-gris de travail farineux, version combishort. Ce n’est pas seyant, et ça tombe bien : la gestuelle gaga n’est pas là pour séduire. Elle fascine, comme le prédateur fascine sa proie pour mieux l’attraper ; on est subjugué par la force brute qui s’en dégage et nous cloue là sur place, impuissants devant les rages collectives, les syncopes individuelles, une traversée d’ondulations langoureuses, des frappes en groupe, la scène vidée par les danseurs assis parmi le premier rang de spectateurs, et même la nudité. Encore le coup de la nudité, on se dit ; et ça marche encore une fois. Le malaise, si proche, s’oublie lorsque le danseur continue de danser comme si de rien n’était ; bientôt, on ne remarque plus l’inévitable organe qui vit sa vie. Si on continue de scruter, ce sont uniquement les tatouages, nombreux, qu’on essaye de deviner : un signe de Nike sur la cuisse et quoi ? une bizarre étendue géométrique sur les côtes, une ville, un pays ? Au final, on ne sait pas trop ce qu’on a vu, mais on s’est senti vu, et c’est assez rare, assez bizarre pour plaire et déranger.

Remember

Précoces récoltes, d’Olivier Bioret,
le 22 septembre à Micadanses

Dire que nos préférences artistiques coïncident peu serait une litote. Mais malgré cela, j’aimerais bien te proposer de venir voir un petit morceau de mon travail chorégraphique […].

C’était parfaitement formulé et cela ne m’en a fait que plus plaisir, cette idée de se suivre de loin en loin, de continuer à essayer de partager des choses même si l’on n’a pas la même sensibilité esthétique. Pour situer, Olivier Bioret est la personne qui m’avait conseillé d’aller voir Alban Richard, qui doit toujours se trouver dans le top 5 des spectacles où je me suis le plus ennuyée.

Heureusement, l’ennui, qui était ma crainte numéro 1, a vite été écarté : le dispositif de Précoces récoltes incite à un constant va-et-vient entre le danseur et la vidéo, et sollicite autant l’attention qu’à l’opéra la navigation entre les surtitres et la scène. Le principe est simple, mais efficace : une même phrase chorégraphique a été transmise de danseur en danseur, chacun altérant malgré lui la phrase première ; un film compile les diverses versions de ce téléphone arabe chorégraphique, que le danseur imite ou confronte à la version originale, qui bientôt n’existe plus, n’a jamais existé.  On peut s’amuser à jouer au jeu des sept différences, ou se laisser aller à divaguer sur ce qui fait le style, l’interprétation : déroulé dans une approche contemporaine, on a là le concept même de variation, qui innerve le répertoire classique. Mais, autant j’apprécie intellectuellement la valeur de l’exercice, autant je peine à entrer en résonance avec des gestes qui restent pour moi très secs, plus arbitraires encore qu’un rond de jambe ou un pas de bourrée – et ce d’autant plus qu’Olivier semble toujours tirer vers une forme de neutralité ce qui, à l’écran, prend parfois une qualité de mouvement différente, une accélération, une élasticité qui commencerait à davantage me parler.

Je perçois la nostalgie qui peut émaner de l’origine perdue du mouvement, et du travail sisyphéen du danseur pour reprendre, faire vivre et se perdre le geste dans la répétition (le montage vidéo est rapide, le danseur rate une reprise et le manqué réussit encore mieux à faire sentir cela). Je la sens poindre, cette nostalgie, dans l’accompagnement musical de Benjamin Gibert, un ressassement folk réussi à base de Remember… the bridges we built… mais dois me rendre à l’évidence : je ne la ressens pas. À la sortie, à l’entracte, une spectatrice félicite le danseur-chorégraphe en lui disant que cela lui a mis les larmes aux yeux, et elle est sincère, dans l’enthousiasme d’une émotion que je ne ressens pas et ne me risque pas à feindre. Il faut imaginer Sisyphe heureux, les joues assorties à son polo rose.

Pacific Northwest Ballet, acte II

Les Étés de la danse,
soirée du 6 juillet, programme 1

Après la soirée plaisante, la soirée géniale : à la programmation bien mieux goupillée s’ajoute le plaisir de commencer à reconnaître certains danseurs…

Je lis régulièrement qu’Alexei Ratsmansky est le chorégraphe le plus doué de sa génération. I bed to differ : pour moi, il s’agit de Christopher Wheeldon. Même une pièce que Laura Cappelle* qualifie de minor work me conforte dans cette opinion. Tide Harmonic, chorégraphié sur une musique de John Talbot (le compositeur d’Alice in Wonderland) est plein de trouvailles gestuelles poétiques : deux mains qui s’ouvrent, et c’est une huître qui dévoile sa danseuse-perle ; une attaque sur pointe de profil, démultipliée par quatre, et c’est une traversée de crabes à marée basse. Avec leur corps sculptural, svelte mais charnu, et leur chignon blond très haut, ces danseuses américaines healthy-qui-boient-des-smoothies-et-caressent-des-puppies ont l’air de proues sculpturales**. Elles sont magnifiques, même soutenues par leurs partenaires dans une espèce d’attitude derrière en parallèle, et ballotées genou plié sur pointe : le ressac de la mer. Les costumes, avec leur jupette asymétrique cousue sur une fesse (si, si, vous l’avez vue sur l’affiche), font merveille à pas cher, tout aussi simples et décalés que la chorégraphie. J’adore.

