Quelques jours de mai 2022

1er mai

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2 mai

La pièce classique que nous devions faire n’a pu avoir lieu pour des raisons (de manque) d’organisation et de budget ; nous avons été de facto mis avec les contemporains. Quand la chorégraphe nous a remontré la vidéo déjà visionnée une première fois avec ennui, j’étais en plein down hormonal,  j’avais le dos qui menaçait de se bloquer suite au travail au sol de la veille, et passer une vingtaine d’heures à apprendre et travailler ces mouvements, semble-t-il faits de comptes plus que d’énergie, m’a semblé au-delà de mes forces. Sur cinq danseuses classiques, nous sommes trois à être allées demander à ne pas participer au projet ; la direction a compris notre déception de ne pas travailler notre discipline, s’est excusée pour le cafouillage, mais a aussitôt retourné la situation en nous culpabilisant. Quelle conception de la danse classique pouvions-nous bien avoir… On n’allait pas l’enseigner comme il y a cinquante ans, tout de même… Préférer ne rien faire plutôt que de monter sur scène, elle s’interroge… Cela m’a fait douter, énormément douter, de ma décision de ne pas participer au spectacle, bien sûr, mais surtout de ma présence dans la formation, de ce que je foutais, là.

Alors que mes deux camarades ont été soulagées d’obtenir gain de cause, j’ai passé plusieurs jours dans un état lamentable, me remettant à tout instant à pleurer sans comprendre pourquoi, avec l’impression d’avoir fait une erreur  monumentale, d’avoir manqué de respect à un tas de personne, de m’être mis à dos la direction… Je crois avoir atteint à ce moment le point de dissonance ultime entre mes réflexes de bonne élève docile et ma réserve d’adulte critique. Devant mon état, Mum, qui passait le week-end chez moi, est restée quelques jours de plus en télétravail ; j’ai dû redevenir une enfant pour me souvenir être adulte.

J’ai aussi pris conscience de l’urgence de changer de pilule ; les phases dépressives ne sont pas possibles, même quelques jours par mois – il suffit qu’il y ait une décision à (ne pas) prendre ces jours-ci pour que ça vrille.

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3, 5, 6, 9, 10 mai

Le calme, à trois dans le studio. N. lance une musique et chacune invente pour soi son exercice à la volée. On dégouline comme rarement. Ensuite, on chorégraphie, et ça prend forme, petit à petit. On remet même les pointes, ce qu’on n’avait pas fait depuis septembre.

Chacune propose une partie, l’apprend aux autres ; on effectue quelques modifications pour simplifier et harmoniser l’ensemble, mais personne ne remet en question les trouvailles des autres ; travail de groupe efficace et agréable comme rarement.

Je rase les murs dans les couloirs et j’ai l’impression d’être une outlaw réac à la pause déj, mais je me sens bien dans le studio, dans mon corps qui retrouve au quotidien une gestuelle qui le maintient et l’épanouit, malgré la chaleur.

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7, 8 mai

Même si elles ont lieu tous les quinze jours, maximum trois semaines, les retrouvailles sont toujours intenses – et les départs difficiles. Pourtant, je ne serais pas certaine de vouloir troquer cette attention brûlante contre une présence forcément plus distraite d’être continue.

Le boyfriend me montre l’épisode Be Right Back de Black Mirror, et je me retrouve cramponnée à lui comme si j’allais le perdre ; je suis trop petite pour regarder Black Mirror toute seule. Le recours à un droïde, programmé pour être conforme à l’être aimé et perdu, matérialise la perte avec plus de violence que toute représentation du vide. On assiste à une prolongation inhumaine du deuil, rendu impossible par cette résurrection de synthèse.

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10 mai

J’essaye de me faire toute petite dans la rangée des places réservées par la formation, pour le spectacle litigieux. La pièce est moins éprouvante en live qu’en vidéo, même plaisante quand il s’agit de voir comment mes camarades se la sont appropriée. Je me demande encore si mon refus n’était pas exagéré, mais je n’éprouve aucun regret à ne pas être en scène, et cette tiédeur, au lieu de m’inquiéter, me rassure : je constate avoir bel et bien fini le deuil de mon rêve d’interprète ; je ne serai pas un professeur jaloux de ses élèves.

