Une Coppélia-Cendrillon-Pinocchio

Victor Ullate ? Un nom. Coppélia ? Un peu trop de pantomime. Les deux ensemble ? Un sympathique ballet revisité par Eduardo Lao et surtout la découverte d’une compagnie espagnole qui donne des idées sur la destination des prochaines vacances.
 

Tout un corps de ballet d’automates avec un décor vaguement nucléaire, que j’ai découvert sur Internet, angle mort oblige.

Le ballet modernisé, la poupée mécanique devient un androïde dans un laboratoire d’intelligence artificielle. Concrètement, cela veut dire que la production à la chaîne l’entoure d’un mini corps de ballet qui remplace avantageusement les troupes folkloriques et surtout, surtout, que des danseurs déguisés en mécaniciens sont là pour la maintenance – des androïdes (clin d’oeil à The Concert ?) comme de l’attention des spectatrices (je suis toute déboulonnée, viens me resserrer la vis).
 

Ne dirait-on pas un aviateur ?

Coppélius, bien que toujours porté sur la boisson, a lui aussi bénéficié du lifting général : débarrassé de ses rhumatismes, il peut entrer dans la danse. Mais vieux ou savant, il est toujours flou – et floué. Pas de Swanilda ici pour prendre la place de sa poupée chérie, mais trois péronnelles qui n’hésitent pas à enfiler le costume des droïdes pour attirer l’attention de Franz-mécanicien. Affublé de turbans roses et de balais violets, leur trio ressemble aux deux sœurs de Cendrillon (à laquelle elles auraient emprunté la serpillère) : drôle lorsqu’il ne frôle pas le vulgaire. Les chamailleries outrancières, qui font d’abord sourire, finissent par lasser ; leurs gesticulations ne font pas le poids face aux mouvements de la poupée bionique.
 

Les trois péronnelles, dans la position préférée du chorégraphe.
 

 

La gestuelle de l’automate a été très travaillée, par les danseurs (les oscillations qui font suite aux à-coups sont dignes de mimes professionnels) et par le chorégraphe (la pantomime ne vient plus limiter la danse, elle y est intégrée). Une jambe pliée l’est dans une attitude à la seconde, et les mains en l’air, bras cassés, n’empêchent pas les tours suivis. Ne parlons pas du tour arabesque par quart avec la tête totalement fixe… L’amplitude des mouvements fait davantage penser au ressort des automates de Casse-Noisette qu’aux petits pas mesurés de Coppélia. Il faut dire que la fougue n’est heureusement plus considérée comme un attribut barbare et que notre époque n’exige plus des femmes une retenue insensée. Élargir ainsi la palette de l’automate marque la distance parcourue depuis lors mais fait du même coup ressortir la parenté entre cette femme-objet et la danseuse que son partenaire manipule en pas de deux : est-ce pour cela que toutes les Coppélia, à l’exception de quelques instants, sont rarement drôles ? parce que la caricature doit être forcée pour être perçue comme telle ? Je propose un Coppélia masculin pour tester cette hypothèse – quoi ? moi aussi, je veux un homme-objet ! Quoique cela puisse traduire sur le plan social, libérer la poupée de la pantomime est une excellente nouvelle chorégraphique. Est-ce alors pour faire danser plus encore Coppélia qu’Eduardo Lao choisit de la transformer en être humain après l’avoir libérée de la pantomime ?
 


La substitution traditionnelle de la poupée par une jeune femme, qui constitue le cœur de l’intrigue dans la version originale, se déroule ici à la marge. Une fois la plaisanterie récupérée par les trois donzelles, Coppélia laisse la place à Pinocchio : une bonne fée Carabosse se charge de rendre l’androïde humaine. Son intervention est aussi improbable que son costume : latex noir façon méchante reine de Blanche-Neige, pointes assorties, couronne-aigrette et traîne emplumée façon oiseau de feu (après tout, Coppélius joue avec), le tout soulevé dans les airs avec une grande cape de reine de la nuit.
 


