ABT 2 : le Sadler’s Wells au galop

Deux jours plus tard, les mêmes, plus Pink Lady. Le premier balcon est à moitié vide et comme les gens s’obstinent à ne pas se descendre sur deux rangs laissés entièrement vides, nous nous replaçons au milieu du milieu : tous les danseurs rien que pour moi.

Cela faisait longtemps que je voulais voir Thème et variations, qui figure parmi les premières images de danse que j’ai collectées et devant lequel j’ai rêvassé (pour ma défense, je tiens à préciser que les costumes étaient loin d’être aussi kitschounes que ceux que l’ABT nous a sortis) en les classant et reclassant dans un gros classeur vert et ses pochettes plastiques. C’était le début d’internet, quand on trouvait encore merveilleux qu’un simple texte et trois photos bien fixes apparaissent en cinq minutes de chargement, et quand j’ai découvert toutes les photos de danse auxquelles j’avais ainsi accès et qu’en plus je pouvais, ô joie, les imprimer, je ne me suis plus sentie… jusqu’à ce que la cartouche d’encre couleur meurt sous le coup des (déjà) nombreux sites de danse et entraîne une relative restriction – modération à tout le moins.
Effectivement, le ballet se prête bien à la photographie, surtout durant le long adage de la soliste au milieu d’un écrin froufrouteux (les tutus des danseuses en piétinés, bras emmêlés pour des formations à configuration multiple).

 

 

Le reste du temps, la rapidité doit certainement rendre la chose un peu plus difficile, mais les figures symétriques et les alignements militaires des tutus guimauves continuent à rendre photogénique ce ballet que Gillian Murphy et David Hallberg ont mené tambour battant. Avec sa ligne fine, élégamment musclée, terminée par un coup de pied à faire pâlir d’envie n’importe quelle fille, le danseur se glisse aisément dans le rôle du prince charmant, sans pour autant se fondre dans le décor cliché des chandeliers. Gillian Murphy s’en sort bien, surtout pour une rousse dans une meringue rose, et orchestre le feu d’artifice final, lorsque le corps de ballet masculin rejoint le féminin et que ça pirouette, tour en l’air et jette grandement. La musique me rappelle curieusement la danse espagnole (ou alentour) du Lac des cygnes ; Palpatine me dit que c’est normal, que Tchaïkovsky recyclait souvent ses fonds de tiroir. La grande diagonale des couples défilant me rappelle les Diamants des Joyaux ; je me dis que ce doit être normal, Balanchine chorégraphiait toujours à l’image de la musique…

À l’entracte, je profite de mon plat thaï tellement spicy (qu’il fallait donc traduire par « pimenté » plutôt qu’ « épicé ») que j’ai pris le piment pour du poivron pour enfin goûter les petits pots de glace des théâtres londoniens ; Toffee hazelnut, ma foi, je recommencerai bien. Léchant ma cuillère, je suis bêtement les deux zigotos qui se lancent dans une opération de replacement ninja au parterre, forcément sur le côté. J’ai ensuite regretté : je préfère être un peu plus loin mais bien centrée plutôt que proche et sur le côté, ai-je pu vérifier. Outre que les Américains ont un sens de l’espace qui s’apprécie mieux en hauteur (ils dévorent la scène- ce doit être l’habitude des grands espaces), je me sens laissée de côté lorsque les danseurs portent leur regard au loin, tandis qu’en haut, au centre, ils dansent pour moi. À cet accès d’égocentrisme s’ajoute le fait que j’ai l’impression de passer à côté ; la tête du bonhomme devant moi, quoiqu’elle ne me dérangeait pas à proprement parler pour voir me ramenait à la salle dès qu’elle bougeait et il est très désagréable d’être sans cesse sorti du ballet, surtout quand il est narratif et joue sur les émotions.

 

 

              Le jardin aux lilas d’Antony Tudor, en effet, est bâti sur une trame narrative simple : dans un jardin, à la veille de ses noces, une femme revoie une dernière fois son amant tandis que son futur mari écarte définitivement son ancienne maîtresse. Plus qu’une histoire (Palpatine et Pink Lady se sont plaint de perdre le fil narratif), c’est une situation : au milieu des invités, quatre personnes pour trois couples qui ne peuvent exister en même temps, celui qui subsiste encore (la femme et son amant) se diluant entre celui qui n’existe plus (le mari et le maîtresse) et celui qui n’existe pas encore (les futurs mariés), le seul auquel une quelconque réalité soit permise. Ces contradictions donnent lieu à des inventions chorégraphiques remarquables, quoique discrètes, tout en finesse. L’entrevue avec son amant sans cesse retardée puis interrompue par les invités, la future mariée (Melanie Hamrick, très expressive) se retrouve seule et désemparés, bras ballants le long du corps, les mains qui voudraient bien se tendre vers quelqu’un mais que le poignet décolle à peine de la robe et qui restent les doigts recroquevillés sur la paume tournée en suppination (muette supplication à peine esquissée) ; un pied repassé devant l’autre en cinquième change son épaulement et elle cherche de l’aide à droite et à gauche – en vain, et elle part en petites arabesques à la Willis, plus traînées que sautées, la jambe tendue derrière elle au ras du sol, longue : longing. Plus tard, comme Myrtha mais en avant-scène, elle traverse le plateau en menés et ses mains descendent en frémissant le long de son buste, mouvement de palpitation.

