La courageuse Irmina

À propos ou à l’occasion d’Irmina, roman graphique de Barbara Yelin

Généralement, lorsqu’il est question du nazisme, c’est au bruit des bottes que l’on fait référence. Dans Irmina, c’est le bruit de la machine à écrire qui domine : la jeune femme éponyme, indépendante de caractère, a décidé de l’être dans sa vie et prend des cours de dactylo pour avoir un métier autre que femme au foyer.

Durant toute la première partie du roman graphique (presque la moitié), on suit la jeune Allemande en échange en Angleterre, et l’on est complètement pris par son histoire naissante avec Howard, brillant étudiant d’Oxford noir et boursier, lorsqu’Irmina est soudain rapatriée en Allemagne : l’histoire se perd dans l’Histoire. La jeune femme perd la trace de l’homme qu’elle aime, et nous de celle qu’on pensait qu’elle était : la jeune femme intellectuellement curieuse et courageuse, qui n’avait pas hésité à prendre la défense d’Howard face à des attitudes racistes, finit par se marier avec un SS convaincu. L’onomatopée qui flottait au-dessus de la machine à écrire de la jeune dactylo se retrouve au-dessus des carottes émincées : elle a démissionné du ministère de la Guerre pour mieux retomber dans l’idéologie du régime, favorisant le retour des mères au foyer. (Sa machine ne lui sert plus désormais qu’à écrire son journal.)

À la déception de l’histoire d’amour avortée succède la fascination pour un phénomène abstrait que Barbara Yelin nous donne à sentir de manière très concrète : autant j’avais compris le rôle de la bureaucratie dans la banalisation du mal, escamotant la responsabilité derrière l’obéissance, autant je n’y avais jamais associé le phénomène de dissonance cognitive, que l’on prend ici de plein fouet (étant donné que voir quelqu’un ne pas voir est le meilleur moyen de voir intensément ce qu’il ne voit pas). La stupéfaction demeure tandis que les éléments de compréhension s’articulent ; on commence à entrevoir comment Irmina, résolument moderne dans son attitude (au sens progressiste : contre les préjugés raciaux, pour l’indépendance féminine…), se met à embrasser la modernité de son époque dans ce qu’elle a de plus nauséabond – sans gaité de coeur certes, mais sans états d’âme non plus.

Son désintérêt marqué pour la chose politique la prémunit de l’élan totalitaire : lorsque son mari loue ce que le régime a fait pour le peuple, elle demande ce qu’il a fait pour eux, pour elle, qui n’a guère envie de se sacrifier au nom d’un bien collectif abstrait. Mais cet individualisme qui résiste à l’élan totalitaire est aussi ce qui la rend aveugle aux drames qui se passent, et ne coagulent pas en un récit cohérent, alarmant : l’incendie du Reichstag ou les vitrines des magasins juifs cassées ne sont pour elle qu’une toile de fond ; ils la dérangent dans son quotidien, sur le chemin des courses (qu’elle comptait faire dans un grand magasin juif). La montée en violence n’éveille pas de doute, au contraire : si culpabilité il y a, elle est immédiatement, inconsciemment changée en ressentiment. C’est, il me semble, le sens de cette phrase terrible que l’auteur met dans la bouche d’Irmina lorsque son fils lui demande qui sont ces Juifs dont il entend parler à tout bout de champ : « Les Juifs sont notre malheur. » La formulation est ambivalente : tout en coïncidant avec la propagande nazie, elle laisse transparaître la rancoeur du bourreau qui en veut à sa victime de faire de lui un bourreau – un paradoxe qui cesse d’en être un si l’on considère le glissement permanent entre identité individuelle et collective (Irmina n’a rien fait en tant qu’individu et c’est ce que, collectivement, on pourra lui reprocher).

La dernière partie du roman boucle sur le début et, dans l’ellipse narrative qu’elle opère, permet de prendre du recul sur les événements – de l’Histoire, d’une vie. Celle que tous appellent la « courageuse Irmina » a conscience de ne plus mériter son épithète homérique depuis longtemps. La mention récurrente a pourtant le mérite de rappelle le tempérament bien trempé de l’héroïne, aux antipodes de la passivité et de la lâcheté qu’on associerait à l’attentisme. La jeune femme en voulait ; elle voulait plus. C’est d’ailleurs en partie parce qu’Howard, accaparé par ses études et ses nobles desseins, a du mal à trouver du temps pour la voir souvent qu’elle rentre en Allemagne – pour se faire une vie, une situation, sans attendre personne – elle le retrouverait ensuite, voilà tout, voilà l’erreur. De décision hâtive en mauvaise décision, on la voit s’éloigner un peu plus d’un chemin qui, pas forcément plus droit, aurait été plus heureux (de bonheur mais aussi de justesse).