Le second acte entérine la rupture avec la Coppélia traditionnelle mais pas avec la tradition du ballet classique, qui veut que le dernier acte soit un pur divertissement. Mieux que le mariage (il est difficile de se procurer les papiers d’identité d’une androïde et, de toutes façons, on ne se marie plus au bout de cinq minutes – sauf éventuellement ivre à Las Vegas), mieux que le mariage, donc : le dîner au restaurant. Même s’il n’y a pas de cloche d’argent, le service est de qualité ; des petits chapeaux de groom bondissent entre les plats. Le brouhaha d’une salle de restaurant, émaillé par le cliquetis des couverts, entrecoupe la musique de Delibes et dispense d’installer d’encombrantes tables.
 

Le prince, reconnu à sa première arabesque. Retenez-le à la frontière.

La salle prend ainsi rapidement des allures de bal, sans la deadline de minuit : la danse de la soliste, mime extraordinaire, perd de son intérêt à mesure qu’elle devient plus lyrique, mais c’est l’occasion d’apprécier l’ensemble de la compagnie. On y trouve des danseuses (une gigantesque liane en robe orangée) et des danseurs (empêchez-les de partir !) formidables.
 


5 secondes

J’avais presque réussi à élire mon préféré lorsqu’a surgi un référentiel bondissant affublé d’un costume fluo vert-jaune-rose du plus mauvais goût – à côté, les manches en sucre d’orge fondu de Franz sont aussi magnifiques que l’ensemble des autres costumes, fort réussis. Aucune idée de ce que vient faire là ce bouffon moderne sponsorisé par Stabilo, mais sa détente, sa vivacité et sa souplesse (et ses équilibres de cinq bonnes secondes en grand développé à la seconde, soyons honnêtes) ont enlevé la fin du ballet. Réussir à être sexy avec une casquette à paillettes roses sur la tête, imaginez un peu… J’ai donc quatorze ans lorsque je croise son regard aux saluts et qu’il me rend mon petit hochement de tête enthousiaste. Quand est-ce qu’on va à Madrid ?
 

Je suis faible, je sais.


Photos d’Alberto Rodrigalvarez, Jesus Vallinas et Nathalie Vu Dinh.
Lire aussi le compte-rendu de Terpsichore a Barcelona : je ne suis pas la seule à avoir pensé à Cendrillon et Pinocchio. 

Ballett am Rhein

Photo de Gert Weigelt
 

Les abonnés du théâtre de la Ville à fréquenter assidument l’Opéra n’étant pas très nombreux, le programme du Ballet am Rhein ne pouvait récolter que des critiques mitigées : Forellenquintett affiche une joie de vivre qui a dû suffoquer les spectateurs du théâtre de la Ville, habitués à une certaine austérité, tandis que les balletomanes, enthousiasmées à la perspective de découvrir cette troupe néoclassique, ont été plombées par le côté sombre et tortueux de Neither. Descendant presque aussi souvent à Châtelet qu’à Opéra, j’ai non seulement été très amusée de ce choc des cultures chorégraphiques, mais j’ai apprécié l’intégralité du spectacle. Avec une légère préférence pour la première pièce, tout de même – je veux croire que c’est parce que mon tempérament est davantage perméable à la fantaisie qu’à la dépression, même si c’est seulement parce que j’ai découvert Giselle bien avant Jan Fabre.

 

Forellenquintettfantaisie schubertienne et Libertines pour lutins, bouches rondes et poète saoul

Des rectangles très allongés strient la toile de fond comme des octets de passage – couleur bois : voilà pour la forêt. De drôles de bêtes s’y croisent, rencontres improbables entre un mignon morpion qui saute sur le dos de son partenaire, un lutin en académique vert, à aigrette rousse, qui lutine joyeusement et une nymphe trimballée par un satyre improvisé qui lui tire des mimiques impayables – bouche ronde muette comme une truite. Eau boueuse oblige, on enfile les bottes pointes au pied tandis qu’une paire en or descend des cintres, trophée comique pour pêche miraculeuse – soit un bonhomme imbibé que récupère sa partenaire outrée. Un poète, nous dit le programme : il fallait s’en douter lorsqu’il a claironné au maître de ces lieux « Un verre de Bordeaux ». Tout un poème, que les habitants de la forêt suivent à la lettre, tenue devant eux comme une carte aux trésors mystérieuse. Rien à déchiffrer, c’est l’esprit farceur qui anime amourettes et bizarreries, ne laissant pas une seconde de répit aux danseurs. Quoique un peu en avance sur la musique dans les premières minutes, ceux-ci sont comme des truites dans l’eau : pointes cassées, mouvement repris sur jambe pliée, portés de patinage artistique, vitesse des entrepas… ils échappent au regard qui tente de les immobiliser et le temps nous file entre les doigts.

