Commentaire²

Commentaire sur commentaire, c’est soi une petite mise en abyme comme je les aime (la mise en abyme est un des trucs qui me fait tripper – on s’amuse comme on peut), soi que vous avez travaillé comme un malade pendant les vacances. Mais de ce côté, je mène une vie très –trop- saine. Pourtant, les commentaires linéaires en français m’amusent. Se pencher sur un texte, le décortiquer sans le désarticuler, voir pourquoi le texte nous fait de l’effet (ou pourquoi il nous ennuie à mourir – le Rouge et le Noir est un roman détestable, mais à présent je ne dis plus que Julien m’horripile, mais, en connaissance de cause, que l’alternance consonance/dissonance du narrateur avec son personnage est trop mécanique pour ne pas me porter sur les nerfs)… après une explication, on connaît le texte presque par cœur et on est davantage porté à s’extasier sur certaines formulations. Plus je lis les extraits à commenter du Côté de Guermantes, plus le foutage-de-gueule gentil mais général m’éclate. La réputation de l’esprit Guermantes qui est comme les rillettes de Tours ou les gâteaux de Reims… telle grande dame qui fait un présent à la grand-mère du narrateur comme du pain à une biche du jardin d’Acclimatation…

Les commentaires composés, en revanche, je ne m’y acclimate pas. Ce sont des contrées trop étrangères, latines ou anglo-saxonnes. S’extasier sur la vertu d’un sage romain ou se pencher sur le mariage en Germanie n’a rien de très engageant. Mais alors structurer un commentaire articulé avec des parties, des sous-parties, leur sainte trinité et des articulations logiques et pas rhétoriques (mais une relecture de la correction montre la suprématie de la rhétorique qui arrive parfois à se faire passer pour logique ou –tour plus impressionnant encore- pour naturelle) relève d’un mécanisme que je n’ai toujours pas saisi. Il y a quelque chose du mystère, auquel je serai peut-être initiée le jour où je comprendrai en quoi un running commentary (dont vous sortez toujours à bout de souffle) n’est pas un commentaire linéaire. Une problématique, oui, oui, je sais – il est bien connu qu’on enfile les mots comme des perles en français, sans aucun fil directeur qui plus est. Déjà un commentaire en anglais est un exercice hybride (il me semble avoir entendu dire que les Anglais ne font pas de commentaire de texte à proprement parler) : cela sonne affreusement français – même dans l’anglais le plus châtié. Il doit donc y avoir une approche particulière du commentaire en anglais, mais ayant la curieuse impression que le jury incline vers des plans type fonds-forme ( genre : I slang II content – vying men III Is this still drama ?) (encore pire que thèse, antithèse, sytnhèse ou encore oui, non, merde), je ne sais toujours pas en quoi elle consiste.

Le plan de commentaire que je préfère, c’est celui de philosophie : démonstration avec ordre et méthode, ça se suit, c’est formidable. A tel point que des fois, on se demande si on est vraiment en train de commenter. Au fonds, commenter c’est quoi ? Rajouter quelque chose, dire autrement ? Mais alors, on serait dans la glose ou la paraphrase… (le seul cas où cette dernière est souhaitable, c’est la Physique d’Aristote : tellement emberlificoté que toute paraphrase cohérente est déjà une interprétation. Je vous assomme avec Aristote, mais on finit toujours plus ou moins traumatisé par ce qu’on étudie un peu plus attentivement : des volontaires pour la Princesse de Clèves ? Diderot, peut-être ?). Petite mécanique un brin absurde et toujours un grain de sable pour l’enrayer.

Pareil pour les commentaires de blog : on ne sait pas toujours ce qu’on y met. On y trouve dans l’absolu de vrais commentaires, des propos constructifs qui contredisent, nuancent, apportent des précisions (ou s’insurgent contre des énormités dont je n’aurais pas soupçonné un camarade khâgneux l’année dernière)… mais ça critiquaille vite. Vite ennuyeux. Bien plus drôles sont les détournements de commentaires – mineurs mais réjouissants :

la private joke, le commentaire complice par excellence.

La conversation à bâtons rompus, rarement lue par le lecteur suivant.

le commentaire inutile mais indispensable : à son auteur pour exprimer son assentiment et surtout sa présence, un peu comme il signerait une feuille de présence ou un livre d’or (pour pouvoir dire, comme le bourdon dans la pub pour le sucre « J’étais là ! »), ainsi qu’à son destinataire, qui se rassure en constatant qu’il ne parle pas dans le vide.
Variante : l’émargement sans enthousiasme, comme le Vu qu’un professeur griffonne en bas d’une page sans grande erreur mais qui ne présente pas grand intérêt non plus. Mauvais signe : manque de finesse dans un cas, monotonie de ce qu’on donne en pâture lecture dans l’autre.

