Brocante philosophique : les choses

poltiques. Sans Pérec.

Ma substance pensante ressemble à une brocante philosophique. On y trouverait un tableau représentant un être fabuleux, mi-renard, mi-lion, mi-homme (trois moitiés pour le prix de deux, c’est un lot gagnant, encore mieux que du shampoing démêlant) ; une trompette de sédition ; un trophée de chasse aux yeux pleins de pitié ; un livre de mythes vrais ; une boîte d’allumettes de la guerre, avec son certificat authentifiant son origine naturelle (du bio de collection) ; un bateau démocratique qui va dans l’eau du bain, avec en prime sa figurine de philosophe-roi ; des fers patinés de liberté, et une collection d’esprits des lois, avec des morceaux de Dalloz de tous horizons dans des éprouvettes celées.

Voilà pour mon étal. Il me faut encore aller fouiner chez ceux des autres pour trouver une poupée à corps politique, qui exprime la volonté générale quand on lui appuie sur le ventre, et un kit d’enquêteur pour découvrir l’origine de l’inégalité.

Conditions concours*

* sous réserve d’un surveillant disponible, de l’absence d’un professeur qui vous amène des financiers, des clémentines et surtout des Tablerone (je ne sais toujours pas si je préfère le bleu mi-lait mi- blanc avec semble-t-il des morceaux de nougat dedans, ou le rouge chocolat au lait fourré au praliné), de ne pas avoir de débats philosophique sur l’orthographe de La Rochefoucault ou Rochefoucauld ? tu nous fais douter, là, tu n’as qu’a former un « d » avec un trait et on n’en parle plus, de ne pas éclater de rire toutes les deux minutes, sous réserve également que la poignée de la porte ne se casse pas, ni que votre professeur vous fasse remarquer que la lumière est superbe sur l’église Saint-Louis et que toute la classe ne se lève pas pour aller vérifier de visu.

Conditions concours blanc.

Des lapins, Descartes, des rythmes ternaires bancals

Cinq heures de philosophie dont une extra, comme ça, pour le plaisir d’avoir parcouru la sixième méditation de la journée : l’esprit dans un état second – mais d’abord, l’entendement ou la raison ? et la volonté dans tout ça ? – non, pas Dieu, on lui a réglé son compte dans la troisième méditation (le chiffre de la sainte trinité) et depuis, il nous est bien utile en tout. En fait, Dieu en philo, c’est le mot fourre-tout dans lequel on range tout ce que nous ne pouvons pas comprendre même si on peut à la vérité le saisir par la pensée. La faille à tout système parfait, que l’on colmate et recouvre du tableau de la toute-puissance de son propriétaire. Au final, la faille a disparu sous l’aveuglement de tant de perfection, c’est magique. Tout comme l’imperturbable et tranquille résistance de notre professeur de philosophie, à côté de qui le lapin Duracell ferait pâle figure.

Dans une classe où, en lapins de piètre qualité (parce que sans marque sauf celle que Dieu a laissé sur son ouvrage), nous gisons batterie à plat (d’où que les batteries tiendraient neuf heures maintenant ?) sur nos feuilles et nos incompréhensions, il continue sa course, en gambadant gaiement entre les difficultés de la pensée de Descartes, folâtre gaiement dans les buissons de définitions, franchit les ponts entre les différentes méditations puis s’abreuve avec délectation (grâce soit rendue à l’institution de la nature qui me signale la soif par un desséchement du gosier) à la fontaine de mots. Je ne peux pas dire que je ne boirai jamais de son eau : le lapin qui n’a rien d’un lièvre est en fait une tortue refoulée (l’allure, le cou –pas le débit de paroles, malheureusement pour nos poignets crispés). Imaginez le scandale, que le lapin Duracell soit une tortue refoulée… il ne manquerait plus qu’Orphée module ses chants sur la creuse écaille de sa lyre, et on aurait tout vu. Heureusement, on a morflé MOrphée.

Le Timide au Palais, de Tirso de Molina

Sortie khâgneuse mardi soir à Montansier. Aucun a priori, puisque je ne connaissais pas la pièce, ni même le nom de l’auteur – *inculte power*. Juste la curiosité d’être de l’autre côté de la rampe dans le théâtre où j’ai passé tous mes examens de danse. Montansier pour moi, c’est un vrai terrain de jeu, le jeu de la comédie et le jeu de se croire en spectacle. Un petit Palais Garnier en miniature où l’on allait tester tous les points de vue de la salle – mais surtout celui du parterre- habillées n’importe comment, en chaussons, une chauffe enfilée à la hâte, à observer les autres passer leur variation, dans l’odeur de la laque à cheveux. C’est aussi des loges lumineuses, aussi diurnes que les coulisses sont nocturnes –plus qu’un après-midi au cinéma- qui donnent sur les rires et les rumeurs des jardins du château, curieusement proches par rapport au retour de scène.
Mardi soir, des scolaires qui transforment le hall en cours de récréation, des courses poursuites dans les couloirs, une ouvreuse qui se laisse déborder avec professionnalisme et le poulailler à tous les étages. Je me serais bien passée des commentaires pleins de sébums et d’hormones qui surgissaient derrière moi, mais enfin…