J’étais encore imbibée de l’histoire manquée (histoire d’amour, histoire d’une vie) lorsque j’ai lu la postface, tout entière concentrée sur le traitement de l’épisode historique. Je l’ai lue rapidement : elle ne m’apprenait rien, j’avais déjà vu et revu ça en cours d’histoire, plus précisément même. Puis je me suis rendue compte que ce n’était absolument pas ce sur quoi je m’étais focalisée, que je m’étais accrochée à une histoire individuelle au détriment de l’histoire collective en arrière-plan, contretemps à l’assouvissement de mon désir de lectrice comme aux plans de l’héroïne. Cela revenait à prendre conscience de deux choses : la première, que ce roman graphique est extrêmement bien construit, dans son déséquilibre même : la frustration d’un récit d’abord perçu comme bancal en fait une expérience immersive ingénieuse. La seconde prise de conscience est moins agréable : je suis fondamentalement comme Irmina – en tant que lectrice qui s’identifie mais au-delà, en tant que personne. Cela questionne pas mal mon désintérêt total pour la chose politique. J’ai essayé de m’y intéresser, mais mon intérêt n’a jamais survécu à l’événement sidérant qui l’avait relancé (les attentats au Bataclan, celui des tours jumelles, les troubles ayant suivi l’ouragan Katrina… ils tiennent sur les doigts d’une main). Dès que l’analyse m’a permis de mettre à distance la peur et de sortir de la sidération, disparaît l’intérêt que je croyais avoir développé mais qui n’était que temporaire et thérapeutique.

Dans la foulée, j’ai attrapé un essai que ma grand-mère m’avait offert pour Noël il y a deux ans pour accompagner d’une surprise un livre dont je lui avais donné les références, et que je ne m’étais jamais résolue à lire : Identité, la bombe à retardement (de Jean-Claude Kaufmann), c’était tout de suite moins sexy que The Art of Grace (best feel-good essay ever). J’ai repris et dépassé enfin la préface qui m’avait découragée : pour l’auteur, « Je suis Charlie » était une évidence ; je pensais et pense toujours qu’on peut compatir sans s’identifier, et même qu’il est dangereux de devoir gommer tout désaccord pour condamner un acte de violence et offrir sa compassion aux victimes. À la lecture de ce livre, j’ai pris conscience de ma résistance viscérale à l’égard de presque toute identification collective : je ne suis pas Charlie, je n’ai jamais gagné aucune coupe du Monde – c’est tout juste si je suis une #BalletomaneAnonyme, admirative et enthousiaste pour le travail de l’association, mais paradoxalement réticente à participer aux activités en groupe. Réfléchissant ainsi, je me suis aperçue que ce livre, attrapé comme antidote à ma mauvaise conscience non-engagée… j’en faisais une lecture personnelle, individualiste, coupant le raisonnement de sa dimension collective pour l’essayer à mon petit monde. Suis-je irrécupérable ?

"Je suis moi. Ça devrait suffire."

(Merci au traducteur Paul Derouet pour ses bigre, délicieuse manière j’imagine de traduire les Ach…)

Bulles de BD, 2019 #2

Mon fiancé chinois, de Laure Garancher

Les rizières en couvertures faisaient écho à mon voyage au Vietnam ; le personnage hmong, aux Brumes de Sapa : j’adore quand un livre est pris dans un réseau de références et souvenirs proches, consolidant la connaissance d’un univers jusque là ignoré. Mieux encore : quand il le dépasse pour ouvrir à son tour à un peu d’inconnu. En effet, le récit ne se borne pas à l’héroïne du titre ; la narration croise son histoire avec celle de sa belle-mère chinoise, sa mère hmong et son futur mari chinois, chacun élevé dans une culture et une époque différente. En tant qu’Occidentale d’aujourd’hui, j’ai néanmoins été frappée par un trait commun que je n’ai d’abord pas su nommer. Tous les personnages se plient à un ordre social fort, dans une sorte de résignation qui ne suit ni ne remplace aucune rébellion. Quand bien même ils ne comprennent pas les règles sociales qui leur pèsent, ils ne les remettent pas en question, et s’en arrangent comme ils le peuvent, en les contournant ou les embrassant. Les vies suivent leur cours, infléchies au niveau de l’individu, immuables au sein de la communauté, peu importe presque la génération et l’époque où l’on se situe.

Mère : Au début j'étais terrifiée, je voulais rester libre… Mais grâce à cela, tu es là ! Et puis ce qui compte ce n'est pas le mari mais la belle-mère !
Promets-moi de le rencontrer au moins.
Sa fille, en pensée : Ai-je le choix ? Peut-on échapper aux traditions ?

Il a fallu que je tombe par hasard sur la distinction entre société individualiste et société holiste dans un ouvrage de sociologie pour mettre les mots sur ce que je savais confusément, et concevoir comme concomitantes deux formes de société que j’avais jusque là pensé (ou plutôt non pensé) successives, parce qu’elles l’ont été dans l’histoire du pays et du continent dont je suis.

