Gods and Dogs

Le théâtre des Champs-Elysées n’est absolument pas fait pour la danse. On y voit mal d’à peu près partout et, quand par bonheur la vue est dégagée, on se retrouve avec les genoux sous le menton. Autant dire qu’avec les tarifs prohibitifs pratiqués pour la série TranscenDanses et en l’absence de tarifs de dernière minute, la salle s’est retrouvée à moitié vide, ce qui est fort dommage lorsqu’on consacre une soirée entière à un chorégraphe majeur de notre époque – mais fort pratique pour se replacer. Encore aurait-il fallu savoir que Jiří Kylián affectionne particulièrement le côté cour : les belles asymétries de Bella Figura et Gods and Dogs ont ainsi régulièrement disparu dans notre angle mort, avant que Palpatine et moi nous replacions à l’entracte, un peu loin mais de face, pour Symphonie de Psaumes.

Les collants noirs et les bustiers rouges de Bella Figura m’ont rappelée l’atmosphère feutrée de Doux mensonges. Les flammes allumées en arrière-scène instaurent un climat intime, presque d’alcôve, portant avec leurs ombres le souvenir jamais vécu d’innombrables soupirs devant un feu de cheminée. Métaphore de cuisses écartées, les jambes se rétractent en grand plié seconde (en crabe) lors des portés, petites morts répétées. Étrangement, pourtant, il n’y a pas grand-chose de sensuel dans ces pas de deux secrets : l’émotion, si l’on est ému, vient du fort esthétisme d’une scène fort brève, où danseurs et danseuses se retrouvent torse nu dans d’amples jupes rouges à paniers – cette même jupe qui habillait-déshabillait depuis le début l’une des danseuse, fil-jupe rouge qui, par ses apparitions, légitime le nom de Bella Figura.

À ce ballet reconnu comme un chef d’œuvre depuis maintenant bientôt vingt ans (1995), j’ai pourtant préféré le relativement récent Gods and Dogs (2008), qui ressemble davantage à ce que l’on avait pu voir lors de la soirée proposée par le théâtre de Chaillot. Moins WTF que Mémoires d’oubliettes (2009) – il n’y a pas de pluie de canettes argentées et l’on fait facilement abstraction de la vidéo de chien cauchemardesque qui court au ralenti en haut de la scène –, Gods and Dogs possède la même énergie, quelque chose de plus abrupt et puissant, et par là même plus violemment sensuel que les pièces censément sensuelles. Les corps semblent parfois sur le point de se disloquer – non pas, comme chez Forsythe, dans des extensions extrêmes mais dans des tensions internes, un ébranlement du corps qui l’entraîne dans des angles bizarres. Mon moment préféré est sans doute celui où les danseurs de deux duos, mains au sol, s’érigent en appuyant leurs pieds sur les épaules et le cou des filles, bien droites, grandes, jambes plantées dans le sol et regard dans le lointain. Elles inébranlables et eux enragés. Gods and Dogs, c’est toute la contradiction, tout l’équilibre de la danse (et de l’humain, un pied dans la boue, un œil sur les étoiles) : s’élever en étant solidement ancré dans le sol.

Je ne sais pas si c’est parce que la soirée s’achevait, mais la Symphonie de Psaumes n’a provoqué aucun élan mystique ni esthétique chez moi. Les colonnes de danseurs qui se font et se défont, qui ondulent comme la colonne vertébrale d’un être plus grand, me font penser à certains ensembles de Boris Eifman mais, à sans cesse s’écarter de l’énergie qu’elles dégagent, on échappe au grandiose qu’elles pourraient susciter et l’on glisse sur la musique, tel Ratmansky, à côté. La sortie est amortie par une mosaïque de tapis ; je m’attendais à être plus secouée.

 

Stabat spectator

Coppélius de concert, le chef d’orchestre se trouve projeté le buste en arrière sous l’assaut de la musique. Cela cavale ! Cela cavale même beaucoup pour une musique religieuse… qui n’en est pas puisqu’il s’agit de l’ouverture de Guillaume Tell qui, en l’occurrence, ouvre sur le Stabat Mater de Rossini. À un morceau (de choix) près.