S’ensuit une pièce proposée par les élèves de l’école (dont certaines sont à la fac avec nous), et je retrouve la danse contemporaine que j’aime, avec des danseurs pris dans l’ivresse du mouvement. J’ai même un petit moment d’émotion lorsque les danseurs se sautent dessus et s’accrochent à leur partenaire, comme mus par un désir impérieux (je me rends alors compte qu’il n’y a à peu près aucun contact physique entre les danseurs dans la première pièce).

Parce que le cafouillage d’organisation n’a pas été assumé, on en est arrivé – ce qui n’aurait jamais dû arriver – à se poser la question de la participation au spectacle sous l’angle du goût.

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11 mai

Premier cours de « progression technique » de l’année, aka le cours où on apprend à donner cours, à construire les traditionnels exercices de la barre et du milieu en fonction d’un objectif à définir, et à « passer commande » de la musique au pianiste, aka le moment où l’on découvre que l’exercice soigneusement préparé et répété à la maison ne tombe pas du tout juste. C’est assez fou que cela n’arrive qu’en fin de première année, et c’est un soulagement : le voilà enfin, cet espace pour développer le savoir-faire du métier auquel on se forme, au-delà de la seule acquisition d’un savoir, sans avoir à craindre encore le faire (n’importe quoi) dans le grand bain.

Soulagement aussi d’avoir comme nouvelle directrice cette formatrice qui s’adresse à nous comme à de futurs collègues, même si nous avons encore  tout à apprendre, et non comme à des élèves qui voudraient jouer au prof. La direction précédente, plus paternaliste, déplorait que nous ne montrions pas la responsabilité qu’elle nous incitait à prendre… tout en la découragent par des manières infantilisantes. La position d’étudiant futur professeur n’est décidément pas facile à déterminer dans un monde où le danseur reste élève toute sa vie.

Premier printemps dans mon nouveau chez-moi : je découvre les espèces et le calendrier de floraison du jardin sur lequel je donne.

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14 mai

Faire visiter la ville à quelqu’un et la découvrir à cette occasion. Déjeuner à l’ombre des immeubles ; promenade à l’ombre des arbres. Le Vieux-Lille est minéral, toute la verdure concentrée en lisière, dans le parc de la citadelle. C. et moi en faisons le tour sans la voir, que ses murs et la forêt, une étoile en pleine ville.

Première glace lilloise à l’italienne, en heure creuse, plusieurs tours de cadran avant le goûter, et c’est un glacier validé par sa pistache.

On rentre on sort des boutiques, j’ai perdu cette habitude, n’ai envie d’aucune babiole, que j’anticipe poussiéreuse. C’est bobo, je répète ça à tout va. C’est ci ou ça par rapport à Paris, aussi. Les référents ont la vie dure. Le Vieux-Lille est le Marais, on a trouvé la bonne comparaison pour la densité de population.

Croquettes de crevettes samedi, Welsh dimanche.
Parc de la citadelle samedi, parc Barbieux dimanche.
Ceux qui sont du coin auront résumé : Lille samedi, Roubaix dimanche.

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15 mai

À force de s’interroger pendant ses randonnées, C. commence à avoir quelques notions de botanique. Elle reconnaît plusieurs espèces lors de notre promenade au parc Barbieux, et nous cherchons ensemble le nom d’autres auxquelles je n’avais pas spécialement prêté attention et qui soudain nous intriguent. Une pancarte suspendue en collier au tronc d’un arbre devance nos questionnements et nous introduit à ce hêtre commun à marges roses, tandis que Google Lens confirme myosotis et pensées, précisant leur teneur. C’est étonnant comme nommer élargit le réel. Le redonne à voir : voilà que ce hêtre pourpre pleureur n’est plus rachitique, mais nativement dépressif, probable admirateur des saules locaux, dont il ne saurait toutefois égaler la splendeur.

Le parc Barbieux plaît à mon amie, et cela me réjouit plus que de raison, c’est-à-dire vraiment. D’avoir pu partager mon parc.

Après avoir déposé-abandonné C. au musée de la Piscine, j’assiste au spectacle de fin d’année de l’école des ballets du Nord. Je suis venue un peu pour faire acte de présence, un peu par curiosité, plus ou moins prête ou résignée à devoir le regarder comme future prof de danse, et non comme spectatrice. Dès le premier tableau, pourtant, je suis soufflée par la présence d’une élève avec qui j’ai été en cours, et que j’estimais très solide, sans lui imaginer une telle envergure artistique. Me voilà remise à ma place de spectatrice.