Petite chose choupinette trouvée .

Le commentaire qui vient annoncer son commanditaire, affiche haut et fort un nouveau pseudonyme, et prie pour qu’on noue ou du moins clique le lien imposé proposé. Une carte de visite, en somme – plus policée que la réclame des adolescentes got
hiques qui ordonnent à leurs serviteurs visiteurs de lâcher leurs comm’, elle réclame plus de tact. Du coup, laisser un premier commentaire relève soi d’une hésitation bien réfléchie (qui tourne le plus souvent à la pure et simple abstention), soi d’un coup de folie (qui ne porte pas vraiment à conséquence, il est vrai.)

Le commentaire qui souligne une coquille, une contradiction ou quoi que ce soit qui trahisse le fait que vous avez posté à des heures indues.

Le commentaire qui raconte sa vie et finit par être un autre article en apposition, un peu comme les notes des polys de Mimi qui font parfois une page. C’est assez miamesque à lire. Sauf s’il remplace le blog que l’auteur ne veut pas ouvrir.

Le commentaire-réponse. On ne peut pas y résister : un peu comme les tests dans les magazines, où l’on finit toujours par compter le nombre de carré, de ronds, d’étoiles et de conneries entourées.
Variante : le commentaire-réponse sans question posée. Il diffère du racontage de vie en ce qu’il vient prendre le contrepied d’un article précis, à savoir, « y’a personne ! », « je crois que personne ne lit ce que j’écris » ou sa version moins élégiaque « c’est bizarre, j’ai un taux de visites anormalement élevé et peu de commentaire, comme c’est bizarre ».

Le commentaire désobligeant ou insultant. No comment.

L’imitation, la parodie, l’exercice de style… je trouve très amusante la tendance qu’on a de reprendre la forme de l’article commenté, une de ses métaphores filées ou le thon. Chez le Sushi (dont je n’ai pas l’adresse sur cet ordi là), par exemple, tout le monde parle de lui à la troisième personne – on dirait des altesses tenant salon. Chez Monkeyz’, c’était les métaphores guerrières. Le plaisir d’écrire et de s’encourager les uns les autres.

Le remerciement d’avoir laissé l’aumône un commentaire sur un autre blog. En cas d’excès de politesse, cela devient insupportable d’autocongratulation et surtout incompréhensible, jamais en rapport avec un seul article. Mieux vaut lui préférer la réplique, poignée de main qu’on distribue en tournée générale, remerciement collectif ou nominatif – plus sincère puisque reste chez soi.

Le silence, obligé lorsque le propriétaire du blog a désactivé la fonction commentaire. Je dois dire que cela m’intrigue : j’hésite à chaque fois entre admiration pour celui qui ne cherche pas à sonder l’avis de ses lecteurs et agacement contre celui musèle ses lecteurs, les empêchent d’exprimer ne serait-ce que leur enthousiasme et au fonds se fichent bien de savoir s’ils existent ou non. Vous me direz, ce qui est fait pour être lu ne l’est pas nécessairement pour être commenté…

Rogar !

Questionnaire réalisé par Inci, avec la collaboration de F. Gaffiot.

A. Aeneas (Énée, héros latin)
Ton héros favori. Je n’aime pas être collée dès la première question. Le personnage de Bruce Willis dans Die Hart ?

B. bibax (grand buveur)
Ta boisson favorite. On va faire semblant d’avoir lu la question au pluriel. Nectar de mangue, de poire, de banane (éventuellement mélangé avec de la fraise, genre gâteau marbré) d’un côté et thé – surtout le thé de Noël à la cannelle- de l’autre. Et puis le chocolat chaud maison tout mousseux quand il sort du thermomix.

C. Caelum (ciel)
Ton signe astrologique. Lion ascendant Scorpion. La douceur incarnée.

D. Disciplina (action d’apprendre)
Les études que tu aurais faites si tu n’avais pas fait celles que tu as choisies. De l’anglais, vielleicht.

E. Elenchus (perle en forme de poire (!) )
Pierre ou métal précieux que tu affectionnes particulièrement. L’argent. Mais particulièrement, je ne sais pas.

