Hidden Figures

J’ai vu ce film de Theodore Melfi dans l’avion,
mais il mérite une chroniquette ciné.

Ces Hidden Figures, traduites par Les Figures de l’ombre, sont plutôt des inconnues : celles d’équations manipulées par la NASA et… les premières femmes noires à y travailler comme mathématiciennes ou ingénieures sans en avoir le titre (en l’absence d’ordinateur, elles sont considérées comme des machines à calculer – computer).

Femmes et noires : double handicap pour l’Amérique ségrégationniste. On a du mal à imaginer qu’à cette époque, des toilettes non mixtes sont d’abord des toilettes séparées pour les Blancs et les Noirs – ces dernières étant évidemment implantées à l’autre bout du campus, obligeant notre héroïne mathématicienne à courir sur deux kilomètres entre deux cafés.

Fatiguées de devoir se battre pour obtenir ce qu’elles veulent et qu’on leur refuse, nos trois héroïnes se battent néanmoins, comme peuvent alors se battre des femmes noires : en persévérant, au quotidien, endurant les discriminations tant qu’il faut pour parcourir leur bout de chemin. C’est petit, progressif, épuisant : un petit pas pour elles, un pas de géant pour la communauté – comme side effect. Du coup, exit le film ronflant où l’individu s’efface derrière ce qu’il symbolise : l’empowerment l’emporte haut la main sur la bien-pensance. Les figures de génies – mathématiques ou autre – sont décidément aussi badass que les super-héroïnes vengeresses…

Les Veuves

Les veuves de Steve McQueen sont les épouses de malfrats morts lors d’un braquage raté. Ces victimes collatérales ne le restent pas longtemps : l’entourage mafieux a tôt fait de venir leur réclamer les comptes non soldés. Acculées par l’engrenage de la violence et mues par le désir d’en sortir, elles reprennent à leur compte cette violence jusque-là subie, et c’est à un empowerment douloureux mais salutaire que l’on assiste. Le réalisateur parvient ainsi à montrer très intelligemment les ramifications de la violence dans toutes les couches de la société (les veuves appartiennent à des milieux sociaux contrastés), sans nous priver de la jouissance badass du film de braquage – et même, on a le droit à des scènes croquignolesques, comme lorsque la top model du groupe se met à jouer la fille de l’Est désespérée pour obtenir l’aide d’une redneck. La gamine de cette dernière lui tire la manche : Don’t you always say guns are a girl’s best friend?

Mit Palpatine

High Life, la vie perchée

Film de Claire Denis,
vu en novembre avec Palpatine

Des condamnés à mort ont été envoyés dans l’espace pour une mission d’exploration, accompagnés d’une scientifique, en réalité une Médée-prêtresse-du-sexe faite docteur ès fécondation in vitro. D’emblée, le suspens est levé ; il  n’y a plus d’espoir, le sale espoir : un seul homme a survécu aux radiations. Sur fond de flash-back qui ne font finalement qu’épaissir le mystère, on assiste à sa vie-survie dans la station, aux cotés de sa fille, bébé-éprouvette censé permettre à l’équipage d’arriver à destination en passant le relai à la génération suivante.

Le vaisseau spatial manque singulièrement de bibliothèque : il n’y a rien à faire, sinon se faire tuer par le temps, se rappeler les déchirures passées et les cadavres de ses camarades semés dans l’espace lors d’une scène choquante où, la porte ouverte sur l’espace, notre survivant sans combinaison porte le poids  des corps qui retrouvent les lois de la physique et se mettent à flotter-dériver sitôt la porte passée (je commence à avoir vu trop de films dans l’espace, et plains les scientifiques qui doivent être déconcentrés par ces incohérences à tout bout de champ – même si, ok, la symbolique, le fardeau, tout ça…).

Le film, ne pouvant aller nulle part, se termine par une pirouette spatio-temporelle, où père et fille s’échappent de la station spatiale dans un mini-vaisseau qui fonce vers une courbure temporelle hyper lumineuse, éblouissant-omettant l’inceste qui seul permettra de mener la mission à bon port et, surtout, de ne pas laisser la jeune fille mourir seule.

La pléiade de bons acteurs (Robert Pattinson, Juliette Binoche, Claire Tran…) transforme en fascination ce que le film a de déconcertant, mais les scènes cousues ensemble sont trop hétéroclites pour que cette fascination poursuive le spectateur au-delà. Un film-OVNI, quoi.

Le Grand Bain

L’introduction décalée-échevelée énonce l’impossibilité de faire rentrer un élément rond (la vie, les cycles, l’organique) dans un carré (les règles, l’organisation, le boulot-boîte) : aussitôt j’entends Arielle Domsbales tenter de méditer sur sa baignoire. Un cercle est un carré ; un carré est un cercle – iooooooonnnn. Peut-être ne m’étais-pas pas autant marrée devant une comédie française depuis Un Indien dans la ville, tiens.

Dans Le Grand Bain, Gilles Lellouche rassemble une Pléiade brochette de bons acteurs, qui jouent des laissés pour compte pas méchants mais… bien gentils, quoi. Le film débite à toute vitesse les aventures de ces gars particulièrement lents à la comprenette : la concaténation des rythmes entraîne, implacable, le rire. Je m’y laisse d’autant plus facilement aller que la bêtise est jouée, par des lettrés ; dans la vie, elle aurait plutôt tendance à me terrifier. Puis c’est bien fait, c’est humain : le rire qu’on établit d’abord comme un cordon sanitaire entre eux et nous devient peu à peu contagieux ; on commence par rire de pour finir par rire et sourire avec, pris de sympathie pour des personnages qu’on avait d’abord pris de haut. Merci les gars – et Virginie Effira, que j’adore à chaque dois davantage, ici impayable en entraîneuse de natation synchronisée qui lit du Rilke à son équipe de bras cassés pendant les entraînements.

Les Animaux fantastiques : les crimes de Grindelwald

Mes souvenirs du premier volet étaient confus, éclipsés par le niffleur et les pommettes d’Eddie Redmayne (probablement mon fantasme type numéro deux après Gaspard Ulliel). Dans ce deuxième opus, on fonce vers l’intrigue en survols piqués un brin épuisants. Les relations entre les personnages sont presque uniquement développées lors de pauses express entre deux rebondissements épiques – pause, avance rapide, on est en retard sur l’intrigue, il faut tout caser. Pour compenser, il y a du scoop : Dumbledore gay ! Dommage qu’il ait scellé un pacte de sang avec Johnny Depp, qui me court un peu sur le haricot (il fallait probablement une antithèse au combo Eddie Redmayne + Jude Law). Mais globalement, c’est l’éclate, surtout sur les sièges en cuir vibrant du cinéma hong-kongais que Palpatine tenait à juste titre à me faire tester : je m’attendais à un Futuroscope bis, mais les vibrations sont discrètes, assez fortes pour être ressenties sans distraire du film. Petit kiff à chaque attaque à la baguette (et le feu d’artifice <3) : j’ai, littéralement, vibré avec Eddie Redmayne.

Mit Palpatine

Épiphanies bonus :

  •  J’ai enfin trouvé à qui Katherine Waterstones me fait penser : même bouille joufflue-choupie-dépitée que Carey Mulligan !
  • Le méchant est toujours l’Autre, et l’Autre est étranger, au moins de consonance : après un Voldemort en français dans le texte, Grindelwald affiche un patronyme allemand qui permet de filer la métaphore du mage noir nazi.