Probablement ai-je encore des réflexes de jugement à désactiver pour devenir une bonne prof. Probablement aussi mes a priori sont-ils moins ancrés que je l’aurais cru : à plusieurs reprises, le regard de la future prof se confond avec celui de la spectatrice – avec les grandes, techniquement avancées, mais pas seulement. Je me surprends par exemple à apprécier ce tableau où le bruit des machines à tisser transforme les gestes raides des petits en gestes mécaniques relevant d’une véritable proposition artistique. Si la chorégraphie du professeur est assez inventive pour gommer les maladresses des élèves, ceux-ci, montrés à leur avantage, proposent un spectacle qui ne s’adresse pas uniquement au public tout acquis des parents. À la limite, il n’y a pas de mauvais enfants-danseurs, il n’y a que de mauvais professeurs-chorégraphes (no pressure).

Bonne nouvelle, donc : la schizophrénie entre mon moi perplexe-méprisant et mon moi enthousiaste-encourageant n’est pas incurable. J’entrevois néanmoins pourquoi nombre de professeurs de danse sont des spectateurs de ballet très occasionnels : il est difficile d’ajuster ses attentes si l’on alterne rapidement de l’un à l’autre. Le revers du ballet gracieux, c’est un apprentissage fort ingrat, et on ne saurait tenir indéfiniment ce grand écart.

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17 mai

Suivre un cours sur la communication non verbale face à un miroir, c’est tout un concept. Je nous aperçois toutes bras croisés, renfrognées sur nos sièges, N. les sourcils froncés de défiance – bullshit incoming. Mais j’ai beau soigner ma posture et essayer de me composer une mine attentive, je surprends régulièrement mon reflet qui rechigne. Le corps ne ment pas : je m’ennuie.

L’intervenante rappelle des généralités sur l’espace en danse : l’espace de son propre corps, et celui du studio ; le haut : le ciel, aérien, léger ; le bas : le poids, la terre, la mort… La mort ressort de ce flot de banalités que je m’apprêtais à balayer d’un revers de la main, me retient : et si ma difficulté à travailler au sol en contemporain avait symboliquement à voir avec ça ? Les os qui bleuissent la peau quand ils sont écrasés de manière répétés contre le sol, les muscles qui refusent de se relâcher s’il faut encore bouger… toujours cette histoire de lâcher-prise, d’abandon, devant laquelle le professeur de contemporain ne cesse de me replacer. Lorsqu’il imite ma manière de faire, en grossissant le trait pour appuyer son propos, on croirait à une crise d’épilepsie, contraction nerveuse sur contraction nerveuse.

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18 mai

Il fait tellement chaud dans les studios que je suis habillée pour la danse classique comme pour un cours de pole dance.

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20 mai

Devant nos camarades, les élèves de l’école, leur directrice et la nôtre, nous dansons la chorégraphie classique pour laquelle nous nous sommes battues (preuve s’il en fallait une que les larmes, fussent-elles versées à notre corps défendant, sont une arme).

Le rideau n’a pas été tiré devant le miroir : on se retrouve avec soi-même comme public, le regard par-dessus les élèves assis par terre. Peut-être parce qu’elle est assise sur une chaise, ou plus sûrement parce que son visage paisiblement rayonnant est encourageant, je m’accroche un peu trop au sourire de la directrice – comme une élève soucieuse d’avoir bien fait qui oublie la classe lors de son exposé.

Je ne me suis pas écoutée sur le temps de préparation que je savais qu’il me fallait, j’ai conséquemment paniqué et abordé notre morceau de bravoure cardiaque avec le souffle déjà trop haut placé de qui ne sait plus expirer. Tandis que le pilotage automatique prend le dessus, j’habite mon corps haletant plutôt que l’espace, percevant par fragments : rien, le miroir, un sourire d’élève, le regard du prof de contemporain, N. dansant avec moi – des bribes comme enregistrées par la lumière d’un phare, intermittente depuis un point fixe, depuis ma tour de contrôle qui ne contrôle plus rien. Je me trompe dans le manège, rate mes fouettés à l’italienne, soit la difficulté technique que je peux habituellement me targuer de passer. J’en oublie tout le reste, la chorégraphie qui roule, rodée, synchronisée ; les brefs moments que je savoure, même, quand je me ressaisis et que je marque les accents, les épaulements – quand je danse.

