Mort nez

Il ne suffit pas d’un bon orchestre et d’un bon programme pour faire une bonne soirée. J’en ai encore eu la preuve hier à la salle Pleyel, que le public a manifestement pris pour un sanatorium : on a battu des records de tuberculeux au mètre carré. Entre deux toux, on pouvait pourtant deviner la beauté des Kindertotenlieder de Mahler, tout aussi dépouillés que la Musique funèbre maçonnique de Mozart donnée en ouverture, et comme fascinés par la mort d’êtres qui ont à peine eu le temps de vivre, hantés par leurs regards passés et leur absence présente.

À l’entracte, fuyant les tuberculeux du parterre, je me retrouve au premier balcon, avec pour voisin un nez siffleur. Neuf cors et une armée de trompettes suffisaient à peine à couvrir le bruit de ses nasaux et j’ai passé Une Vie de héros de Strauss avec la main en conque autour de l’oreille – vous parlez d’un exploit ! Entraînée par les flûtes railleuses, j’ai imaginé toutes sortes de vicissitudes que les nez siffleurs auraient pu endurer si Dante avait prévu un cercle de l’enfer spécialement pour eux – mais les entendre mouchés par Strauss, ce n’est pas mal non plus, il faut bien l’avouer.

Bref, un concert qui s’appréciera en replay.

Concert ardent et fleuri

Je me félicite d’avoir déménagé Place d’Italie, à une demie-heure de la Cité de la musique, où a eu lieu le concert de l’Orchestre de Paris de la semaine dernière, et de la future Philarmonie où l’on pourra continuer à l’entendre. Parce que j’aime vraiment beaucoup l’Orchestre de Paris – surtout quand on l’entend dirigé par un Paavo Järvi qui valse.

Nous transportant Une nuit sur le mont Chauve, Moussorgski nous convie à un fort sympathique sabbat, du genre où les flammes de l’enfer se reflètent sur le bois verni des violons. C’est endiablé comme il faut jusqu’à ce que la ronde s’éteigne doucement, dans un manège de pas de valse à faire voler de la mousseline.

Une fois sorcières et diables disparus seulement commence la plus délicieuse des tortures. Je n’aurais pas voulu jouer au Docteur Maboul avec Tatjana Vassilijeva petite. Penchée sur son instrument comme une araignée potelée sur sa toile1, elle trifouille les tripes de son violoncelle – et les nôtres avec, si âpre est son interprétation du Concerto pour violoncelle n° 1 de Chostakovitch. C’est russe et ça déchire grave (j’imagine bien la vodka faire le même effet).

Ravel adoucit tout ça après l’entracte par des Valses nobles et sentimentales : tout n’est que danse et éclosion de fleurs à la Fantasia ;les danseurs en oublient de reposer leur partenaire et, pendant quelques notes, on ne touche plus terre.

Retour à la terre ferme, campagne et montagne, avec les Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber de Paul Hindemith (ouf, on y est) – métamorphoses symphoniques aussi schizophréniques que les métamorphoses météorologiques : un orage de montagne gronde et l’instant d’après, on est dans une campagne guillerette, avec fleurs, vaches, mädchen à tresses et chalet, que l’on est obligé de déménager mentalement à la montage quand le temps se couvre et que l’orage se met à gronder, avant que, rebelote, la campagne se mette à nouveau à briller, etc. La prochaine fois qu’on voit le soleil percer à travers de gros nuages noirs et se faufiler entre les gouttes de pluie, je ne dirai plus que c’est un temps à arc-en-ciels mais un temps à Hindemith.

1 Une araignée creepy mignonne à la Tim Burton, vous voyez ?

Comme un basson en pâte

On ne devrait peut-être pas le dire mais, parfois, ce sont surtout les bis qu’on retient d’un concert. Le Concerto pour violoncelle n° 2 de Haydn, le Concerto pour basson de Mozart et sa Messe de l’orphelinat ont eu beau faire passer une belle soirée au spectateur, comme un coq en pâte, les solistes leur ont volé la vedette.

Giorgio Mandolesi, qui a visiblement hésité entre une carrière de comique et de musicien, joue du basson comme d’autres de la guitare électrique – à ceci près qu’avec la couleur et l’angle de l’instrument, les petits coups de tête me font irrémédiablement penser aux a-coups du coq. Vengeance pour la comparaison ? Il nous a tous bien réveillés avec un bis cubain et un scoop : le basson est un saxophone qui s’ignore !

De loin, dans sa robe plissée verte très élégante (en dépit de mon désamour total pour cette couleur), Sol Gabetta me fait penser à l’actrice qui joue Teddy dans Grey’s Anatomy. Ne cherchez pas de photo s’il vous manque le comparé ou le comparant : les deux grandes blondes à la maigreur musclée ne se ressemblent pas du tout de visage. Peut-être est-ce le mélange de passion et de précision chirurgicale avec laquelle la violoncelliste se penche sur son instrument… Toujours est-il que le bis qu’elle nous a sorti (et dont je n’ai évidemment pas retenu le nom – je prie pour que Joël passe par ici me le déposer) était fascinant, plein de doigts qui descendent, aussi inexorablement que s’avance l’araignée qu’on essaye d’éviter en reculant, et de cordes étirées à la limite de l’audible.

