Cinés de novembre

Papicha, de Mounia Meddour

C’est ce qu’on a pris l’habitude d’identifier comme un autre monde qui surgit au milieu du presque nôtre, l’intégrisme religieux dans l’Algérie des années 1990, où notre héroïne porte des jeans taille haute et un sweat fuschia lorsqu’elle n’est pas en train de faire essayer les robes qu’elle a dessinées dans les toilettes des boîtes de nuit d’Alger – le tout dans un mélange constant (un peu déroutant) d’arabe et de français. Il y a l’incompréhension, la dérision (des paires de seins dessinées sur les affiches prônant le voile intégrale), puis la peur tenue à distance par le déni, l’inconscience qui se confond avec le courage, avec l’envie de vivre sa vie, dans son pays, sans rien fuir sans rien abandonner, ni ses rêves ni ses amies. Force de vie et effronterie, Lyna Khoudri nous en met plein la vue ; on ne veut plus la quitter des yeux.

Mit Palpatine

J’ai perdu mon corps, de Jérémy Clapin

D’un côté, il y a une main, seule, coupée de tout corps, mais vivante, qui s’évade d’on ne sait trop où pour se lancer à la recherche de son corps ; de l’autre, il y a son propriétaire, pourtant pourvu des deux siennes qui, aussi gauches soient-elles, se mettent à la menuiserie pour avoir une chance de croiser la voix avec qui il a passé une soirée solitaire, pendu à l’interphone de la jeune fille à laquelle il devait livrer une pizza (scène aussi improbable que poétique, il faut le voir puis y entendre quelque chose). Entre ces deux fils narratifs, le film d’action fantastique et la romance adolescente, se glissent des souvenirs en noir et blanc de l’enfance du jeune homme et du trauma qui y a mis fin – le tout à hauteur non d’enfant mais de main, donnant une perspective nouvelle sur ce qui est (com)préhensible ou hors de portée.

Forcément, on attend la rencontre de cette main-chose Adams et du jeune homme ; on redoute la catastrophe qui d’abord devra lui faire perdre la sienne ; on se demande comment cette main peut être et n’être pas la sienne, absente et déjà là. Ce qu’elle risque, aussi : est-ce qu’une main peut mourir d’une chute de dix étages ? d’être attaquée par les rats ?

Sur le moment, la fin frustre, laisse un goût d’inachevé qui cependant n’efface pas la force poétique de ce qui précède. A distance de la séance, je devine maintenant que cette absence de clôture est précisément ce qui préserve et donne sa force à cette fable poétique : ce qui est perdu est perdu, en noir et blanc comme dans la neige où demeure la main esseulée, cependant que son propriétaire a sauté dans le vide (ou par-dessus) pour prendre sa vie en main – il n’y a pas d’autre expression, je crois.

Downton Abbey, de Michael Engler

Downton Abbey, le film, laissera sur sa faim qui n’a pas avalé le service en six plats et autant de saisons de le série. Pour les autres, c’est une friandise de Noël. À entendre le bruit de papillote que fait le générique, je frétille déjà de gourmandise ; ces quelques mesures ont sur moi un effet pavlovien. Je me régale ensuite de retrouver toute la galerie de personnage : Mr Carson, que l’on découvre à le retraite en train de jardiner (truly a shock), est promptement réintégré et toute la maison est au complet. Lady Mary a une coupe de cheveux affreuse ; Tom est plus prévisible que jamais dans ses crushs amoureux ; et last but not least, Isobel Crawley a aiguisé sa répartie pour forcer Lady Violet à se surpasser de mauvaise foi et de bons mots. Une friandise de Noël, vous dis-je.

(Dans la doublure de la papillote, une plaisanterie imprimée en filigrane : un cross-over Harry Potter avec le Hoghwarts Express en ouverture et Dolores Umbridge en confidente de la reine.)

(Sinon, mieux vaut tard que jamais, je viens de me rendre compte que c’est Downton Abbey, pas Downtown… Retrouvez-moi rouge de honte à Uptown Abbey pour de nouvelles confessions-révélations fracassantes.)

Les Éblouis, de Sarah Suco

La présence de Camille Cottin (aussi douée dans le drame que la comédie) m’a donné envie d’aller voir ce film, mais c’est par celle de Céleste Brunnquell que j’ai été happée : la jeune actrice porte et emporte le film. Les éblouis, c’est un pas de côté par rapport aux illuminés, un pas de côté discret mais suffisant, nécessaire pour comprendre la disparition d’une famille dans une secte qui ne se dit pas telle, simple communauté religieuse a priori. Disparition d’une famille : coupure implicite avec le reste de la famille ; repli de l’espace public à l’espace communautaire, délimité par des grilles ; mais aussi délitement de la structure familiale, diluée dans un collectif plus large, où le choix du « berger » prime sur celui du parents, qui bientôt abdiquent leurs responsabilités et ne voient plus le problème de laisser l’aînée, encore bien jeune, gérer ses petits frères et sœurs.