 

Pas sur le front, la main, sur la bouche :
ce n’est pas un moment d’abandon, ou alors d’abandon angoissé ;
plus tard, plus tôt, en arabesque, elle se la mord presque.

              Tout n’est pas centré uniquement centré sur la future mariée et l’ancienne maîtresse (Veronika Part) , loin d’être une vamp’ sans pitié (quoique sa robe violet éclatant, parmi des invitées vêtues de couleur pâles ou sombres mais effacées, pourrait en faire une empoisonneuse d’existence) est une femme abandonnée pour son amant, plus seule encore que la future mariée qui doit se résoudre à abandonner le sien mais conserve toute son affection (quand bien même celle-ci ne sera bientôt plus qu’un souvenir). La violence avec laquelle elle se jette au-devant de son ancien amant rend presque fades les élans de passion de la future mariée (je préfère les moments contraints, soit qu’ils soient contenus par pudeur, soit qu’ils soient contrariés par un autre ou par un devoir envers soi-même – allez donc lire cette critique, et celle du premier programme aussi, pour l’humour british). Lorsque sa maîtresse se retrouve dans ses bras, le futur mari ne la retient pas : il l’arrête – dans les airs, raide. Il y a cette façon désespérée de vouloir recréer ce qui n’est plus, de forcer de la main la tête de l’homme à se tourner vers son visage alors que le bras qui la retient en pâmoison ne porte plus qu’un fardeau ; de chercher un appui qu’il n’offre plus et laisse tout au plus à disposition, indifférent, rendant le pas de deux caduque et ses tentatives maladroites, comme un élève qui cherche la barre dans son dos pour ne pas avoir à risquer l’équilibre en se retournant. Ou encore ce développé à la seconde, légèrement au-dessus de 90°, et qui, dans son équilibre, pointe l’aspiration du désir inassouvi.

 

               Tout cela et cent nuances encore s’entraperçoivent dans ce jardin aux lilas, éclairé par la lune qui filtre à travers le feuillage. Peu avant la fin, la scène se fige avec tous les protagonistes en train de se faire leurs adieux – courtois ou déchirants- et la jeune femme s’en détache pour aller donner un dernier baiser à son amant ; mais elle ne parvient pas à se glisser dans ses bras immobiles, à se rapprocher jusqu’au baiser, un obstacle invisible l’en empêche : le fantasme lui-même n’est pas assez malléable et résiste à lui accorder, ne serait-ce que l’instant d’un rêve, cette issue défendue. Le tableau se ranime, le mari referme la main que sa future femme a laissé s’attarder tendue vers son amant après avoir ainsi salué chacun des invités, et la rabat doucement contre elle pour lui prendre le bras, dignement.
              Donc, non, ce n’est pas une petite pièce mièvre et brouillonne. Tout juste à l’image du Poème de Chausson, délicatement articulé.


Tchaïkovsky pas de deux m’a un peu consolée d’être descendue, car un couple seul s’apprécie mieux de près, même si le petit sourire coincé de Daniil Simkin n’était pas indispensable. Avec Isabella Boylston , il a fait du pas de deux une miniature : c’est ciselé, bondissant malgré la rapidité prodigieuse mais, ce qui n’est certes pas sans aider, l’un et l’autre ne sont vraiment pas grand, et lui pas bien vieux. C’est un délicieux bonbon de gala mais ne me laissera pas grand souvenir.

Nouvel entracte, j’en profite pour remonter et m’asseoir toute seule en plein milieu de la rangée : à moi le plateau ! Bon, en fait, Company B, de Paul Taylor n’est pas ce que j’ai préféré de la soirée. La chorégraphie aux zestes de danses populaires des jeunes dans les années cinquante n’est pas sans me rappeler l’énergie du NYCB dans West Side Story mais ce n’est pas aussi emballant. Beaucoup d’humour, de l’intello qui roule des mécaniques ou beau gosse joyeux branleur en passant par les jeunes filles amoureuses nœuds dans les cheveux, jupes au genou et chemisiers blousants, et une métisse pour qui les garçons se roulent par terre, mettent en route cette « mauvaise troupe » ; un rythme uniformément endiablé sur des chansons à pulsation régulières qui ne le sont pas forcément aplatit un peu l’ensemble, pour un résultat qu’on voudrait éclatant mais qu’on trouve à regret en demi-teintes. Cela ne m’a pas empêchée de chantonner la dernière chanson (dont je devais tout de suite connaître quatre paroles – c’est le pire) sur tout le trajet retour jusqu’à la gare.

 

 

ABT : Sadler’s without sadness

[et un understatement pour le 4 (février), un !]

C’est pour l’American Ballet Theater que Palpatine et moi sommes retournés à Londres. Officiellement, du moins, c’est ce que nous nous sommes dit et le prétexte initial ne nous a finalement pas fait mentir sur notre but. Un peu comme le New York City Ballet, l’American Ballet Theater déborde d’énergie et leur danse beaucoup plus straightforward que ce dont nous avons l’habitude est une belle récréation. Les alignements ne sont peut-être pas parfaits (et encore, c’est plus une question d’espacement à l’intérieur de lignes bien tenues – de haut, impossible de tricher) mais l’expressivité n’est pas l’exclusivité d’un ou deux solistes, et ce malgré des chorégraphies qui exigent une rapidité et un ciselé incroyables. Pas de lyrisme mais de la vivacité, des muscles mais pas en force, du nerf sans crise ; c’est l’American way of dance.