 

Au début de la pièce, j’ai eu un peu peur : je ne comprenais pas grand-chose à la diction du comte, qui de plus se battait au fleuret, et les premières scènes se sont succédées sans qu’on puisse voir de liens entre elles, ni supposer lesquelles introduisaient l’intrigue principale. Et surtout, une certaine réticence dans la surenchère des effets de comique lourd – avec notamment une battue faite par des paysans bercés un peu trop près du mur, auprès desquels les visiteurs sont fins et subtils – bref, le genre de comique qui entraîne le rire de la salle comme une bande-son de rires préenregistrés – et qu’on vous rajoute une grimace !

Heureusement, j’ai trouvé mon comte, l’intrigue s’est ficelée et le comique a été plus éclaté. C’est une histoire relativement classique, avec un comte veuf qui cherche à marier ses filles, qui n’ont fait qu’à leur jolie tête, des prétendants trop sûrs d’eux et des amants indécis –le personnage éponyme de la pièce, qui vire schizophrène de timidité – ainsi que ce qu’il faut de retournements, de (dé)tours et de pirouettes incroyables à force de vraisemblance. Le parti pris de la mise en scène surtout était excellent. Pas de modernité à tout prix, mais un jeu très contemporain. Le metteur en scène n’a pas hésité à tailler dans le texte (plus de cinq heures en VO – merci pour la coupe !) et à rajouter tout un hors scène très drôle. Un homme vient la bouche en chœur vous expliquer ce qui va suivre, planter le décor en zigzaguant un treillage devant vos yeux de la paume de ses mains, ou annoncer l’acte suivant. Rires à la scène 2 de l’acte 2, quand le personnage assis à sa droite fait deux signes de la victoire à l’annonce de la scène. Et puis aussi lorsque le prologue (si, si, cela lui va bien comme nom) arrive ivre. Et plus encore lorsqu’il se fait le traducteur des didascalies espagnoles et qu’il reste à répéter « la nuit » jusqu’à ce que le technicien envoie un éclairage lunaire. Ce prologue est le pendant extérieur de la mise en abyme interne, l’une des filles jouant à l’actrice. Amusant clin d’œil qui déclenche de l’hilarité lorsqu’en professeur tout à fait conforme à la Bacchante, le prologue retourne le miroir et se met à nous exposer le schéma actantiel de l’acte manquant pour la vraisemblance d’un retournement tout à fait improbable – et oui, oui, le timide paysan est bien le fils d’un noble seigneur (pas Romulus, mais tout juste). Les personnages inconnus se déclinent en initiales sur le tableau, entourées, liées entre elles, croisées avec une lettre qui ne nous évoque plus le reste du nom ; l’adjuvant se retrouve au coin sous forme d’un smiley et l’hilarité fait salle comblée lorsque, mimant le si commode secret de famille du père prodigue, le prologue finit par agoniser et ses derniers tressaillements tracent à la craie un diagramme cardiaque agité. Il défaille en ligne droite et je suis morte de rire. Un acte en un éclat de rire, c’est ce qu’on appelle de l’efficacité.

C’est un univers de jeu ; le prologue (le vrai, pas le personnage) montrant un atelier de couture comme décor. Les robes invitent au costume, les étoffes au déguisements, tandis que derrière un rouleau de tisse au mètre, un piano accompagne ces histoires enfantines. Une chute de tissu sert d’interlocutrice pour renvoyer une fiancée, et même les accessoires sont parfaits pour embobiner Séraphina, la fille aînée du comte. Le prétendant lui mime son bobard avec des personnages en bobines de fil, le duc en bleu, l’enfant illégitime en canette du même acabit et les espions en noir qui volettent autour comme des corbeaux aux mains du prétendant. Cousu de fil blanc ! Et lors du prologue les mimes des machines à coudre… vraiment, le « jeu corporel » des acteurs en fait de véritables mimes. Mention particulière au héraut qui, alors qu’il raconte quelque histoire vraisemblable qu’il a attrapée à la volée, semble jouer au tennis, court de la cour au jardin, renvoie une réplique, attrape une réponse avant qu’un autre personnage saisisse toute l’affaire en attrapant la balle. Vraiment, toutes ces manières de traiter les digressions du récit sont réjouissantes, et quel rythme !