La religion est signifiée partout, dans les habits, les coiffes, les croix omniprésentes, mais ce n’est jamais d’elle dont il est question ; ce ne sont jamais les points d’achoppement qu’on attendrait (Darwin, la science, le sexe…). Par exemple, c’est la pratique du cirque de la jeune Camille qui pose problème à la communauté, pas son rapprochement avec un jeune homme plus âgé qu’elle, qu’on accepte sans problème pourvu qu’il passe un pull par-dessus son T-shirt « couleur du diable ». Tout élément extérieur doit être soluble dans la communauté ; l’essentiel est qu’il ne se constitue pas durablement comme altérité. La communauté doit rester le tout de leur vie et pour ce faire préfère phagocyter que rejeter – d’où d’abord, cette impression d’accueil et de bienveillance (le jeune homme est étonné par ce mode de vie qui n’est pas le sien, mais remarque que son père à lui, fascho, n’aurait pas été aussi accueillant envers Camille). Ce n’est que dans un second temps, un temps bien trop long, que le « pas normal » devient sujet d’inquiétude.

Par les dérives qui ne manquent pas d’arriver, on prend conscience de l’emprise de la communauté sur ses membres ; on comprend que la communauté mérite le nom de secte, mais aussi que Camille rejette le mot, incrédule : tout autant qu’elle encaisse puis dénonce la violence qui s’exerce sur eux, les enfants, elle sent le désarroi et le soutien qu’ont trouvé dans la communauté ses parents et notamment sa mère, soulagée d’abdiquer et sa volonté et ses traumas. Ambivalence de l’aide : il faut voir qu’aider autrui, ce n’est jamais faire à sa place, mais lui donner les moyens de s’en sortir – ce qu’aurait fait un professionnel de santé ; la communauté, elle, s’est rendue indispensable, et le soutien, d’étai s’est transformé en étau. Le psy qu’il aurait fallu pour la mère n’est plus à l’autre du jour ; ne reste plus que la brigade de protection des mineurs pour sauver ceux qui peuvent encore l’être.

Ciné d’octobre, 2019

Alice et le maire, de Nicolas Pariser

Ce film résume assez bien ma perplexité face au champ politique, perdu entre le politique (le domaine du vivre-ensemble) et la politique (l’ensemble des actions visant à acquérir et conserver le pouvoir, pour pouvoir mettre en œuvre votre vision du vivre-ensemble… au risque que les moyens deviennent une fin, et le but, un prétexte). C’est justement parce que ça patine dans la semoule que le film est réussi, divertissant sur le moment et déprimant a posteriori par l’impuissance à laquelle il renvoie – les bonnes âmes théoriciennes comme les hommes d’action de bonne volonté.

Le duo formé par Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier est d’autant plus efficace qu’il est improbable. J’ai d’abord regretté que l’actrice soit une fois de plus employée dans le rôle de la perpétuelle étonnée qui débarque – avant de me rendre compte que c’est précisément cette fausse ingénuité qui lui permettait de s’affirmer aux côté de Luchini :

« Fabrice est évidemment un monstre sacré du verbe, il ne jure que par le texte. Alors que moi, pas du tout… C’était le choc des cultures. Il a été déstabilisé au début par ma manière de faire, et puis les choses se sont très bien passées. On m’avait dit : « Attention, il pulvérise ses partenaires », mais en réalité, il est gouverné par l’enthousiasme : si tu partages son envie de jouer, tout se passe dans la confiance et e respect. J’ai pris le parti d’assumer ma manière de faire, parce que j’avais déjà commis l’erreur de m’adapter à la méthode d’acteurs plus chevronnés. En fait, on finir par devenir leur élève… »

(Entretien avec Aaïs Demoustier paru dans l’Illimité d’octobre 2019)

Chambre 212, de Christophe Honoré

Christophe Honoré retrouve dans Chambre 212 le ton des Chansons d’amour, légèreté et gravité mêlées de manière impromptue, imprévisible – et si juste. Le décalage poétique n’est plus favorisé par l’irruption de chansons, mais par celle de personnages venus du passé, qu’ils soient morts, vivants dans l’immeuble d’en face ou oubliés. Extériorisant un théâtre intérieur, ils permettent aux absents d’avoir voix au chapitre, et aux amants au bord de la rupture d’exprimer leurs fatigues sans que cela vire au règlement de compte : quand Maria s’adresse à la version jeune de son mari, c’est lui et ce n’est pas lui ; elle peut déplorer ce qu’il est devenu sans lui reprocher quoi que ce soit, et encaisser le mal qu’elle lui a infligé sans qu’il lui soit retourné en détestation de soi. Lui, de son côté, peut tester une vie parallèle qu’il n’a jamais empruntée, et vérifier si son amour de jeunesse, revenant à l’âge de sa jeunesse, constitue un regret ou n’est qu’un regret de regret commode pour s’évader de la situation présente, de ce que son choix passé est devenu. C’est du boulevard de science-fiction, un mélodrame (dé)joué par la comédie, qui vient secouer le petit monde d’un couple comme une boule à neige pour retarder le moment où la tristesse se déposera à leurs pieds en les enveloppant de partout sans qu’ils puissent se secouer pour s’en défaire.