Seven Sonatas avertissait d’emblée que cette façon de danser n’a rien de superficiel et que l’absence d’abandon lyrique n’empêche pas l’expression de l’intimité. Au contraire : lorsque rien ne dégouline à l’extérieur, il est plus aisé d’accéder à l’intériorité. Ne vous méprenez pas, cependant : la chorégraphie d’Alexei Ratmansky n’a rien d’introspectif et les trois couples qui évoluent sur la musique de Domenico Scarlatti (jouée au piano en arrière-scène, et non pas à moitié en coulisse côté jardin comme il en va d’habitude) sont aussi vifs voire espiègles que passionnés. Il est amusant de constater que ce pas de six est composé un peu comme un pas de deux : il s’ouvre et se ferme sur une scène de groupe, et fait se succéder les couples, ensembles puis par variations féminine et masculine, avant de nous proposer une variation sur ces variations, avec filles et garçons en groupes distincts, qui doivent finalement les réunir. Les robes blanches cherchent toujours à mieux épouser les corps, c’est extrêmement fluide, on aurait parfois presque l’impression de voir du patinage artistique, comme lorsque, en manège, les garçons retiennent les filles de tomber en écart et les font tournoyer ainsi, en les tenant sous les épaules. De quoi balayer toute réticence.

Et comme les robes ne font pas tout, il faut que je vous fasse comprendre tout le bien que je pense d’Herman Cornejo (surnommé « col Danton » par Palpatine qui, à Londres, mate presque plus les mecs que les nanas), petit chose aux cheveux bouclés très émoustillant (les cheveux bouclés sont un fantasme – à distinguer des moutons frisés que nous pouvons avoir à l’opéra), surtout quand il attaque l’espace avec une sensualité féroce. Puissant (j’ai soudain comme un doute : si j’aime tant cet adjectif, serait-ce à cause de son contraire ?). C’aurait été un argument pour me faire prendre espagnol en LV2. Et comme mes hormones ne sont pas mon unique critère d’appréciation, je me dois d’ajouter que David Hallberg, aux cheveux non seulement plat mais blonds, m’a presque fait frissonner juste en écartant l’espace comme des rideaux, en écartant les bras avec les paumes flex, avant de se replier par un imperceptible sautillement en sixième pliée et épaulée.

David Halleberg, ses cheveux, son coup de pied.

Et Yriko Kajiya qui de ses bras enserre son genou contre sa poitrine alors que son partenaire la tient, légèrement désaxée, à la taille… On pourrait en dire autant de Xiiomara Reyes et Julie Kent, d’où vous devez conclure que ces effluves de Dame aux camélias à l’américaine étaient une petite tuerie.

 

 

Twyla Tharp mériterait d’être Known by heart, comme le titre de son duet qui déménage. Gillian Murphy, une bombe rousse qui aurait pu danser avec the mask, et Blaine Hoven, pour le mouvement d’épaule duquel on pourrait se damner, offrent avec un peu d’humour et beaucoup d’énergie un duo explosif, avec dérapages contrôlés – sur pointes et sur un bon mètre, s’il vous plaît. Ce type de danse par rebond (un mouvement arrivé à sa fin en déclenche un autre qui semble le contrecarrer) -une sorte de Trisha Brown survoltée– a un effet délirant sur moi ; c’est toujours bon signe lorsque, ayant intériorisé et suivi le mouvement sans m’en rendre compte, je fais un geste involontaire sur mon siège, qui le prolonge et lui donne la réplique. Le surnommé « Junk » duet n’est pas de la junk food, l’affaire mérite que je creuse cette histoire de pyjamas rouge dont Palpatine ne s’est visiblement toujours pas remis.

Ce n’est pas la bonne danseuse, mais c’était pour vous donner une idée de jazzy.

Duo concertant aurait pu me faire manquer cette soirée si j’avais dû choisir entre les deux programmes. C’est je crois la chorégraphie de Balanchine qui m’avait le moins enthousiasmée lorsque le New York City était venu à Paris. Il faut dire que Stravinsky au piano et au violon ne met pas franchement à l’aise et comme Ronald Oakland, le violoniste, ne l’était pas non plus, il nous l’a massacré. Même avec mon oreille médiocre, les dissonances de la partition et le grincement qu’on pouvait supposer naturel à l’instrument, je n’ai pas pu ne pas entendre des couacs. Du côté des danseurs, en revanche, c’est virtuose, mais leur extrême technique tourne malgré eux dans le vide et mes considérations s’égarent sur les bonnets (pas de nuit, néanmoins). Les filles ont quelque chose que l’on ne voit jamais à l’opéra : de la poitrine. Je l’avais déjà remarqué avec Gillian Murphy qui devait faire un bon C (selon l’œil connaisseur de Palpatine, qui a davantage le compas dans l’oeil que pour les tailles – et quand je me suis rappelé que j’ai encore plus l’air d’une planche à pain sur scène, je n’ai pu que confirmer) et c’est devenu encore plus visible (D ?) chez Misty Copeland. Curieusement, c’est plus esthétique que chez la première – une question de doublure de tunique très certainement.