Il y a aussi, au fil de la mémoire, un lit dressé à la verticale et sur lequel le timide recroquevillé par terre semble assis, puis sous lequel il se cache au gré du rêve agité de son amante ; le héraut étranglé parce que sa voisine tire sur son cartable pour ne pas voir le duel qui a lieu ; un comte recroquevillé qui se croit le « roi des écrevisses » (applaudissements pour cette absurdité)… J’ai vraiment passé un bon moment, à rire sans arrière pensée.

 

Par la Compagnie du Catogan / Mise en scène Gwenhaël de Gouvello / Adaptation Robert Angebaud / Avec Gregori Baquet, Jean-Michel Canonne, Brigitte Damiens, Marie Grach, François Kergourlay, Marie Provence, Rainer Sievert, Stephen Szekely, Jean-Benoît Terral, Éric Wolfer.
Création musicale Damien Joëts, Christian Huet / Décors Éric den Hartog / Costumes Anaïs Sauterey / Lumières Stéphane Baquet / Maquillage Laurence Otteny

 

Voilà qui résume : Sur un ton un peu goguenard, dans un décor de carton-pâte, avec des costumes qui ne se prennent pas plus au sérieux que les comédiens qui les portent, tous conduisent avec une belle énergie et dans un véritable esprit de troupe cette comédie légère de cape et d’épée qui ne parle que d’amour.

 

Commentaire²

Commentaire sur commentaire, c’est soi une petite mise en abyme comme je les aime (la mise en abyme est un des trucs qui me fait tripper – on s’amuse comme on peut), soi que vous avez travaillé comme un malade pendant les vacances. Mais de ce côté, je mène une vie très –trop- saine. Pourtant, les commentaires linéaires en français m’amusent. Se pencher sur un texte, le décortiquer sans le désarticuler, voir pourquoi le texte nous fait de l’effet (ou pourquoi il nous ennuie à mourir – le Rouge et le Noir est un roman détestable, mais à présent je ne dis plus que Julien m’horripile, mais, en connaissance de cause, que l’alternance consonance/dissonance du narrateur avec son personnage est trop mécanique pour ne pas me porter sur les nerfs)… après une explication, on connaît le texte presque par cœur et on est davantage porté à s’extasier sur certaines formulations. Plus je lis les extraits à commenter du Côté de Guermantes, plus le foutage-de-gueule gentil mais général m’éclate. La réputation de l’esprit Guermantes qui est comme les rillettes de Tours ou les gâteaux de Reims… telle grande dame qui fait un présent à la grand-mère du narrateur comme du pain à une biche du jardin d’Acclimatation…

Les commentaires composés, en revanche, je ne m’y acclimate pas. Ce sont des contrées trop étrangères, latines ou anglo-saxonnes. S’extasier sur la vertu d’un sage romain ou se pencher sur le mariage en Germanie n’a rien de très engageant. Mais alors structurer un commentaire articulé avec des parties, des sous-parties, leur sainte trinité et des articulations logiques et pas rhétoriques (mais une relecture de la correction montre la suprématie de la rhétorique qui arrive parfois à se faire passer pour logique ou –tour plus impressionnant encore- pour naturelle) relève d’un mécanisme que je n’ai toujours pas saisi. Il y a quelque chose du mystère, auquel je serai peut-être initiée le jour où je comprendrai en quoi un running commentary (dont vous sortez toujours à bout de souffle) n’est pas un commentaire linéaire. Une problématique, oui, oui, je sais – il est bien connu qu’on enfile les mots comme des perles en français, sans aucun fil directeur qui plus est. Déjà un commentaire en anglais est un exercice hybride (il me semble avoir entendu dire que les Anglais ne font pas de commentaire de texte à proprement parler) : cela sonne affreusement français – même dans l’anglais le plus châtié. Il doit donc y avoir une approche particulière du commentaire en anglais, mais ayant la curieuse impression que le jury incline vers des plans type fonds-forme ( genre : I slang II content – vying men III Is this still drama ?) (encore pire que thèse, antithèse, sytnhèse ou encore oui, non, merde), je ne sais toujours pas en quoi elle consiste.