« Dans le cinéma de Christophe, il y a une petite musique de joie mais le fond est remuant, le sous-texte est noir. »

« Mais j’ai adoré cette légèreté de surface. Sur le plateau, avec Vincent lacoste, on avait deux ans d’âge mental. » – Chiara Mastroianni , interviewée dans l’Illimité d’octobre 2019.

L’interview entière serait à citer ; quelques autres extraits pour le plaisir : « Christophe voulait une femme qui se comporte comme le pire d’un certain archétype masculin, avec tout ce qu’on attribue comme cliché à ce type d’hommes. Maria est multi-conquêtes, consommatrice de partenaires plus jeunes et d’une mauvaise foi telle qu’elle raconte à son mari que son attitude n’a pas d’effet sur leur vie de couple. Jubilatoire à jouer ! L’énergie est différente de quand j’arrive pour jouer une fille qui se suicide ou qui pleure parce que son mec l’a larguée. »

Une pique pour la fin, au sujet de son ancien époux, avec qui elle joue : « On a gardé un lien très fort. On se voit beaucoup, c’est presque fraternel. Je vais vous décevoir mais l’histoire de Maria et Richard est tellement différente de ce qu’on a vécu que c’est presque de la science-fiction ce film. Surtout quand je vois Benjamin vider un lave-linge et étendre une lessive (rires) ! »

Chiara Mastroianni, Vincent Lacoste, Camille Cottin et Benjamin Biolay sont parfaits ; ils m’ont émue, m’ont doucement renversée – elle surtout avec son visage drap-pâte-à-modeler de femme-infidèle-enfant. J’ai vu le film seule, puis j’y suis retournée* (chose que je ne vais presque jamais) avec Palpatine, parce qu’il y a des choses que je ne sais pas dire, et que le film dit si bien, l’amour tout autant construction du passé que du présent, la perspective de la rupture qui n’est pas un procès mais un déchirement, et cette question finale, si parfaite : ça fait combien de temps que tu vis sur la pointe des pieds avec moi ? Parce que la question n’est pas, n’a jamais été : est-ce que tu m’aimes encore ? Elle est de savoir si et si oui comment vivre à nouveau de plain-pied ensemble. J’ai ainsi pu répondre à la question que Palpatine ne me poserait pas : même si l’infidélité n’est pas mon moyen de défoulement, cela fait plusieurs années, deux ou trois, que je vis sur la pointe des pieds avec toi ; pour ça c’est fini, je mets les pieds dans le plat.

*(C’est curieux comme, en revoyant le film, le comportement et les répliques insupportables de Maria m’ont parues moins violentes, presque acceptables au regard d’une tristesse qu’elle ne s’avoue pas ; et son mari, moins pitoyablement usé, lorsque son reflet surgit la première fois dans la glace de la salle de bain. Ayant déjà vécu avec eux la totalité de leur histoire, j’étais pour la seconde fois moins dans le jugement.)

Maleficient: Mistress of Evil, de Joachim Rønning

Maleficent I : est méchant celui ou celle qui a souffert et s’est laissé dépasser par sa colère.

Maleficent II : est méchant celui ou celle sur la souffrance duquel on ne se penche pas.

Peu importe que la reine (Michelle Pfeiffer) ait dans son enfance souffert des privations endurées par son peuple, sans que le royaume voisin ait eu la générosité de son abondance : sous ses airs avenants, elle est froide, calculatrice ; on ne peut plus rien pour elle. C’est la méchante de l’histoire, qui voudrait faire porter le chapeau à Maléfique (Angelina Jolie), méchante toute trouvée avec sa panoplie dark et ses pouvoirs potentiellement dévastateurs – une méchante pas si méchante, s’était pourtant intelligemment appliqué à montrer le premier opus, en revenant à la souffrance et la colère originelles. La souffrance retournée en méchanceté est manifestement moins excusable si elle prend les atours de la rationalité que de l’émotion (signe qu’on en est encore capable, peut-être, la haine étant plus facilement réversible en amour que l’indifférence et sa dureté ?). Ou alors, ce n’est ni le lieu ni le moment : le film dédié à Maléfique ne saurait se pencher sur l’histoire de la nouvelle belle-mère d’Aurore (Elle Fanning) – tiens, tiens, encore une belle-mère…

Dommage en tous cas que Disney renoue avec le manichéisme dont il s’était écarté, sans en assumer la violence : les êtres féériques de la forêt se mettent à fleurir quand ils sont touchés à mort ; ceux des airs manifestent leur pacifisme par une réelle inaptitude à toute stratégie militaire (non mais, éparpillez-vous les gars, là suffit de tirer dans le tas) et tout le monde arrête sur le champ de se trucider dès qu’il s’avère qu’on ne se tape pas dessus pour les raisons qu’on croyait, sans délai ni rancune. Oublié, l’Oradour-sur-Glane écologique (perpétré par une factotum *rousse*, kill me now sur le cliché) : la princesse ne pleure pas ses amis de la forêt ; l’église est végétalisée, voilà tout, et le mariage prêt à être célébré. Mouais. Pas certaine qu’il fallait tourner un second volet, même si c’est un plaisir d’y retrouver Angelina Jolie, hyper stylée avec ses pommettes rehaussées. Bref : un film pop-corn, parfait pour bitcher sur les robes de mariée qui vont de mal en pis. Et si vous voulez encore plus vous marrer, regardez le tutotal d’Arte.