Pour essayer de les attraper, jetez votre filet à 0’58.

 

Ni une ni deux, Neither

Photo de Gert Weigelt

Après les académiques bigarrés (et même pas moches – un exploit) de Forellenqunitett, place à des pantalons et tuniques fluides bleus et blancs. La clarté des tenues, en opposition directe avec la noirceur de la pièce, transforme les danseurs en une foule d’âmes errant dans un espace confiné – patients-fous-amants-fantômes – tous enfermés en eux-mêmes. Mouvements de mains comme si l’on essayait de se débarrasser de quelque chose de collant : Neither exprime pour moi cette humeur pégueuse où l’on ne peut se résoudre ni à une chose ni à son contraire, où l’absence de choix nous plonge dans la même angoisse que l’une et l’autre option, et nous laisse dans l’incapacité de faire un choix – ce qui prolonge d’autant plus notre désarroi.

Il n’y en a pas moins de la beauté, ne serait-ce que dans les corps étonnamment divers des danseurs : de toutes les nuances de blanc et de noir, des fesses charnues, des cuisses musclées, des visages mûrs, d’hommes et de femmes à la personnalité bien trempée. J’ai du mal à m’empêcher de chercher ceux qui me fascinent le plus, au détriment parfois de la chorégraphie. Mais cela fait tellement de bien, de voir des danseurs dont le caractère semble avoir au moins autant façonné les corps que le travail. Rien que pour cela, il faudrait inviter davantage les compagnies allemandes. On aurait enfin l’occasion d’apprécier cette danse néoclassique que l’on ne connaît que par vidéos, et encore bien mal. J’avais bien entendu parler d’Uwe Scholz, par exemple, mais jamais de Martin Schläpfer…  

Vu avec Palpatine, mais allez donc aussi lire Pink Lady, qui m’a bien fait rire.

Sous champi ou sous sédatif, une chance sur deux

Depuis que Marie-Agnès Gillot fait les plateaux télé et les pages beauté people des magazines féminins, elle a troqué son statut d’étoile pour celui de star. La grande bringue qui dénotait parmi les autres danseuses, y allant parfois comme une bourrine, ça me parlait ; la grande gueule qui veut à tout prix qu’on la regarde, ça me baratine. Les apparences ne sont pas toujours trompeuses ; parfois, il n’y a juste rien derrière, seulement de belles couleurs. Pour ça, on n’en manque pas : du rose, du mauve, de l’orange (!!), du jaune, et fluo avec ça. Débauche de couleurs mais aussi de formes dans un passage qui tombe comme une groseille dans la soupe : boules façon pompons de caniche ou grappe de colère, bâtonnets à mi-chemin entre la baguette et le kayak (ou un sex toy de compét’) et cônes style sapin synthétique déboulent sur scène et en repartent en emportant définitivement l’humour qu’ils avaient introduit. Place à la danse, la vraie, que l’on doit voir sans idée préconçue, sans chercher d’histoire, juste ressentir. Je veux bien qu’on abandonne le ballet narratif. Je veux bien me laisser aller à la sensation. Mais en l’absence de fil directeur, cela glisse sur moi comme les danseurs sur scène.

 

Des sapins dansants

Nuage noir pour le Petit Rat, grosse myrtille de la pub Oasis pour Aymeric, avec derrière un chamallow pour le patient et persifleur Palpatine.

Le truc rose

Abeille pour le Petit Rat, banane rose géante pour Pink Lady, cigare pour Une envie d’ailleurs.
Et pour vous ? N’hésitez pas à exercer votre interprétation critique et à partager les fruits de votre imagination en commentaires…  (Y compris pour le rocher/bunker/morceau de Toblerone du décor.)