 

Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis, prends pitié de nous et de nos images saugrenues de souris incapables de se concentrer.

Strauss et Schu-machin

La souris, souffrant de flemmingite aiguë, a dû annuler sa participation à la chroniquette de ce concert, après qu’Anja Harteros, souffrante, a dû annuler la sienne et que le chef a préféré Schubert au gruyère.

 

Parfois, quand j’ai plus de dix chroniquettes en retard, j’envisagerais presque d’utiliser mon blog comme base de données :

SELECT reference FROM concerts WHERE title =  »Tod und Verklärung » AND composer =  »Strauss » ;
> Concert au théâtre des Champs-Élysées

INSERT INTO concerts ( »new_comment »,  »new_WTF_comment ») VALUES ( »Je ne sais pas si Marek Janowski manquait d’allant ou si, au contraire, il allait trop vite, comme le suggérait Palpatine, mais je n’ai pas été transfigurée comme lors de la première écoute. Même si c’était beau, évidemment. »,  »Le chef avait un air de gravure. ») WHERE title =  »Tod und Verklärung » AND composer =  »Strauss » ;

 

Mais à la pièce suivante, je m’aperçois que je me suis emmêlée les pinceaux dans les numéros de symphonies et que je n’ai aucune donnée sur la huitième de Schubert : mon plan tombe à l’eau, il ne me reste plus qu’à m’extasier devant le <instrument> ? </instrument>. Un jour, j’apprendrai à distinguer les vents. Et Schubert de Schumann et de tous les Schu-machin, nom d’un chou à la crème.

 

Puis, comme il manque déjà beaucoup trop de mots, je n’ai plus aucun scrupule à vous donner mon impression des Métamorphoses en image : un nuage de cordes, où je ne trouve aucune des images ovidiennes que j’attendais.

 

Montage nawak

 

I like to be in America

L’Ouverture cubaine de George Gershwin superpose la fente d’une queue-de-pie à l’échancrure d’une chemise hawaïenne. Les maracas se fondent si bien aux avant-bras du percussionniste que chaque coup me fait penser au salut d’un de ces chats en plastique dans la vitrine des restaurants asiatiques (malgré l’anachronisme géographique).

 

Dans la biographie fantaisiste que j’étais prête à lui faire, Marguerite Duras s’est inspirée de la Symphonie n° 4 de Charles Ives pour écrire l’Amante anglaise, un nouveau roman policier où l’on connaît la coupable mais pas le mobile. Car c’est un mobile de sons que j’entends, composé d’éclats de miroirs noircis qui s’entrechoquent doucement et dont on découvre que certains, magnifiquement rouges, ont trempé dans le sang – un mobile de meurtre là où le compositeur entendait « la question que l’esprit humain se pose sur le sens de la vie » (rien que ça).

Et puis, plus prosaïque, j’entends les voisins d’à-côté quand les cuivres se barrent en coulisses et ceux de l’immeuble d’en face lorsque la harpe et les deux trois autres instruments installés en bergerie jouent les quelques mesures qui leur sont dédiées dans ce que le programme qualifie de « forêt de sons » mais que je verrais davantage comme une jungle urbaine. Un bassoniste y joue du coupe-coupe pour se frayer une place jusqu’à l’arrière du piano, d’où il se met à diriger une partie de ses collègues. Puis, autre sécession, un altiste excentré se lance dans un solo, faisant la fierté de son pupitre qui tape vigoureusement des pieds lors des applaudissements. Belle cohésion entre les musiciens ; il n’y a manifestement pas qu’au public que cette soirée atypique fait du bien.

 

A Jazz Symphony de George Antheil, « un cocktail hyper-vitaminé à consommer sans modération », tient plus du jus ACE (carotte, orange, citron) que le serveur, en tenue blanche et noire mais pas pressé, vous sert sous la forme d’une petite bouteille Pago. C’est bon, c’est rafraîchissant mais on se serait attendu à quelque chose d’un peu plus explosif pour la sortie de cette symphonie compactée de huit minutes. Quelque chose comme le bis qui suit, sur une espèce de xylophone-grattoir qui exige des mains d’argent (j’ai cru voir un gros Félix le chat).

 

Premières mesures des Danses symphoniques de Leonard Bernstein : les trois percussionnistes claquent des doigts, au fond et autour de l’orchestre, comme la bande des Jets qui encerclerait les Sharks. Reprise : ils sont rejoints par tous les musiciens qui ont les mains libres, le tubiste en tête, poing en l’air. On est pris d’une irrésistible envie de danser et on s’attendrait presque à voir débarquer The Mask pour un duo endiablé, lorsque l’orchestre se met à crier Mambo ! sous la direction plus qu’enthousiaste d’Ingo Metzmacher, véritable petit pois sauteur.

 

OK by me in America.

Mit Palpatine