 

Alors qu’il danse, chorégraphie pour des films et fait un môme à l’actrice principale, Benjamin Millepied semblerait se moquer un tout petit peu de nous en annonçant que Everything doesn’t happen at once (heureusement, il est sauvé par la date de la création). Certes, une préparation de lino et un échauffement à rideau levé (qui me remettent dans l’ambiance de la répétition du Sacre) indiquent que le spectacle n’apparaît pas ex-nihilo à la seconde, mais par la suite, le chorégraphe prend un malin plaisir à tendre le regard du spectateur et retient à chaque fois in extremis l’éclatement : d’abord synchronisés et/ou exécutés par des danseurs peu nombreux sur le praticable blanc (les autres attendent autour) les enchaînements se dissolvent peu à peu en une simultanéité foisonnante et difficilement préhensible, bientôt rattrapée et ramenée à l’ordre par des lignes quasi militaires, martelées du bout des pointes.



On passe beaucoup son aspi-danseuse dans cette soirée.

Le temps d’échauffement a l’avantage de résoudre les petites fascinations personnelles indépendantes à la chorégraphie avant que celle-ci ne commence. Première remarque : quoique ce ne soit peut-être pas pour les mêmes raisons, Palpatine et moi aurions bien arraché leur robe aux filles (cette espèce de bretelle triangulaire qui fait un dos-nu asymétrique, c’est puissant). Ayant réussi à détacher Palpatine de Gemma Bond (je préfère ne pas imaginer ses fantasmes maintenant qu’il a ce nom) en lui montrant une (fort jolie) asiatique au téléphone (!), j’ai réussi à lui indiquer Daniil Simkin et à lui enjoindre de garder un œil sur ce jeunot pour le moment très nonchalant dans ses étirements (le dessus de la cuisse, quoi, faut réserver l’effet de surprise). Et cela ne loupe pas dans la suite lorsque le corps de ballet se divise : il y a les filles, les garçons – et Daniil Simkin, qui a plus de ballon qu’aucun autre danseur mais se jette dans leurs bras (se jette, je répète, le groupe d’homme l’arrête vraiment au vol, comme des groupies qui recevraient le corps de leur idole) avec moins d’hésitation que la danseuse la plus casse-cou.


Pigeon vole, Daniil Simkin vole !

Je savais déjà à quoi m’attendre ; Palpatine en a carrément oublié de regarder les filles (« mais il est aussi gringalet que moi »). Je me demande vraiment comment il va évoluer (Simkin, pas Palpatine- quoique), parce que, si l’on peut bien l’inclure au sein d’un groupe masculin (c’est déjà un progrès), on ne le remarque alors plus du tout (signe d’un équilibre qui reste à trouver entre des particularités à gommer et une personnalité à ne pas effacer), et lorsqu’il sort du groupe, c’est toujours sur le mode ironique du surdoué qui devient insolent d’aisance, comme à la fin lorsque sa ses pirouettes finales (elles se vendent en moyenne par lot de cinq) sont la force centrifuge qui fait éclater le groupe ramassé autour de lui.

 

Bref, une danse très incarnée, arousing (enthousiasm – what else ?), pour une soirée pleinement appréciée de notre place conquise par replacement en plein milieu du premier balcon. Y’a bon.

Après Béjart, Gil Roman

 

Le titre du documentaire d’Arantxa Aguirre apparaissait à l’écran comme sous-titre pour « le cœur et le courage ». À croire que la citation de Cervantès n’est plus valable sortie d’Espagne et que tous les petits Français, qui ont pourtant répété (la bouche) en chœur « Rodrigues, as-tu du cœur ? », sont incapables de comprendre l’étroite relation que les deux termes entretiennent. On s’en doutait déjà pour avoir vu le best-of L’Amour la danse : le cœur n’est jamais mièvre chez Béjart et les danseurs ont même intérêt à l’avoir bien accroché. Car ce qui transpire rapidement de ce documentaire, après un premier temps d’hommage où les témoignages se succèdent en laissant un même écho sonore, « maître », « générosité », « humanité »1, c’est la force incroyable que le chorégraphe exigeait de ses danseurs et qu’il leur découvrait, à leur propre étonnement, au-delà de l’épuisement. C’est cet effort constant, constamment renouvelé, sans cesse repris et intensifié qui me touche, davantage que les effets de ralenti, de cadrage ou de lumière dont use la caméra pour jouer sur l’émotion. Les danseurs du Béjart Ballet Lausanne sont venus du monde entier (une des rares troupes à être si bigarrée – les interviews révèlent une vraie tour de Babel) pour être ses danseurs et c’est en continuant à danser avec le même acharnement qu’ils lui rendent hommage, bien plus que par leurs mots- mausolée.

Il s’agit toujours de recommencer : la compagnie, qui reposait sur un nom et doit à présent transmettre un style ; la création, par laquelle ce dernier sera perpétué et enrichi ; le mouvement, encore et toujours, au plus juste. Et Gil Roman de ne lever la séance de répétition que lorsque Elisabeth Ros, cette géante qui semble d’une solidité infaillible, s’étale de tout son long, fauchée par la fatigue, la pointe qui s’est dérobée. Cela pourrait paraître inhumain à certains, mais se reprendre tous les jours, prendre sur soi et reprendre sur soi le mouvement jusqu’à ce qu’il aille, comme un vêtement, cette volonté de puissance, c’est bien autre chose : c’est surhumain. L’humain qui travaille son imperfection, voilà le danseur. Et voilà Gil Roman, qui se retrouve soudain avec cette compagnie, à devoir justement se retrouver, avec ses doutes et son angoisse démultipliés en chacun des danseurs, et cependant s’oublier pour les faire progresser, pour que cela marche et que cela danse. Surtout continuer à avancer, surtout ne pas se retourner sur le passé, c’est ce que lui avait dit Béjart. S’éloigner du maître est nécessaire pour ne pas le trahir, mais douloureux. Il faut quitter les terres connues et naviguer à vue, en eaux troubles.