F. Fatum (destin)
Ecris ton horoscope pour la semaine à venir.
« **Argent : calmez-vous sur le shopping.
* Travail : Mars déclenche le branle-bas de combat. Si vous avez assuré vos arrières, tout ira bien, sinon mettez les bouchées double avant que le ciel et ses astres vous tombent sur la tête.
Amour : premier décan, si vous êtes en couple, traversée du désert, deuxième décan, célibataire, la lune ne vous sauve pas dudit désert.
*** Forme : le repos vous va bien. » Verdict : puis-je rejoindre l’équipe du 20 min ?

G. Graecum (la langue grec)
Langues que tu apprends / as apprises et celles que tu souhaiterais apprendre un jour. Je lis anglais, j’oublie (j’ai oublié ?) l’allemand, j’apprends le latin. En seconde je voulais faire du grec ancien, mais l’envie m’est passée. En revanche, j’adorerais me mettre au russe. Mais d’abord me remettre à l’allemand. Mais avant tout, travailler mon anglais.

H. Hamadryades (hamadryades, nymphe des forêts)
Être ou créature légendaire ou mythique qui te fait rêver. Il y a une dizaine d’années, j’aurais pu répondre les pokémons légendaires, mais j’ai du devenir désespérément terre à terre. Sinon des objets du type pensine ou retourneur de temps, mais un être légendaire… le prince charmant ? Non, je sais, le Père Noël ! Non, non, mieux : la petite souris !

I. Inscitia (gaucherie, incapacité)
Ce que tu ne sais pas faire. Des crêpes sans en rater la moitié, le triple salto arrière (avant non plus d’ailleurs), les créneaux d’une seule main (déjà à deux, je peux m’y reprendre à trois fois)… mais surtout, je ne sais pas CHOISIR.

J. Jura (le Jura)
Y a-t-il un lieu en France où tu n’es jamais allé, et où tu aimerais aller? Je serais assez partante pour accompagner Inci en Alsace. Mais je suis somme toute assez peu curieuse de la France.

K. Karthago (Carthage)
Le voyage que tu rêves de faire. J’ai déjà été assez gâtée sur ce plan, mais une petite piqûre de rappel pour les Etats-Unis ou l’Autriche… Et je veux visiter Berlin (comme si on n’avait pas assez entendu parler de la Wiedervereinigung).

L. liber (livre)
Décris la couverture du livre qui traîne à côté de ton ordinateur. Des engrenages mauves et bleu, un demi-cadre jaune… je pense que les optionnaires philo pourront dire ce qu’il y a d’écrit dessus en blanc.

M. memoria (mémoire)
Ton premier souvenir. Parce que vous croyez qu’en plus de me souvenir, je classe chronologiquement ?

N. nimbus (pluie d’orage, averse)
Décris ce que tu aimes dans la pluie. (Pourquoi suppose-t-on que j’aime la pluie ?) Quand elle cesse. L’odeur de l’asphalte mouillée, les morceaux de ciel dans les flaques et les irisations avec le soleil… sans se faire saucer. Ou alors, quand je suis à l’intérieur, sur le canapé avec une tasse de thé – là j’aime la pluie pour le contraste qu’elle offre.

O. odor (odeur)
Décris l’odeur qui te marque le plus dans ton quotidien. La bouffée graisseuse d’huile qui sort de l’aération de la cantine quand, à huit heures du matin, je monte au bâtiment scientifique par l’escalier du côté. Et l’odeur hebdomadaire, ce sont les frites de la cantine. Sinon, plus dans le registre fragrance, il y a l’odeur de ma poudre fond de teint Bourgeois.

P. piger (paresseux)
Ton péché capital. La morfale- attitude. C’est tout à fait différend.

Q. Quinta (prénom féminin)
Le prénom féminin que tu choisirais si tu devais avoir une fille. Même au conditionnel, je suis arrêtée par l’idée que les mômes, c’est le diable. Même pas habillé en Prada.

R. Rana (grenouille)
L’animal qui te ressemble. Ai-je vraiment besoin de répondre ? –même si je ressemblerais plutôt à une girafe question taille. De toute façon, je suis une ménagerie à moi toute seule. Mon père m’appelait bien grenouille quand j’étais petite.

S. sagina (engraissement, bedaine)
Ce que tu ne peux t’empêcher de manger, tout en sachant pertinemment que ce n’est pas raisonnable. Je peux m’empêcher. La preuve, le pot de peanut butter a beau être entamé, son niveau est constant et il ne sort pas du placard. (Mais des fois je me permets et je peux regretter : le pudding nappé de chocolat, le nutella, les croissants aux amandes et surtout, tous les plats que je me RESSERS…)

T. tibia (flûte)
L’instrument de musique qui t’émeut le plus. Le violon, peut-être. Mais bon, c’est plus une question de musique que d’instrument.