À la cavalcade que je connaissais sans connaître, a suivi la pièce d’un compositeur que je connaissais sans l’avoir reconnu : Respighi truffe sa partition de notes égrenées à la harpe, au xylophone et à tout un tas de petits instruments de percussions, dont mes préférés restent ces espèces de souris d’ordinateur, disposées côte à côte comme les pépins d’une pomme stylisée, et sur lesquelles les doigts du percussionniste rebondissent joyeusement. Anthopomorphisme murin : ce sont des castagnettes, dont je n’avais jamais soupçonné qu’on puisse en jouer sans les tenir au creux de la main. Encore plus curieux, elles n’introduisent aucune espagnolade : on a moins envie de taper des mains et des talons que de se lancer dans un manège de tombés posés tours et grands développés seconde en tournant. Ce n’est pas pour rien que ce morceau de Respighi a pu être considéré comme de la musique de ballet ; la proximité de Rossiniana avec Chopiniana aurait dû me mettre la puce à l’oreille !

Je retrouve dans le Stabat mater de Rossini ce qui m’avait plu dans la Petite Messe solennelle : la proximité d’une musique dite religieuse avec l’opéra, la chaleur italienne pour évoquer des thèmes sombres, le côté tout à la fois bourrin et délicat d’un Hugo, comme la dentelle de pierre d’une cathédrale. Et les chœurs… si puissants et si fins que j’ai un moment eu l’impression que les voix provenaient des archets des contrebasses. Et cet a-men final où l’on tombe presque dans le silence entre les syllabes, deux souffles de résignation sereine avant la clôture instrumentale…. Il n’y a que les Italiens pour avoir ce sens du grandiose. Et offrir des chocolats à la sortie. Merci Rossini, merci le Teatro Regio Torino.

Œ-DI-PUS REX !

Une musique de ballet en ouverture, cela ne mange pas de pain et c’est parfait pour faire la mise au point des jumelles (pour comprendre que la beauté de la jolie altiste du fond vient de ses pommettes très marquées) et décider si l’on voit mieux par-dessus ou par-dessous la barre de sécurité (à la fin des Créatures de Prométhée, la réponse est évidente : ni l’un ni l’autre).

Les Métaboles de Dutilleux, mobile de sons qui ricochent et dégringolent de manière imprévisible, ressemblent aux structures métalliques de James Thierrée : elles se disloquent pour mieux se réinventer. Dans ce drôle d’univers aux mondes sans cesse changeants, il suffit de quelques lointains accents jazz pour faire surgir une jungle urbaine qui surgit à une autre jungle, pleine d’yeux et de pattes qui cavalent en tous sens parmi les branches sans qu’on puisse les distinguer.

Œdipus rex de Stravinsky m’a presque donné envie de refaire du petit latin, c’est dire. Malgré la narration assurée par le récitant exprès pour que l’on n’ait pas à s’embarrasser de la langue, je m’amuse à retrouver les mots latins – exercice qui combine compréhension orale et version à partir surtitres, le chanteur interprétant Œdipe n’ayant manifestement jamais eu à réciter ses déclinaisons1. La (très relative) facilité s’explique à la lecture du programme : il s’avère que je fais de la version sur le résultat d’un thème, le livret étant une adaptation-traduction de la pièce de Cocteau. Je n’avais pas fait le rapprochement à l’écoute mais, on retrouve effectivement le mythe pour ainsi dire brut de La Machine infernale, qui se déroule, implacable, jusqu’à ce qu’à ce que tous les personnages soient zigouillés, exilés ou estropiés selon une distribution immuable. L’important n’est pas d’observer l’origine d’un complexe psychanalytique, c’est que le mythe soit présent, qu’il soit rejoué, là. Le latin nous dispense, nous interdit même d’explorer la psychologie des personnages ; « la parole devient pure matière à travailler musicalement, comme le marbre ou la pierre servent au travail du sculpteur ». On peut ainsi se laisser emporter par le chœur d’hommes qui incarne le peuple de Thèbes au rythme de tambours quasi-galériens et se laisser surprendre par la révélation de l’oracle, répétée dans un souffle par Œdipe, d’une voix livide. À la sortie du théâtre, je tape sur tout ce qui me tombe sur la main avec la légèreté de colonnes doriques, entrecoupant mes percussions d’Œ-di-pus rex avec la voix caverneuse.