Alors qu’on le voit descendre facilement une cartouche de cigarettes en l’espace de quelques interviews (quelques jours ou quelques heures), le visage de Gil Roman se trouve pétri d’expressions humaines aussi nuancées qu’elles le sont d’ordinaire à travers le corps des danseurs ; appréhension, angoisse, abattement, remarques désabusées font rire malgré tout car jamais rien ne semble entamer l’espoir, pas même le désespoir d’un décor entièrement à revoir lors de la générale (c’est même seulement là qu’on peut savoir qu’il s’agit d’espoir). C’est à mon sens là tout l’intérêt de ce documentaire que de nous montrer un homme seul, seul depuis le début, et un peu plus encore maintenant, à présent que la Symphonie pour un homme seul, qui ouvre le film presque sur un baisser de rideau (l’entrouvre), se poursuit hors de la scène. Et si c’était par la fin que tout commençait… pourquoi pas.

1On pourra remercier Julien Favre de ne pas savoir bien s’exprimer qu’avec son corps.

Danse sous influence

 

[il est recommandé aux non-balletomanes, si jamais il se risquent à la lecture de ce billet, de sauter cette longue introduction – la lecture est déconseillée à tous les autres ^^ ]

 

Quand chorégraphe rime avec autographe. Où il est visible que Palpatine déteint sur moi (s’agissant de n’importe qui d’autre, j’aurais intitulé la partie « Palpatine, sors de ce corps ! » mais là, on pourrait croire que mon surmoi a quelques difficultés à contenir mon inconscient, alors je vais m’abstenir).

Pas un seul instant je n’ai regretté d’être repartie dans le froid pour assister à la soirée des danseurs-chorégraphes à l’amphithéâtre de Bastille. C’est un spectacle qu’il faut aller voir seul : même en étant assez loin dans la file, cela permet de se faufiler dans les places restantes trop étroites pour les couples ou les bandes d’amis. Après avoir salué d’un mal-aimable « évidemment, c’est pris » le pull qui gardait les places des proches de celui dont je me suis ensuite rendu compte qu’il s’agissait de Yann Chailloux, j’ai trouvé une place au premier rang, au bout du banc central. À peine assise, j’aperçois une femme très droite, très classe, un peu à l’écart en bout de banc ; je me lève pour aller saluer B#5.

On est cerné de balletomanes, mes voisins de derrière veulent faire savoir tout le bien qu’ils pensent de leur « Marion » (Barbeau), mon voisin de gauche me montre Marie-Agnès Gillot juste derrière, que j’avais déjà repéré bien avant, Brigitte Lefèvre (idem) mais aussi Nicolas Paul et Emilie Cozette que je n’avais pu remarquée (comme de juste). Je crains d’ailleurs de l’avoir froissé, en lui expliquant que si je n’avais pas été voir d’autre cygne que celui de Lopatkina, c’était entre autres parce que Emilie Cozette ne me faisait aucun effet ; il s’est offusqué de la cabale honteuse qui l’accablait (j’ai essayé de ne pas penser à Victor Hugo), et l’a défendue en la présentant comme une danseuse d’une grande beauté, très discrète, qui mériterait vraiment d’être connue. Reconnue, peut-être ? Parce que bon, elle est étoile, tout de même… Toujours la même chose. Je peux reconnaître que c’est une bonne danseuse et assurément une très belle femme, mais qu’y puis-je si elle ne me fait aucun effet comme interprète ? Lorsque à la fin du spectacle j’ai demandé à mon voisin s’il était seulement balletomane ou s’il connaissait des danseurs, il m’a répondu qu’il connaissait des danseurs et s’est bien gardé de citer aucun nom à rebours de son enthousiasme à montrer qu’il était au courant de tout et de tout le monde, et j’ai compris que je l’avais froissé en rendant son étoile filante.

Pour finir dans le Who’s who ?, il faudrait ajouter Miteki Kudo, je crois, qui s’est faufilée dans les coulisses qui ont vu transiter pas mal de monde entre la salle et les coulisses. Ambiance familiale et amicale, donc, qui n’est mondaine que pour certains des (moins) proches parents, et dans laquelle le balletomane lambda peut s’amuser à tester son degré de balletomaniaquerie et se réjouir de ce que les danseurs de la « maison » soient solidaires et s’intéressent à ce qu’ils font les uns les autres.

Danse sous influence; écrire le mouvement et le danser

Cette série de pièces courtes agencées dans une programmation bien pensée permet de découvrir les aspirations protéiformes d’artistes que l’on voit toujours dans les œuvres des autres. Protéiformes dans la mesure où la chorégraphie se joint à l’interprétation, mais surtout dans la mesure où les styles qui se forment sont très divers et les influences, multiples, plus ou moins décelables selon le degré de maturité de ces jeunes chorégraphes (par l’expérience, mais aussi par l’âge). Beaucoup de noms me viennent à l’esprit et je me rends compte peu à peu que plus les pièces sont abouties, moins les influences sont clairement identifiables ou en si grand nombre que le brassage se fait nécessairement synthèse. En somme, une influence dominante suggère souvent que le style n’est pas encore très personnel (quoique pouvant être parfaitement maîtrisé, je pense notamment à Florent Melac), mais d’innombrables influences sont préférables à pas d’influence du tout, ce qui serait l’indice d’une certaine pauvreté dans le mouvement.