« […] l’opposition holisme/individualisme ne renvoie nullement à l’individu concret, mais au modèle de représentation dictant les règles de fonctionnement d’une société. Pour simplifier, disons que le clivage tourne autour de la question suivante : où se définit le sens du bien et du mal, du vrai et du faux ? Dans la société holiste, les individus sont pris dans des cadres collectifs, le plus souvent religieux, qui leur donnent des réponses communes. […] Aujourd’hui, au contraire, c’est à l’individu lui-même de choisir et de choisir encore, dans tous les domaines, entre mille produits, mille idées, mille manières de faire, mille principes moraux ou mille personnes. »

Jean-Claude Kaufmann, Identités, la bombe à retardement, éd. Textuel, p. 25

Le biais occidental reste fort : dans ce paragraphe, les deux modes de sociétés sont envisagées dans leur succession (« aujourd’hui »). La précision que je trouve intéressante, c’est qu’il ne s’agit pas de l’individu concret – l’angle que l’on adopte naturellement lorsqu’on appartient à une société individualiste et qui nous conduit peut-être à penser l’individu d’une société holiste comme moins libre qu’il ne pouvait l’être.

Cela me rappelle la légère surprise d’une autre bande-dessinée, Love story à l’iranienne (je crois) ; au milieu des histoires de contrainte et d’émancipation qu’on imagine dans ce genre de recueil de témoignages, une jeune femme renvoyait la journaliste-narratrice à son biais perceptif : qui d’elles deux est plus ou moins asservie, de l’Iranienne mariée à qui certes incombent les tâches domestiques mais n’a pas à se charger d’un boulot alimentaire, ou de la Française qui doit assumer à la fois travail et tâches domestiques (et ne voit pas, montée sur ses grands chevaux de liberté, qu’elle envisage le travail comme émancipation parce qu’elle a eu les moyens intellectuels et probablement financiers de choisir un métier qu’elle aime) ? Le réflexe immédiat est de penser ce paradoxe comme domination intériorisée – et son énoncé comme provocation. Mais comment savoir si ce réflexe n’est pas justement le signe de ce que l’on impose nos schémas de pensée à ceux qui ne pensent pas ainsi ? – les lacunes dans les droits des femmes n’étant ressenties comme telles qu’à mesure que la société, traditionnellement holiste, devient individualiste.

Mon réflexe de lectrice occidentale ne connaissant que la société individualiste serait de m’indigner et de me révolter pour des personnages que la société empêche de choisir – un mari, un métier, une vie. Mais la vie elle-même laisse-t-elle toujours un choix si large que ça ? Ce qui m’a fascinée, dans Mon fiancé chinois, c’est que les personnages entravés dans leur choix n’en paraissent pas plus heureux ou malheureux pour autant. Plus curieux encore : la question du bonheur et de l’épanouissement personnel ne semble même pas se poser. Angle aveugle*. Dans le vide laissé par les déceptions et frustrations qui ne se formulent pas, ne s’anticipent et ne se pensent pas – qui existent tout juste, à vrai dire, sur un mode minimal – se déploie une certaine beauté, noblesse ou fierté, je ne sais comment l’appeler ; fierté d’un destin qui en est à peine un, d’une vie alors, soutenue et bien menée, devant laquelle on ne s’est pas défilé.

*J’ai souvenir d’un angle aveugle similaire dans un tout autre registre : la difficulté de Jean-Jacques Pauvert dans ses mémoires à faire retour sur sa vie – comme une paille qui ne se plie pas. L’éditeur au cours de sa vie a fait des choix, beaucoup de choix, mais qui se ressentent à la lecture comme des hasards et des évidences où s’estompe la notion même de choix : la vie devait être vécue, il l’a vécue pleinement et se retrouve au bout de course à la penser soudain, seulement là, lui qui a pourtant passé sa vie dans des écrits intellectuels (l’angle mort ne s’en ressent que davantage).


"Elle rêve de travailler au ministère de la Justice, où elle serait sûre d'être 'du bon côté'." Image de chevalier médiévale avec un bouclier orné du drapeau des USA, face à une tête de dragon mauvais.

Culottées, tome 2, de Pénélope Bagieu

C’est un plaisir que de retrouver ces portraits de femmes fortes croqués avec humour et inventivité narrative par Pénélope Bagieu. Dans cette défense et illustration du mérite féminin pourtant, c’est moins l’exemplarité et la découverte qui m’ont entraînée, que le mouvement de clôture de vie en destin. Évidemment, la boucle est d’autant plus magistralement bouclée que le parcours est hors norme, et ces héroïnes du monde réel ont pour la plupart une volonté hors du commun, mais le jeu entre cette volonté et les aléas de la vie, le chemin qui se dessine entre les deux est quelque chose de commun à tous. Quelque chose qui, récapitulé de la sorte, m’apaise pas mal ces derniers temps – que je suis heureuse en tous cas de trouver dans mes lectures (apaisement tempéré par l’horreur de certains parcours : même avec tout l’art de l’évocation et du désamorçage de l’auteur, l’histoire d’une gamine violée à répétition est violente à suivre).