Les glissades des danseurs qui s’élancent pour de grandes traversées en dérapages plus ou moins contrôlés sont pourtant des trouvailles, qui prolongent le travail des pointes en « pied cassé ». Plutôt que de lancer les hommes dans une imitation de la technique féminine en leur mettant des pointes aux pieds, Marie-Agnès Gillot a lancé tout le monde sur un terrain peu exploré – et glissant, donc. Il n’y a guère que dans Giselle, en effet, que l’on trouve un morceau de bravoure de ce genre : la diagonale de la variation du premier acte est une suite de ronds de jambe sautés sur pointe. Cela implique de rentrer son cou-de-pied (pratique quand on n’en a pas, ou peu, comme c’est souvent le cas des hommes) et de crisper légèrement la cheville pour tenir sur le bord du plateau du chausson – un peu comme les carres en patinage. Et les danseurs – et les danseuses – patinent : certains s’y lancent avec entrain mais d’autres, moins casse-cou, semblent surtout angoissés à l’idée de se blesser , si bien que le spectateur, crispé, se met lui aussi à prier pour qu’aucune chute ne survienne. Peut-être n’a-t-on pas choisi les bons danseurs : ils n’ont pas franchement l’air de s’éclater, même dans des passages sans danger où la technique sur « pied cassé » sert surtout à se relever et à tenir en équilibre.

Il s’en dégage une impression de statisme, maqué à grand renfort de ports de bras. On les voit bien émanant du corps sculptural et anguleux de Marie-Agnès Gillot ; sur de plus petits modèles, c’esr un peu plat. Or le style d’un chorégraphe, c’est ce qu’il reste lorsqu’il a transmis à d’autres, d’autres corps, les mouvements qui lui viennent naturellement. Voir un chorégraphe danser ses propres pièces, c’est souvent voir l’origine du mouvement, comme inscrit dans son corps – quelque chose d’évident, de limpide. Parfois c’est encore plus beau sur les interprètes (c’est le cas de Preljocaj, par exemple) et l’on ne peut plus douter de la valeur chorégraphique des mouvements. Mais parfois, au contraire, ils perdent de leur intensité sitôt que chorégraphe et interprète ne font plus un, et l’adaptation devient synonyme de déperdition. Marie-Agnès Gillot a visiblement créé à partir d’elle (les radiographies de sa colonne vertébrale sont là pour vous le rappelez si jamais vous faisiez mine d’oublier) mais aussi pour elle – elle là, ça se gâte.

Même le choix des solistes sonne faux (comme la modestie de l’apprentie chorégraphe) : Chaillet semble là pour faire la promotion du spectacle auprès du grand public, qui connaît sa belle gueule de mannequin, et Alice Renavand, la caution chorégraphique, car pas une création contemporaine ne se fait sans elle. Niveau affinité, on repassera. Seule Laëtitia Pujol, assez inattendue dans ce registre, semble s’y amuser.

 

 

Que reste-t-il au final de ces apparences ? Un clip. Qui met en scène des hommes sexy à souhait avec leur casquette militaire et leur torse serré de cordages, qui, sur les femmes, deviennent un instrument de bondage. Pointes pour les hommes, cordages pour les femmes : érotiserait-on un sexe en lui attribuant ce qui appartient à l’autre ? Mais ce serait beaucoup dire, car en fait d’érotisme, il n’y a dans ce ballet que ce que l’on projette à partir des costumes : pas grand risque d’être ému par la danse, lisse et aseptisée comme les gants de vaisselle dont on a affublé Vincent Chaillet. Sous apparences n’est pas assez modeste pour être drôle et n’a pas le talent que réclame l’arrogance, malgré de bonnes idées. Voire à cause de ces bonnes idées : mais Marie-Agnès, ce n’est pas avec idées que l’on chorégraphe, c’est avec des gestes.

 * * *

 

Après le divertissement superficiel vient l’ennui profond : Cunningham ou l’intellect aride. La Pythie m’a raconté être partie au bout de cinq minutes. Pourtant Un jour sur deux est hyper dansant pour un Cunningham : je veux dire, les danseurs se touchent, quoi ! Y’a du contact ! De là à ce qu’il soit humain, faudrait pas pousser non plus, mais il y a des apparences de pas de deux, de l’interaction, avec un partenaire-contrepoids. Et des académique que même il en existe des bien plus moches. Surtout, les danseurs de l’Opéra de Paris présentent un avantage formidable pour le béotien ès Cunningham : ils ont la technique sans en avoir le style. Ce qui signifie qu’ils ne font pas tous tout le temps la gueule. Et même, de temps à autre, une intention, répréhensible car déjà trop lyrique en soi, anime un port de bras autrement raide comme la justice, encouragement discret pour le spectateur. On ne sait pas trop pourquoi on est là, semble-t-il dire, mais on y est et on y va, jusqu’au bout, même si c’est aride. Émilie Cozette, libérée de savoir pourquoi tel ou tel geste, est en revanche comme un poisson dans l’eau. Je laisse les Balletonautes en tirer les conclusions qui s’imposent.

