C’est trop forsythe


Ce n’est malheureusement pas le ballet de l’opéra de Lyon, mais cela permet de se faire une idée.

Plus qu’extrême, c’est extra – hors des mouvements ordinaires. Et excitant.
Quelque soit l’adjectif, il faut un X, cette inconnue qui rend fascinantes les extensions du corps. Il y a certes des jambes au plafond, mais rien d’excessif, on ne fait pas d’écarts. L’extension est ailleurs, désaxée : d’abord dans ces bras qui se tiennent presque toujours derrière les épaules et font des danseuses de gigantesques créatures, monstrueusement sexy (surtout la très grande, la plus grande, en justaucorps bleue, une fille terrible). Les danseurs, eux, épaules rondes, sont plus dans la suavité et c’est d’autant plus surprenant qu’on n’imagine pas de suavité sans lenteur. La rapidité, dans Workwithinwork, est pourtant affolante, affriolante en devient la danse dans son austérité. On appuierait parfois bien sur pause, pour mieux en jouir, mais c’est alors une pose (jambes campées de profil égyptien, avec un poignet cassé qui traîne derrière, virgule provocante), nouvelle forme de tension qui demande tout autant d’attention. C’est de la danse pure, comme de la coke, et je m’éclate, c’est jubilatoire : la rapidité me dit énergie, l’imprévu, séduction, et les extensions, intensité. On en ressort grandi, neurone aéré, colonne vertébrale étirée, démarche élastique, prêt à conquérir le monde qui grouille à l’entracte.

Quintett m’a fait l’effet d’une retombée ; alors que le public (dont Palpatine) semble l’avoir de loin préféré pour être « plus humain », j’y ai davantage senti une posture de chorégraphe contemporain qui fait son cinéma avec un escalier creusé dans la scène et un gros projecteur qui, braqué dans sa direction comme un canon, le fait ressembler à un abri anti-atomique. Deux couples et une pièce rapportée y évoluent, ou plutôt faudrait-il dire deux femmes et trois hommes, s’il est vrai que les couples sont à géométrie variable. Il y a de belles choses, mais c’est vain comme une après-midi interminable dans un motel désertique, plus vain encore s’il est vrai que les occupants désœuvrés ne sont pas des gens médiocres mais des êtres à l’intelligence et à la sensibilité aiguisée. On ne s’en sort pas, on ne sort pas du piège de la nostalgie, c’est toujours la même rengaine, en l’occurrence « Jesus’ blood never failed to me yet » de Gavin Bryars, à peine une minute qui tourne en boucle. On ne s’en aperçoit pas jusqu’au moment où cela devient insupportable, la fois de trop ; et l’intolérable tristesse se mue en indifférence.

Moins de vague, plus de nerf, c’est trop liszt

Barenboim, boim boim, boim boim… faisait le cœur d’Ariana. Mes clap clap n’avaient pas la même intensité pour saluer le pianiste et lorsque Palpatine s’en est aperçu et que je lui ai confirmé que j’avais trouvé les concertos de Liszt beaux (de la frappe, des pizzicati, ah tiens, un triangle…) mais que cela ne me touchait pas plus que cela, il m’a conseillé de ne pas le dire trop fort, histoire de ne pas me faire lyncher : « On va te spécialiser pour l’année prochaine, ce n’est pas possible, là. Maintenant, je vois à peu près, assez bien même, je pense être capable de savoir ce qui est susceptible de te plaire. » Moi aussi : je progresse. Il reste de la marge, mon oreille vierge de tout Wagner est là pour le confirmer. Mais on a toujours besoin d’un plus petit grand jeune inculte que soi et j’ai pu assurer que Siegfried-Idyll n’avait pas l’air du tout d’un patchwork, quand bien même on y retrouvait des thèmes qui seraient plus tard développés dans l’opéra. Rien à voir avec la puissance sonore de ce qui s’échappait de la salle à Bruxelles, on a ici l’impression d’entendre les feuilles bruire, mais des feuilles qui seraient saturées d’une histoire longuement et lointainement écrite, à l’origine de ce murmure dense1. La lumière en halo autour des musiciens resserrés – frêle et sombre frondaison, d’où émerge une crosse de contrebasse et parfois une main dont les doigts en s’ouvrant autour de l’archet prolongent le son – achève le mystère de cette intimité fascinante. À côté de cela, la symphonie « italienne » de Felix Mendelssohn-Bortholdy, « d’une nature solaire, heureuse et odysséenne » n’intéresse plus que son héros, c’est-à-dire personne, en français dans le grec, et le romantisme virtuose de Liszt peut aller tempêter ailleurs, le compositeur se bat les flancs pour s’échauffer, et l’auditeur reste froid2 (le chef d’orchestre, quant à lui, n’échappe à la crise cardiaque qu’en raison de son jeune âge – on comprend rapidement pourquoi il n’est pas épais).