(En sourdine aussi, se pose la question du regard historiquement et sociologiquement ancré posé comme filtre unique sur des personnes d’origine et d’époque très diverses – filtre qu’on oublie peut-être d’autant plus facilement qu’il est largement exposé à la vue de tous par la figure de style récurrente de l’anachronisme… et que, globalement, il fait bon être féministe à la Pénélope Bagieu, ici et maintenant, avec force et humour.)


Petite fille à l'arrière de la voiture conduite par son père dans les rues décorées pour Noël. "Je me demandais s'il voyait les mêmes lumières que moi."

Mon père était boxeur, de Barbara Pellerin (scénario) et Vincent Bailly et Kris (dessin)

Je ne sais pas pourquoi, j’imagine toujours la violence allant de paire avec une misère noire, façon Zola. Alors que non évidemment, la violence domestique peut advenir dans n’importe quel milieu, être quotidienne ou non, de degrés variés, viser indistinctement tous les membres d’un foyer ou en épargner certains… physiquement du moins. C’est ce qui se passe pour Barbara : son père s’en prend à sa mère, dont l’enfant devient la protectrice, le père n’osant pas lever la main sur sa fille (il n’en est en tous cas pas fait mention dans le récit). La violence n’en est pas moins là pour l’enfant, latente. Une certaine forme d’amour aussi, insuffisant, prompt à oublier, difficile à réconcilier avec l’ensemble de l’histoire familiale, tout comme l’image de ce père instable est difficile à articuler avec l’image publique de l’ancien boxeur largement apprécié – une profession qui continue de le définir des années après qu’il est descendu du ring.

En essayant d’articuler l’inarticulable, Barbara Pellerin dresse un beau portrait d’une relation père-fille et s’attaque à l’image d’un père que, sans excuser, elle veut comprendre. La palette émotionnelle nuancée de cette entreprise se retrouve dans les dessins de Vincent Bailly et Kris ; moi qui pense spontanément l’aquarelle comme une peinture évanescente, j’ai été surprise de lui trouver la force qu’elle acquiert ainsi cernée de traits plus anguleux.

C’est la toute première case, et ce sont les lumières que m’ont arrêtée…

Irmina, de Barbara Yelin
Trop de réflexions croisées ; j’y ai consacré un post dédié.

Bulles de BD, 2019 #1

Madie, de Mercier, Filippi & Raymond

Madie, avec couple avec Édouard, est rattrapée par le fantôme de Frédo, son amour de jeunesse disparu (ami de Frédo aussi). L’enquête le cède vite à la quête introspective et nous entraîne, avec humour, dans une belle exploration des relations qui échappent aux noms bien normés – comme le montre cet extrait de la première planche in media res (pour les bulles suivantes, je me suis juste fait plaisir) :

Madie, au souvenir de Frédo : 'Salut mon amour !' ; Edouard : 'Et moi, je suis quoi pour toi ?' ; Madie : 'L'homme avec qui j'ai choisi de faire ma vie. ça te va ?'

Moi j'aime ton nez. Il est sexuel et tordu comme toi !


Idéal standard, d’Aude Picault

Je crois que cette bande-dessinée m’a fait prendre conscience de ce qui me gêne souvent dans les plaidoyers féministes : leur systématisme. Il est nécessaire de systématiser les choses pour pouvoir les penser dans un ensemble qui, donc, fait système, a une cohérence propre et permet de démêler un peu mieux l’imbroglio du réel ; mais le retour du système intellectualisé au réel me semble toujours un peu brutal : des notions comme le patriarcat et son oppression me donnent toujours l’impression d’être overkill, comme si on utilisait le marteau de Thor pour enfoncer un pauvre clou dans un mur creux.

Rien de tel dans Idéal standard, pourtant clairement féministe. Tandis que la pensée systémique a tendance à doter de volonté un amas de consciences aveugles (chaque micro-action masculine perçue comme une volonté d’opprimer – pour avoir le contrôle, pour garder le pouvoir), les situations croquées par Aude Picault témoignent essentiellement de préjugés que l’on n’a pas repassé au crible du jugement parce qu’ils étaient invisibles et confortables.

On a tous les deux un anus. Pourquoi devrais-je absolument aimer la sodomie alors que ça te révulse pour toi-même ?

Cela vaut d’ailleurs autant pour les hommes que pour les femmes : OK, le sexe s’arrête quand lui seul a joui, mais lui as-tu dit que tu n’as pas eu d’orgasme ? OK, il n’aide pas assez dans les tâches ménagères, mais cela n’aide pas non plus de tout anticiper parce qu’on estime d’emblée que cela ne sera pas comme il faut… ou comme on veut – le risque de glissement commence là, interrogeant la limite et la perméabilité entre comportement sexiste inconscient et manque de communication.