 

Emilie Cozette et Hervé Moreau, par Julien Benhamou. 
La preuve qu’il y a contact.  

 

Il faut se résigner : c’est la seule manière de traverser le ballet. Alors peut-être, à force de laisser vos yeux suivre la ligne d’une jambe, perdre le buste auquel elle était raccordée et enregistrer la présence d’un nouvel académique, vous atteindrez cette attention flottante qui vide peu à peu la pensée de sa réflexivité pour la concentrer sur le mouvement insignifiant et perpétuel de la scène. Insignifiant, parce tout geste est proscrit, pour que jamais l’interprétation critique ne se mette en mouvement. Perpétuel, parce qu’à force de mouvements, on atteint une sorte d’immobilité – cela bouge juste assez pour que l’attention flotte sans jamais être attirée par quoi que ce soit. J’imagine que c’est ce qu’on appelle la méditation. C’est à la fois extrêmement reposant (on s’approche asymptotiquement de ne penser à rien ; on fait le vide sans, heureusement, jamais y parvenir totalement) et totalement épuisant (on ne peut pas rester concentré indéfiniment). Pas certaine que ce soit mon truc mais, quoiqu’il en soit, c’est une expérience que je vous laisse méditer.  

 

LA position du ballet.
Quelques instants plus tôt ou plus tard, promenade arabesque générale synchro (coïncidence cagienne ?)  avec un brouhaha d’hélicoptères.


 

Sélection …WTF …délicieuse(ment) méchant


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« L’émotion traduite dans les corps est impressionnante : on pense autant à Balanchine qu’à Béjart. »

Dans la catégorie je balance deux noms pour faire genre je m’y connais, celle-là est assez géniale. Recalé en histoire de la danse.

Le JDD

 

« Marie-Agnès Gillot/Merce Cunningham à Garnier : épure et austérité »
De l’épure, donc.  

« Les danseurs qui ont eu 3 mois pour appréhender les pointes, glissent vaillamment sur un lino brillant avec une rapidité de mouvement et de déplacement qui évoquent Cunningham. » Toute transition n’est pas bonne à prendre. Recalé en histoire de la danse.

Culturebox

 

 

« Colourful minimalism meets the Village People »

Laura Cappelle

 

« palette « Smarties » d’un côté ; sobriété gris métal de l’autre » 

« [les danseurs sont] lancés comme des boules de bowling »

Le Monde



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« Bien que réduite de vingt minutes, cette pièce aujourd’hui de 67 minutes a du mal à séduire les hommes et les femmes pressés de l’époque twitter. Mais il faudra bien un jour comprendre que redonner du temps au temps est essentiel à notre vie. » 

Le JDD 

« Émilie Cozette danse sa partition comme ces soprano étrangères qui articulent parfaitement un texte qu’elles ne comprennent pas. »

« Sylvie Guillem aurait dit jadis à un journaliste : « J’ai appris à apprécier le plafond de Chagall à l’Opéra en assistant aux ballets de Merce Cunningham. » »

Les Balletonautes, qui commettraient des crimes parfaits tant ils excellent dans la critique assassine.

 

Fifty shades of Cunnningham : le meilleur article écrit sur Un jour sur deux, et le seul qui vous le fera peut-être aimer. Avec le mode d’emploi de Danses avec la plume pour « apprendre à se déconcentrer ».

