Ciné de janvier 2022

Une des mes résolutions (plaisante) pour l’année 2022 : cesser de faire du mécénat avec ma carte UGC illimité et retourner au cinéma. Surtout que Lille compte 3 salles proches du métro et bien synchronisées entre elles : pas de redondance, plein de films à voir, et de fait, six films vus ce mois-ci (+ 2 en home-ciné).

L’année aura commencé sous le signe de Virginie Effira, que j’apprécie décidément beaucoup. Madeleine Collins, c’est elle. C’est elle aussi qui rattrape Romain Duris, un peu faux, dans En attendant Bojangles : la justesse revient quand son personnage pique la vedette au narrateur-admirateur. Dans Sybil (vu à la TV), sa présence m’a fait oublier que le film ne va  nulle part, s’échouant sur une île peuplée de comédiens (featuring Sandra Hüller, la chouette actrice de Tony Erdman, et feu Gaspard Ulliel, je ne m’en remets pas). Aussi lumineuse dans le rire que dans les larmes, toujours très humaine, la sensibilité intelligente mais pas intello.

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Madeleine Collins : beaucoup plus fin et troublant que ce que l’histoire de double vie laisse supposer. Et qui de mieux que Virginie Effira pour nous faire glisser de la comédie annoncée vers un drame qu’on n’avait pas anticipé, quand bien même sa source nous est montrée dès les premières minutes ?

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En attendant Bojangles : de la nécessité de la fantaisie pour ne pas sombrer dans la dépression. La fantaisie à tout prix, au prix de la folie. Mention spéciale pour l’oiseau exotique tenu en laisse, nommé Mademoiselle Superfétatoire (indispensable, donc).

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The Trial of the Chicago 7 (sur Netflix): regarder ce film pour Eddy Redmayne? Overruled! Le film vaut pour lui-même et ses dialogues sacrément bien écrits (j’ai tapé mon oreiller de jubilation par moments). Face à un simulacre de procès, on voit se dessiner les postures des contestataires, moins conformes qu’on l’imagine à l’image que chacun renvoie au reste du groupe – mais informées par leur background (est-ce moi qui suis davantage sensible à la manière dont notre éducation nous façonne, y compris lorsqu’on lui tourne le dos ?).

Je retiens le quiproquo grammatical final digne de La Marseillaise : « If blood is going to flow, then let it flow all over the city!  » L’absence de précision « our blood » transforme l’appel à médiatiser le martyre en incitation à la violence…

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Annette : je suis contente d’avoir vu ce film au cinéma, mais je ne sais pas si je suis contente de l’avoir vu tout court : clairement, chez moi, j’aurais jeté l’éponge avant la fin. Les longueurs sont d’autant plus rageantes qu’il y a quelque chose, il se passe quelque chose dans ces plans infinis saturés de vert et d’orange. L’histoire est cousue de fil blanc, mais cela n’a aucune importance, car tout est dans le décalage de traitement avec ce que l’on attend, à commencer par l’enfant éponyme qui n’arrive qu’au milieu du film, quand on aimerait bien le voir s’arrêter.

En bref,
le vert va vachement bien avec l’orange, il faudrait que j’y pense plus souvent.
Adam Driver est décidément doué pour jouer les sales types auxquels on ne peut s’empêcher de s’accrocher.
Marion Cottillard ne cessera jamais de mourir, comme héroïne d’opéra ou comme victime de violence conjugale.
Annette-Pinocchio, enfant de bois et d’os, est le truc le plus bizarre et le plus réussi du film.
Quand on a des remininences du Phare devant un autre film, ce n’est pas bon signe.
What did I expect en allant voir un film de Leos Carax, aussi ?

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Belle : j’ai apprécié que l’univers virtuel de Belle soit un lieu où l’on se révèle davantage qu’un lieu où l’on se cache : c’est le web dont j’ai fait l’expérience. Bien plus, la perméabilité entre univers virtuel et IRL permet la métaphore. Mamoru Hosoda pousse la dimension symbolique jusqu’au conte, en mettant Belle sur la quête d’une bête rendue belliqueuse par la souffrance. S’occuper de la souffrance d’autrui distrait probablement de la sienne ; dans la vision du féminin dévoué, elle guérit carrément : si le deuil de l’héroïne était le véritable sujet, j’aurais préféré qu’on s’y attarde depuis la nature marginale dans laquelle elle oublie d’habiter, pourtant si splendidement dessinée. En l’état, cela ressemble à un prétexte pour se gargariser de l’inventivité graphique autorisée par l’univers virtuel…