Mais Jo, tu lui as tout arraché, disant qu'il faisait mal… ça ne donne pas envie de t'aider.

La réflexion est ici à ras le couple – et ce n’est pas une critique, qui renverrait cet ouvrage au rang de BD de fille, au contraire : à ras le couple, c’est ici au niveau de l’individu, de deux individus (quatre en comptant le couple d’amis) avec des histoires et des attentes qui à la fois sont englobées et dépassent la question du féminisme. Les militantes trouveront peut-être que cela ne va pas assez loin, qu’on se situe à un stade de prise de conscience peu avancé, mais c’est de mon point de vue la position idéale pour prendre conscience des ramifications de la question féministe dans un vécu de femme privilégiée (blanche, classe moyenne, occidentale…) ; tous un tas de petites choses dont on ne va pas faire pour chacune un pataquès mais qui, prises ensemble, donnent à penser et s’interroger dans une bande-dessinée.

 


Errance en mer rouge, de Joël Alessandra

Même impression qu’à la lecture du roman Ça raconte Sarah : manifestement, lorsqu’on écrit à partir d’un vécu et que soudain le degré de fiction monte en flèche, cela part en vrille et se met à sonner faux. Peu importe ici, tant mieux presque : c’est probablement parce que le récit d’aventure s’emmanchait sur un carnet de voyage (extérieur et intérieur) qu’il m’a séduite. Je me suis gorgée comme le papier d’aquarelle, de soleil et c’est, au fond, tout ce que je pouvais demander.

Bandes dessinées, octobre 2018


Dans son ombre, de Marie-Anne Mohanna

Il vaut mieux éviter de tirer des traits à la règle dans des dessins à main levée ; cette règle lue je ne sais où m’est revenue en mémoire en ouvrant ce court roman graphique, dont on ne sait au juste s’il est touchant ou maladroit. Il tourne court, et l’on ne saura finalement pas grand-chose de comment l’on se construit lorsqu’on est un enfant illégitime, désiré mais caché par un père qui ne vous voit que dans les interstices de son autre vie, avec une autre femme et un autre enfant qui ne soupçonnent pas votre existence.


L’Immeuble d’en face, tome 2, de Vanyda

Suite de ces Scènes de ménage dessinées. J’ai beau être plus âgée d’une dizaine d’années, c’est à l’étudiante en minijupe et collants rayés que je m’identifie le plus, notamment dans ses phases d’indécisions et d’ajustements émotionnels, à vouloir l’attention-affection de l’autre sans nécessairement avoir l’énergie de s’insérer dans sa vie déjà bien remplie.

(La femme plus âgée qui collectionne les points sur les soupes m’a fait me souvenir soudain qu’enfant, avec ma mère, nous consommions, découpions, scotchions pour le bingo des marques. J’avais oublié cette improbable pratique capitaliste-ludique.)

 


Petit traité d’écologie sauvage, d’Alessandro Pignocchi

Probablement un machin militant déprimant, me suis-je dit en attrapant cet album, que j’ai quand même ajouté à ma cueillette à cause de ses dessins à l’aquarelle et de sa couverture improbable façon Un indien dans la ville. J’ai été saisie de perplexité aux premières historiettes, bien loin de la bonne conscience écologiste à laquelle je m’attendais ; à la limite, la question écologique telle qu’elle se pose aujourd’hui en politique est tournée en ridicule :  pourrait-on vraiment se permettre de rêver à un ministre qui décide d’aller à ses réunions internationales en vélo parce que son chauffeur vient d’écraser un hérisson ? L’hypersensibilité envers la nature est bien trop éloignée de notre monde pour ne pas susciter le rire. Et pourtant…

Je sens qu’il y a anguille sous roche sans parvenir immédiatement à comprendre où et comment. C’est comme de se réveiller en pleine nuit dans un endroit dont on n’est pas familier et, projetant par défaut sa chambre habituel, trouver un mur du côté où l’on descend habituellement du lit. L’ironie, la vraie. Je n’avais pas été si désorientée depuis ma découverte (prudente et parcellaire) de Sade et, avant lui, ma toute première exposition à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert au collège. Il faut le temps de comprendre dans quel sens cela fonctionne, et alors tout se retourne comme un gant, en plein délice et désarroi de pensée.

La postface de l’auteur confirme ce que l’on devine peu à peu : son approche déborde la question écologique, ou plutôt qu’elle la considère d’un point de vue anthropologique ; toutes les saynètes consistent à adopter le point de vue d’une tribu Jivaros dans notre monde moderne occidental. Le résultat est très drôle, parce qu’absurde. Mais l’absurdité brouille les frontières et bientôt, dans l’accumulation des historiettes et la perception de leur cohérence interne, on se demande ce qui est le plus absurde, de ce monde plaqué sur le nôtre ou du nôtre soudain entraperçu de l’extérieur. Le décentrement est drôle, mais aussi dérangeant, et interpelle au final bien davantage qu’une tribune militante.

