Caillebotte en gris souris

Yerres et Bruxelles se disputent dans le métro le titre de « l’autre capitale de l’impressionnisme ». Tout en gardant à l’esprit ce bon prétexte pour retourner manger des gaufres, c’est à Yerres que Palpatine et moi nous sommes rendus. L’exposition sur Gustave Caillebotte se tient dans la propriété familiale du peintre et, vu le parc, je peux vous dire quil n’a pas mené une vie de bohème : c’est calme et bourgeois, un peu comme le public qui y vient. 

De la quarantaine de tableaux exposés, présentés sur mur gris, émane une douce tristesse que je n’aurais pas imaginée chez le peintre des Raboteurs de parquets – le seul de ses tableaux que je connaissais jusque là – mais qui était raccord avec le temps de ce jour-là.

Quelques tableaux parmi mes préférés…

 

Canotier au chapeau haut de forme

Je me demande si la beauté de ce tableau ne tient pas à la disparition du haut de forme. Impossible de l’identifier ici au signe de distinction de l’élégant en tenue de gala ou à la silhouette historiquement datée que l’on voit très bien debout, avec canne et redingote. Le haut de forme est inattendu, aussi soudain que l’aspiration de l’homme de la ville à prendre l’air et sentir son corps en action. Rien à voir avec le canotier. L’homme ne joue pas à être désinvolte, il n’est pas du cru ; son haut de forme est formel : il est de passage.

 

 

Le parc de la propriété Caillebotte à Yerres

Comme à la croisée des chemins – des chemins en boucle qui montreront la vie, le parc, sous différents aspects mais qui conduiront au même point. Et la boucle sera bouclée dans le jardin déjà assombri. Curieux ronds-points de l’existence que ces massifs de fleurs, qui trouvent leur écho sur la portion des chapeaux ceinte d’un ruban.

 

 

Le Billard

Peut-être que, fini, ce tableau n’aurait pas été aussi réussi, malgré la silhouette à contrejour du joueur. Il manquerait l’explosion blanche de l’adversaire absent, grâce à laquelle la partie n’est jamais finie, et l’absence des boules, grâce à laquelle la partie n’a jamais commencé (que comme métaphore).

 

Boulevard vu d’en haut

Vous vous rendez compte ? C’étaient déjà les mêmes grilles à l’époque. Et ça tourne, tourne, comme aujourd’hui les roues de voitures sur les pavés. Caillebotte s’y était déjà penché.

 

Effet de pluie

En l’absence d’eau qui tombe, c’est le désoeuvrement de l’artiste qui fait des ronds dans l’eau. Un peu triste, un peu amusant. Et l’on se remet en marche, dans le parc, cette fois, où l’on promène nos petites vies du moment, leur récit entrecoupé de temps en temps par un détail observé, et repris avec la même continuité, seulement aéré par ces diversions bienvenues.

Le paradoxe Noureev

Pour qui ne l’a jamais vu danser sur scène, il existe un paradoxe Noureev : alors que la danse est avant tout art du mouvement, les photographies rendent bien mieux compte que les vidéos de ce qu’a pu être l’expérience des spectateurs – comme si, en immobilisant le geste, les photographies réussissaient à canaliser l’énergie débordante de sa danse, l’ardeur brouillonne redevenant fougue. Ce que je trouve à chaque fois le plus dingue, c’est son regard, un regard de fou qui dissuade immédiatement de toute midinetterie balletomane. On ne peut pas être fan de Noureev, même avec ses mains lascives sur le torse dans le Corsaire, même en shorts et gants de boxe dans Black and Blue (ballet qui a aiguisé ma curiosité et dont je n’ai trouvé aucun extrait – YouTube, tu me déçois beaucoup). C’est en revanche avec plaisir qu’on observe les photographies de Francette Levieux dans l’exposition1 organisée à la mairie du XVIIarrondissement par Ariane Dollfus, qui, fait rare, a eu la très gentille attention de convier une brochette de balletomanes blogueuses/twitteuses au vernissage. Vous avez jusqu’au 9 juillet pour aller vous perdre place de Clichy.

 

1 J’y ai notamment découvert que, vers la fin de sa vie, Noureev avait pris des cours de direction et dirigé lui-même l’orchestre pour des soirées de ballets. Suis-je la seule à tomber des nues ?

Parris

Tours Eiffel empilées

 

Le Paris de Martin Parr, ce sont les petites tours Eiffel que l’on achète mais que l’on ne photographie jamais et surtout, surtout, les touristes qui achètent lesdites petites tours Eiffel. Ce sont les mêmes qui photographient le Louvre au bout de leur smartphone, quand ils ne photographient pas les gens qui photographient le Louvre au bout de leur smartphone, à la Martin Parr. Zut, on s’est fait avoir, il nous a eu, Palpatine et moi. Mais comment ne pas aimer se faire épingler par Martin Parr ? There is only one thing in the world worse in the world than being talked about, and that is not being talked about. Tous les mêmes, souligne la tendre ironie du photographe. Oui mais, tous dignes d’attention. Et de dérision.