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Twist à Bamako : au milieu d’un pays fraîchement indépendant qui peine à retrouver ou s’inventer une identité, s’enchâsse l’histoire de Lara, jeune fille mariée de force qui prend la fuite, et de Samba, militant socialiste commodément bien plus féministe que les hommes de son époque. L’histoire d’amour n’est pas un prétexte pour retracer l’histoire d’un pays, pas plus que celle-ci n’est le prétexte de celle-là : l’une n’existe pas sans l’autre, et c’est ce qui fait de Twist à Bamako un très bon-beau film, avec des personnages qui se nuancent les uns les autres.

En revanche, ma sensibilité me rend indéniablement plus attentive à l’histoire des corps, magnifiquement filmés dans le désir – notamment cette scène d’amour vertical, où l’on ne voit rien d’autre que les être qui se cherchent puis les corps nus, enlacés mais immobiles, qui se sont trouvés. Travelling en remontant, des fesses jusqu’aux joues, sillonnées de larmes silencieuses.

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La Place d’une autre : cela fera un bon téléfilm pour qui, comme moi, a un faible pour les histoires de servantes-dames de compagnie. Pour une sortie ciné, c’est un peu léger : une infirmière prend l’identité de la dame de qualité qui meurt sous ses yeux, et se présente comme lectrice chez la vieille dame à qui elle devait tenir compagnie. On s’attend évidemment à ce qu’elle soit démasquée, mais le scénario bifurque de manière inattendue… pour l’époque où se déroule l’histoire ; pour une sensibilité moderne, en revanche, cela va un peu trop de soi et fleure l’anachronisme édifiant : faire primer l’attachement filial sur le respect des classes sociales relève davantage du bon sentiment que de l’originalité. Heureusement, grâce à Lyna Khoudri, c’est du bon sentiment en bonne compagnie.

Home ciné d’été

En juillet

The Two Popes [sur Netflix] : absolument génial ! L’ouverture m’a fascinée par la plongée offerte dans un univers dont j’ignorais tout : en fil directeur, un long fil rouge sur lequel sont enfilés les bulletins de vote des cardinaux, réunis pour élire le nouveau pape : Benoît XVI. Qui démissionne. Deux visions de la place de la religion du monde s’affrontent et s’esquivent en les personnes de Benoît XVI, sur le point d’abdiquer, et du pape François, sur le point de lui succéder. C’est excellent et… très drôle. Il faut le voir pour le croire : la casuistique mêlée à l’humour jésuite donne lieu à d’excellentes punchlines, et la joute des deux hommes se regarde comme un match de football (dont le pape François est présenté comme un grand fan).

Knight and Day [re-visionnage] : tellement mon type de film d’action. D’abord, il y a Tom Cruise – rappelons qu’un bon film d’action comporte soit Bruce Willis (saillies d’autodérision) soit Tom Cruise (comique de situation, malgré lui). Ensuite, il est impossible de vraiment suivre quoi que ce soit : Cameron Diaz, héroïne malgré elle, est régulièrement droguée par Tom Cruz. On se fiche un peu de qui en veut à qui et pourquoi : c’est seulement un prétexte plaisant à sans cesse interrompre l’histoire qui se déroule entre deux rebondissements, qui n’aurait jamais été ainsi développée si elle avait eu tout l’espace pour s’épanouir, sans que ses protagonistes aient été liés à la vie à la mort par pur hasard (lequel fait néanmoins bien les choses comme chacun sait).

Elizabeth : révisions après avoir vu Marie Stuart, reine d’Écosse – autant vous dire que j’oublie tout d’une fois sur l’autre. Ces histoires de prise de pouvoir me sont vraiment trop étranges/étrangères.

Yards : un James Gray tellement de jeunesse que je n’ai pas reconnu la jeune Charlize Theron. Dans le genre gâchis de vie, c’est brillant.

Shaun le mouton : je n’aurais pas pensé, mais c’est excellent.

La Petite Sirène [re-visionnage] : mais d’où vient la légende du Disney cucul ? À chaque fois que j’en revois un, des détails oubliés m’éclatent. Là, c’étaient les manières du crabe Sébastien, chef d’orchestre avant d’être pleutre.