Avec tout ce que cela comporte d’outré, j’ai joué à me demander par quoi les chorégraphes avaient été traumatisés…

 

Allister Madin se prend pour Antonio Banderas dans Take the lead et nous sert un duo de danse hispano-latino-tango-flamenco sur pointes. C’est Allister Madin, il en fait trop, donc forcément, j’adore. La chemise ouverte jusqu’à la ceinture et la grimace de lover bad-boy sont un peu too much, mais comme il est plus galant que goujat avec sa partenaire, on se laisse entraîner sans refus (plus d’une fois cette soirée j’ai retenu ou plutôt contraint des mouvements involontaires qui cherchaient à reproduire dans mon corps la sensation de ce que je voyais, à ressentir, le verbe est bon). Le couple semble plus à l’aise dans la seconde partie que dans la première, pourtant plus soft, mais c’est peut-être précisément que la rencontre, où le contact s’établit, se dérobe et s’érotise, s’avère délicate lorsqu’en cherchant le regard de l’autre, on risque de surprendre celui du spectateur, à quelques mètres à peine, tandis que la seconde partie, fougueuse, fait montre d’une passion qui est nécessairement jouée, par les protagonistes aussi bien que par les danseurs. Coupe au carré cheveux lâchés et bientôt emmêlés, Caroline Bance relève alors le regard et le défi. Parti de passes attendues, quoique toujours efficaces, la chorégraphie surprend à deux trois reprises, par des portés ou des épaulements qui sont autant de revirements dans le duel de séduction qui s’est engagé.
J’aime quand, sur pointes, appuyée sur les épaules d’Allister de dos, Caroline Bance fait un signe de refus, non pas de la tête, mais par une violente dénégation de la jambe, agitée en attitude parallèle, le genou au niveau des hanches de son partenaire qui, tandis qu’elle se cabre, reste immobile, campé sur ses jambes écartées.
J’aime quand, face à lui (qui nous fait face, cette fois-ci), elle se plante avec aplomb en quatrième sur pointes, le visage immédiatement détourné de lui, visage qu’elle ne dérobe donc pas mais qu’elle lui refuse, avec toute la violence de la gifle qu’elle provoque et qu’il ne lui donne pas.
J’aime quand leur face à face est déséquilibrée, qu’elle est suspendue à ses bras et qu’il la traîne sur toute la diagonale de la scène, à reculons et à toute vitesse, en la tenant par le cou : on se sait plus s’il la tire à lui ou si elle lui fonce dessus comme sur un torero.
El Fuego de la pasion : Allister nous fait son cirque, dans l’arène de l’amphi marquée par une guirlande lumineuse. C’est trop !

 

Melancholia Splenica (les titres en français n’ont pas bonne presse : trop compréhensibles ? Trop peu évocateurs ?), loin de vous filer le spleen, vous refile plutôt la bonne humeur de Genus. Quoique peut-être pas aussi jubilatoire que la chorégraphie de Wayne MacGregor, la pièce de Florent Melac ne laisse pas d’être réjouissante. La copie ne souffre d’aucune pâleur, si l’on veut y voir une copie plus qu’une continuation ou une variation sur un même vocabulaire chorégraphique (en même temps les costumes similaires n’aident pas). Wayne McGregor avait traumatisé de nombreux spectateurs au motif qu’il traumatisait le corps des danseurs nombreux à se blesser, mais le seul traumatisme qui trahissent ces danseurs-chorégraphes est un enthousiasme tout ce qu’il y a de plus fécond.
Ajoutez à cette intelligence précoce (17 ans, apparemment – ce qui explique aussi l’influence quasi unique du chorégraphe anglais, dans laquelle il a du baigner l’année dernière et qui, dans l’enthousiasme, n’a pas vraiment eu le temps d’être confrontée à d’autres) des interprètes pleinement engagés dans le mouvement (Sylvia-Cristel Martin, aux bras aussi déliés que les jambes ; Charlotte Ranson, dont le visage magnifique ajoute à la présence ; Julien Meyzendi chez qui j’apprécie l’emplitude de mouvement, et Maxime Thomas qui, m’apprend mon voisin, vient de chez McGregor himself), et vous obtenez une pure danse !

 

La table en fond de scène et la musique de Bach sur laquelle Lydie Vareilhes a mis en geste le « vertige existentiel » d’un individu solitaire m’a immédiatement fait penser au Jeune homme et la mort dont le spectre a hanté tout Le pressentiment du vide pour en souligner à chaque instant le manque de force. Il y a de l’idée, une scénographie, des enchaînements de bras ingénieux et une belle intention, mais, outre un curieux décalage avec la musique (ce n’est pas que l’interprète n’est pas en rythme, juste que cela ne colle pas bien), on ne peut pour l’instant faire guère mieux que de pressentir les qualités de la jeune chorégraphe (22 ans), qui doit encore mûrir (mais on devrait pouvoir lui faire confiance, elle l’inspire, en tous cas) et de Letizia Galloni, qui a besoin de s’étoffer (à commencer au sens très littéral par se remplumer).