J’avais oublié ce que c’est de se regarder quand on danse, de se soutenir mutuellement du regard face à l’œil du public ; le regard qui, au quotidien, nécessite d’être soutenu est ici soutien, on y plonge avec une confiance habituellement réservée aux amoureux (l’intrusion toujours repoussée du public crée l’intimité). Cette réflexion me dépasse par la tête quand je plonge dans le regard de M., une tête de moins que moi mais prête à (me) guider dans une valse mal maitrisée. Une valse à trois temps, comme c’est troublant (ce décalage avec le couple d’à côté), comme c’est charmant (espérons).

En racontant cet épisode, il me semble me souvenir d’un plaisir que je n’ai pourtant pas perçu dans l’instant d’après : le temps de raccrocher les costumes et de récupérer mes affaires éparpillées, notre public était en cours, les couloirs vides, nos badges pour l’accès aux studios rendus, et les dernières de notre promotion en route vers le métro, que je suis la seule à ne pas emprunter. Contrecoup de solitude et d’indécision, je m’empêtre dans mes maladresses, incapable sur le moment de décider de la joie et du soulagement auquel m’enjoignent mes camarades. Deux jours plus tard, je le vois : we did it. Je peux retenir le regard de la directrice de l’école ou bien celui de la directrice de la formation, une vision anguleuse à la serpe ou une vision ronde de joie ; il ne tient qu’à moi d’emprunter l’un ou l’autre, c’est comme un chemin, je peux choisir le regard que je porte sur ce moment, sur tout moment en réalité.

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21 mai

Promenade sur le chemin de la médiathèque

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22 mai

Après floraison et fanaison, la clématite des montages s’est mise à faire de grosses boules blanches duveteuses…

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24 mai

Avez-vous participé à une activité artistique de médiation culturelle ? Si oui, quel bilan en tirez-vous ? 

Que rassembler 80 enfants dans une même salle n’est pas une bonne idée.
Que l’on est en permanence sur le qui-vive.
Que les dynamiques de groupe peuvent être redoutables.
Que cela n’a pas grand-chose à voir avec la danse. Que peut-être ce n’est pas grave, que c’est même mieux comme ça. Mais que ce n’est pas pour moi.

Voilà ce que je n’ai pas répondu au questionnaire de satisfaction lancé par la formation, où pourtant je n’ai pas mâché mes mots (je les ai remâchés, pour être le plus honnête et le plus poli possible). Je n’avais jamais autant mesuré la difficulté de faire des remarques sans donner l’impression de râler.

…25 mai

Officiellement en vacances. Quand je suis rentrée la veille, le salon était baigné d’un soleil tamisé par les voilages ; il m’a semblé beaucoup plus spacieux, aéré. Désencombré : des choses, mais surtout de ce que j’y trimballais dans ma tête.

Je suis soulagée de ne plus avoir à me sentir nulle. Je saisis ce qu’il a de violent et d’absurde à formuler les choses ainsi, mais c’est en ces mots que cela me frappe. Suspens de toute comparaison, analyse, évaluation : soulagement. Tant pis pour ce que cela implique de relation à soi à régler dans le futur ; on verra ça plus tard.

Journée de rangement, préparation, ménage, dans une perspective d’avenir rouvert, désencombré lui aussi : pour la première fois depuis longtemps, je fais les choses à faire sans les ressentir comme des corvées (toujours à rattraper d’être repoussées), préparant au contraire le terrain pour profiter du temps à venir. Je suis presque contrariée, le lendemain, de quitter mon chez moi pouponné pour rallier Paris. J’avais envie d’aller de l’avant dans ma solitude, de reprendre le blog, l’écriture, mes petits projets. Je le dit au boyfriend lors de notre visio quotidienne : mon but, cet été, c’est de reprendre et de finir l’écriture de mon bouquin sur la danse. Il s’étonne que je cours de but en but, et que sitôt l’un atteint, je m’en fixe un autre. Je ne pourrais pas, une fois de temps en temps, me laisser aller ? Profiter de ces trois mois sans rien m’imposer, sachant que le laisser-aller est borné, qu’en septembre la rentrée m’obligera à reprendre les rênes ? Tout à mon sentiment d’inaccomplissement, je n’avais pas vu les choses ainsi. Il m’a rappelé tous les changements opérés en un an.