Une merveilleuse histoire du temps : passion pour les histoires de génies (aussi badass que les héros d’un film d’action) x passion pour les mélos x passion pour Eddie Redmayne = l’équation la plus facile à résoudre de tous les temps pour mesurer mon émotion
(Du mal à ne pas chialer, quand même.)

En août

Un homme à la hauteur [à la télé]: Jean Dujardin m’exaspère, mais Virginie Effira pourrait me faire regarder n’importe quoi. Une fois accoutumé à la grossièreté de l’effet par lequel on a rapetissé l’acteur, c’est même plaisant. (Pourquoi ne pas avoir embauché quelqu’un de petit par nature ?)

Five [sur Netflix] : Pierre Niney se retrouve à dealer de l’herbe pour pouvoir payer l’appart promis à ses potes. Rien que pour ce pitch oxymorique, il fallait que je regarde. Je me suis marrée et, ma foi, je n’en demandais pas plus. Sans compter que la présence de François Civil ne gâche rien.

Out of Africa [à la télé], histoire de relever un peu le niveau : j’ai découvert l’histoire de La Ferme africaine à travers la très belle bande-dessinée d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, sans savoir au moment de l’emprunter qu’elle était tirée du roman de Karen Blixen. Je l’ai re-vécue avec Meryl Streep et Robert Redford, partagée entre le dépit de constater qu’on finit toujours pas s’empêtrer dans l’attachement, même lorsqu’on veut l’autre libre (l’aventurier joué par Robert Redford se cabre de sentir les liens qu’il a pourtant lui-même noués), et la consolation qu’offre la complétude de la narration, en transformant les manqués en destin – à contempler dans sa beauté-tristesse.
(Je suis épatée par les rares actrices qui ont su s’imposer comme late-bloomers et donner toute leur mesure bien après l’âge auquel les jeunes premières ont généralement été évincées. De fait Meryl Streep fait toute jeunette dans ce film et, même si son interprétation ne manque pas de poigne, elle ne paraît pas encore tout à fait Meryl Streep.)

Un divan à Tunis

– Tu nous dis qu’on n’aura plus de problème si on vient te voir ?

Pas vraiment. Face au salon de coiffure où elle essaye de récupérer des clientes, la psy fraîchement revenue de France se lance dans un petit laïus pour expliquer comment ça fonctionne. Au milieu, j’entends cette phrase ou cette idée : le fait de raconter ses problèmes les fait changer de statut. Et c’est exactement ce que fait Manèle Labidi Labbé dans cette comédie douce-amère qui n’a pas le rythme d’une comédie traditionnelle, mais qui en est une, par la force des choses et par la force du regard qu’on porte sur elles, surtout : les problèmes, d’être effleurés d’un doux rire, n’en sont déjà plus vraiment. Cela devient la réalité des gens – pleins de vies qu’on devine et qu’il n’y a pas besoin de creuser, parce que c’est la vie, et d’en rire, déjà ça va – mieux, on ne sait pas, mais ça va, on se n’en était pas rendu compte, mais oui, tiens, ça va.

Merci à Manèle Labidi Labbé pour la séance. La relation thérapeuthe-patient est primordiale : j’ai clairement accroché avec Golshifteh Farahani, ses mines assurées, dépitées, ses cheveux qui la font rayonner de liberté.

Lettre à Franco

Une figure d’intellectuel luttant noblement contre le régime de Franco : c’est ce que je m’attendais à voir avec Lettre à Franco. Le pathos, le courage, la dignité, tout ça.

Alejandro Amenábar se montre plus subtil… et ce n’est pas en exposant son personnage à un dilemme qui l’inciterait au compromis pour sauver un être aimé. Même s’il y a de ça. On sent qu’en vieillissant, notre homme n’essaie plus de préserver un futur pour sa descendance, quitte à la mettre momentanément en danger : il veut juste la protéger ici et maintenant, quitte à se compromettre un peu – oh juste un peu. C’est là que Miguel de Unamuno se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

Et c’est là que ça devient intéressant, car son erreur ne relève pas de la naïveté ; au contraire, c’est un vieux sage qui se plante en voulant éviter l’écueil du demi-habile : il faut bien un pouvoir en place, alors celui-ci ou celui-là, tant que la République est maintenue… Autant faire mine de ne pas résister pour ne pas envenimer les choses, et voir venir. Retrouver un semblant de paix. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit : un semblant. Lorsque le vieil homme comprend que la junte militaire ne veut pas seulement l’ordre et le pouvoir, mais une mainmise dictatoriale sur la société, il est trop tard : enlèvements et exécutions sommaires ont déjà eu lieu, pas même pour ce que sont les gens, mais pour ce qu’ils ont été ou sont suspectées d’être (socialistes, franc-maçons…).

