J’ai testé pour vous la thalassothérapie

Enfin pour vous, c’est une façon de parler…
Retour deux semaines en arrière, à Bandol. 

 

Je n’ai rien contre l’idée de me faire tripoter, mais me faire tripoter avec des trucs gras qui sentent les fleurs me disait nettement moins. Il m’aura donc fallu attendre de me voir proposer un massage à l’eau de mer pour me laisser tenter et tester la thalassothérapie – qui n’a rien d’une thérapie. Rétablissons un peu la vérité.

 

L’hôtel

Autant d’étoiles que les doigts de la main. Inutile de regarder furtivement votre main pour vérifier si le pouce n’est pas parti en stop ou si l’auriculaire n’est pas resté fiché dans l’oreille, cela fait cinq. Aucune dorure, cependant : du métal, du verre et de la lumière, même dans les marches d’escaliers. Inutile pour autant de regarder le prix des chambres, et surtout pas celles avec vue sur mer (parce que pour 300 €, vous ne pensiez tout de même pas voir autre chose qu’un mur, j’espère), vous n’êtes ici que de passage.

 

Le peignoir

Cachez ce maillot de bain que je ne saurais voir. Vous êtes en thérapie, pas à la plage. En enfilant le gros peignoir blanc moelleux alors que j’ai la peau tout à fait sèche, j’ai l’impression de tricher, comme si je faisais semblant d’être malade pour sécher les cours et rester traîner à la maison en robe de chambre. C’est que le peignoir est là pour faire de vous un malade imaginaire et vous ôter toute potentielle culpabilité quant au plaisir que vous allez prendre : ce n’est pas un caprice, vous en avez besoin. Si vous le dites, cher judéo-chrétien.

 

Les bains

Le parcours marin n’a strictement rien à voir avec un parcours du combattant : baignoire à jets, bulles, jacuzzi, mini-cascade qui tombe sur les épaules… c’est un Central Park pour adultes. Les jets ne stimulent pas que la circulation sanguine, si vous voyez ce que je veux dire – même si le truc le plus jouissif reste le massage du dos par un jet puissant qui monte et qui descend, provoquant une réelle détente. Vous avez la chair tendre quand vous sortez de là.

 

Le sauna

C’est une minuscule pièce surchauffée par des cendres sur lesquelles Mum, en experte, jette un peu d’eau. J’y vois surtout une vague tentative de sa part pour se débarrasser de moi en me transformant en souris d’agneau. Rôtie à point sous couvert de je ne sais quelles vertus sudatoires, exfoliantes, régénérantes… Peut-être bien qu’il s’agit d’une thérapie, après tout.

 

Le hammam

C’est une autre minuscule pièce surchauffée, mais humide celle-là. C’est comme une inhalation géante. Sauf que vous n’êtes pas enrhumé. Et que ça ne sent pas la menthe. Des nuages de gaz vapeur tombent du ciel étoilé et j’imagine vaguement le supplice des personnages de films dont on plonge la tête sous l’eau pour qu’ils passent aux aveux. J’avoue : je n’ai pas la fibre orientale, je suffoque.

 

La tisane

Tisane minceur. Genre vous êtes là pour vous prendre la tête et maigrir. Je lui préfère la tisane sérénité, qui n’a en fait que pour seul but de vous réhydrater après le coup de chaud du combo sauna-hammam et de vous faire pisser éliminer.

 

La salle de repos

Épuisé de n’avoir rien fait (quoique, c’est épuisant de se lever pour aller écluser la tisane),une douzaine de transats vous attendent, alignés face à une gigantesque baie vitrée offrant une vue imprenable sur l’autre baie, celle de la mer. Il y a des galets, des serviettes sur les transats et les deux voisines chuchotent comme dans une église. J’attrape un magazine du Monde et me dépêche de lire l’interview de Nicole Kidman avant que ce ne soit l’heure des soins. Peut-on vraiment soigner la paresse qui s’empare de vous alors que vous contemplez les petites vaguelettes grises, neutres, reposantes, d’une Méditerranée aux couleurs de la Normandie ?

 

Le soin

Comment vous expliquer le modelage sous l’ondée marine ? Vingt-cinq minutes durant, des jets d’eau chaude coulent le long de votre colonne vertébrale et deux petites mains vous pétrissent comme de la pâte à pain de la tête aux pieds – des pieds jusqu’à la nuque, pour être exacte. Avec une huile essentielle de cèdre, qui vous fait sentir comme un embauchoir géant qui prend son pied. Vous essayez de ne pas couiner de plaisir et faites des plans sur la comète pour bénéficier de ça après chaque cours de danse. Un monde sans courbatures…  

Lose is beautiful (4)

Chapitre 4 : C’est la fin des carrot cakes

Il était hors de question de commencer l’année aussi mal qu’elle avait fini. J’ai donc pris un solide petit déjeuner — solide au vu des circonstances : un biscuit à l’avoine, méticuleusement coupé en morceaux, détrempés dans un peu de thé, comme un sucre dans une cuillère à absinthe. J’ai ainsi avalé au petit-déjeuner un cinquième de ce que j’avais mangé la veille en une journée, régime qui suffirait à peine à me rassasier pour un seul repas en temps normal.