Sorry we missed you, de Ken Loach

Ne vous laissez pas avoir par les auréoles rousses et le soleil d’automne de l’affiche : la scène dont elle est tirée est à peu près la seule respiration du film, très beau mais très dur. Ken Loach filme une famille qui a du mal à joindre les deux bouts et, de décisions peu judicieuses en coups du sort, voit sa vie se transformer en survie. Les dettes, les cernes et les liens se creusent, et on ne sait plus ce qui est le plus violent, de l’exploitation déguisée en auto-entreprenariat ou de sa dénonciation. La fin m’a complètement sonnée : le réalisateur ne tend vers aucune résolution, aucun espoir, pas plus qu’il ne coupe à l’arrivée du pire. L’écran noir arrive in media res : prends-toi ça dans la gueule, on ne s’en sort pas.

Hors normes, d’Eric Toledano et Olivier Nakache

Duo de réalisateurs au top ; duo d’acteurs aussi : Reda Kateb avec sa gueule d’ange froissée et Vincent Cassel, parfait à contre-emploi, la nervosité de l’abonné-aux-rôles-de-méchant évidant le bon sentiment – un saint homme, mais un homme, qui comme son collègue éducateur se démène pour venir en aide aux enfants autistes et à leurs familles lorsque les institutions traditionnelles ont jeté l’éponge. Hors normes, c’est à la fois l’a-normalité de la maladie et l’absence de cadre juridique dans lequel œuvre l’association, à laquelle on vient chercher des noises – pour (heureusement) conclure à l’évidence : il font un boulot de dingue que personne ne veut assumer ; la moindre des choses serait de ne pas les emmerder. Le truc le plus incroyable, là-dedans, c’est qu’on ne cesse jamais de rire sans jamais se moquer – un rire d’humanité, à dézinguer le découragement.

Ciné de septembre, 2019

Les Hirondelles de Kaboul, de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec

Les aquarelles étaient trop belles pour que je n’aille pas voir ce film d’animation. Dommage que le scénario soit téléphoné bien avant la fin, et que les visages ne soient pas assez mobiles, pas assez expressifs, pour troquer le suspens évidé contre la catharsis. Cela reste beau, néanmoins.

Deux moi, de Cédric Klapisch

Le signe que j’ai aimé cette comédie ? J’ai spontanément moins envie d’en dépiauter les ressorts que d’enfiler pour m’en souvenir les perles qui m’ont pliée en deux sur mon siège.

Mais si, c’est dans la rue, là, après le massage thaïlandais tenu par des Chinois, à côté du magasin des téléphones cassés et les Antillais du Mali…

L’histoire d’amour reste un horizon de réussite et les acteurs sont tout beaux tout blancs tout lisses (Ana Girardot & François Civil en digne successeur éberlué en Romain Duris), mais il y a une foule de seconds rôles hauts en couleur (Simon Abkarian en gérant d’épicerie, Eye Haïdara impayable avec sa théorie des hommes-burgers, Camille Cottin en psy-Pythie) et le parallélisme résiste jusqu’à la fin, si bien que la comédie tient en joue son épithète homérique – non, ce n’est pas une comédie romantique. Mais drôle, ça oui, et fin : en même temps qu’elle sert de ressort comique diablement efficace, la stricte juxtaposition des deux protagonistes réaffirme mine de rien que, même si elle prend sens au contact des autres, chaque existence vaut d’abord pour elle-même. Deux moi avant de penser au nous.

Maintenant j’attends le DVD et la scène bonus où les deux tourtereaux débarqueront chez la demoiselle pour la bagatelle, l’atmosphère sensuelle déballonnée par un cri de surprise : « nugget ! »

Ad Astra, de James Gray

Je n’y avais pas pensé avant de lire l’article de Trois couleurs à ce sujet, mais il est vrai que les fils sont assez vampirisés par l’image de leur père dans les deux derniers James Gray. Cette fois-ci, le tréfonds de la jungle est remplacé par les confins de l’univers – autant dire l’origine de toute chose. Plus notre héros avance aux limites de l’espace connu (pour neutraliser un vaisseau explorateur dirigé par son père, disparu depuis des lustres, qui s’est soudain mis à émettre des rayonnements dangereux pour le reste de l’humanité), plus il s’enfonce en lui-même et remonte à la source de sa carrière, son héritage, son existence même. Il devient rapidement clair que les péripéties empruntées au récit d’aventure spatiale sont essentiellement métaphoriques : des barrières psychologiques à affronter pour faire face à la vérité nue et tuer le père (le mythe du héros comme figure tutélaire américaine en prend un coup au passage ; le père ne s’est pas comporté en salaud seulement avec sa famille abandonnée). Ad astra per angusta.