Pour la pièce de Bruno Bouché, un des plus aguerris, il m’a fallu chercher. Sur ma lancée Roland Petit, j’ai d’abord pensé à Proust ou les intermittences du cœur à cause du « combat des anges » entre Morel et Saint-Loup, mais j’ai ensuite bifurqué vers Siddharta pour le côté initiatique du duo entre deux hommes, sans toutefois écarter une possible influence béjartienne, spirituellement plus nourrie. Le crâne rasé d’Aurélien Houette me rappelle aussi celui de Russell Malliphant, mais cela commence à faire beaucoup. Avec ses yeux très clairs et son regard perçant, le danseur est imposant – presque dérangeant. À côté d’un Erwan Le Roux en noir, replié sur son être douloureux, il incarne une puissance lumineuse, qui est peut-être la plus violente lorsqu’elle est la plus tranquille et qu’il tourne simplement sur lui-même bras écartés… et pourtant la chorégraphie est recherché et les portés, des poses où l’équilibre est toujours tension entre les deux personnages. L’aigle blanc cherche clairement à dominer l’autre, sans aller pour autant jusqu’à l’écraser. Autant dire que pour un combat du bien contre le mal, il faudra repasser ; ou alors l’envisager de façon beaucoup moins simpliste que le jeu de couleur y invite et voir le mal non pas incarné par mais dans le danseur en noir (pour ainsi dire malmené par l’espèce de prêtre blanc presque féroce), mal ou faiblesse qu’il combat en se confrontant à la puissance de l’autre. Bless-ainsi soit-IL.

Souvenir Fugitif d’un trio de Nacho Duato avec Vladimir Malakhov, mais en le revoyant, force est de constater qu’il n’y a de commun avec la chorégraphie de Sébastien Bertaud que (la tenue et) le plaisir de voir exploser la puissance de trois danseurs à l’unisson. On distingue encore l’influence de Mc Gregor, quoique de façon moins marquée que chez Florent Melac ; elle est moins dans le vocabulaire que dans la démarche, notamment avec la recherche des lumières – bon, après avoir vu une pièce de Russell Malliphant, forcément, ce n’est pas ce qu’on retient. La danse en tant que telle me plaît davantage que sa mise en question technologique ou que sais-je encore, et la première partie, plus que la seconde, où l’on découvre pourtant avec plaisir Laurène Levy dans des pas de deux à partenaire variable (et une pose estampillée Forsythe, une – même sans jamais avoir vu In the middle en entier, on la reconnaît), avec Sébastien Bertaud, Axel Ibot, Daniel Stokes. Il n’est pas impossible que mon taux d’hormone ait renforcé mon enthousiasme pour cette pièce (notamment pour le dernier dont les jambes feraient presque oublier que les danseurs finissent par danser torse nu en mini-short).

Ce n’est pas sur du Chopin que s’ouvre Nocturne, de Nans Pierson, mais sur des cris de sirènes qui ne cessent que lorsque le pianiste commence à jouer. S’ouvre alors un étrange bal, où Juliette Hilaire, en simili chemise de nuit (à la Parc) et Alexandre Gasse dansent comme seuls (comme s’ils n’étaient pas entrés en même temps que le pianiste), dans un style très « romantique », avec… des masques à gaz. C’est d’autant plus curieux que le lyrisme de leur danse pourrait autrement prétendre à quelques camélias, par exemple. J’essaye d’abord d’en faire abstraction pour goûter la danse et quand je les oublie un instant, ils reparaissent sous forme de groin et rendent les danseurs encore plus difformes. Je me sens d’autant plus gênée qu’ils ne semblent d’abord pas gêner les danseurs – enfin, leur personnage- comme si le masque à gaz, plus qu’intégré à leur vie, l’était à leur physionomie (des groins, oui). Puis le couple s’arrête face à face, les amants prennent leur souffle comme s’ils allaient plonger, ôtent leur masque et retiennent leur respiration jusqu’à pouvoir l’expirer dans la bouche de l’autre – un baiser, en d’autres termes, en d’autres temps. Puis la danse reprend, comme à regret, regret de ne pas pouvoir atteindre l’autre. On sent qu’ils supportent de moins en moins cet attirail respiratoire, qui toujours s’interpose entre eux. Lorsque, à nouveau, ils plongent l’un dans l’autre, le garçon refuse de mettre son masque. La jeune fille (qui connaît visiblement les consignes d’avion) remet le sien avant d’appliquer celui de son amant sur son visage, qu’il dérobe. Le masque tombe et, sous le regard horrifié de la jeune fille, le garçon ne tarde pas à faire de même. La musique s’arrête. Je crains un instant que la jeune fille décide à son tour de cesser de ne pas pouvoir respirer et rejoigne le mythe de Juliette dans un double suicide, ce qui aurait considérablement atténué le geste de son amant, en l’inscrivant dans un cadre trop connu pour ne pas être devenu d’une certaine manière insignifiant (et puis, souvenez-vous, lorsqu’une tragédie se répète, elle tourne à la farce). Bien plus terrible, la jeune fille affronte la vie, devant le corps inerte du jeune homme mort ; le pianiste sort sous le bruit des sirènes et la jeune fille reste seule, en vie.
La pièce est forte et le chorégraphe aussi, d’avoir réussi à transposer la tension dramatique de la danse en elle-même lyrique à son interruption, romantique au sens fort (non-mièvre) du terme. J’aurais juste aimé que le premier baiser arrive plus vite pour être d’emblée dans l’histoire mais peut-être était-ce volontaire et que Nans Pierson a cherché à susciter sinon de la gêne, du moins un flottement, un trouble.

