Deuxième Edward Elgar à quelques semaines d'intervalle et première écoute du Songe de Géronte1 pour moi. La présence du chœur, surtout quand c'est celui de l'Orchestre de Paris, me ravit en soi ; la douce surprise, c'est qu'il brille encore davantage dans les passages pianissimo : ce n'est pas l'habituel Léviathan des voix qui porte alors, mais une communauté d'anima qui vous retient, vous soutient — un filet de sécurité attaché aux nuages du ciel où monte Gerontius.
Il lui faut 1h40 pour cette ascension, sans que l'on ait jamais vraiment l'impression de monologues ou digressions dilatoires. Les atermoiements qui, à l'opéra, donnent envie de monter sur scène pour aider le personnage à mourir une bonne fois pour toutes, se décantent dans cet oratorio en une myriade de nuances qui disparaissent doucement les unes dans les autres, nous mènent sans qu'il y paraisse. On se surprend de temps à autres à ne pas savoir comment on en est arrivé là, sans savoir situer ce là, ni ce que là-bas avait de foncièrement différent, ni ce qu'il nous réserve. Origine et destination s'effacent derrière le voyage, dont on finit par douter qu'il se réduise au chemin si codé de la chrétienté, agonie, doute, angoisse, repentance, apaisement, mort, purgatoire, paradis.
Difficile même de situer le moment où Gerontius passe de vie à trépas : l'oratorio entier est passage, renversement-écoulement d'un état dans un autre. Avec ces mille nuances, et cette bizarrerie2 de la passion plus à craindre que la mort, qu'il faut se préparer à endurer après l'avoir désirée, on finit par se demander si ce rêve n'est pas celui d'une vie plus que d'une mort, une vie qui s'accomplit. C'est plus beau ainsi, sans doute. Et l'on tremble, l'on frémit, l'on s'oublie dans la voi-x-e d'Andrew Staples, au timbre extraordinaire, qui recouvre dans mon souvenir l'ange (Magdalena Kožená) et le prêtre (John Relya) qui l'accompagnent pourtant superbement.