 

Kitri killeuse

Ravie d’avoir une place pour la pré-générale de Don Quichotte, je le suis plus encore lorsque je vois apparaître Mathilde Froustey sur scène. Je la voyais bien dans le rôle. Difficile en effet de ne pas la voir : elle qui n’est déjà pas du genre à se faire prier en temps normal a carrément bouffé du lion. Sa pantomime a beau être bon enfant (parfait lorsqu’on sait que la soirée leur est réservée), le premier qui emmerde Kitri, elle le décapite d’un développé. Même un fétichiste renoncerait alors à se trouver dans ses chaussons… Au-delà de la fatigue physique, qui rend plus épuisant de contrôler sa force que de la laisser déborder (il faut être en forme pour pouvoir s’économiser), cette débauche d’énergie révèle le besoin qu’à Mathilde Froustey, survoltée-révoltée, de se défouler. Il faut dire que le résultat du concours de promotion ne se justifierait que par une nomination extraordinaire, en vertu du précédent établi par celle de Mathieu Ganio alors qu’il était encore sujet.

Un peu trop rapide, un peu trop brusque… c’est le trop-plein qui s’évacue. Tant pis pour le tour à la seconde du dernier acte ; il peut bien être sacrifié si c’est pour ensuite aborder l’ensemble des représentations avec davantage de sérénité. Car une fois que les corps se sont échauffés et que les esprits se sont apaisés, les personnages se dessinent : Pierre-Arthur Raveau, découverte miamesque, donne une classe certaine à la fougue de Basilio, tandis que Kitri est tour à tour séduisante (mouvements un peu plus lents, qui donnent le temps à la sensualité de s’exhaler), piquante (les fameux équilibres de la miss, qui flirtent avec la musicalité et semblent toujours vous narguer) et espiègle (la Coppélia-attitude, avec les pieds flex et le buste désarticulé qu’elle se fait brinquebaler de son amoureux à son prétentieux prétendant).

Du reste de la distribution, on retiendra Laura Hecquet en danseuse de rue (entre ça et Cappricio, elle fait beaucoup la danseuse, en ce moment – il faut dire qu’avec le profil qu’elle a…), un peu raide au premier acte mais bien plus voluptueuse au troisième ; Héloïse Bourdon en reine des Dryades, qui suit l’exemple de Mathilde pour faciliter le travail des photographes avec un magnifique équilibre attitude (en prenant des chaussons moins bruyants ou en ne forçant pas les glissades vers l’écart, ce sera parfait), et le chef des gitans dont je ne connais pas le nom et dont je veux connaître l’identité et plus vite que ça ! Il supplante en sexytude le toréador qui, malheureusement pour moi, rayonne de gay-itude (ou d’application, je ne sais pas, après tout) jusqu’au premier balcon, alors que celui du Bolchoï m’avait laissée dans un état proche de la pâmoison.

Et c’est là que le bât blesse : lorsque le souvenir des Russes ressurgit. Certes, il ne s’agit que d’un filage et les danseurs sont probablement fatigués par les répétitions sans être galvanisés par une salle comble, mais les ensembles, parfaitement au point, manquent pourtant de mordant. Sans aller jusqu’à la fougue slave, on attend plus d’ardeur, de sémillant ; il faut non seulement y aller mais se laisser aller : ce ballet n’a d’intérêt que s’il est drôle et affriolant, que si le corps de ballet est aussi crâneur que les toréadors (pas en vert sapin de Noël, par pitié) et aussi aguicheur que Kitri. Je veux que l’on m’agace, que diable ! – comme le toréador agace le taureau. L’opéra s’est peut-être un peu trop appliqué à nous faire voir rouge en programmant Don Quichotte un an seulement après le passage du Bolchoï. À voir. 

Les tocs et les Trocks : le style travesti

Les parodies travesties des ballets Trockadéro attirent aussi bien les balletomanes, qui connaissent le répertoire sur le bout des doigts et voient son détournement d’un œil complice, qu’un public plus large, quoique à forte composante homosexuelle, humour gay oblige. Mum ne cesse d’ailleurs de s’en esbaudir, trouvant les hommes gays beaucoup mieux conservés que ceux auxquels elle peut prétendre (hé, hé, pourquoi je sors avec un mec qui se fait draguer par d’autres mecs, à ton avis ?). La diversité du public n’est pourtant pas si étonnante que cela, si l’on considère celle des ressorts comiques employés dans le spectacle. Petit tour de piste.