La transsubtantation du mystère en évidence est patiemment accomplie, rendant le périple comme le film aussi nécessaire que vain (le seul mystère qui demeure, c’est qu’il y ait pu en avoir un). Cela travaille sur soi – entre soi ? Pour tout dire, j’ai eu l’impression de refaire le voyage métaphorique-initiatique de Gravity, dans une version intellectualisée qui perd en hommages cinéphiles et en péripéties distanciées le vertige que Gravity m’avait fait éprouver, à suivre au plus près les astronautes en détresse, sans musique ou presque, à nous perdre nous aussi dans une étendue hostile, confrontés à nos pulsions de mort, de vie, à notre solitude infinie

Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma

Le film d’époque est posé par Céline Sciamma comme une expérience de pensée, un cadre abstrait où les tenues datées sont filmées pour avoir lieu ici et maintenant. La pensée met d’ailleurs rapidement le hola à la sensualité, ainsi que le déplore Krotchka, remarquant très justement que le film, qui a tout pour plaire (une histoire de passion lesbienne baignant dans l’art, that’s the pitch, bitch), fait tout pour ne pas se rendre aimable – à l’image du personnage du titre.

Héloïse n’a pas du tout envie de faciliter le portrait qui doit sceller son mariage avec un homme dont elle ne sait rien – exit Abélard. Adèle Haenel fait tout pour la rendre ingrate : pas de gestuelle délicate, des yeux rouges qu’on ne peut pas même dire rougis par les larmes, un parler rogue d’enfant déterminé à perdurer au-delà de sa puberté. Il y a en elle quelque chose d’Adèle Exarchopoulos dans La Vie d’Adèle, une morve métaphorique, un âge qui ne coïncide pas, ni avec celui de l’actrice, ni avec celui qu’on attendrait de son héroïne sortie du couvent pour être mariée (à la place de sa sœur suicidée, certes). Elle serait déjà presque trop vieille avec ses premières rides sur le front, effrontément enfant pourtant. Pendant une bonne partie du film, je n’ai cessé de l’intervertir en pensée avec sa partenaire, plus frêle, plus lisse, trop jeune semble-t-il pour fumer la pipe, pour que fumer la pipe ne soit pas une posture destinée à affirmer son expérience, elle qui paraît si inexpérimentée, et qui pourtant a déjà de la bouteille, une pratique qui relève moins du don que du métier.

Entre ces deux personnages, on cherchera en vain la passion enflammée et destructrice que nous suggère le titre, celle qui consumerait la fleur avant son épanouissement. Le feu n’est pas intérieur ; on ne lui sent pas une violence qui viendrait d’être réprimé, son expression limitée aux détours et glacis de la littérature du XVIIe siècle. Le feu est sur le bûcher d’une fête populaire, dans l’âtre de la cheminée, sur la pupille où il se reflète – non pas regard mais visage amoureux, qui se défait sous le regard qui le scrute, se défait de ses défiances, de son moi carapacé et, sondé, se livre pour n’avoir pas à être dévoilé. Littéralement, Héloïse est la jeune fille en feu ; c’est elle que Marianne peint ainsi, sur une lande, en souvenir du soir où sa robe a pris feu. C’est pourtant Marianne qui brûle, ce sont ses pupilles noires qu’on peut dire fiévreuses, et c’est celle qui surprend par une beauté qu’on n’avait pas soupçonnée, occupé que l’on était à scruter avec elle Héloïse. Ses cheveux, son visage défaits dans l’amour la font radieuse (combien sont tombées là amoureuses de Noémie Merlant ?) ; c’est son reflet qui donne à son sujet, son objet, son titre romanesque.

Sujet, objet… Il y a là un drôle de renversement : tant que Marianne regarde Héloïse pour la peindre, celle-ci demeure son sujet ; lorsque l’amour entre elles est déclaré, comme on déclare une guerre, Héloïse devient l’objet de son amour. J’ai été saisie par l’étrangeté, la justesse de cette remarque d’Héloïse reprochant à son Marianne, désormais son amante, de ne plus être de son côté. La peintre qui lui faisait face communiait avec son modèle ; à ses côtés, la distance ne saurait plus être mise sur le compte de la position, physico-spatiale, sociale… L’enjeu du nous est venu perturber le toi à moi.

Ce sont des évidences de cet ordre-là que la sensualité tenue en joue permet d’énoncer. Porté par des voix sans affectation, le verbe se fait précieux – dans tous les sens du terme : riche et irritant, irritant mais riche ; on n’aura pas l’un sans l’autre, alors autant accueillir cette richesse ostensible, cette rudesse, autant aimer ce film mal aimable, pour lequel la cinéaste a fait, comme Orphée se retournant vers Eurydice, un choix de poète, et non d’amoureux. Jamais je n’avais pensé à cette interprétation du mythe, et j’ai là encore été frappée de sa justesse – cela fait beaucoup plus sens, soudain, et beaucoup plus de souvenirs, aussi, d’images qui s’attardent et fascinent dans le feu qui les détruit.

Ciné d’août, 2019

Parasite, de Bong Joon-ho

Dix petits nègres coréen et bouffon, Parasite passe de la farce potache à l’escroquerie au jeu de massacre dans une parfaite continuité, un monde sans couture aussi lisse que la maison d’architecte dans laquelle se déroule ce quasi huis-clos. Je craignais d’avoir peur ; j’ai plutôt ri (même si je me suis recroquevillée une ou deux fois sur mon siège pour faire bonne mesure et ne pas attraper la manche d’Ethylist).