Non seulement le programme des 80 ans de l’Orchestre national de France est équilibré (Beethoven, Dutilleux, Stravinsky : un classique, un compositeur mort depuis si peu de temps qu’on peut le dire contemporain et un moderne) mais, avec les métamorphoses des Métaboles et la relecture moderne d’un mythe antique, il témoigne d’une belle intention : que les orchestres soient à l’image de la musique classique, un art sachant se réinventer.

 

*boum, boum* Œ-DI-PUS REX ! Œ-DI-PUS REX ! *boum, boum*
(On n’est pas loin d’un syndrome d’amplitude DO RÉ MI FA.)

  

1 Avant de taxer son latin de latin de cuisine, je devrais peut-être remarquer que la prononciation du latin semble légèrement différer selon la langue d’origine. Il faut dire que la phonétique a été reconstituée à partir des onomatopées trouvées dans les textes et quand on sait qu’un coq français fait cocorico alors qu’il fait kirikiki en République tchèque…   

Otello à cor et à cri

J’irais bien à Murano. Ce souvenir private joke1 de Venise est la première chose qui m’est venue à l’esprit lorsque le rideau s’est levé sur un lustre façon verre de Murano. C’est à peu près le seul élément notable de la mise en scène de l’Otello présenté au théâtre des Champs-Elysées et, n’était le massacre de chaises au dernier acte (je prie pour ne jamais me réincarner en chaise de théâtre), on se rappellerait avoir connu des versions de concert plus animées. Pour une fois, le tiers manquant de la scène ne m’a pas manqué plus que cela.

Scène vide, mise en scène statique, flat characters chantés par des personnages en chair et bonus diva, je crois que je ne m’étais jamais autant approchée de la caricature – il faut dire que je m’étais toujours méfiée des opéras italiens jusque-là. Quitte à faire hurler les mélomanes, autant avouer que j’ai eu l’impression de voir les Feux de l’amour à l’opéra, version ritale, avec ego de coq et scooter dans la ruelle : aussi extrêmes soient les manifestations de leurs sentiments, Otello, Desdemona et Rodrigo ont la maturité émotionnelle d’ados de 15 ans – Desdemona finira d’ailleurs par taguer le mur de sa chambre.

Pourquoi, alors, n’a-t-on pas envie de partir à l’entracte ? La musique. Non pas les instruments d’époque, qui se mettent parfois à barrir (cors ?) ou à émettre des sifflements stridents (flûte ?), mais la partition de Rossini, qui nous emporte aussi bien que le ferait aujourd’hui une comédie musicale bien menée2, avec en prime un trio de chanteurs (John Osborn, Cecilia Bartoli, Edgardo Rocha) qui n’ont pas froid aux yeux ni à la gorge. Même la voisine ultra-élégante de devant swinguait de la tête. Après la Petite messe solennelle, Otello me conforte dans mon envie de découvrir Rossini – peut-être ne commencerai-je pas par l’opéra, voilà tout.

 

1 Phrase prononcée devant à peu près chaque lustre en verre de Murano vu à Venise, jusqu’à ce qu’on prenne le vaporetto jusqu’à l’île de Murano – très mignonne au demeurant. 

2 Je verrais bien John Osborn, Otello en tenue de militaire-garagiste, dans un remix de Top Gun : sa démarche aux saluts collait parfaitement.