C’est donc un peu faiblarde que je suis arrivée au musée Courtauld. Alors que Palpatine défaillait au sens figuré devant une toile de Cranach, j’essayais d’éloigner le sens propre en respirant comme si j’avais un stéthoscope dans le dos. Dans la salle des impressionnistes, je me suis mise à redouter celle du XXe, non seulement parce que les atrocités de ce siècle n’ont pas été que politiques, mais aussi parce que la salle se trouvait à l’étage, après un escalier dont chaque marche m’aurait ôté un millimètre de vie verte, eu-je été un Sims. Heureusement, Palpatine avait chipé je ne sais où une dosette de sucre et j’ai pu finir la visite sans avoir à ramper.

J’ai laissé le fail de l’après-midi aux Wagnériens qui n’ont pu endurer leurs cinq heures de délicieuses tortures à cause de places au prix un peu trop aigu. Je me suis réjouie un peu vite de leur malheur puisque, le lendemain, Covent Garden me renvoyait le boomerang : pas de backstage tour ce jour-là. Entre les séances loupées, complètes et les jours off, c’est une véritable malédiction ; je ne sais pas si je visiterai un jour les coulisses de ce théâtre.

Coeur brisé, évanouissement, gastro, et occasion ratée font déjà un beau week-end loseux. Mais le pire dans tout ça, c’est que Fortnum & Mason ne fait plus son carrot cake. Et ça, c’est intolérable. On ne me supprime pas ma consolation, même une consolation en différé à manger une fois l’estomac remis d’aplomb. En lieu et place de la généreuse part découpée dans un grand gâteau moelleux, il y a un petit cylindre « individuel » qui, sans doute sous la mauvaise influence du cupcake, exhibe des couches de crème entre des rondins de feu le gâteau aux carottes. Et cette chose mesquine qui ignore qu’un glaçage ne se trouve que sur le dessus usurpe désormais le nom de carrot cake. Il n’y avait plus qu’à retourner en France, après le sacrilège d’un séjour à Londres sans un seul salon de thé (alors qu’il y avait, ô ironie tragique, un Richoux juste à côté de l’hôtel).

A King Cross, j’ai tout de même goûté une mince pie, tartelette de Noël aux pommes et cranberries, dont j’ai vite compris le nom : ventre mécontent de l’acidité, mince ! Le fin mot de l’histoire.

Bilan du séjour : 1 gastro, 0 salon de thé.

No… elle a oublié le saumon !

Ce fut donc un réveillon de Noël avec :

du foie gras sans pain d’épices,

des bagels et du Philadelphia sans saumon,

des huîtres sans fourchette à huître (mais avec blessures, qu’on se rassure, la tradition est sauve),

du chapon sans marrons,

un dessert sans embûche.

Jamais eu l’estomac aussi léger après un repas de Noël. Heureusement, on n’a pas oublié les cadeaux : orgie de Bolduc !

Matière à

Je le sais pourtant depuis des années, que l’équilibre est affaire de dynamisme : si l’on se crispe et que l’on retient se respiration, aussi parfaite la position de l’arabesque soit-elle, on ne la tiendra pas. Il faut au contraire que la tension soit extrême entre le bras qui tire vers l’avant (au point que l’on passe « par-dessus ») et la jambe qui tire vers l’arrière (et entraîne le déséquilibre contrôlé de la descente sur demie-pointe). Je le sais et j’oublie que cela vaut en-dehors de la scène et du studio.

Surprise alors, de constater que tout va incroyablement mieux depuis que j’ai du travail au boulot. Je sors moins fatiguée le soir en ayant fait de la préparation de copie, tâche pourtant assez mécanique, que lorsque je comptais sur Twitter pour m’alimenter en articles de presse et me distraire de façon plus constructive que les chaussettes roses des rugbymen en train de s’entraîner, tout en n’ayant pas l’air de ne pas faire autre chose que ce que j’avais à faire, c’est-à-dire : rien. On ne peut pas être efficace sans se sentir utile ; et je n’entends pas par là sauver des vies, hein, juste accomplir une tâche qui sert à d’autres personnes impliquées dans un même processus.

Maintenant que j’ai moins de temps, j’arrive enfin à travailler pour la fac. Les cours sont redevenus des disciplines : l’effort bascule du côté de l’élan plutôt que de l’inertie, les projets retrouvent leur étymologie de projectiles lancés vers l’avant, on se modèle des envies, on retrouve prise sur moi et l’on se sent soudain libéré de l’emprise des choses. Me concentrer me donne un sentiment de puissance, d’existence plus intense, comme si je faisais partie du trio féminin de vampires de Bram Stoker et que je me matérialisais soudain à partir de particules éparses, poussière baignée dans un clair de lune. Ou comme la force au flamenco, qui n’est pas donnée mais surgit. Pas donnée vers l’extérieur, mais irradie d’être ramassée vers l’intérieur. Au bout de quelques mois de cours, je commence à sentir la tension que je constate de visu chez mon professeur. Je me concentre, reconcentre, recentre.