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26 mai

Rapide photo des roses du jardin avant de les quitter jusqu’à l’année prochaine

La soirée n’est pas de trop pour se retrouver – soi, à deux. J’ai beau savoir, j’oublie à chaque fois la déferlante des bras, de la chaleur, de la tendresse, comme il importe moins de réussir (et quoi ?) quand on est déjà aimé.

…27 mai

Ayant du mal ces temps-ci à éprouver une joie toujours aléatoire, je me rabats sur la satisfaction, plus sûre, et me découvre de surprenantes envies de ménage (qui passent rapidement, après un premier shoot de satisfaction facile).…

28 mai

Journée à ne rien savoir quoi faire, rachetée in extremis par un épisode de Black Mirror (Nosedive).

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29 mai

Lors d’un déjeuner, mon attention est digne d’une focale 50 mm : soit je fais la mise au point sur mon interlocutrice, et chaque fourchetée a le même goût, soit elle se fait sur ma salade, nimbant la conversation de flou. // Très bonne salade composée de bobo, quinoa, saumon, avocat, pamplemousse, avec pour twist la sauce aigre-douce qui, dans mon enfance, allait forcément avec du riz et du poulet. // Conversation traînant un peu de tristesse, puis s’illuminant peu à peu à mesure qu’on quitte les sujets sociaux et le travail pour revenir à la sphère intime et artistique, que je n’aurais jamais songé à quitter.

Gaufrettes légères au chocolat, Dinosaurus, cookies Granola, palets bretons : moisson d’enfance et d’huile de palme. J’ouvre presque tous les paquets pour le goûter. Cela fait plusieurs jours que j’ai des fringales de sucre et de réconfort, discrètement beurré (fantasme de Millie’s cookies crousti-fondants, mais les boutiques ont fermé). Je crois pouvoir les satisfaire avec des cochonneries industrielles comme les appelait mon grand-père. Après plusieurs gâteaux, je n’en suis plus sûre, cela continue ; j’ai envie de manger quelque chose d’autre de précis sans savoir exactement quoi, ni si cela me nourrira ou me remplira.

Journée de frustration sans objet. Cela fait plusieurs jours que j’ai du mal à éprouver de la joie ou des envies véritables – je n’ai pas l’énergie adéquate pour les seules que je pourrais avoir. Je ne me repose pas vraiment, je ne me distrais pas vraiment non plus. Je m’ennuie, je crois ; je n’avais jamais perçu la vague parenté de cet état avec la déprime. C’est probablement l’équivalent temporel dans tensions que l’on ressent au moment de s’allonger dans son lit, le soir, alors même qu’on se met en position de les faire disparaître. Il faut le temps que l’année écoulée se dépose dans le champ de la vacance.

Zappant, on se retrouve à regarder Polisse à la télé : je laisse passer toutes les horreurs et me mets à sangloter sur un pan de mur rempli d’unités centrales avec leurs étiquettes de saisie. Après le film, le boyfriend me presse contre lui pour faire sortir ce qui reste ; il vient me chercher du retrait où je constatais me rétracter, et peau à peau, me ramène à moi et à lui. Je ne distingue plus la gratitude de l’amour.

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30 mai

Seule pour la journée, avec la perspective d’une soirée à deux : c’est vraiment la formule que je préfère, parfaite pour me retrouver puis m’oublier, et pouvoir partager sans m’agripper. Je ne sais pas (encore) vivre à deux le quotidien ; le silence me manque trop.

Grande promenade à pieds dans Paris, articulée autour d’un arrêt ciné pour voir Downton Abbey II : aucune attente, doux plaisir. J’ai versé ma petite larme et avalé (enfin) un cookie aux noisettes et chocolat blanc.

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31 mai

Je finis d’écrire et de mettre en forme ce journal rétrospectif (les entrées sont datées du jour concerné, mais écrites en fin de mois). J’avais oublié le plaisir de choisir et publier des photographies ; de les voir en plus grand que sur l’iPhone avec lequel elles ont été prises, aussi.

Question bonus à ceux qui auraient lu – ou scrollé – jusqu’ici : est-ce que le format de journal mensuel est agréable à lire, ou ce serait mieux scindé par jour ou par semaine ?