U. Ucalegon (nom d’un Troyen)
Le prénom masculin que tu choisirais si tu devais avoir un fils. Je vais prier pour que cela n’arrive pas.

V. video (je vois)
Cite trois films que tu as vus et commençant par la même lettre. Dis ce que tu en as pensé. Vive les articles définis ! Les Chansons d’amour, La Jeune Fille à la perle, Le Parfum : les deux premiers sont aussi fantastiques que le troisième est profondément ennuyeux (alors que le bouquin est une merveille).

W. Wardo (le Gardon, rivière)
Observe un planisphère, et choisis un cours d’eau dont le nom te fait rêver. Que t’évoque-t-il? Peut-être la Seine, à cause de l’homonyme qu’elle m’évoque. Un rêve à portée de Navigo, en plus.

X. xysticus (gymnase)
Un sport que détestes particulièrement. Les sports où il y a une balle (ping-pong excepté) et tous les sports collectifs – vous me direz, les deux se recoupent souvent.

Y. yssopum (hysope, arbrisseau)
Y a-t-il un arbre ou une plante qui garde une place particulière dans tes souvenirs? Le cyprès devant la maison de mon arrière grand-mère (la polysémie du mot révélée à Chypre, aussi 😉 et les peupliers dans la maison fictive du personnage d’Anne dans la saga de Lucie Maud Montgomery. Mais bon, je n’irais pas planquer une divinité derrière non plus.

Z. zotheca (boudoir, cabinet de repos)
Décris la bibliothèque de tes rêves. Un mixte impossible entre la bibliothèque de Prague assombrie, avec des rayonnages imposants qui grimpent jusqu’à la voûte du plafond (avec une échelle pour les atteindre – l’échelle est très importante) et un espace beaucoup plus petit, très lumineux, très chaud, confortable… une biblio ancienne et une salle de lecture moderne en somme. Ou alors la bibliothèque commémorative de Komura pour le décor (mais pas pour son fonds). Et quoiqu’il en soit, un rayon bien fourni niveau danse.

Et maintenant, on mesure la vitesse de propagation de ce questionnaire dans la blogosphère en taguant tous azimuts : Bamboo, V., Sirop de violette, Sara, Yannick, Melendili
quand elle ressuscitera virtuellement…

On va se piquer la truffe !

Mon arrière grand-mère, 93 ans, Jeanette, 86, ma mère et moi. Je ne sais pas vraiment comment le dîner a commencé. Ou plutôt je sais qu’il a commencé avec la commande d’une bouteille de rosé. « On va se piquer la truffe », déclare ma grand-mère, ladite truffe dans le ballon du verre. La mienne pique dans mon assiette où la préfiguration du poisson à dépiauter m’empêche de rire. Un carnaval d’expressions défile tandis que derrière mon loup je gratte sa peau grillée. Je perds un peu le fil du pressage des olives lors de l’opération délicate qui consiste à ôter l’arrête centrale et de pouvoir enfin se débarrasser de la tête. Soixante treize kilos d’olive, ce n’est pas rien. Les deux comparses s’arsouillent gaillardement ; les deux chapons que nous sommes ma mère et moi faisons presque chaperons rouges à côté de nos deux mères-grand en goguette. « Vous reprendrez bien un verre de vin, Jeanette » -sûr qu’au bout de cinquante huit ans, on n’est pas intimes. Il faudra peut- être attendre le siècle avant de se tutoyer. « Elle tient mieux le vin que moi », explique ma grand-mère à sa petite-fille. Drôle de (troisième) personne ! Jeanette adore conduire, petite, son père mécano, elle aurait bien conduit le camion en avant en arrière, là, vous imaginez, au volant, en avant an arrière, sur les routes, là, en avant et en arrière – autant de fois que je rencontre d’aubergines dans mes lasagnes de légumes. Puis sur l’index, elle admirait aussi les toréros mais, négation de la main, pas la mise à mort. C’est drôle, c’est plutôt en taureau qu’en toréro que je l’imaginerais. Je ne sais pas si elle verrait rouge, mais toujours est-il qu’elle boit rose. Il va de soi que l’effet blush intégré sur les joues de ma grand-mère est dû à la couperose – et certainement pas à sa dernière syllabe bien arrosée. Et la marmotte, elle met le chocolat dans l’papier d’alu. Enfin… Jeanette réclame surtout qu’on mette l’os de sa souris d’agneau au miel et romarin dans un cellofrais pour sa chienne. La chocolat, quant à lui, est dans mon verre de liégeois. Mon attention vacille au gré de la bougie qui se noie paisiblement dans son photophore, au milieu des verres, indifférent au flot des souvenirs. Ce sont les deux grand-mères qui boivent ; ma mère et moi qui rions. Bu cul-sec : un verre de genépi (traduction phonétique) offert par la maison,  et j’escorte ma grand-mère jusqu’à la sienne. On demande à l’autre gamine si tout va droit et elle se retourne comme un petit Arlequin, sur une jambe, genou plié, coude au genou et doigt sur le nez – pied-de-nez en moins. Comme quoi, une vie équilibrée…