La discipline est en même temps matière, un biais concret par lequel s’appréhender dans le monde. Chaque matière est alors matière à aborder des logiques (ou des illogismes) qui valent partout ou presque – ailleurs du moins –, des structures que l’on retrouve à différentes échelles, dans des microcosmes aussi bien que dans une société tout entière, des raisonnements qui structurent des champs qui n’ont à priori rien en commun. En transposant ces structures d’un domaine à l’autre, avec un peu d’imagination, on peut comprendre ce qu’un savant lettré des Lumières pouvait encore apprendre spécifiquement. C’est ainsi qu’en lisant un bouquin sur le XML pour les éditeurs, sans rien connaître en informatique, je devine pourquoi l’on parle de « langage » de programmation et trouve beaucoup moins curieux qu’Inci, notre éminente latiniste, conjugue à présent linguistique et informatique (le latin mène à des choses très diverses selon qu’on considère sa forme grammaticale ou son contenu stratégique et guerrier, comme zED devenu réserviste – tous les chemins partent de Rome). Le passe-temps de Mimi, qui étudie des grammaires de langues qu’il ne parlera ni n’apprendra jamais, perd son caractère incongru pour devenir une fascinante approche de différentes structures de pensées, aussi divertissante que les systèmes de philosophes particulièrement imaginatifs. Et de retrouver les monades de Leibniz : chacune comporte tout l’univers en miniature si l’on prend la peine de la déplier.

J’ai enfin compris que c’est finalement ce qui fait toute la différence entre une thèse pointue et les traités de la bibliothèque de Pantagruel. Fondamentalement, les sujets des premiers sont aussi restreints et confidentiels que les seconds. Ce qui les en distingue (lorsqu’ils sont réussis) et peut les rendre passionnants pourvu qu’on s’y penche un peu après y avoir été introduit par un chercheur enthousiaste, c’est qu’ils parviennent à rapporter leur îlot d’expertise à tout un continent de pensée (ou des gribouillages-soulignages à une manière d’aborder un texte – faire une lecture, en somme). Ce lien, bien qu’indispensable, n’est pas toujours présent ; j’ai le souvenir d’un séminaire sur le songe à la Renaissance (thématique en soi prometteuse, notamment pour le brainstorming méta- si bien exploité dans des films comme The Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Ouvre les yeux ou Inception) qui s’est enlisé dans la description d’espaces oniriques et l’énumération de publications historiques. Lorsqu’on examine un sujet par le petit bout de la lorgnette, il faut savoir à quel moment retourner l’instrument pour prendre une vue d’ensemble significative. L’approfondissement universitaire, antidote à la généralisation stéréotypée, à son tour a besoin de zoom out. Par exemple, j’adore quand un truc aussi anecdotique que les figures en post-it sur les vitres des immeubles de bureau est intégré dans une analyse bien plus vaste sur le management – le détail devient symptôme. Zoom out plus vertigineux encore que ce texte de Michel Serre ; quand il prend de la distance, c’est comme si l’on était d’un coup aspiré dans l’espace, à quelques années lumières des siècles qu’on contemple engoncé dans notre époque. Je déteste les attractions genre Space Moutain mais j’adore son équivalent intellectuel.

Longue et courte vue

Le sursis de dix mois a pris fin, j’ai fait exécuté mon ordonnance. Trouver des lunettes papillons qui ne me donnent pas l’air d’une grosse mouche n’a pas été sans mal. A vue de nez, les Max & Co étaient parfaites, tout à la fois classiques et délurées, ce qui ce traduit dans le langage palpatinien par « bizarre » (d’une efficacité redoutable quand le modèle en balance se trouve affublé du même adjectif – et là, c’est comment ? – Encore plus bizarre.). Lorsque je les ai chaussées chez l’opticien, pourtant, les lunettes des présentoirs sont venues m’assaillir comme une nuée de moustiques. Je me suis pris une demi-dioptrie dans la vue. Dehors, dans les rues ivres, un ver de terre venu du Japon, géant et souterrain, s’amusait à secouer l’asphalte comme une couette à aérer. Dans les jours qui ont suivi, le monde trempait dans un aquarium, noyé dans une goutte d’eau prise entre deux lamelles, tremblotant entre des contours incisifs de microscope. Bien que l’automne laisse déjà sentir l’hiver, les platanes avaient à nouveau des feuilles : plus de boule verte conceptualisée sous le nom d’ « arbre ». Joie. Bon, j’avais l’impression d’être dirigée par Aronofsky à chaque fois que j’allais aux toilettes et j’appréhende encore un peu le matin de me faire agresser par le monde mais les silhouettes ont retrouvé des visages – mon horizon s’élargit.