 

1 Amusant, ensuite, de lire dans le programme qu’à la suite de la berceuse vient un épisode « plus vigoureux, prophétisant des temps plus épiques : d’après Wagner lui-même, qui indiqua des éléments de programme pour sa pièce, après avoir endormi son enfant, la mère songe à son destin de jeune homme. »

2 Dites XXXIII, mon cher Valmont, c’est madame la marquise qui vous le demande et elle a très envie de jouer au docteur.

Boris Ravel

Jeudi, à Pleyel, ce fut un programme de pièces courtes (la plus longue durait une demie-heure – point de symphonie pour une fois) pour une longue soirée poursuivie au Do ré mi, un bar- brasserie qui semble être une annexe à la sortie des artistes et où, quand on n’est pas passé prendre un cheesecake à la Mie dorée, l’on peut manger une salade méli-mélomane en écoutant Ariana débriefer sur Boris Berezovsky (pour le faire bref, elle a mis une option dessus1), et les autres sourire, objecter ou écouter devant leur verre de vin, de limonade, de coca ou leur chocolat (aperçu diffracté de notre assemblée hétéroclite).

Si Ariana a découvert le concertiste russe, dont le jeu vigoureux lui a fait oublier le physique d’ours circonspect (s’il ne jouait pas, on l’imaginerait sans peine affalé avec une bière à la main), j’ai pour ma part découvert que j’aime Ravel et pas seulement son Boléro. Shéhérazade ne m’a certes pas déplu mais ce que j’ai réellement apprécié, c’est le morceau qui ouvrait la soirée, Alborada del gracioso. Il était suivi par l’intrus de ce programme Ravel, le concerto pour piano n°2 de Béla Bartók, composition un peu toquée qui devrait me rendre curieuse à l’avenir. En bis, le pianiste russe a choisi de se laisser guider par les influences hispaniques de le soirée et annonce (cette seule attention à l’égard du public non mélomanianque est en soi une raison de l’apprécier) l’Asturia d’Albéniz. Ce n’est pas la première fois que je le remarque mais là, la rencontre des caractères slave et espagnol est plus que séduisante. Après nous avoir complètement pris par son air obsédant, la musique, ou le musicien, je ne sais plus trop, se joue de notre fascination et rend palpable (l’at)tension en la relâchant par un passage faussement tempéré pour mieux la reprendre juste après ; on est saisi. Et quand hongrois que c’est fini (désolée, le jeu de mot est tellement nul qu’il fallait que je le fasse) arrive une danse de Brahms (? c’est bien ça ?) en second bis. C’est un peu pâlichon après l’espagnolade bien frappée où j’ai brusquement compris que si l’on peut jouer un peu tout au piano, c’est peut-être qu’au côté très harmonieux qui peut couler d’un Chopin s’ajoute la puissance percussive (et là, le piano prend tout son sens, loin du seul prestige du piano à queue pour accompagner la queue de pie – genre, j’ai écouté Asturia à la guitare sur youtube, et si on y gagne en pittoresque, on y perd assurément en piment). Voilà pour la révélation évidente du jour.