La postface est également passionnante en ce qu’elle montre que notre concept de nature pose en tant que tel problème : il n’y a de nature que pour un homme moderne qui pense la société indépendamment de son environnement. Je retrouve à un niveau plus global la réflexion que je me faisais sur le paysage : on ne peut pas habiter un paysage ; il n’y a de paysage qu’observé, mis à distance, et toujours il se dérobe. Le paysage est un substrat de cette nature, qui ne s’envisage que depuis la culture, tout contre, en antagonisme. L’enjeu écologique, dans cette perspective, implique carrément de changer de paradigme civilisationnel (autant dire qu’on est mal barré).


Goupil ou face, de Lou Lubie

La dessinatrice-narratrice matérialise sa cyclothymie sous les traits d’un renard : dans les phases d’euphorie, la couleur de son pelage contamine tout (orange power !) ; dans les phases dépressives, l’ombre portée par l’angoisse transforme le renard en loup noir. Cette métaphore, génialement filée, donne au roman graphique sa palette bichrome… procédé dont usait également La Différence invisible pour parler de l’autisme. Mais là où cette bande-dessinée-ci insistait sur l’incommensurabilité de l’expérience (tu ne peux pas comprendre), celle-là au contraire fait feu de tout bois pour nous donner la pleine mesure de la maladie (tu vas voir, on va imaginer), n’hésitant pas à utiliser des graphiques pour montrer l’amplitude des variations d’humeur chez une personne « normale » par rapport à une personne atteinte de ce trouble bipolaire qu’est la cyclothymie.

Diagrammes humoristiques, cases éclatées, métaphores à la pelle… Goupil ou face est d’une inventivité graphique folle, que n’égale que son humour – humour forcené par lequel la narratrice-dessinatrice reprend le contrôle sur sa vie et fuit le statut de victime. Le résultat, c’est que tout en nous donnant des clés de compréhension documentées, Goupil ou face n’a rien de la bande-dessinée didactique qui use du dessin pour enrober un savoir barbant ; au contraire, c’est de bout en bout le récit d’une expérience personnelle, à laquelle on nous donne les moyens de nous identifier. On comprend, dans une fusion totale entre connaissance et empathie, et on rit, beaucoup. Mention spéciale pour le petit Psykokwak au coeur brisé lorsque la narratrice claque la porte à une ribambelle de psychiatres, psychologues et psychanalystes en décrétant qu’elle ne veut plus entendre parler d’aucun psy-quelque chose.

 


Tu pourrais me remercier, de Maria Stoian

Cet album rassemble des témoignages à la première personne de femmes et d’hommes victimes d’agressions sexuelles de tous types. La dessinatrice donne à chacun sa singularité en changeant de trait et de palette, mais l’accumulation dessine un continuum, qui permet de mieux comprendre, peut-être, les réactions aux agressions. C’est une chose de se faire expliquer les mécanismes biologiques qui expliquent souvent la sidération des victimes ; c’en est une autre encore de comprendre comment elle s’articule, par exemple, au sentiment de trahison lorsque l’agresseur est connu. Bref, rien de neuf, rien de gai, mais une bande-dessinée qui aide à se mettre dans la peau de.

 


La Cosmologie du futur, d’Alessandro Pignocchi

Enthousiasmée par Le Petit traité d’écologie sauvage, je me suis jetée sur La Cosmologie du futur… et ai été fort déçu : cela sent le réchauffé ; hormis pour un ou deux dessins, le rire comme le trait est forcé. J’ai d’abord pensé que le plaisir de la découverte s’était émoussé, mais lorsque j’ai fait lire des extraits du premier volume à Palpatine (et de proche en proche, presque l’intégralité), je riais par-dessus son épaule, jusqu’à provoquer l’amusement de la dame en face de nous dans le métro.

La postface m’a plus intéressée que la bande-dessinée elle-même, notamment dans cette hypothèse que la négation du réchauffement climatique aux États-Unis serait un moyen commode de ne pas prendre en charge les inégalités sociales que la dégradation du climat ne va faire qu’accroître. Mais déjà j’entends Palpatine, qui sur un tout autre sujet faisait une objection pertinente : inutile de penser un complot là où la bêtise est une explication suffisante.

 

L’Immeuble d’en face, tome 3, de Vanyda

Un jour Melendili m’a dit qu’elle appréciait Mad men pour ses relations qui n’ont pas de nom. Cela m’a marquée ; j’y ai repensé en pointillés depuis. La dernière fois, c’était à la lecture des Solidarités mystérieuses de Pascal Quignard, où des personnages étaient liés en deçà et par delà les liens socialement identifiables tels qu’époux, amants ou amis. Cette fois-ci, c’est avec le dernier tome de L’Immeuble d’en face.