Près de toi mais pas forcément de moi. Même si j’apprécie davantage Marine Ganio que son frère, je n’en ai pas moins eu du mal à apprécier la proposition de Myriam Kamionka et Franck Berjont sur le thème de l’amour fraternel (et sororal). Il y a des moments-bulle (coupés par des noirs qui n’en sont pas vraiment à cause des vêtements blancs – robe très réussie- et de la musique qui ne s’interrompt pas) et des mouvements qui ont une certaine densité (sans que je parvienne à savoir si c’est du fait des interprètes ou de la chorégraphie) mais cette curieuse apesanteur ne m’a pas franchement fait planer.

 

Takeru Coste est me1 ; Samuel Murez, me2. Il est le personnage éponyme de cette pièce schizophrènique et c’est bien normal à le voir, car il ne fait vraiment qu’un avec sa gestuelle à la fois souple et hyper-nerveuse – hyper-rythmée, faudrait-il dire, tout comme la parole qui se dévide à tout barzingue, en un discours complètement dingue et concasse les mots jusqu’à ce qu’ils soient un pur jeu sonore au rythme jubilatoire (un peu comme dans 101). Là où la pantomime est de la danse mimée, me2 est du mime dansé. Le visage fardé de blanc, les danseurs nous offrent un duo d’une inventivité folle et follement poétique, traversé de part en part par un humour qui jamais n’annule le mouvement (mais au contraire qui en découle), avec une énergie Splendid (j’ai dit blanc, le masque de maquillage, pas vert) ! Rien que leur démarche… grandes enjambées, dos courbé, cou relevé, et bras balanciers terminés par des mains en pelles à tarte, ondulantes – on les croirait voir passer le temps, au travers de ces mains-passoires, mais on ne fait évidemment que le croire, parce qu’on ne voit pas le temps passer. J’aurais presque ri de ma fascination tellement j’étais enthousiaste.

Dans Le Funambule, Angelin Preljocaj avait abusé de la poudre pailletée ; Mallory Gaudion, lui, a un problème avec l’alcool. Des verres disposés en une ligne tel un rail de coke, des postures torturées pour les rattraper et finir par en faire un petit tas. Même si, contrairement à B#5, j’aime la musique d’Arvo Pärt (et pas qu’un peu), l’ennui a parfois affleuré : j’ai vraiment du mal avec le chorégraphe maudit (sans compter que l’image d’un apprenti chanteur coiffeur à la Nouvelle Star s’est superposée à lui – ce doit être la mèche, toutes mes excuses- pour en faire un rebelle de la sociétyyy). Qu’on ôte à Narkissos son narguilé et alors pourquoi pas.

La soirée a fini par un grand éclat de rire. Ça tourne à l’amphi… ça : les roues du vélo sur lequel Yann Chailloux débarque ; les hanches de Jennifer Visocchi en hauts talons, gros pull sexy, collants rouges et superstar (quelles jambes ! Comment fait-on pour avoir l’arrière des cuisses si musclé ?) ; les poules de Matthieu Botte en beau gosse qui se la pète ; les yeux d’Isabelle Ciaravola en diva qui a besoin de petites mains pour être repoudrées (mains qui sortent de fentes dans un paravent noir, simple mais chouette artifice) ; les trois petits films que s’est fait Béatrice Martel et qu’elle nous présente pour notre plus grand plaisir – et puis s’en vont. Ambiance détendue pour un divertissement de qualité : on nous apporte les coulisses sur un plateau, en deux temps, trois mouvements, quatre clips :

Clip campagne « tapis d’amour, premier baiser »

clip urbain, banc de filles et beau gosse

clip noctambule, trois accords façon fatale

clip clap trop poudrée…

Un coup de coeur particulier pour le premier avec un Yann Chailloux trop choupi et une Marion Barbeau trop sexy dans sa robe-short de tennis et soquettes blanches. De quoi envoyer au tapis (d’herbe synthétique sur lequel ils sont assis) les commentaires sarcastiques que d’habitude on entend toujours avec les chansons de Carla Bruni. Je ne sais plus qui était le thé et qui la tasse mais toujours est-il que cette soirée était ma tasse de thé. En guise de petit gâteau à tremper dedans : un sourire d’Allister Madin à la sortie.

Benjamin Millepied, Léa Seydoux et Ralph Lauren

Les balletomanes prendront le premier et laisseront les deux autres à Palpatine qui restera peut-être un peu moins sur sa faim, car le très court métrage réalisé par Asa Mader et le danseur-chorégraphe (également boyfriend de Natalie Portman depuis le tournage de Black Swan, semblerait-il), s’il n’est pas avare en gros plans sur la demoiselle sensible-zet-triste (ne sait-elle rien jouer d’autre ou est-ce son état de pose naturel et ne sait-elle pas jouer du tout ?), n’est guère prodigue de danse : une chamaillerie amoureuse en forme de tango, quelques gestes, quelques images, voilà tout. Reste à espérer que la version longue qui doit sortir courant 2011 sera un peu plus développée ; le court-métrage aura alors été une belle bande-annonce et pas seulement un spot publicitaire pour Ralph Lauren qui habille les deux protagonistes.

 

Photobucket

J’ai déjà le parquet (pas l’appart’ unfortunately) ; je veux les même chaussures pour aller avec.

 

Time doesn’t stand still à voir ici.

Alors : court-métrage, bande-annonce ou spot publicitaire ?