 

À la pointe du burlesque

Forcément un homme en tutu et sur pointes, ça fait son petit effet. Ou son grand effet lorsqu’il s’agit pour les cygnes d’aller traumatiser à tour de rôle Rothbart (le méchant du Lac des cygnes) et que l’un deux, particulièrement baraqué, gonfle les biceps, tire sur ses bretelles et fait ainsi apparaître un torse poilu au-dessus du bustier, le tout en grand plié seconde façon All Blacks. Lorsque l’oeil s’est habitué à la perruque et au maquillage outré (au point que deux ou trois petits modèles aux épaules pas trop larges et aux mollets bien dessinés passent aisément pour de véritables ballerines), ce sont les physiques atypiques – même pour des danseurs, au masculin – qui rejouent cet effet comique. Dans Go for barocco, on se dit que l’Hercule à jupette du dernier ballet devrait peut-être faire un régime, quoique l’on hésite entre le régime amaigrissant pour gagner en agilité (et ne pas être obligé de sortir de scène lorsque la chorégraphie devient un peu plus complexe) ou le régime grossissant pour se reconvertir en demi-dieu japonais.

 

Le méta-comique de théâtre

Au début du spectacle, une voix off avec un accent à couper au couteau nous demande d’éteindre nos téléphones portables et annonce le remplacement d’un des cygnes, envolé pour le Grand Théâtre International de… Belleville (il y a des majuscules, on les entend).

Un peu plus tard, le prince du Lac des cygnes fait son entrée dans le silence, se place et voyant qu’on ne lance pas la musique fait un pas. Puis un deuxième. Encore un. Et traverse toute la scène dans le silence bientôt rompu par les rires du public devant la pose altière qu’il conserve en dépit des aléas techniques. Après cette variation-diagonale la plus courte de l’histoire du ballet, il suffit à madame, plus pragmatique, de faire un petit signe au technicien pour commencer sa variation : musique, maestro !

Le personnage du technicien-à-la-masse fait à nouveau des siennes dans La Mort du cygne : le projecteur, attendant en vain l’apparition du soliste dans le cercle de lumière, balaye lentement la scène de côté jardin à côté cour, puis la fouille à toute vitesse dans le désordre à la recherche du fugitif – qui, évidemment, apparaîtra finalement du côté opposé.

Ce méta-comique de théâtre en rajoute une couche mais rend aussi hommage aux techniciens de l’ombre (et de la lumière, donc), qui sont indispensables à un spectacle sans accroc. Dieu sait ce que cela donne lorsque l’on s’est mal compris avec la régie et que la musique part trop tôt ou que les lumières sont baissées trop tard…

 

La danse classique parodiée

Les règles et les conventions qui régissent la danse classique en font un objet de parodie tout trouvé, dans la mesure où le comique naît de la raideur d’un mouvement ou d’une idée qui se poursuit mécaniquement sans s’adapter à son environnement. Cela commence dès le sourire Colgate, qui fige le visage indépendamment des difficultés rencontrées par le danseur (c’est une des différences entre le sport et la danse) mais aussi des émotions vécues par le personnage (ce qui nous éloigne immédiatement du personnage et nous renvoie au danseur).

La source la plus efficace de comique reste cependant la pantomime, cet ensemble de gestes censés se substituer à la parole pour faire avancer l’action mais auxquels on ne comprend souvent pas grand-chose car ils relèvent davantage de la convention et des symboles, qu’il faut connaître, que du mime, lequel, silencieux et non muet, imite les mouvements de la réalité. Plutôt que gesticuler, les Trocks préfèrent revenir au sens premier de la pantomime avec des mouvements, disons, modernes. Finie la noblesse du prince qui s’exprime avec des fioritures : on tape du pied pour de bon quand on est furax, on met la main aux fesses de la future princesse quand on veut justement lui signifier qu’on la veut en princesse et on fait semblant d’hésiter à cette proposition indécente le doigt sur la bouche en cul de poule cygne poule et la tête penchée. La réalité se réintroduit parfois dans sa représentation : le cygne se met alors à nager le crawl (et le « petit chien » pour tourner, en agitant les mains comme des pagaies – pied-de-nez en passant à la stigmatisation de l’homosexuel efféminé) et à perdre ses plumes façon pour finir poulet plumé dans La Mort du cygne (il tient aussi du pigeon pour son mouvement de tête et de la poule qui picore).