Sans prévenir son copain, Claire part chercher refuge chez un étudiant étranger (et pour ainsi dire inconnu) rencontré lors d’une soirée. À l’angle des cases muettes, elle recroquevillée sur le canapé, lui perçu en contre-plongée, on sent un doute quant à une attirance éventuelle. Il y a quelque chose entre eux. Et pourtant, s’il ne se passe rien (de sexuel), on sait, on sent que ce n’est pas par respect pour la morale monogame. Cela a quelque chose à voir avec la facilité qu’il y a à se confier à un inconnu, face auquel il n’y a pas d’enjeu de séduction ni même d’image, préalable, que l’on souhaiterait modifier ou au contraire ne pas altérer. Il faut qu’il n’y ait aucun rapport amoureux entre eux pour qu’il y ait autre chose, une intimité souterraine, franche et subite. De cette intimité, de ce genre d’écoute, il est facile de tomber amoureux, et c’est peut-être pour cela qu’on a tant de mal à dissocier l’un de l’autre, intimité et relation amoureuse. Pourtant, il y a une beauté particulière à ces intimités sans nom, parenthèses sociales qui pourront ou non être recouvertes du nom d’amitié, demeurant en deçà au-delà – des possibles qu’il faut se garder d’accomplir pour les conserver comme possibles, et alléger une vie qu’il serait autrement étouffant de vivre comme destin, déjà tracé.

Je veux dire que je pense qu’il arrive parfois qu’il se passe quelque chose de spécial entre deux personnes. Je respecte ça.

J’aime décidément beaucoup l’oeuvre de Vanyda, y compris cette trilogie dont je ne comprenais pas, au début, la préface hyper élogieuse qui en était faite. Il a fallu beaucoup de scènes anodines pour que, sans qu’on s’en aperçoive, surgissent ces relations sans nom au détour d’une écharpe reniflée ou de clés oubliées…

Bandes dessinées, septembre 2018

L’Immeuble d’en face, Vanyda

La première fois que je me suis dit : mais il y a d’autres personnes qui font ça ! au cours d’une lecture, c’était dans un roman de Japrisot à propos des superstitions auxquelles on ne croit pas, mini-contrats passés avec soi-même pour s’accoutumer à l’imprévisible. Depuis, j’adore retrouver ce genre de confidence impromptue, qui doit, pour fonctionner, porter sur un détail que l’on estime vaguement honteux et trop anecdotique pour être rapporté. Je vous présente ainsi Claire, mon alter ego dessiné ; le texte correspond mot pour mot, jusqu’à l’exclamation habituellement tenue par Palpatine :

La fille fait un câlin à son copain torse nu quand soudain " - Putain ! Un bouton ! Trop beau"… Attends… - AIE ! - Il était énoooorme !!"
Dites-moi que vous aussi…

 

Émilie voit quelqu’un, tome 2, Théa Rojzman et Anne Rouquette

Une histoire toujours aussi barrée, interrompue de temps à autres avec des exposés délurés sur quelques concepts-clés de la psychanalyse, comme celui de résistance, illustré par un schéma d’installation électrique.

"Y'avait une promo sur les névroses, deux pour le prix d'une."
Perso, j’ai pris un package TOC.

 

Les Brumes de Sapa, de Lolita Séchan

Petite, j’ai eu des collections, parallèles ou successives : billes, timbres, peluches, petits animaux en verre soufflé, images Panini, photos de danse (j’ai eu presque toutes les images de ballet du web français dans un classeur, à ses débuts)… Depuis quelques temps, l’envie me reprend de collectionner, de manière dématérialisée, des images et des textes, de rassembler le similaire pour jouir de la variation et faire surgir le sens de la répétition. À moins que cela ne soit pour me donner l’illusion de m’y retrouver dans un monde foisonnant, qui se refuse à une taxinomie d’opérette. Il faudrait ouvrir un tumblr par jour pour n’en pas voir le bout, alors je me contente de me dire que cela pourrait faire l’objet d’une collection : les manières de dessiner la mer, les faux gribouillis qui se comprennent d’emblée, les notes de bas de page croustillantes, les motifs des balustrades en fer forgé… En lisant Les Brumes de Sapa, ce sont les surprises des touristes que je me suis dit qu’il faudrait rassembler par pays, d’origine et de visite, pour faire ressortir des idiosyncrasie de chacun ; lorsque la narratrice décrit le bruit de Hanoï et la difficulté pour traverser la route, j’ai vu illustré le récit identique que m’en avait fait Palpatine…

Je vous fais part de mes petites obsessions de lectrice, mais ce roman graphique est bien plus que le carnet de voyage par lequel il commence. Sur la trame éculée du voyage sabbatique à l’autre bout du monde pour tenter de donner un sens à sa vie, Lolita Séchan brode un motif inattendu : rien ne se passe, aucune révélation ;  Lolita ne dépasse pas sa condition de touriste et revient du Vietnam aussi perdue qu’elle est partie. C’est seulement lorsqu’elle repart ailleurs pour ses études qu’apparaît la trace laissée par le voyage : elle est habitée par le souvenir-fantôme de l’enfant avec qui elle a discuté lors des derniers jours à Sapa, dans les montagnes. Cette enfant la suit partout où elle va ; elle décide de se lancer à sa poursuite.