Le Boléro, lui, n’en était pas une mais cela a été une belle expérience de le voir jouer. Parce qu’à y bien réfléchir, je l’ai déjà entendu « en vrai » ; seulement, ce n’est pas la même chose de se mettre à table devant José Martinez ou d’observer un orchestre. Les cordes commencent (à ne pas jouer) avec un air de « bon, c’est parti, y’en a pour un quart d’heure » et petit à petit, d’instrument en instrument et de pizzicati de métronome en coup d’archet bien décochés, chacun se trouve pris dans le rythme qu’il intensifie. Le contrebassiste- poète de Spitzweg est encore plus déchaîné que l’habitude (un peu rouge, visiblement heureux que l’orchestre fasse corps avec lui et pas seulement, comme c’est d’ordinaire le cas, qu’il se fonde dans l’orchestre) et le violoncelliste-hérisson, que j’aperçois par intermittences entre les jambes du chef, corrige son violon ; comme la batterie était juste derrière, on aurait dit que les archets étaient des lamelles de store métalliques. À la fin, c’est assez amusant, on dirait que tous les musiciens sont très heureux mais qu’aucun ne prend vraiment les applaudissements pour lui. Le violoncelliste-hérisson, que j’ai vu sourire largement pour la première fois (certes, pas tout le temps dans mon champ de vision) a rapidement repris son sérieux impassible, tandis que le batteur ne semble jamais s’être pris au sérieux et sourit de se voir ainsi au milieu de l’orchestre, clef de voûte mais non pas maître d’œuvre.

Avec ce rythme de batterie identique dans son crescendo juste en face de nous, j’ai compris à quel point cette musique pouvait être agaçante et comment Thierry Malandain avait pu en faire une illustration forte de l’enfermement quand Béjart en avait fait surgir la pulsion sexuelle. Et de fait, si, l’orientation de la conversation aidant, je n’ai pas pu m’empêcher de marquer quelques pas du second en sortant de la salle, ce sont bien des images du premier qui me sont venues pendant le concert. Parce qu’un Maurice n’en appelle pas toujours un autre, allez jeter un œil là-dessus.

1 En moins bref, voir les commentaires avec un peu plus de tenue (quoique…) chez Palpatine.

Caligula, es-tu là ?

Je suis allée voir Caligula à l’Opéra, et j’ai entendu les Quatre saisons. Pas même écouté, le bruit de pas des danseurs était trop présent (l’estrade était-elle pensée comme caisse de résonance ?) pour que je puisse me convaincre qu’une place à 8€ fait une belle place de concert. J’ai essayé aussi de regarder mon quart de scène comme si c’était des photos d’Anne Deniau, en admirant la lumière qui coulait le long des courtisanes noblement agenouillées, mais un photographe choisit toujours son angle de vue, et les profils immobilisés tous orientés dans la même direction m’indiquaient qu’on devait y danser. De dépit, je me suis rassise sur ma chaise, avec vue imprenable sur les rangées attentives du parterre, et je ne sais pas si je pleurais de rage ou de la beauté de la musique de Vivaldi. Probablement que la transcription qu’en donnait Nicolas Leriche me soit dérobée. Quand on vous raconte une soirée à laquelle vous n’étiez pas et que l’on vous dit « Tu ne sais pas ce que tu as manqué », c’est très vrai, on ne sait pas ce qu’on a loupé et par conséquent cela ne nous manque pas plus que ça. Mais là, j’en voyais juste assez pour voir (ce) que je manquais et c’est assez atroce pour que je m’abstienne la prochaine fois de me rabattre sur de telles places (probablement la loge la plus pourrie de Garnier, après les places des stalles, qui ne sont jamais vendues) ; plutôt ne rien apercevoir que d’amputer.

J’étais en train de débattre en moi-même pour savoir si j’allais partir à l’entracte qui s’est avérée ne pas exister quand Palpatine m’a secouée du bout du pied en me faisant signe de reprendre la séance d’observation plus tordue que tordante ; évidemment, c’est que les personnages étaient l’un sur l’autre. Jusque là, j’avais laissé Palpatine devant parce qu’il sait se réjouir d’un quart de scène pourvu qu’il s’y trouve une danseuse en tenue fort aguichante, et autant en avoir un de content et une frustrée plutôt que deux insatisfaits. Quand j’ai entendu le début de l’hiver, joué à toute vitesse par rapport à la version sur laquelle j’ai dansé, j’ai changé d’avis et pris la meilleure position (et non la place, évidemment, on est debout) pour ne plus la quitter jusqu’à la fin : de là, le quart s’élargissait à la moitié et cela devenait intéressant. Cela n’a pas été assez pour que je puisse me faire une idée de l’interprétation de Stéphane Bullion mais parfait pour hennir de plaisir devant Audric Bezard en étalon (petite pensée pour Inci – et après son doublement bien nommé manège, cette sortie d’une tape sur l’arrière-train pour qu’Incitatus parte au galop…) et pour rester rêveur face à Muriel Zusperreguy, aux formes pleines comme la Lune, non pas éthérée mais charnelle, qui se déhanche aérienne sur ses pointes. Elle serait moins sensuelle qu’elle pourrait danser avec les compagnies américaines. Son pas de deux avec Bullion, comme une grande partie du ballet, se déploie dans une atmosphère lunaire, à la fois désertique et habité (comme hantée, moins les fantômes), dans une lumière rasante qui jamais ne se lève ni ne décline.