Avant la séance, essayant de trouver dans la salle vide deux sièges contigus qui ne grincent pas : « Mais c’est toi qui les fais couiner. »

Les Faussaires de Manhattan (Can you ever forget me?), de Marielle Heller

La faussaire, c’est Lee Isreal, auteure (réelle) mal en point qui se met à enrichir la correspondance de romanciers célèbres de lettres de son cru : les bibliophiles n’y voient que du feu ; elle peut à nouveau payer son loyer de sa plume, aux dépends assez délectables d’une communauté qui ne l’a jamais vraiment lue. Alcoolique et mal-aimable, notre anti-héroïne a pour seul ami un dandy vieux fou vieille folle, lui aussi alcoolique : un parfait acolyte. Leur tandem est parfait, tout comme le film, un bon petit kiff qui mine de rien fait beaucoup de bien à se concentrer avec moult rides sur autre chose que la séduction, le pouvoir, la gloire ou la beauté.

So long, my son, de Wang Xiaoshuai

La bande-annonce avait quelque chose des Éternels : rien d’autre qu’une fresque chinoise, en réalité, mais cela a suffi pour implanter en moi un a priori positif. Puis j’ai lu chez Palpatine que c’était fort réussi « pour ceux qui aiment prendre le temps des sentiments », alors je suis allée m’enfermer trois heures juste avant de partir pour rejoindre ma grand-mère dans ses premiers jours de veuvage. Ce sont moins les sentiments qui infusent que les non-dits, mais il y a de ça, de ces solidarités mystérieuses, évidences rentrées et persévérances au long cours qui nimbent de beauté ceux qui les endurent. On pourrait jeter tout un tas de mots à la tête du film, résilience, identité, trahison, pardon, amour, culpabilité, absence et deuil qu’on n’en aurait rien dit – même si cela réactivera probablement des émotions diffuses chez ceux qui ont pris le temps de le vivre dans une salle.

Trois heures, c’est à la fois très long et très court pour narrer trois décennies et deux familles, intriquées depuis la naissance simultanée de leurs fils. Je ne suis pas bien sûre duquel meurt au début du film, ou plutôt, je vois bien quel enfant mais je ne suis plus sûre de quelle famille, et le film n’aide pas : les scènes se succèdent sans que les retours en arrière ou les ellipses temporelles soient signalés comme tels. Le scénario joue en outre de la confusion sur l’identité de l’enfant devenu grand : est-ce le même qu’on a vu enfant – auquel cas c’est l’autre famille qui a vécu le deuil, et celle-ci ne souffre pas de l’absence mais de culpabilité ? Ou est-ce un enfant adopté, voire l’autre enfant échangé ? « Ce n’est pas notre Xingxings » : les parents ne reconnaissent-ils plus l’enfant qu’ils ont éduqué ou n’est-ce vraiment pas leur enfant biologique ? J’aurais aimé appuyer sur pause et rembobiner jusqu’à la scène qui aurait dissipé une partie de mes interrogations : revoir quel couple, à l’hôpital, s’évanouissait flou à l’arrière-plan sur la mort de leur enfant ; quel couple, au premier plan, s’arrêtait à distance du chagrin de leurs voisins. Évidemment, c’était impossible : j’ai bien mis la moitié du film (soit une heure et demie, tout de même) avant d’arrêter mon interprétation, définitivement confirmée dans le dernier tiers. La lenteur des plans, soudain vidés des mille hypothèses contradictoires testées à toute allure en essayant de ne louper aucun nouvel élément (et en revoyant tout à chaque instant à la lumière de celui-ci), la lenteur s’est alors mise à surgir comme telle, et il m’a fallu un temps de réadaptation : poursuivre était-il vraiment nécessaire ? On se rend compte à la fin que ça l’était : il fallait boucler la boucle, revenir à l’origine des cheveux blancs, pour que le destin se referme et que la vie se rouvre aux possibles, à une continuité qui ne soit plus simplement endurance. Sourire enfin : « après tout, on a encore peur de mourir ». Encore quelque chose à vivre.

Je promets d’être sage, de Ronan Le Page

Après les faussaires de Manhattan, voici les faussaires du musée de Dijon. Le drame l’a entièrement cédé à la comédie, et l’on s’amuse ce qu’il faut en compagnie de Léa Drucker (j’aime beaucoup la palette expressive de son visage) et Pio Marmaï (abonné à la même partition que Hugh Grant, dont il constituerait un équivalent latin : le mec perpétuellement étonné qui s’en prend conséquemment plein la tronche ; loose ou bonheur incongru, tout lui tombe toujours dessus, et ça patauge, pour notre plus grand plaisir)(ou presque, mon plus grand plaisir restant attaché au charme britannique).