 

AuLouvre

 

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Vous ne vous étiez jamais demandé ce que ça fait d’être une petite tour Eiffel ou un gadget lumineux posé à même le sol ?

Un illustrateur en or

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Violet et plein de gravures qui passent très bien à la reproduction, il me faut le catalogue de l’expo.

 

Gustave Doré, je l’associais rapidement au conte : un chat botté, une barbe bleue et vas-y que je t’oublie. L’artiste hyperactif et touche-à-tout s’est pourtant illustré dans des genres très différents, que le musée d’Orsay s’attache à nous faire découvrir dans une exposition mal fagotée mais réjouissante. Mal fagotée : les thématiques se marchent sur les pieds, les panneaux mentionnent des tableaux vus deux cents mètres auparavant et les débuts de l’artiste apparaissent en seconde partie, après les salles thématiques du rez-de-chaussée, plus ou moins bien taillées pour faire entrer en vrac tout ce qui nécessite une grande hauteur sous plafond. Mais exposition réjouissante : par les œuvres exposées, bien sûr, mais aussi l’enthousiasme des organisateurs de l’exposition, qui se sont amusés à chercher une police imitant la texture des gravures et à trouver des parallèles avec le cinéma – que Slate a eu la bonne idée de reprendre (Melendili et moi attendons toujours la gravure qui attestera des origines dorées de Chewbacca – Barbe-bleue ? Slate penche pour le Chat botté mais je ne suis pas convaincue).

 

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Barbe-Bleue, l’ancêtre de Chewbacca ? Il est assez poilu pour.

 

La Bible, un conte comme les autres ?

J’ai un petit instant de surprise en découvrant que Gustave Doré a illustré la Bible. Est-ce un livre que l’on peut illustrer ? Je me reprends en me rappelant que ce n’est pas l’iconographie religieuse qui manque dans l’histoire de l’art mais vu les remous suscités à l’époque, façon caricatures de Mahomet, je me dis que je ne suis pas la seule pour qui le même sujet ne fait pas le même effet en peinture et en gravure. Il y a dans la gravure et le dessin quelque chose de plus familier que dans la peinture, quelque chose de plus prosaïque, qui ne semble pas particulièrement fait pour l’hagiographie. Mais peu importe ces préjugés, les anges de Gustave Doré tuent tout – the best angel ever, j’ai nommé Gabriel dans L’Annonciation.

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Cette apparition-disparition à la gouache blanche… Devant le tableau, l’œil aperçoit des traits blancs, qu’il distingue comme les plis d’une robe, avant de remarquer les ailes et de finalement voir l’ange. Un ange-fantôme. Il fallait y penser.

Il y en a aussi un paquet dans ses illustrations de Dante mais j’anticipe un brin.

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Grand tour littéraire

Le tour de l’Europe que faisaient jeunes gens de bonne famille pour parfaire leur éducation toute imprégnée d’humanités grecques et latines, Gustave Doré le fait à sa manière, en illustrant les classiques de la littérature européenne. Autant les effets de manche de Don Quichotte et les hyperboles gargantuesques me laissent assez indifférente, autant l’univers de Dante me fascine – La Divine Comédie risque de se retrouver très bientôt sur ma PAL (si vous avez une traduction à me recommander, n’hésitez pas).

Tournée dantesque…

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(Je verrais très bien cette gravure dans la photothèque d’Incitatus.)

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Si on va du côté parallèles ciné, je dois dire que cette gravure me fait penser à Harry Potter and the Half-Bood Prince, quand le héros est avec Dumbledore au milieu du lac verdâtre où se trouve caché un horcruxe.

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 How scary is that, Ron?

La palme de cette littérature « excentrique » revient aux Anglo-saxons, Poe en tête. Son corbeau a inspiré Gustave Doré bien après qu’il a dessiné la couverture du recueil de nouvelles ; on en retrouve la silhouette dans un ange noir. Petite pensée pour From the Bridge en découvrant une référence à Paradise Lost et surprise devant une vue des docks dickensiens : mais c’est Canary Wharf ! (Même si, d’après le GPS palpatinien, il s’agirait plutôt de Canada waters.)

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Dickens, es-tu là ?

Le Londres d’Oliver Twist n’est pas le seul endroit de l’œuvre de Gustave Doré où règne l’esprit de Dickens : une semblable verve satirique anime des caricatures très piquantes sur le communisme, les codes estudiantins ou encore l’histoire de la Russie (la réédition risque elle aussi de se retrouver sur ma PAL) et la peinture sociale transfère un peu de la misère des faubourgs londoniens à Paris, à l’époque de la Commune.

 

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Suite du règne d’Ivan-le-Terrible. Devant tant de crimes, clignons de l’œil pour n’en voir que l’aspect général. L’humour à la Tristam Shandy.

 

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Les embrasements de la Commune, au fond, et devant, cette silhouette qui fait ressortir toute la froideur…

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L’Enigme ou la Commune façon Khnopff. Oui, mon ange, la mort (de l’idéal) fait partie du mystère de la vie.

