« Aujourd’hui, je l’ai fait », sous des mines extatiques et rien d’autre, pas une marque (sauf peut-être à l’état de trace, l’empreinte de la couleur orange) : la technique marketing m’a rappelé la stratégie d’une campagne anti-tabac il y a quelques années, lorsqu’un message aveugle, « un ingrédient toxique a été découvert dans un produit de consommation courante », avait semé la panique – dans le monde de la communication, à tout le moins. « Je l’ai fait » : associé à un verbe d’action si vague, le pronom anaphorique sans référent est bien défini – le sexe est brandi comme la Revanche de l’individu sur la société, pensons-y toujours, n’en parlons jamais (encore qu’on pourrait se demander si, au contraire, on n’en parlerait pas tout le temps pour n’y penser jamais).
On a un moment de doute quand est ajouté (indice ? fausse piste ?) « avec un ami »en bas d’un visage masculin, mais après tout, l’homosexualité est tendance. Quelques jours plus tard, les affiches ont été remplacées dans le métro et, les nouvelles dûment complétées, on a pu découvrir le commanditaire, ING. De pas terrible, la campagne publicitaire est devenue ridicule : à qui l’ouverture d’un livret-épargne provoquerait-il un orgasme ? (peut-être à Picsou s’il n’est pas déjà impuissant, et encore, je doute qu’un compte vide le comble ; il faudrait au moins attendre le versement des intérêts).
Alors que l’allusion sexuelle est purement gratuite et ne s’avère donc pas vraiment payante, elle prend en revanche tout son sens dans la campagne Suchard : sexe et gourmandise ont en commun le plaisir. Comme ces choses-là se font de préférence à deux, les affiches vont la plupart du temps en couple (même si quelques solitaires ne boudent pas leur plaisir), ce qui assure du régime de la métaphore (et ruine par la même occasion celui que vous aviez peut-être commencé, à base de légumes).
Montrer un rocher nu ? What’s the point ? me suis-je demandé, pas très réveillée, la première fois que j’ai vu la publicité. La lecture de celle qui la jouxtait m’a rappelé qu’il ne fallait pas déconner, « pas avant le mariage !», la chose est entendue.
La troisième affiche, je l’ai entraperçue alors que le train passait dans une gare où il ne marquait pas l’arrêt et n’ai eu le temps de saisir que les derniers mots « ou plutôt chocolat ? ». Parfait pour attiser l’envie la curiosité, parce qu’une alternative au sujet d’un rocher Suchard ne me semblait pouvoir être qu’entre chocolat noir et chocolat au lait (dilemme auquel ‘ai été confrontée il y a peu et que je n’ai résolu que par le recours au hasard – le choix d’indifférence est le pire et ne peut se résoudre que par une apparente indifférence).
Passer et repasser devant ces affiches donne envie de mettre un gros truc dans sa bouche : ce bloc de chocolat, c’est vraiment énorme. Pas du tout nu, puisqu’enrobé de chocolat par-dessus les noisettes, mais brut, ce rocher écrase l’érotisme de pacotille de la publicité et se déguste avec humour. Le dégradé lumineux ne voile aucune peau, faussement pudique ; il permet juste de rendre le relief des noisettes sans l’écraser au flash (nouvel écueil trash évité). Sauf lorsque les vitres du métro projettent sur le rocher le visage lascif du mannequin de la pub pour le Bon marché… pas de regards langoureux, de lèvres entrouvertes, ou de cuisses écartées, rien que le chocolat. C’est précisément grâce à cette simplicité que les commentaires, a priori pas spécialement indiqués pour vanter une friandise, sont à sa (dé)mesure : énormes. Le registre sexuel est explicite sans rien avoir à montrer, si bien que le sous-entendu se déplace vers le décalage entre le produit et sa mise en bouche, c’est-à-dire du côté des codes publicitaires. L’auto-dérision a déjà donné de bons résultats, comme le spot télévisé Herbal essence, ou il y a un peu plus longtemps cette affiche :
venue à point nommé après la controverse sur Babette :
(d’autant plus drôle que c’est une femme qui porte le tablier et que c’est elle qui tient le fouet)
A force de taper sur leurs propres créations, on se dit que les publicitaires seraient plus cuir que chocolat, mais que leur importe s’ils jouissent des faveurs des consommateurs ? Le « retour du plaisir », c’est avant tout une stratégie marketing qui jette un rocher dans la mare des 0%. Puisqu’il est ringard de dire qu’une chose est bonne (à moins d’ajouter « pour la santé »), que ce détail ne peut être qu’un avantage optionnel, et que le Suchard est trop calorique pour avancer ces arguments de poids (plume), il ne reste plus qu’à se coucher, le plaisir semblant aller davantage de soi au lit qu’à table (pas pour tout le monde non plus. Je ne sais pas ce qui m’étonne le plus, de la pseudo-analyse catho ou du commentaire sur le carême). Un peu d’humour, voilà pourtant ce qu’on réclame en grandes lettres. Le slogan, lui, peu humoristique de nature, est relégué en bas de l’affiche, écrit minuscule. Le plaisir se fait tout petit, face à l’humour et au sexe : on va le manger. Retour ? Le détour du plaisir, plutôt… Le retour n’est autre que celui qu’on peut escompter sur l’évolution des chiffres de vente. Au plaisir de vous revoir. On l’a toujours SUchard et on ne va pas en faire un rocher.