Flip fac flop

Si on faisait un schéma actantiel de l’inscription à la fac, on aurait :
– le même destinateur et destinataire : moi
– un objet : l’inscription à la fac, qui se dédouble en inscription en lettres et en philosophie.
– adjuvants : l’expérience des amis, des personnes administratives gentilles, parfois à défaut d’être compétentes, des jambes en pleine forme et une certaine persévérance
– opposants : la complexité des démarches administratives, les jours d’ouverture, le mélange des facs, les escaliers introuvables, non solum les marches, sed etiam les ascenseurs, la pluie, l’absence d’élocution, le métro et… la fac en soi.

Je ne khûbais, j’étais inscrite en lettres modernes.
J’ai khûbé, j’ai téléphoné pour dire que je ne venais pas mais que je restais inscrite.
Je me suis inscrite en lettres modernes par cet outil si pratique qu’est internet. Et là, acte de boulet suprême, j’ai pensé 3ème année en lisant 3ème semestre. S’ensuit le juste châtiment de cette bourde : un certificat de scolarité en L2, et l’occasion inespérée d’aller voir à quoi ressemble la fac où je suis inscrite depuis 2 ans. This is la quête number 1.

Quête number 2 :
Une donnée : admissibilité et ses crédits bonus sur deux ans.
Une idée : les faire valider en philo pour faire un double cursus.
Un problème : s’il n’y en avait qu’un…
J’ai voulu m’inscrire à Paris III, comme en lettres modernes – ouais, je suis simplette, j’ai deux matières, j’espère naïvement les faire au même endroit. Mais pas de philo à cet endroit, redirigée à Paris I. Pas de réponse au téléphone et, côté mail, le ton est donné par cette sublime réponse (sic) : « si vous vous lez vous inscrire en l3 c’est à cette adresse (suit une adresse mail) ».

        So aujourd’hui mission commando dans Paris. L’affaire Paris III se règle rapidement, c’est un bonheur. Paris I, c’est nettement plus folklorique. Déjà vous allez à l’autre bout du monde de Paris, dernier arrêt du métro 14. Et là, c’est assez hallucinant. Outre une faune dont on se demande si elle vient réellement là pour travailler (et le contraste avec les jeunes hommes de bonne famille catapultés de nos jours depuis les années 50 est assez frappant), le décor tient le milieu entre le métro et un immense parking mi en travaux, mi squatté. Pour ce qui est des ascenseurs, on en voit de toutes les couleurs selon l’étage que l’on souhaite atteindre : jaune (comme le rire), rouge (la colère ou le sang si vous en êtes au stade du meurtre) et vert (livide) pour le septième ciel administratif. J’y trouve un petit zébulon avec un béret sur la tête, des grandes boucles d’oreilles et un ton sympathique – presque étonnant qu’elle ne vous propose pas de chewing-gum. Deux étages, deux bureaux, avis unanime : il faut s’adresser à la Sorbonne. Fuyons, fuyons.
        Acte II, la Sorbonne. A l’entrée, un Sphinx sans ailes mais très zélé me pose son énigme après que je lui aie demandé si, venant pour l’UFR de philosophie, je pouvais rentrer « Quelle université ? ». Paris I est contre toute attente une bonne réponse. Ne vous réjouissez pas trop, le sésame ouvre sur un labyrinthe dans lequel le fil d’Ariane (même avec un u) ne sert à rien : licence – paris III – partenariat – paris I – crédits – double licence – Tolbiac – là mon interlocuteur a perdu le fil. Et moi mon élocution déjà peu brillante à l’accoutumée – retombée au niveau de mon oral d’histoire où je n’ai jamais du finir une seule phrase. Après être passée pour une demeurée un certain nombre de fois « Mais ici, c’est Paris IV » (naaan, sans déc ?), avoir rencontré l’ancienne prof d’espagnol de le Bruyère, appelé Yannick et maudis la fac entière, j’ai fini par revenir sur mes pas pour interroger l’oracle de l’accueil revenu de sa pause déjeuner. L’UFR de philosophie de Paris I dans les murs de Paris IV localisée – je me prépare à affronter le Minotaure. A la place du monstre, je découvre un Apollon fort aimable (puisque fort mignon et fort serviable) mais fort incompétent (puisqu’il remplace simplement la secrétaire pour récupérer les fiches d’inscriptions pédagogiques). J’ai failli mordre quand on m’a suggéré d’aller voir à Tolbiac et n’ai pas eu la présence d’esprit, lorsqu’on m’a dit de m’inscrire par internet, de leur rappeler que les inscriptions sont proposées en ligne pour l’année… 2006 – 2007. La fac en prise avec son époque.
Pour être lapidaire : nihil.
Moralité : va falloir faire un petit sacrifice – qui pourrais-je bien immoler ?