La Maréchale

Le Chevalier à la rose : encore un opéra qui ne porte pas le nom du personnage qu’il devrait. Sans la Maréchale, l’opéra de Strauss tournerait à la pochade pour devenir une École des femmes viennoise : le baron Ochs von Lerchenau, voulant épouser la petite Sophie, fraîchement sortie du couvent et fille d’un riche parvenu, demande à sa cousine la Maréchale de lui trouver quelque jeune chevalier pour porter à la jeune fille une rose d’argent, comme le veut la coutume (on ne sait pas trop laquelle mais passons). Par un jeu de travestissement qui exploite le goût du baron pour la bagatelle et les traits délicats de l’amant de la Maréchale, Octavian (ou Mariandel, donc, c’est selon), le grossier personnage se retrouvera gros jean comme devant. Tout cela prête à sourire, surtout quand Octavian blesse la baron à cinq bons mètres de distance, version de concert oblige.

Pourtant, l’opéra m’a tirée bien plus près des larmes que du rire. À la fin du premier acte, j’avais la gorge nouée. Je ne comprends pas que l’on puisse s’extasier sur le trio final et trouver qu’il y a des longueurs au premier acte : c’est ce premier acte qui donne tout son sens à l’opéra et dont découle le fameux final. Ce n’est pas l’apothéose qu’attend le mélomane mais la révélation muette, angoissante, d’une vérité – un passage à vide où se devine soudain l’abîme sous nos pieds. Octavian y voit un moment d’absence ; le spectateur, une parenthèse ahurissante.

 

La Maréchale (Elle lui fait un pauvre sourire.) – Ah, te voilà revenu !

Octavian – Et toi, te voilà triste !

La Maréchale – C’est déjà fini. Tu sais bien comment je suis. Un instant gaie, l’instant d’après triste. Je n’ai pas la moindre prise sur mes sentiments.

[…]

La Maréchale (se dégageant) – Oh, sois gentil, Quinquin. Je suis d’une humeur où je ressens très fortement la fragilité de toutes les choses de ce monde. Je sens jusqu’au fond du cœur que l’on ne doit rien garder, que l’on ne peut rien saisir, que tout nous coule entre les doigts, que tout ce que nous cherchons à prendre se dissout, que tout s’évanouit comme une vapeur ou un rêve.

Octavian – Mon Dieu, comme elle dit cela. Elle veut seulement me montrer qu’elle ne m’est pas attachée. (Octavian se met à pleurer.) 

La Maréchale – Sois donc gentil, Quinquin ! (Il pleure encore plus fort.) Et maintenant il me faut consoler ce petit qui tôt ou tard m’abandonnera. (Elle le caresse.)

Octavian – Tôt ou tard ? Qui t’a mis aujourd’hui ces mots dans la bouche ?

La Maréchale – Ces mots qui te blessent tant !

Octavian (se bouchant les oreilles) – Bichette !

La Maréchale – Au fond, le temps, Quinquin, le temps ne change rien aux choses. Le temps, c’est une chose étrange. Tant qu’on se laisse vivre, il ne signifie absolument rien du tout. Et puis, brusquement, on n’est plus conscient de rien d’autre. Il est tout autour de nous. Il est même en nous. Il ruisselle sur nos visages, il ruisselle sur le miroir, il coule entre mes tempes. Et, entre toi et moi, il coule encore, sans bruit, comme un sablier. Oh, Quinquin ! Parfois, je l’entends qui coule – irrémédiablement. Oh, Quinquin ! Parfois, je me lève, au milieu de la nuit et j’arrête toutes les pendules, toutes. Pourtant, ce n’est pas une chose qu’on doive redouter. C’est aussi l’œuvre du Seigneur qui nous a tous créés.

Octavian (d’une voix douce et tendre) – Mon beau trésor, tu veux donc te rendre malheureuse à toute force ? Alors que tu m’as là, alors que mes doigts s’entrelacent aux tiens, alors que mes yeux cherchent les tiens, alors que tu m’as là est-ce vraiment ce que tu éprouves?

La Maréchale – Quinquin, aujourd’hui ou demain, tu t’en iras, et tu me quitteras pour une autre femme, plus jeune et plus belle que moi.

Octavian – Cherches-tu à me repousser à coups de mots parce que tes mains te refusent ce service ?

La Maréchale – Le jour viendra de lui-même. Aujourd’hui ou demain, le jour viendra, Octavian.