 

Au final, l’exposition est pleine de surprises et de déjà-vu : l’œuvre de Gustave Doré fait si bien partie de l’imaginaire commun qu’on méconnaît son influence originale – le paradoxe de l’illustrateur.

 

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N’auriez-vous pas dit vous aussi que La Ronde des prisonniers était un tableau de Van Gogh ?

 

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Bonus hors-sujet : un tableau dont le commissaire d’exposition ne savait visiblement que faire, accroché au début de l’exposition comme amuse-bouche. Il me fait penser à ce conte où deux oiseaux font voyager une grenouille en portant dans leur bec la branche qu’elle a mise dans sa gueule – et que, bien sûr, elle ne peut s’empêcher d’ouvrir.

Le surréalisme et l’objet

Le surréalisme et… objection, votre horreur

Quand j’entends surréalisme, je pense Dali, Magritte, Man Ray. Chirico ? Je l’oublie volontiers. Giacometti ? J’ignorais totalement qu’il avait eu une phase surréaliste et je pense que je continuerai à l’ignorer, même si sa Boule suspendue (fendue comme une pêche, en amazone sur une pirogue-banane) a mis du monde en émoi. Duchamp ? Un peu surréaliste, comme classement. Le surréalisme n’était manifestement pas à entendre au strict sens du mouvement artistique (pour autant qu’un mouvement artistique puisse être strictement défini – ça ne marche généralement que dans les manifestes, ce genre de choses). Le centre Pompidou en a profité pour nous sortir tout un tas d’artistes contemporains, qui ont pour certains pris le désir, l’inconscient, le mystère et l’humour des artistes surréalistes au premier degré : bites, couilles, n’en jetez plus, je mouille. S’il y a à boire et à manger, cela n’a pas la même classe qu’à l’exposition internationale du surréalisme de 1960 où des figurants banquetaient autour d’un corps fort appétissant.

 

Le surréalisme, cet obscur objet du désir

Il y a quelques années, je me serais lancée sur l’objectivation du sujet (souvent morcelé, parfois entier sous forme de poupée), le sujet de l’œuvre et l’objet de l’art mais, mes tics khâgneux s’estompant, je me suis bornée à observer que les objets qui m’ont plus dans cette exposition se situent quelque part entre la sculpture et les ready-made de Duchamp : ce ne sont pas des produits traditionnels de l’art mais ce ne sont pas non plus des objets du quotidien introduits au forceps dans le monde de l’art – l’intérêt desquels s’évanouit sitôt qu’on a admis leur présence. Ce ne sont pas davantage des échantillons de brocante, ficelés à la va-vite par un discours qui détourne l’attention au lieu de détourner l’objet. Aucun déballage, ni marchand ni un anatomique : ces objets n’ont aucune théorie à nous vendre et ne cherchent pas à choquer car ils sont là pour surprendre (ce qu’ont justement manqué quelques artistes contemporains). Le surréalisme surprend le réel – dans ce qu’il a de moins réaliste. C’est une des plus belles manières qu’a l’art de désirer la réalité, l’éloignant constamment pour pouvoir à nouveau la prendre de plein fouet (parce que bon, un porte-bouteille, même étiqueté art par Duchamp, ça redevient rapidement un bout de ferraille sans intérêt).

 

Sur les étagères de mon musée imaginaire

 

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Man Ray, Ce qui nous manque à tous : inspirer une dose quotidienne de poésie (ou juste faire des bulles de savon).

 

 

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Qui de Picasso ou de Marcel Duchamp a eu l’idée ? Le premier l’inscrit dans la lignée de ses épures de taureau, le second (vu en premier) m’a davantage fait rire : dans les petits carrés, on voit bien le futur maillot jaune prendre le taureau par les cornes et enlever la dernière montée.

 

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Comment se fait-il que je n’ai jamais cette magnifique lavallière sur une couverture de Maupassant ? (Un collier en perles de cheveux confirme la tendance des cheveux autour du cou.) Photo empruntée ici.

 

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Oscar Dominguez, Pérégrinations de Georges Hugnet. J’aime bien cette concaténation d’hier et d’aujourd’hui d’avant-hier.

 

Tableau de fromage, sous cloche

Ceci est un fromage. De l’humour de souris.

 

 photo Meret-Oppenhaim-Ma-gouvernante

Meret Oppenhaim, Ma gouvernante (est une dinde). C’est bon, très bon. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si le choix de cette œuvre pour l’affiche a un quelconque rapport avec le fait que le parvis du musée nique les talons comme peu d’endroits à Paris. Mais je dois être trop bourgeoise : le bobo, lui, n’a pas ce problème, il vient en Converse. Quant au touriste, sauf bobo, il ne vient pas du tout (c’est le seul musée, je crois, où je ne vois jamais de groupes de Japonais).

 

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Dali, La Vénus aux tiroirs. Ça, c’est de l’épithète homérique.

 

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Man Ray, La Vénus restaurée ou la restauration comme prétexte au bondage.

 

Un visiteur qui a fait plein de photos.
Le dossier (pédagogique) de l’exposition