       Il a donc fallu un train, trois bus, six métros (dont une rame interrompue pour cause d’incident de signalisation) et un RER pour faire chou blanc. J’ai l’impression d’avoir des barres de fer dans les fesses. Et que mon cerveau est un disque rayé qui répète le nom de la capitale et des chiffres romains. Et des images de l’auberge espagnole : les papiers du début et surtout, surtout, cette parfaite compréhension de ce que c’est que d’aller à la « fuck ».

Prise de la Bastille par le New York City Ballet

J’ai avalé gloutonnement quatre soirées de ballets et n’ai pas même pondu un bref post. Cela vous a peut-être évité une indigestion suite à une omelette géante, mais tout de même, le New York City Ballet ne vient pas tous les quatre matins. Un mois déjà – les chorégraphies s’estompent pour laisser en souvenir des impressions et des flashs éblouis- mais je vous invite à faire le pique-assiette et à goûter à tous les plats.

 

 

Avant le spectacle…

 

 

… entendre ses talons claquer, apercevoir les gens en train de grignoter un sandwich, qui semblent habiter là, et entendre la sonnerie à l’entracte…

 

… l’odeur du programme, dont l’encre ou le papier, je ne sais pas, ne semble être utilisé que par l’opéra de Paris. Une splendide photo de Sérénade dessus – heureusement, ils ont cessé leurs essais de trucs conceptuels à tentative pluridisciplinaire.

 

… le réglage des jumelles, pour espionner en toute bonne conscience les musiciens déjà dans la fosse, les violonistes qui discutent ensemble avec enjouement, un jeune homme situé dans la région des instruments à vent et qui semblait s’ennuyer ferme, un moins jeune dont maman n’a pas réussi à voir s’il avait une alliance à la main…

 

… former une haie de déshonneur pour ceux qui arrivent un peu tard…

 

… saluer avant qu’il ait rien fait le chef d’orchestre, comme pour se dédouaner de n’y plus penser par la suite…

 

 

En pleine apnée…

 

 

Divertimento n°15

Chorégraphie de Balanchine sur du Mozart

Des costumes un brin vieillot avec des couleurs un brin violentes (même si je n’ai rien contre le turquoise fluo dans l’absolu), mais la chorégraphie est tout sauf poussiéreuse. Les photos peuvent être trompeuses parce qu’elles prennent toujours les instants structurés, les lignes harmonieuses et les symétries impeccables alors que tout l’intérêt est justement dans la déstructuration, le jeu sur les formations et reformations, les décalages, les groupes, duo, solo, trio où les partenaires se dédoublent pour qu’aucun duo ne soit en reste… Virtuose peut-être, mais avec goût.

[Et puis je ne sais où, un sourire comme je n’en avais jamais vu. Charme sûr de lui mais surpris d’être découvert.]

 

 

Episodes

Chorégraphie de Balanchine sur une symphonie de Webern

La musique est déconcertante, presque discordante de prime abord, mais la chorégraphie a tôt fait de nous la faire écouter – et plus seulement entendre. Justaucorps noirs et collants blancs, le plaisir des lignes cassées, une géométrie pour les yeux.

 

 

Tchaïkovsky Suite n°3

Chorégraphie de Balanchine sur… du Tchaïkovsky, vous vous en seriez douté.

Une première partie en robes roses et violettes cheveux détachés, une seconde en tutus plateaux. Entre deux le soulagement de ne pas en rester à un élan kitsch.