Je n’avais jamais vraiment pensé qu’on pouvait décider une amitié, mais Lolita la décide-dessine comme on dessine sa vie : en repassant à maintes reprises sur un crayonné qui aurait tout aussi bien pu s’effacer. La répétition fait apparaître un motif, donne peu à peu du sens à ce qui était jusque là arbitraire : l’amitié entre Lo Ti Ghom, l’enfant de Sapa, et celle qui s’est vue renommée Lo Ti Tah prend prend réalité, forme et épaisseur au cours de multiples voyages  à Sapa. La vie se tisse dans ces allers et retours, les études, les projets, chacune étant rappelé à son monde par ses incursions (asymétriques) dans celui de l’autre : Lo Ti Tah revoit ses problèmes d’Occidentale à l’aune de ces de Lo Ti Ghom, laquelle vit dans une tradition qui parfois lui pèse mais qu’elle ne pourrait rejeter sans y perdre son identité.

Les réflexions, comme le trait, sont d’une grande finesse, d’une grande sensibilité. Quantité de thèmes y sont abordés, sans jamais empiéter les uns sur les autres : la relation à l’autre, dans la culture et l’intimité ; le poids des traditions et l’insoutenable légèreté de la modernité ; la joie du partage et sa fatigue, ou encore la dépression d’un parent (les brumes de Sapa, ce sont aussi celles-ci), les silences qui l’entourent et les peines, les joies souterraines…

Brumes de montagne,
brumes d’incertitude face à l’avenir,
brumes de tristesse d’entre lesquels apercevoir la joie,
Les Brumes de Sapa est un magnifique roman graphique que j’ajoute sans hésiter à ma bibliothèque imaginaire.

 

[…] de quel droit fige-t-on quelqu'un ?
Ce décalage entre l’évolution d’une personne qui vit loin de soi et l’image toujours retardée, toujours nostalgique que l’on a d’elle est un thème qui m’intrigue depuis mon amitié effilochée avec A. partie vivre en Australie. « J’ai changé » soulignait-elle, sans parvenir à percevoir que, sans être partie à l’autre bout du monde, je n’en avais pas moins changé moi aussi, à ma mesure. Nous avons chacune parlé à une version obsolète de l’autre, jusqu’à, comme des navigateurs dépassés, ne plus être compatibles qu’à moitié, discussions tronquées.

"Plus mes rêves grossissent, moins j'ai de chance d'être heureuse"
Ces derniers temps me reprend l’envie du petit, de la gribouille et de la bidouille comme à la fin du mon adolescence (j’ai d’ailleurs tendance à ressortir du fond de ma garde-robe les vêtements de cette période-là, moins élégants mais plus confortables que les plus récents). C’est petit mais ça peut grandir, au lieu d’être un but, une velléité écrasante – l’envie du petit.

 

                                                                                                                                                                        J’ai parfois l’impression de vouloir des rencontres égoïstes, moins pour découvrir l’autre que pour me réinventer moi-même – comme si l’on partait d’un miroir vierge, qui ne présente pas les petites scories noires des amis de longue date, qui donnent un charme et une patine à nulle autre pareille, mais nous obligent à toujours nous présenter à ces miroirs sous le même angle pour pouvoir nous y refléter. Vous voyez de quoi je parle ?

 

Après une rapide recherche, il s’avère que Lolita Séchan est bien la Lola du chanteur Renaud, qu’elle remercie pour tout ce qu’il lui a transmis de sombre et de lumineux (je trouve ça magnifique comme remerciement, et cela me donne l’impression d’une intimité plus grande encore en me rappelant tous les trajets en voiture avec mon père passés à chanter les chansons de son père à elle). Outre la notice biographique, il y avait une photo d’elle à côté et j’ai été saisie par sa beauté. Pour les femmes qui me lisent : est-ce que vous avez parfois cette surprise, vous aussi, malgré le fond féministe que vous vous souhaitez d’évident, d’être surprise qu’une femme talentueuse soit de surcroît si belle ? Je n’arrive pas à savoir si cette fascination presque douloureuse (mais très ponctuelle, hein) relève d’une vague misogynie intériorisée sous forme de compétition envieuse ou si c’est juste un étonnement statistique de ce que surgit parfois entre nature et culture une personnes aux qualités si disparates et complètes – que l’on aurait mauvaise idée de jalouser, car les brumes… les brumes…