Octavian – Ni aujourd’hui, ni demain ! Je t’aime. Ni aujourd’hui, ni demain ! S’il faut qu’il y ait un tel jour, je ne veux pas y penser ! Un jour aussi monstrueux ! Je ne veux pas voir ce jour. Je ne veux pas y penser, à ce jour. Pourquoi nous tortures-tu, l’un et l’autre, Thérèse ?

La Maréchale – Aujourd’hui ou demain ou après-demain. Je ne veux pas te torturer, mon trésor. Je dis la vérité, et je la dis autant pour moi que pour toi. Je veux nous rendre la tâche facile à tous deux. Il faut prendre les choses à la légère, le cœur léger et les mains légères, les tenir et les prendre, les tenir et les laisser… Ceux qui ne sont pas ainsi, la vie les punira et Dieu ; Dieu n’aura pas pitié d’eux.

Octavian – Aujourd’hui, tu parle comme un prêtre. Est-ce que cela signifie que je ne devrais jamais, jamais plus t’embrasser jusqu’à ce que tu en perdes le souffle ?

 

(La Maréchale le laisse partir sans même l’embrasser.)

Tout y est : la conscience aiguë, en plein milieu d’une relation, qu’elle prendra fin un jour ; la douleur qui s’ensuit, qui anticipe celle de la rupture (car si l’on ne quitte point et que l’on est quitté, elle sera aussi déchirante qu’au moment où on l’envisage) ; le refus d’entendre, par celui-là même qui selon toute probabilité quittera l’autre, cette vérité intolérable – d’autant plus intolérable qu’on la sait possible ; l’entraînement en pensée, pour le jour où cela arrivera ; l’échec à devenir stoïcien, qui laisse place à l’angoisse, et enfin le vertige qui, inconsciemment, conduirait presque à précipiter le moment fatidique, juste pour cesser d’avoir peur.

Et puis, la vie, l’opéra continue. Octavian, comme il était à prévoir, tombe amoureux de Sophie et cet amour, qui n’a pas eu le temps de se développer qu’on l’a déjà nommé, va l’emporter sur l’attachement réel qu’il a pour la Maréchale, donnant la curieuse impression qu’il n’y aurait au fond d’amour qu’une fois l’histoire terminée, lorsque l’affectation demeure malgré tout ce qui a pu se mettre en travers des anciens amoureux.

 

La Maréchale (à part) Je me suis juré de l’aimer comme il le fallait, et d’aimer même l’amour qu’il aurait pour d’autres. Je ne m’étais certes pas douté que cela devrait me surprendre si vite ! La plupart des choses qui arrivent ici-bas sont telles qu’on ne les croirait pas si l’on pouvait les entendre raconter. Seul celui qui les a éprouvées y croit, mais sans savoir comment – voici cet enfant, et me voici, moi, et avec cette petite étrangère que voilà, il sera aussi heureux qu’on peut l’être, de la façon dont les hommes entendent le bonheur.

 

La maréchale atteint ce point paradoxal où, voulant aimer l’autre plus que l’amour qu’il a pour elle, elle voudrait même aimer l’amour qu’il aurait pour d’autres, aimer ce qui la déchire et qui la déchire trop pour qu’elle ait encore la force d’aimer. Se tenir debout d’un seul morceau est bien assez dur comme ça, elle ne peut que vouloir disparaître, se soustraire à la vue des deux tourteaux, qu’elle laisse seuls en scène à leur bonheur, un bonheur d’une tristesse infinie.

Pour ne pas se laisser emporter par la tristesse, on se rappelle ses voisins de sandwich à l’entracte, tout perdus entre Octavian et Mariendal (une femme pour le rôle d’un homme qui se déguise en femme, sans costume, il y a Sappho sous roche) et l’on pense à la chance que l’on a eu d’assister à cet opéra avec Peter Rose, baron à la grosse voix bonhomme, Sophie Koch, bel Octavian, Christiane Karg, fraîche Sophie, et Soile Isokoski, sublime Maréchale.