 

 

Sérénade

Chorégraphie de Balanchine sur Tchaïkovsky

Le rideau se lève sur une forêt de danseuse en sixième, face au public, la tête côté jardin qui regarde vers une main paume tendue dans la même direction, poignet cassé.

 

C’était le ballet que j’avais envie de voir. Celui dont on voit des photos partout, avec ces grandes jupes fluides et une vague auréole romantique. Même là, Balanchine ne réussit pas à faire du mièvre : il y a toujours une énergie folle – des réminiscences de danses guerrières géorgienne, m’apprend le programme.
Les danseuses semblent petites – du coup jamais de bras arachnéens mais un concentré d’énergie, bras et jambes qui tranchent l’air avec violence, sans pourtant altérer l’ambiance de douceur qui s’est installée sur le plateau.

 

 

Symphony in Three Movements

Balanchine sur une musique de Stravinsky

Une terrible joie et de la force. Ca éclate, déboule en tous sens, saute avec enthousiasme – les pieds en blancs des garçons en collants noirs sont autant de notes en négatifs qui viennent suspendre en l’air une partition exultante. Des duos en rose et noir. Et toujours d’immenses queues de cheval qui donnent un air d’amazones gymnastes à cette immense diagonale de filles, qui se dressent par le même mécanisme. Une grandeur imposante, renforcée par la perspective des tailles – lorsque la colonne se déroule, on découvre que les amazones du fonds font une tête de moins que celles du premier plan.

 

 

Brahms/Handel

Chorégraphie de Twyla Tharp et Jerome Robbins

Verts et bleus, les corps coulent, fluides. Des courants calmes mais à la vigueur sûre, aux nombreux revirements sans aucun débordement. Des portés ahurissants qui ne semblent même pas académique… assez insaisissable. Une des principals, Sara Means, d’une grande classe.

Première chorégraphie qui n’est pas de Balanchine et moyen d’observer ce qui relève de la chorégraphie et ce qui relève des danseurs… du moins, je le croyais. Parce que ces derniers son tellement imprégnés de Balanchine, qu’il est pratiquement impossible de faire la distinction. Autant chercher comment la Berma magnifie ses vers.

 

 

Duo Concertant

Chorégraphie de Balanchine sur une musique de Stravinsky

Le piano est sur scène, le violoniste aussi. N’oublions pas le couple de danseurs, embusqué derrière le piano. Qui écoute rêveur et reviendra souvent tâcher de rêver – mais plus sûrement de reprendre son souffle. Avec cette mise en scène- à proprement parler-, le spectateur est obligé de sentir la musique et son lien avec ces pas joueurs et flex qui viennent en cascade.
Surtout dans une scène noyée dans l’obscurité, l’image d’un cercle de lumière où vient se créer une main, un mouvement, apparaître un visage et disparaître le corps en son entier. D’accord, Malliphant n’a pas tout inventé (mais sur ce coup-là, je préfère Malliphant).

 

Hallelujah Junction
Chorégraphie de Peter Martins sur une musique de John Adams

Avant toute chose, il y a, suspendus au fond de la scène, dans un arrière-plan onirique –mais noir- deux pianos face à face, deux pianistes éclairés par deux lumières qui sculptent le reste d’obscurité en deux diagonales croisées. Un voile noir a beau être interposé entre les pianistes et les danseurs, il se dégage tout de même une force folle de ce curieux orgue moderne.
La chorégraphie, en notes blanches et noires, mêle les décalages, contrepoints et canons. Tout est toujours en tension, même les huit tours de Daniel Ulbricht, même les dessins géométriques qui sont étirés comme s’il s’agissait d’élastiques tendus au maximum.

 

 

After the rain

Chorégraphie de Christopher Wheeldon sur Arvo Pärt

Comment donner le degré de mon engouement sans verser dans l’enthousiasme délirant ? Passé les trente premières seconde où il m’a fallu me défaire de la chorégraphie que j’avais dansé sur cette musique-là – de Dos Santos (ou quelque chose comme cela)- et m’accoutumer à la grande maigreur de Wendy Whelan (qui fait corps avec Sébastien Marcovici), c’est magnifique merveilleux magique poignant ? On oublie totalement qu’il s’agit de danse, qu’il y a une chorégraphie que les deux interprètes ont du apprendre et travailler, et on laisse se laisser hypnotiser par ce temps de vie. Corps noueux et cheveux détachés comme un feuillage – liane- attachement – duo racinien.
[Faites taire les deux imbéciles derrière qui assassinent déjà la chorégraphie la résonnance de la dernière note à peine évanouie.]