La drapeau de la République espagnole et celui du régime franquiste sont étendus devant deux souris. L'autre braque l'autre, appuyée sur une canne, en lui sommant de choisir son linceul.

Lors d’une entrevue avec Franco, le vieil homme essaie de plaider la cause de ses amis (conversation en substance, je n’ai pas une assez bonne mémoire pour citer) :

Franco – Mais qu’est-ce que vous croyez que fait l’autre camp ?
– La même chose. Mais justement, ne devrait-on pas valoir mieux que l’autre camp ?
– Ah, mais nous laissons la possibilité aux hommes de se confesser avant d’être tués. Eux ne le font pas. C’est très différent.

Fin de l’espoir – des bribes du roman de Malraux me sont revenues en mémoire (l’Alcazar, les batailles sur les places en plein soleil….), sans que je me repère immédiatement : la mythologie révolutionnaire-progressiste ne nous a pas habitués à associer des insurgés à une force réactionnaire ; et, en cours d’histoire, le franquisme avait été peu ou proue réduit à des deux-trois dates, l’étude du totalitarisme d’Hitler, de Staline ou, dans une moindre mesure, de Mussolini perçue comme prioritaire sur la dictature plus traditionnelle de Franco. Voilà comment, en étant germanophone, on se retrouve avec une idée très imprécise de l’histoire de nos voisins… Autant dire que voir Lettre à Franco ne m’a pas fait de mal.

Gentlemen gangsters : rois du tweed, rois de la weed

Oui, c’est bien Michelle Dockery que vous voyez attablée à un dîner super posh, à côté d’un Matthew, mais nous ne sommes pas dans Downton Abbey. L’ex-fille de châtelaine est ici femme de gangster et, dans un nouveau genre, elle en jette toujours. Voyez plutôt :

Est-ce suffisant pour aller voir The Gentlemen ? J’aurais tendance à dire que oui, mais comme nous ne sommes pas au bout de nos réjouissances, creusons un peu. Rayon coïncidences et métalepse, on en a une autre de belle : l’inspecteur privé qui déroule le récit pour montrer qu’il a de quoi faire chanter le boss de son interlocuteur, Mickey Pearson, n’est autre que Hugh Grant… ex-Mickey Blue Eyes dans le film du même nom. Son personnage, toujours aussi à la rue, toujours aussi délicieux, s’appelle en outre Fletcher… comme dans Le Come-back (Music and Lyrics en VO). Vous ne me ferez pas croire que tout ceci est le fruit du hasard.

L’intervention de mon loser préféré est d’autant plus agréable que son personnage a l’amabilité de nous servir l’histoire sur un plateau, en décortiquant bien ce qui se passe entre qui et qui. Même que j’ai tout suivi ! Bon, je ne vous ferais pas un résumé, hein, faut pas spoiler de toutes façons, mais ça a marché, j’ai suivi et, l’esprit désencombré de chercher qui avait magouillé quoi, j’ai pu kiffer tranquille. Parce que The Gentlemen, c’est un film de gangster américain délocalisé en Angleterre sur les terres des gentlemen farmers. Avec un humour british de qualitay (cf. Hugh Grant). Et du tweed. Beaucoup de tweed.

Tweed, ça rime avec weed. Ici, on deale avec classe.
Et on boit son whiskey sur un canapé à motif écossais (forcément, quand on s’appelle *Mc*Conaughey)(américain, certes).
Le tweed, c’est la coutume locale, peu importe ton origine. Un motif pied-de-poule est toléré si tu n’as pas pas d’ancêtres écossais ou irlandais. (On devine en revanche que la nouvelle génération est prête à se rebeller à son pardessus uni, ooooooouh.)
Et même si t’es une kaïra (entraînée par Colin Farrell), tu portes un jogging imitation tweed. Parce qu’on a la classe intégrale ou qu’on ne l’a pas.