Après les faussaires de Manhattan, voici les faussaires du musée de Dijon. Le drame l’a entièrement cédé à la comédie, et l’on s’amuse ce qu’il faut en compagnie de Léa Drucker (j’aime beaucoup la palette expressive de son visage) et Pio Marmaï (abonné à la même partition que Hugh Grant, dont il constituerait un équivalent latin : le mec perpétuellement étonné qui s’en prend conséquemment plein la tronche ; loose ou bonheur incongru, tout lui tombe toujours dessus, et ça patauge, pour notre plus grand plaisir)(ou presque, mon plus grand plaisir restant attaché au charme britannique).

La Vie scolaire, de Grand Corps malade et Mehdi Idir

Oh la blessure… s’exclament élèves comme profs lorsqu’une remarque atteint de plein fouet l’un de leur pair – manifestement l’équivalent de « cassé » pour la génération post-Brice de Nice : le parler jeune vieillit vite. Grand Corps Malade et Medhi Idir sont manifestement sans âge : ça vanne jeune et juste, sans que ça se veuille jeune et que ça fasse vieux ; mieux encore : la vanne vaut répartie. Le mélange des niveaux de langue est formel, le monde des adultes se reflète dans celui des ados dont ils ont la charge ; tout le monde en prend pour son grade – à un rythme tel qu’on n’a plus le temps de compter les doigts de nez ou d’honneur au politiquement correct. Le casting dépote, à la mesure des répliques. Après Les Patients, La Vie scolaire confirme le tandem Grand Corps Malade et Medhi Idir comme excellents réalisateurs de comédies sarcastiques, option vanne-slam.

Mention spéciale pour le générique, qui fait défiler les noms en chair et en os, en vignettes animées façon photos de classe : on retrouve les acteurs, évidemment, mais aussi les équipes techniques, des électriciens aux post-productrices (avec leur banderole « On verra ça en post-prod » parce qu’il n’est jamais trop tard pour vanner).

Ciné de juillet, 2019

Nouveau format de chroniquette ciné en test, en espérant que ce soit moins chronophage mais quand même sympa à lire. Dites-moi ce que vous en pensez. 🙂

The White Crow

C’est parti pour un Tutotal balletomane :

  • + 10 points pour avoir réalisé un film sur Noureev, quel qu’il soit.
  • + 10 points pour avoir embauché Oleg Ivenko, un vrai danseur qui, de surcroît, a la façon de danser un peu bourrine qu’on peut voir les vidéos de Noureev.
  • ni plus ni moins 0 point pour avoir inclus Sergueï Polunin, que je n’ai même pas reconnu (à l’annonce de sa participation, je pensais qu’il aurait le rôle-titre, mais le réalisateur n’est pas fou, il a parié sur un cheval moins instable).
  • + 5 points pour les parrallèles entre des moments de la vie du danseur et des œuvres d’art, celles-ci faisant loupe pour appréhender ceux-là.
  • – 7 points pour ne pas avoir filmé les corps dansant de la même manière, avec autant de force et de sensibilité.
  • + 5 points pour le gamin casté comme version miniature de Rudolph : même muet, il crève l’écran de son incroyable regard.
  • – 8 points pour le manque de fougue. La scène de la défection montre clairement le parti pris de la reconstitution sur celui de la légende (point de « I chose liberty ») ; il n’empêche : Noureev en jeune premier caractériel, mais encore timoré, ça fait tout drôle. Et Tutotal a raison : c’est zarb, à la longue, l’intensité émotionnelle qui passe principalement par les narines gonflées (une fois que vous l’avez remarqué, vous ne pouvez plus ne pas le voir).
  • – 10 points pour le manque de rythme : c’est LE gros défaut du film. Peut-être aurait-il fallu élargir le spectre temporel et brosser à plus grands traits.
  • + 10 points pour Raphaël Personnaz dans le rôle de Pierre Lacotte qui n’a jamais été aussi sexy OMG. J’ai été en pleine dissonance cognitive à chacune de ses apparitions.

Ce qui nous fait un total de 15 points. Ah oui, j’ai oublié le regard inénarablement triste de Ralph Fiennes lui-même en professeur de danse, mais j’ai la flemme de revoir mon barème.

La Femme de mon frère

– Pourquoi tout le monde demande à tout le monde s’ils veulent des enfants ? Comme si on était en pénurie d’êtres humains.

Je pensais aller voir une comédie, canadienne-déjantée-indé sûrement, mais une comédie. Or le rythme est formel : ce n’en est pas une. Qu’est-ce au juste alors ? Probablement un mélodrame, mais qui se traîne des airs de comédie ratée pendant un bon moment – jusqu’à ce que la comédie ratée devienne une manière plutôt réussie de traduire l’ornière d’auto-détestation dans laquelle est tombée notre anti-héroïne, thésarde sans boulot dans une relation fusionnelle avec son frère, qui l’abandonne en tombant amoureux. On nage en plein akward, et Sophia n’est pas Bridget Jones : ce n’est pas une femme banale et sympa à la maladresse drôle ou attendrissante, à laquelle on s’identifie volontiers, mais une fille brillante et exécrable, l’incarnation de l’anti-grâce, dans son comportement envers les autres, sur qui elle reporte son mal-être, comme dans les traits de son visage perpétuellement défait. Le film a beau sonner juste, et beau sur la fin*, il n’en reste pas moins ingrat pour le spectateur, qui ne sait pas trop quoi faire des blagues nulles entre frangins et a du mal à encaisser le rythme de montage hyper saccadé redoublant les engueulades familiales. Bref, le spectateur est comme la femme de son frère : l’invité qui ne sait pas trop où se mettre.