 

 

Dances at a Gathering

Chorégraphie de Jerome Robbins sur des Mazurkas, Valses, Etudes, Scherzo et Nocturne de Chopin

Au siècle dernier, celui, intemporel, de la nostalgie et du souvenir, une rêverie sur des rencontres amicales, espiègles, amoureuses, fraternelles, passionnées, attendues, retardées, déclinées, qui n’ont peut-être jamais eu lieu ou alors d’antan, déjouées mais rejouées sur scène… Apaisant mais pas lénifiant ; subtile, plein de vie et de finesse, cela glisse, fluide comme les robes des jeunes filles, jusqu’à la fin où les danseurs se tiennent immobile face aux spectateurs mais regardant bien plus loin, comme à travers eux.
[Dit comme ça, ça a l’air kitschissime, mais je vous assure que ce n’est pas le cas, que l’on s’amuse à retrouver tel danseur avec telle ou telle partenaire (je crois que c’était pour la danse d’Ashley Bouder que j’ai eu un faible, et pour Amar Ramasar), à voir les couples se reformer, et à surprendre des clins d’œil d
’humour]

 

Carousel (A dance)

Chorégraphie de Christopher Wheeldon sur « The Carousel Waltz » et « If I love you », Richard Rodgers

Ambiance foraine, guirlandes aux tringles et triangles rouge dans les fentes des jupes violettes. Benjamin Millepied (après Petipa, avouez que c’est un nom qui claque pour un danseur !), formidable forain. Et surtout ce manège qui n’a jamais si bien porté son nom, où les cavalières sont devenues chevaux de bois, et, une barre dorée à la verticale, galopent sagement par monts et par vaults.

 

 

Tarentella

Chorégraphie de Balanchine sur une musique de Louis Moreau Gottschalk

Pittoresque si l’on s’arrête aux costumes. Virtuose sans aucun doute. Feu d’artifice (et) d’artifices techniques. On ne compte plus les tours ni ne peut nommer les entrepas qui s’enfilent en un rien de temps – en moins de temps que cela encore- semblent devancer la musique. Megan Fairchild et Joaquin De Luz sont époustouflants et brillants. Pas un étalage technique comme raillent d’autres charmants voisins de derrière, mais une grande éclaboussure d’énergie riante.

 

Barber Violon Concerto

Chorégraphie de Peter Martins

Deux couples qui se répondent : un classique pur, pointes, chignon banane, brillant à l’oreille pour elle, chemise bouffante pour lui, grande classe ; un plus contemporain, robe toute simple et queue de cheval pour elle, collants pour lui. Le classique qui par d’amples mouvements, nous donne un beau pas de deux (image du couple de dos, croisés en grande fente) ; le contemporain plus ancré dans le sol. Puis classique et contemporain dans une drôle de juxtaposition où les couples dansent côte à côte sans se voir, se croisent en des trajectoires qui s’évitent… on voit où la chorégraphe veut en venir mais la mayonnaise met du temps à prendre (et ce n’est pourtant pas faute d’ingrédients alléchants). Enfin, les deux pas de deux de la dernière partie ou les couples se sont dissociés : tout d’abord celui passionné du contemporain (Albert Evans) et de la classique (Sara Means – cette fille est la classe incarnée) à qui l’on semble d’abord faire violence, dont la retenue résiste, et qui finit, les cheveux dénoués, par s’abandonner totalement à son nouvel amant. Quant au classique (Charles Askegard), que l’on pouvait penser être resté seul aux prises du désespoir d’avoir perdu son élégante moitié, il est surtout aux prises de la contemporaine (Ashley Bouder), véritable petit morpion qui a résolu de ne pas lui ficher la paix. Un drôle de combat s’engage alors, où tous les coups sont permis – et hop, que je te file entre les jambes- y compris les attaques par derrière – le petit morpion collé au dos de sa proie et la déséquilibrant, c’est un nouvel Janus que l’on voit traverser la scène. Inégal mais finalement réjouissant.

 

West Side Story

Chorégraphie de Jerome Robbins, musique de Bernstein

La comédie musicale condensée à ses passages dansés. Mention particulière à Gretchen Smith (si je ne me trompe pas) véritablement endiablée. Et dans les scènes de rue entre les deux gangs (les sauts, gosh !) c’est du pur délire… comme dans le public en fait.

No doubt, « I like to be in Amer-i-ca ! »