L’hiver est la saison de Vivaldi que je préfère et je l’apprécie d’autant plus qu’on devient plus intime à danser dessus, avec ceci de particulier à cette musique que chaque orchestration nous rappelle qu’elle ne peut jamais vraiment devenir familière. J’ai été surprise de constater que le deuxième mouvement, sur lequel j’avais imaginé un corps de ballet en demi-cercle et des mouvements cycliques, était chorégraphié en manège, comme si la musique contenait cette idée de rondeur ; et stupéfaite de découvrir que le portée qui clôture le troisième mouvement est sensiblement ressemblant à celui qui terminera notre pièce dans quinze jours, parce que les changements de costumes exigeaient un réaménagement ponctuel (et ce porté est précisément ce qui m’en a un peu consolée). Vraiment, cette musique… je vais essayer d’y retourner demain pour voir quelque chose, en attendant de lancer une compagne de déforestation des feuilles d’acanthe qui grossissent encore les colonnes.

 

Giselle au rOH !

 

Alina Cojocaru joue, les autres dansent. Ce qui m’a d’abord supris chez elle, c’est son ballon, cette manière de bondir qui donne ce qu’il faut d’insouciante allégresse au personnage sans la faire passer pour une niaise. J’avais du mal à l’imaginer à la lecture de l’autobiographie de Karen Kain qui mettait à profit semblable qualité pour le rôle, mais cette interprétation fait affleurer une compréhension en profondeur du rôle. De fait, ce ballet qui est pourtant l’un de ceux que je connais le plus, pour l’avoir dansé et revu, a été une réelle surprise. Les passages attendus sont presque décevants tant ils ne surgissent pas sous la forme qu’on avait espéré1 – mais c’est une déception comme la narrateur proustien devant la Berma, une déception qui est en réalité la surprise du talent.

L’accent est toujours déplacé, sur un entre-pas très marqué, qui saute et fait sauter avec lui la platitude d’une arabesque d’ordinaire seulement obligatoire. La variation du premier acte peut ainsi sembler défigurée mais c’est ce qui donne son vrai visage à Giselle, ballet d’un personnage et non pas de séquences dansées autonomes. Tout est relié et Alina Cojocaru, avec son front qui se plisse tour à tour d’étonnement et d’inquiétude, joue avec le sérieux d’une enfant. Comédienne très expressive, elle joue son rôle et dans le rôle, et tout en se jouant des difficultés, joue avec la musique.

Comme Karen Kain l’explique dans son livre, être musical ne consiste pas à tomber pile poil sur la pulsation mais à produire des effets de sens par de légers décalages. Je retrouve les conseils de mon professeur de danse qui nous recommande, d’être encore plus lentes que la musique dans les adages pour gagner en étirement, quitte à être légèrement en retard, et à l’inverse d’attaquer la musique un quart de seconde plus tôt pour précipiter l’impression de rapidité. C’est si accentué chez Alina Cojocaru que c’en est parfois limite gênant, notamment dans sa variation du premier acte, où dans son enthousiasme à danser pour la cour et son prince, elle va plus vite que la musique. Mais on ne peut lui en vouloir quand un pas précipité trouve son aboutissement dans un grand équilibre en petite arabesque, avec la main qui rabat la jupe sur le devant tandis que la jambe, derrière, retarde sa descente – effet d’accélération sur fond de ralenti.

Et c’est là la deuxième de ses principales qualités (deuxième peut-être parce qu’avec ce à quoi nous a habitués Aurélie Dupont, ce n’est pas ce qui frappe en premier lieu, même si c’est tout aussi remarquable) : des équilibres solidement ancrés dans le sol – et non pas flottant au-dessus par l’opération du saint-esprit ; non pas des équilibres statiques mais des équilibres moins trouvés que cherchés, à tout instant rééquilibrés par le mouvement qui se poursuit et, par cet étirement indéfini, donne l’impression d’une suspension infinie.