Août 2021

6 août

Ma vie a pris un tour qui s’extirpe si bien de l’ordinaire que mon anniversaire ne parvient pas à s’imposer comme le jour extra-ordinaire que j’aime envisager. Les œufs Bénédicte et les pancakes pour lesquels j’avais fait la réservation dans ce restaurant avec Mum, cela n’est précisé nulle part, ne sont pas servis en semaine. Grosse déception qui me coupe même l’envie de cacio et pepe dans une meule de fromage. Gestion de la contrariété niveau 5 ans, alors que je suis si bien entourée et que l’horizon est plus que dégagé pour cette 33e année. Il doit y avoir autre chose. Dans le train, où la tristesse fond sur moi à très grande vitesse, je me rappelle que mon grand-père est mort il y a deux ans jour pour jour. Si je suis honnête, ce n’est pas sa disparition qui m’attriste, mais qu’elle matérialise sans ambages le passage du temps et ma crainte d’en manquer.

Je suis presque soulagée d’être récupérée à la gare et intégrée pour le week-end à un groupe d’amis qui n’est pas le mien, où je ne connais presque personne, et dont l’anniversairée a 40 ans. Ces gens sont incroyables d’amour les uns pour les autres, et il y a ce truc un peu régressif d’être lové l’un contre l’autre dans la vision des autres qui nous font couple à leur tour – et me donnent envie de leur fausser compagnie pour leur donner raison. Il y a aussi les vapeurs de beuh qui me donnent des vertiges ; je me tiens aux murs pour aller me coucher après le barbecue de minuit (j’ai évidemment ruiné les bols de chips, tomates et fromage bien avant).

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7 août

De grands sacs de viennoiseries à l’intérieur, du deal de Doliprane, une longue table (deux) à l’extérieur, des amis qui se connaissent depuis plus de vingt ans, des prénoms que j’oublie ou que je n’ai pas demandés, du bœuf, des saucisses, des merguez, des bières, des andouillettes, du poisson, des travers de porc, des poivrons, des aubergines grillées délicieuses aussi, du soleil, des nuages, une averse, l’odeur vaguement désagréable puis caractéristique – donc nostalgique- de l’humidité, de la pierre et des murs épais, des bougies dans une tarte à croisillons industrielle plus émouvante qu’un fait maison, on a failli oublier mais t’as quand même pas cru qu’on aurait, que ça dit, quatre bougies chassées au Carrefour Market du coin, 40 puis 33, c’est qui qu’a 33, la copine à Titi, puis les merguez reviennent dans le cycle éternel du barbecue, le taboulé, la chambre-alcôve.

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13 août

Je crois qu’on sait qu’on est heureux quand on est heureux sur une aire d’autoroute. Quand on s’attarde à la table de pique-nique entre les camions, les éoliennes et le bruit des TGV qui lacèrent soudain la campagne derrière, derrière le générateur qu’on a d’abord soupçonné de dérailler. La golden hour sublime tout, même une pause Magnum sur l’autoroute.

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14 août

Dernière nuit dans l’appartement où j’ai vécu 7 ans. Ça fait quelque chose. Je ne sais pas si je dois l’accepter et vivre la nostalgie qu’il y a à vivre, ou s’il vaut mieux ne pas s’appesantir, pour être partie avant qu’il faille partir.

La pièce dans laquelle on tourne en carré, salon-chambre-bureau,
l’étroitesse de la vie que j’avais laissé se rétrécir autour de moi,
ça, je ne regretterai pas.

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15 août

Ironie de l’immobilier parisien : c’est en redevant étudiante que j’accède à un appartement d’adulte, après un début de vie active dans un studio. Je mesure ma chance, 31,5 mètres carrés, je n’étais pas à plaindre, je plaisantais seulement : Quand je serai grande, j’aurai une chambre, et je mimais un émerveillement enfantin outré sur le mot chambre.

Je ne sais pas si je dois utiliser le présent ou l’imparfait : traduction grammaticale de cette période de transition, où j’ai encore tous les trousseaux de clés, plus un nouveau.

Tous les cartons ont été déménagés, tout ça pour ça, tout est à refaire-défaire.

7/38, le score du jour se compte en cartons déballés.

Y a-t-il assez de lumière ? D’où puis-je voir le ciel, assise sur le canapé ?
Le salon est baigné de lumière, en réalité, moirée par le feuillage de l’immense saule pleureur d’à côté.
Ce si beau bruissement ne provoque-t-il pas un inconfort stroboscopique ?
J’ai peur seulement de regretter mon quatrième étage, les métamorphoses du ciel qui se reflètent sur les barres d’immeuble en face et en oblitèrent la laideur soixante-disarde, matins à la Hopper, l’Ouest couchant dans les vitres en face, puis les damiers aléatoires de petites fenêtres la nuit – la fenêtre qui devient miroir alors, et devant laquelle on peut danser.