*Quelques jours plus tard, j’ai eu envie de me rendre au parc de Vincennes et c’est en voyant les barques en arrivant que j’ai compris ce qui m’avait attirée inconsciemment.

Yesterday

– Miracles happen.
– Like what?
– Like Benedict Cumberbatch becoming a sex-symbol.

Cette réplique prouve que Yesterday était pour moi, même si je connais au final mal les chansons de Beatles. Peu importe, il y a les yeux éberlués de Himesh Patel, les expressions chewing-humées en sourire de Lily James (il a fallu attendre le générique pour que je retrouve où je l’avais déjà vu : dans Downtown Abbey !), dans un scénario ce qu’il faut de farfelu, bien manigancé : un parfait feel-good movie, où tout le monde retombe sur ses pieds (« I always knew I was second ; this is not a bad place to be » – mon petit cœur a fondu de sympathie). Puis, mine de rien, ça rappelle que, même si on a tendance à confondre les deux termes, la réussite d’une vie ne se mesure pas nécessairement à son succès (et ne se limite pas non plus à une relation amoureuse).

Yuli

C’est le mois des biopic de danseurs ! Après l’histoire de Rudolph Noureev, voilà celle de Carlos Accosta : je savais que la star cubaine du Royal Ballet venait des quartiers pauvres ; ce que je ne savais pas, en revanche, c’est qu’il n’avait, enfant, aucune envie de faire de la danse. Genre aucune : le môme se fait la malle dès qu’il peut, et c’est le père qui vient le raccrocher à la barre – non sans quelques menaces et violences au passage. Pour ce père peut-être plus soucieux plus qu’aimant, la danse représente pour son fils surdoué une porte de sortie inespérée. Pour le fils, c’est « un truc de pédé » qui le coupe de ses copains puis de sa famille, un exil que ceux qui l’envient ne comprennent pas comme tel : quand tous veulent fuir Cuba, Yuli est le seul à vouloir y revenir.

Prenant le contrepied des destins dansés, Yuli est le film de l’anti-vocation. C’est à peine l’histoire de Carlos le danseur : davantage celle de l’artiste qui s’est construit sur un déchirement, et a eu la force de ne pas nourrir de rancœur à l’encontre d’un art qui l’a déraciné – mieux : qui a fini par l’embrasser pour mieux se retrouver.

Wild Rose

I wanted you to takes your responsabilities. I never meant to take away your hope.

La magie du cinéma, c’est de réussir, en te racontant une histoire, à te faire apprécier une musique qu’a priori tu détestais. De la country, je n’entendais que l’harmonica et les bottes de western ; pour Rose-Lynn, c’est three chords and the truth, et je me suis laissée emporter par le visage et la voix de son actrice (non sans avoir copieusement recours aux sous-titres, parce que l’anglais des classes populaires avec l’accent de Glasgow, comment dire). J’ai été touchée par cette jeune femme qui se débat pour donner une forme à sa vie au détriment de ses deux enfants, qu’elle a eu trop tôt et qui, sans père, ne peuvent compter que sur leur grand-mère pour un minimum d’affection et d’organisation. Une fois n’est pas coutume, je n’ai pas pris spontanément partie pour les enfants lésés, je ne suis pas intérieurement scandalisée de ce que leur mère leur fait subir : certes, Rose-Lynn a quelque chose de la midinette irresponsable qui cherche la gloire en délaissant ses enfants, mais c’est aussi une femme qui cherche à exister sans se laisser définir par son passé ni s’effacer devant son futur, des enfants auxquels elle passerait le relai d’une vie non vécue. Malgré ses manquements impardonnables, ses promesses non tenues, ses manières de charretier et sa vulgarité, qui font de Rose-Lynn la Tonya Harding de la country, on sent que la seule la musique la fait vivre (cette scène où elle remonte sur scène pour la première fois depuis sa sortie de prison…). L’en priver, c’est l’éteindre, en témoigne cette fête d’anniversaire où son fils lui demande quel vœu elle a fait en soufflant ses bougies : avec un sourire résigné à fendre le cœur d’une pierre, elle avoue n’en avoir fait aucun et le lui cède ; elle n’en a plus l’usage. Pendant la majeure partie du film, on pense sincèrement que c’est elle ou les enfants, que tous n’auront pas leur chance – jusqu’à ce que la grand-mère, rassurée que sa fille assume enfin son rôle de mère en redevienne une, elle aussi, et c’est là, cette phrase : I wanted you to takes your responsabilities. I never meant to take away your hope.

Werk ohne Autor

Ich mache es, weil ich es kann.
(« Je le fais parce que je peux le faire. »)

Alles, was wahr ist, ist schön.
(« Tout ce qui est vrai est beau. »)

Chroniquette pas -ette ici.

(C’est entièrement râpé pour le nouveau format express des chroniquettes ; je ne suis pas prête de me faire embaucher par Illimité pour les entrefilets.)