Je vous laisse dès lors imaginer le deuxième acte, où hormis une apparition fracassante à tourner sur elle-même comme une essoreuse à salade, tout se passe comme dans un rêve fantastique. Seule, à ses côtés, Hikaru Kobayashi fait pâle figure avec sa Myrtha par trop fantomatique. Les Willis, elles, trouvent un bon compromis entre leur reine effacée et la nouvelle recrue aux sentiments pas tout à fait désincarnés, même si leurs chaussons sont plutôt bruyants (pas que dans la traversée- kangourou en arabesque sautées ; à se demander si elles n’utilisent pas des Grishko). Le voile qu’un fil invisible ôte à leurs sœurs parisiennes peu après leur entrée en scène, mais qu’elles gardent sur la tête jusqu’à la première sortie en coulisses, ajoute à leur immatérialité. La blancheur ainsi éclairée dans une atmosphère sombre brouille plus sûrement le regard que l’ombre et, par ses reflets verdâtres qu’on dirait phosphorescents, indique une présence spectrale.

Cette petite différence n’est pas la seule variation par rapport à la version parisienne dont elle reste néanmoins très proche, à l’exception notable, dans le premier acte, du pas de deux des paysans remplacé par un pas de six (donc deux danseurs de plus, on ne perd pas au change). C’est à l’occasion de ce changement, en remarquant que les paysans esquissaient en sautillant le changement d’épaulement qui dirige les premières arabesques de Myrtha (bras qui passe couronne et accompagne le changement de jambe avant de poursuivre dans la même direction), que j’ai découvert que ce mouvement formait un réseau dans tout le ballet, de la joyeuseté de girouette chez les paysans au commandement implacable de Myrtha qui, lorsqu’on lui demande de les reconsidérer (tête et buste inclinés vers l’arrière) revient toujours à -et jamais sur- ses décisions.

Autre réseau significatif qui devient évident de part l’interprétation d’Alina Cojocaru, celui des mouvements qui, soit esquissés, soit inachevés, peinent à devenir des gestes. Ils préfigurent ou rappellent la pudeur de la jeune fille face à son amant (gestes qu’elle n’ose conduire, avortés par sa retenue), l’incrédulité de sa découverte sur l’identité d’Albrecht2 (esquisse de compréhension, agitée de mouvements contradictoires qui l’entravent) , le souvenir hagard des premiers pas de cette amourette dans la scène de la folie (bribes d’enchaînements défaits), jusqu’à l’épuisement d’Albrecht que Giselle veut protéger du sort d’Hilarion (effort insuffisant, mouvements inachevés).

Rien que ça. C’était énorme. Sans qu’il y paraisse, en plus, le royal ballet poussant le bon goût de l’absence de virtuosité tape à l’œil jusqu’à préférer les arabesques longues aux arabesques hautes lorsqu’elles n’ont pas de sens (mais alors quel effet lorsque les Willis les balancent, ballotant Giselle et Albrecht dans leur emportement furieux !)3. Les costumes du premier acte, par leur élégant camaïeu couleur feuilles mortes, font également ressentir le besoin de revoir notre habitude de considérer le mauvais goût comme une spécialité anglaise (ce qui, en danse, serait davantage celle des Russes) – quand bien même l’ajout d’ « english » à « strawberry » nous a rendues quelque peu méfiantes, Pink Lady et moi, le lendemain, devant les parfums de glace…

 

1La première fois que cela me l’a fait, de manière consciente, en tous cas, c’était avec Denis Podalydès dans le Matamore de l’Illusion comique. C’était tellement rythmé qu’en en oubliait que le texte était rimé.

2Johan Kobborg, que sa femme (toujours avoir une Pink Lady à portée d’oreille, ici plus encore qu’un Palpatine sous la main) me ferait oublier mais qui est justement un très bon partenaire, même si je ne suis pas loin de lui préférer son rival Hilarion en la personne de José Martin (se concentrer pour ne pas dire José Martinez, bien que sans ressemblance).

3Alina Cojocaru est une fois encore à part, puisque Roumaine. Sa biographie indique également qu’elle est venue à la danse par le biais de la gymnastique… comme Sylvie Guillem. Peut-être celles qui ont commencées par là sont moins tentées de se diriger vers l’acrobatie, dont elles se sont volontairement écartées, n’en gardant que la souplesse.