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16 août

Premier jour de télétravail commun chez lui, l’amour deux fois.

De retour chez moi, je n’ai pas l’impression de faire le ménage en récurant planches, poignées, joints, plinthes, vitres et carreaux : j’efface les traces. Un morceau d’ADN me trahit sur un carreau déjà lavé, malgré mon chignon. Il n’y a ni ménage ni crime parfait*. J’efface les traces de mon passage, de celle que je ne suis plus et ne voudrais plus être.

On vide la cave, remonte ce qui était caché : une souris morte intacte est recroquevillée sur une marche entre le deuxième et le troisième étage.

Symbolisme
superstition,
je refuse de jeter avant l’état des lieux de sortie le brin de muguet complètement desséché qui trône sur le bureau en partance pour les encombrants.

(* Mum ferait sans doute une serial killer redoutable tant la scène du crime serait détartrée.)

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17 août

C’est la première fois que je déjeune avec cette collègue, et on s’aperçoit un peu plus tard que c’est notre dernier jour de travail ensemble.
Guyozas tofu-chou blanc-champignons noirs pour elle, guyozas œuf-ciboulette-crevette pour moi, c’est un très bon premier-dernier déjeuner.

Chez moi redevient un appartement de petites annonces, en bon état général, orienté Est, T1 lumineux, pièces bien pensées, cuisine séparée, grands placards dans l’entrée. Bientôt un plan quand l’expert énergétique aura remis ses cotations au propre. Catégorie E. La gestionnaire de l’agence est contente ; elle n’avait que des G cette semaine.

J’ai pensé à prendre en photo le carrelage de la salle de bain, le loup, la dame aux camélias et les autres figures que mon œil a tant de fois débusquées dans les marbrures bleues lors de ses errances anthropomorphiques pour se divertir des TOC.

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18 août

Le déménagement me fait tout penser en terme d’espaces. Je me sens bien dans le studio de danse, et peut-être cette raison fera-t-elle à elle seule que j’y serai à ma place en tant que professeur, indépendamment de toute question de niveau. Pour l’instant, j’y suis cette élève qui sourit niaisement aux autres et trottine pour se placer pour le dernier exercice de chat quatre retiré qui fait office de révérence. Je suis arrivée au cours crevée et mon énergie est remontée au fil du cours (assez raisonnable pour transposer à pied plat certains exercices à la barre et ainsi préserver mon pied gauche, qui n’est plus douloureux mais reste fragile).

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19 août

État des lieux de sortie. Exercice détestable, qui place dans un état de culpabilité a priori.

Avant de rentrer chez E., je fais un détour par le muret du jardin pour laisser aux larmes le temps de couler invisibles. J’ai besoin d’être seule ; je suis si bien entourée.

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21 août

Sur la route à nouveau, j’aurais envie d’hurler, que tout s’arrête, faire une pause, passer un week-end seule à ne rien faire ni surtout penser à devoir faire.

Finalement la perspective de devoir faire s’estompe devant ce que l’on commence à faire.

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22 août

Première nuit dans le nouvel appartement, d’un calme tel que la journée m’apaise, pourtant entièrement consacrée à bouger divers objets, des cartons aux placards, du salon à la chambre, du bac de l’évier à la zone de séchage et divers ustensiles de nettoyages sur diverses surface.

Mieux que la pause Magnum, la pause Ferrero Rocher glacé.

Plus que 3 cartons à déballer sur les 38 totaux.

Bientôt on saura identifier les diverses aires d’autoroutes : celle du poke ball, celle du yaourt au granola, du quinao-noisettes…(La boboïtude commence à arriver sur les autoroutes.)
(J’ai pensé pousser la blague jusqu’à dessiner des illustrations marron et blanches pour annoncer l’aire du poke ball, du yaourt au granola, etc., mais il faut parfois savoir renoncer pour pouvoir passer à autre chose.)

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24 août

Passion se faire faire un certificat médical de non contre-indication à la danse avec une resucée de lumbago. Mon dos n’a pas aimé remonter la grande étagère.

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26 août

Bénis soient les patchs de Voltarène.