Quant aux pas en eux-mêmes, on trouve bien quelques bras hyper-tendus et des pieds flex, mais on n’y a finalement pas trop touché. Il faut bien qu’il reste quelque chose de l’objet parodié et, de même qu’en littérature, les pastiches jouent plus rarement sur les mots en eux-mêmes que sur leur arrangement en repérant les tics des auteurs, les Trocks ne parodient pas tant la danse classique en tant que vocabulaire que les enchaînements traditionnels du ballet ou ceux de chorégraphes au style très identifiable.

 

L’art et le maniérisme des styles

Le « gros » comique voisine ainsi avec une analyse très fine des ressorts stylistiques, réservée à un public un peu plus initié. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le cygne sous toutes ses formes (en lac ou à l’agonie) est privilégié par les Trocks : le ballet de Tchaïkovsky est sûrement le plus connu de tous et permet ainsi à chacun de goûter un peu au plaisir des balletomanes. Ceux-ci (celles-ci ?) reconnaîtront la patte, palmée ou non, de chaque chorégraphie : les bras perpétuellement en mouvement du Lac des cygnes et les ports de tête dans le morceau de bravoure des quatre petits mais aussi les formations alambiquées de Balanchine (rendues par des déplacements en chenille et à petites foulées, les bras repliés comme pour un jogging). Après le Agon tout frais de cette rentrée, j’ai explosé de rire au début de Go for barrocco, lorsque les danseurs en jupette noire (so typical) s’appliquent à planter par terre le talon d’un pied bien flex, comme pour une bourrée paysanne. J’étais un peu la seule sur ce coup-là, je dois avouer, mais j’ai joint mon ignorance à celle du public non balletomane dans la dernière pièce de la soirée.

 

De bric et de Trocks

De ce ballet de nymphes, satyres et demi-dieux, je ne connais ni le nom d’origine ni le nom parodié. Je ne sais pas si je dois voir dans cette pièce mystère la preuve de ce que l’on ne rit vraiment que de ce que l’on connaît bien ou les limites de la troupe. Mon baromètre tend à ne pas exclure cette dernière hypothèse : Mum, qui a pourtant ri à Go for barocco alors qu’elle ne connaît pas spécialement le Balanchine à justaucorps noir et collants blancs, a eu la même impression mitigée que moi quant à cette dernière pièce. Rien n’y prête vraiment à rire sinon le caractère très désuet de la fable mythologique (en fin de spectacle, l’effet du travestissement est en partie émoussé) : le ballet est moqué plus que parodié, si bien que l’on ne sait plus trop si le détournement en est comique ou risible. La caricature manque de relief pour que le ballet soit vraiment singé et les singeries de rigueur pour en faire une charge polémique sur le thème : les hommes peuvent-ils sans rire se prendre pour des ballerines ?

On sent parfois au cours du spectacle la volonté de se délester de l’attirail comique pour danser, tout simplement (au point que le second prince, au coup-de-pied et aux sauts impressionnants, semble avoir atterri dans la compagnie par défaut, à cause de sa petite taille, plutôt que par goût). Si jamais c’est bien ce qui est visé dans la dernière pièce, qui avance sous couvert du comique sans pour autant faire rire, le parti-pris n’est pas assez franc. Il faudrait pour cela élargir le répertoire et homogénéiser le niveau de la compagnie : il y a des danseurs très, très, très bon (on ne rit des bourdes que si l’on est sûr que le reste n’en est pas, et il faut pour cela que tout soit impeccable) et d’autres presque maladroits, à la limite de l’amateurisme (qui ne figurent pas sur les DVD). Mais une troupe non parodique d’hommes-ballerines, voilà qui serait beaucoup plus dérangeant – et moins profitable à la diffusion de la danse auprès d’une audience qui n’est pas son public habituel. Car les Trocks, c’est aussi cela : de la danse intelligente et populaire, qui rassemble aussi bien les universitaires des queer studies que le tandem père-fils des matchs de baseball.

À lire : l’article savoureux des Balletonautes, qui n’oublie pas de se délecter du lieu (ma première fois aux Folies bergères, d’ailleurs). 
À voir : Go for barocco, les quatre petits cygnes, La Mort du cygne