* Je la mentionne tout le temps parce que c’est ma super-héroïne critique balletomane. Quand je serai grande, je serai elle.
** Je crois que j’ai fait tout le trajet en métro avec l’une d’elles ! Soupçon dans le métro au maintien ; reconnue sur scène à ses mollets (il est possible que je me sente un peu creepy).

Après la musique féerique de John Talbot, celle de Richard Einhorn, jouée au violon électrique, fait un peu grincer des dents. Red Angels est rouge alerte : vêtus d’académiques rouges unisexes, les deux couples évoluent dans des douches de lumière sèche – gestuelle à l’avenant. J’ai découvert Ulysses Dove lors de la venue de l’Alvin Ailey Company, lors d’une autre édition des Étés de la danse, et son style reste pour moi associé, et illustré au mieux, par cette compagnie. J’avais le souvenir d’une force brute ; avec le PNB, la puissance est plus raffinée, moins brute qu’incisive – ce qui fait que, tout en admirant quelques jambes d’airain, je suis moins emportée par la pièce dans sa totalité.

 

Entre la scénographie sombre et élégante, la gestuelle plus contemporaine, qui comporte des mouvements expressifs des mains à la limite du mime, et la sélection musicale faisant la part belle à Philip Glass et Max Richter (parmi Beirut, Andrew Bird’s Bowl of Fire, Alexandre Desplat, Tom Waits et Kathleen Brennan), Little Mortal Jump entretient des airs de parenté avec l’univers de Sol Leon et Paul Lightfoot. Autant dire qu’on part du bon pied. On ne sait pas trop où l’on est, plongé que l’on est dans une atmosphère de coulisses, foraines ou cinématographgiques ; mais on y est bien. Des grands caissons noirs, semblables à ceux dans lesquels on stocke le matériel de spectacle et périodiquement réagencés par les danseurs, surgissent diverses saynètes et personnages : un duo, une troupe, une Pierrot à collerette… ou encore deux danseurs scotchés chacun à un cube, comme les partenaires moyennement consentants d’un invisible lanceur de couteaux. Ils restent quelques instants en suspens – touches d’humour humaines dans le tableau du chorégraphe – avant de se libérer en déchirant-quittant leurs vêtements-chrysalides. Et cette musique, cette musique… ça ne manque pas, à chaque fois cela prend aux tripes. Enfin pas vraiment aux tripes : plutôt à l’arrière de la gorge, prêt à vous plonger dans le vide de destinées  survolées à haute altitude, minuscules et émouvantes. Bref : j’espère avoir l’occasion de faire plus ample connaissance avec le chorégraphe, Alejandro Cerrudo.

 

Last but not least : Emergence de Crystal Pite, sur une bande-son anti-Nature & Découvertes d’Owen Belton. La nature y est inquiétante, pleine de craquements, caquètements, bruits non identifiés et souffles prédateurs. À moins que la chorégraphie rejaillisse en synesthésie sur la musique : le corps de ballet masculin, l’instant d’avant constitué de criquets, au sol, coudes relevés, bat l’instant d’après une pulsation animale, lourde et puissante, bêtes prêtes à charger, tendues dans le rebond d’un plié dont on se met à craindre avec excitation la détente. Les filles, visages masqués dans des voiles noirs et pointes tacquetantes, sont de drôle d’augure : mi-oiseaux de malheurs, corbeaux-vautours ; mi-volatiles à terre, hérons estropiés ou banc d’autruches. Le décor, en toile de fond, représente aussi bien un envol de chauve-souris prêtes à nous assaillir qu’un nid d’oiseau dans lequel on zoomerait-tomberait, comme dans le vortex du lapin d’Alice au pays des merveilles. C’est dans ce puits sans fond que tout s’origine et se fond : les danseurs en surgissent et y disparaissent, happés par une lumière qui nous aveugle. Le mouvement, comme de ce point aveugle (de lumière ou d’ombre), part des tripes et y revient, des danseurs aux spectateurs. Palpatine et moi, on s’est doutait ; Mum a kiffé.