Le plan de commentaire que je préfère, c’est celui de philosophie : démonstration avec ordre et méthode, ça se suit, c’est formidable. A tel point que des fois, on se demande si on est vraiment en train de commenter. Au fonds, commenter c’est quoi ? Rajouter quelque chose, dire autrement ? Mais alors, on serait dans la glose ou la paraphrase… (le seul cas où cette dernière est souhaitable, c’est la Physique d’Aristote : tellement emberlificoté que toute paraphrase cohérente est déjà une interprétation. Je vous assomme avec Aristote, mais on finit toujours plus ou moins traumatisé par ce qu’on étudie un peu plus attentivement : des volontaires pour la Princesse de Clèves ? Diderot, peut-être ?). Petite mécanique un brin absurde et toujours un grain de sable pour l’enrayer.

Pareil pour les commentaires de blog : on ne sait pas toujours ce qu’on y met. On y trouve dans l’absolu de vrais commentaires, des propos constructifs qui contredisent, nuancent, apportent des précisions (ou s’insurgent contre des énormités dont je n’aurais pas soupçonné un camarade khâgneux l’année dernière)… mais ça critiquaille vite. Vite ennuyeux. Bien plus drôles sont les détournements de commentaires – mineurs mais réjouissants :

la private joke, le commentaire complice par excellence.

La conversation à bâtons rompus, rarement lue par le lecteur suivant.

le commentaire inutile mais indispensable : à son auteur pour exprimer son assentiment et surtout sa présence, un peu comme il signerait une feuille de présence ou un livre d’or (pour pouvoir dire, comme le bourdon dans la pub pour le sucre « J’étais là ! »), ainsi qu’à son destinataire, qui se rassure en constatant qu’il ne parle pas dans le vide.
Variante : l’émargement sans enthousiasme, comme le Vu qu’un professeur griffonne en bas d’une page sans grande erreur mais qui ne présente pas grand intérêt non plus. Mauvais signe : manque de finesse dans un cas, monotonie de ce qu’on donne en pâture lecture dans l’autre.

Petite chose choupinette trouvée .

Le commentaire qui vient annoncer son commanditaire, affiche haut et fort un nouveau pseudonyme, et prie pour qu’on noue ou du moins clique le lien imposé proposé. Une carte de visite, en somme – plus policée que la réclame des adolescentes got
hiques qui ordonnent à leurs serviteurs visiteurs de lâcher leurs comm’, elle réclame plus de tact. Du coup, laisser un premier commentaire relève soi d’une hésitation bien réfléchie (qui tourne le plus souvent à la pure et simple abstention), soi d’un coup de folie (qui ne porte pas vraiment à conséquence, il est vrai.)

Le commentaire qui souligne une coquille, une contradiction ou quoi que ce soit qui trahisse le fait que vous avez posté à des heures indues.

Le commentaire qui raconte sa vie et finit par être un autre article en apposition, un peu comme les notes des polys de Mimi qui font parfois une page. C’est assez miamesque à lire. Sauf s’il remplace le blog que l’auteur ne veut pas ouvrir.

Le commentaire-réponse. On ne peut pas y résister : un peu comme les tests dans les magazines, où l’on finit toujours par compter le nombre de carré, de ronds, d’étoiles et de conneries entourées.
Variante : le commentaire-réponse sans question posée. Il diffère du racontage de vie en ce qu’il vient prendre le contrepied d’un article précis, à savoir, « y’a personne ! », « je crois que personne ne lit ce que j’écris » ou sa version moins élégiaque « c’est bizarre, j’ai un taux de visites anormalement élevé et peu de commentaire, comme c’est bizarre ».

Le commentaire désobligeant ou insultant. No comment.

L’imitation, la parodie, l’exercice de style… je trouve très amusante la tendance qu’on a de reprendre la forme de l’article commenté, une de ses métaphores filées ou le thon. Chez le Sushi (dont je n’ai pas l’adresse sur cet ordi là), par exemple, tout le monde parle de lui à la troisième personne – on dirait des altesses tenant salon. Chez Monkeyz’, c’était les métaphores guerrières. Le plaisir d’écrire et de s’encourager les uns les autres.

Le remerciement d’avoir laissé l’aumône un commentaire sur un autre blog. En cas d’excès de politesse, cela devient insupportable d’autocongratulation et surtout incompréhensible, jamais en rapport avec un seul article. Mieux vaut lui préférer la réplique, poignée de main qu’on distribue en tournée générale, remerciement collectif ou nominatif – plus sincère puisque reste chez soi.

Le silence, obligé lorsque le propriétaire du blog a désactivé la fonction commentaire. Je dois dire que cela m’intrigue : j’hésite à chaque fois entre admiration pour celui qui ne cherche pas à sonder l’avis de ses lecteurs et agacement contre celui musèle ses lecteurs, les empêchent d’exprimer ne serait-ce que leur enthousiasme et au fonds se fichent bien de savoir s’ils existent ou non. Vous me direz, ce qui est fait pour être lu ne l’est pas nécessairement pour être commenté…