Aux Tuileries, A. déballe trois pâtisseries pour deux (son fils de quatre mois nous a cédé sa part). C’est étrange que tout paraisse si normal, après 2 ans sans se voir et un bébé. Quatorze ans que l’on se connait, a-t-elle calculé.

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27 août

Bénis soient les ostéo et leurs mains en or.

Blessure au pied qui a entraîné un déséquilibre, stress, non-ménagement… et beaucoup d’émotions aussi, non ? Le haut de mon colon me trahit apparemment. J’aime assez l’idée que les émotions seraient stockées quelque part de localisable dans le corps, comme de la lymphe – avec la promesse moins abstraite de pouvoir les évacuer peu à peu. Lorsque l’ostéo parle d’énergies, je lève les yeux au ciel intérieurement, mais à la fin de la séance, c’est de gratitude. Je suis bluffée comme par un tour de magie : debout, yeux fermés, ses mains bougent autour de moi et je sens mon axe bouger de gauche à droite et de droite à gauche, de plus en plus faiblement ; il me rééquilibre comme un niveau à bulle. Incrédule encore mais prête à croire déjà, je dis cette chose absurde, que je sens maintenant mon pied gauche plus enfoncé dans le sol que le droit. Yeux fermés, tour de passe-passe à nouveau, et alors je sens, je jure que je sens ma jambe gauche remonter à niveau, dépasser la droite, revenir, s’ajuster. Je serais… je suis… équilibrée ? Je ressors de là gaie et apaisée.

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28 août

Je ne sais pas si énumérer tous les gâteaux, les cadeaux, les noms suffirait à dire la gratitude d’être là avec mes amis au parc de Choisy, mon parc de Choisy, pour un pique-nique-goûter d’anniversaire-départ. Je pouvais difficilement espérer plus belle cérémonie de clôture. Jusqu’à la pluie qui a brisé là, dans le vif et le vivant, la tentation des adieux.

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29 août

Journée sans rien. C’est quelque chose quand ce n’était pas arrivé depuis un moment.

Rien : pyjama, corps nus, dessins. La friction des peaux fait disparaître les tensions qui cohabitaient en nous. Je ne sais pas vivre avec et, dans la fatigue, je ne suis même pas sûre de le vouloir. La mauvaise humeur me semble se réfracter entre nous comme la lumière entre deux miroirs face à face ; je ne puis plus que vouloir être seule pour que cesse toute stimulation émotionnelle. Un fondu au noir. Avant de me coucher, je fais d’ailleurs la chasse aux LED (je tolère à grande peine les rouges et les oranges ; les bleues, blanches et vertes sont mes ennemies jurées). Quand la fatigue me fait percevoir toute accroche sensorielle comme une agression, une journée sans rien est un véritable soulagement.

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30 août

Gratitude pour les gens à gare du Nord qui m’ont permis de passer devant eux aux tourniquets, me voyant paniquée à l’idée de rater mon train (il s’en est fallu de peu). Je me maudis d’avoir pris tant de barda pour prendre le train.

Je rentre chez moi.
Chez moi a déménagé.

Je tente de m’apaiser au parc Barbieux. Il est assez long mais un peu étroit pour cela : bordé par deux routes très passantes, les endroits où l’on oublie le bruit de la circulation sont rares. Il n’empêche : pelouses-panorama, arbres immenses, cours d’eau avec mini-cascade, roseaux et nénuphars (!), explosion de couleurs fleurie… je comprends que la ville ait tracé ses frontières tout autour du parc, le dérobant à Croix : à nous, il est à nous, proclame le plan.

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31 août

Repérage et chronométrage des trajets pour le conservatoire, la fac et les studios de danse. Derniers cartons de livres déballés-rangés. Nouvelle carte de médiathèque et premier butin BD pour célébrer. Je m’enivre de briques, de fenêtres, de soleil, Camille Claudel en street art. La journée pétille de possibles.

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(Les entrées n’ont pas été rédigées au jour indiqué. Il me faut manifestement quelques jours pour que décante le jour et ne pas me retrouver avec des anecdotes curieusement détaillées pour des omissions bien plus essentielles. Si je persiste dans l’exercice du journal, il me faudra trouver mon rythme de croisière, quelque part entre les notes d’Alice, le diario de Gilda, le journal de Guillaume Vissac publié au jour le jour avec un mois de décalage, et le carnet mensuel de Thierry Crouzet – tous diaristes que j’aime à suivre et que je vous invite à lire.)