Les Saveurs du palais


Les Saveurs du palais est le genre de film où la simplicité et l’authenticité triomphent de l’establishment  – ou du moins y opposent une noble résistance. Au menu : soupe à la grimace du chef de l’Élysée en entrée, fricassée de sourires et de sourcils froncés en (bon petit) plat, selon une recette d’Hortense Laborie, grand-mère de substitution pour le président, et Saint-Honoré à la crème mémé dégusté loin de la rue éponyme – dessert antarctique. Le bon sentiment est l’ingrédient de base, mais, servi par Catherine Frot, il est bien cuisiné, en toute simplicité – même s’il s’agit d’une simplicité de collier de perles. Il faut voir la complexité de préparation du chou farci au saumon ou le raffinement de la tartine de truffe préparée au débotté, pour le président descendu aux cuisines en catmini.

 

Des plats aux noms incompréhensibles, forcément…

 

La « cuisine simple » qu’il réclame à Hortense Laborie, laquelle ressemble davantage à une bourgeoise de province qu’à une mère de famille, est une manière d’en appeler aux terroirs pour exiger « le meilleur de la France ». On n’est pas dupe mais qu’importe, nos papilles prennent plaisir par procuration. La tarte aux fruits rouges et brisures de pistache, en particulier, m’a eu l’air tout à fait miamesque – presque autant que le commis qui l’a préparée. 
 

Loup y es-tu ?


 

Lorsque l’étudiant taciturne qu’a rencontré Hana, la mère de la narratrice, se transforme en loup, ce n’est pas la métamorphose qui me surprend, c’est qu’elle ne débouche sur aucune attaque. Le loup-garou, forcément dangereux sous nos longitudes1, est un paisible animagus au Japon (rapport harmonieux à la nature oblige ?). D’ailleurs, il ne s’appelle pas loup-garou mais homme-loup. La situation est inversée, il est dangereux pour l’homme-loup de faire connaître sa nature : l’homme est un loup pour l’homme-loup.

 

Les étoiles, ici en arrière-plan, sont ensuite filmées en travelling, comme si notre planète dérivait, magnifique fond à l’histoire que déroule la voix-off.


 L’homme-loup en FILF (il existe bien des MILF).
J’aurais aimé trouver son expression ultra-tendre et craquante après la découverte des brochettes de boulettes.

 

Oreilles et museau profilé poussent lorsque la situation relève soudain de l’intime (Hana a vu le loup) ou de l’instinct (attaquer pour chasser – Yuki a toujours les crocs à cause d’une faim de loup – ou se défendre, de soi comme de l’autre). La métamorphose vaut en quelque sorte pour métaphore : hommes et animaux, Yuki et Amé peuvent devenir eux-mêmes sans tomber dans une tautologie creuse. Respectivement estomac sur pattes hyperactives et petit garçon fourré dans les jupes de sa mère, ils se muent en jeune collégienne avide de connaissances (scolaires et amoureuses) pour la première, et en chef de la forêt épris de liberté pour le second. Pour Bladsurb, « la fille casse-cou devient amoureuse nunuche » et « le garçon fragile devient le maître de la montagne », « comme si après un début iconoclaste, tout redevenait bien comme il faut dans les clichés habituels ». Pour ma part, je vois dans ce croisement la preuve que les enfants-loups se sont construits, qu’ils ont fait des choix pour devenir ce qu’ils voulaient être, indépendamment de leurs inclinaisons premières (qui les maintenaient en bébé Œdipe et louve Électre).

 

 

La seule chose un peu curieuse, c’est que leur père n’avait pas l’air d’avoir eu à choisir une identité précise : est-ce ce qui a perdu l’homme loup sans prénom, parti chasser le gibier en pleine ville ? Noyé dans un canal, sa carcasse est repêchée et jetée dans un sac par les éboueurs. Cette disparition abrupte, où le burlesque le dispute à la tragédie, n’a pas la force dramatique de celle qui boucle l’animé, lorsque Amé disparaît dans la forêt pour mieux lancer un hurlement d’accomplissement et d’adieux à sa mère depuis le sommet de la montagne – une séparation plus qu’une disparition. Comme si les enfants loups avaient trouvé leur voie pour avoir su identifier ce qu’ils ne voulaient pas être. Les Enfants-loups, ni fable moralisatrice ni récit fantastique, trouve un ton qui lui est propre, usant d’humour sans jamais étouffer l’émotion.

Vu avec Palpatine, admirateur de Mamoru Hosoda.

 

1 Le seul autre exemple de loup-garou relativement peu dangereux auquel je puisse penser sort d’un roman d’Annette Kurtis Clause, Sang et chocolat, qui n’est malheureusement plus édité (scandale ! Rabattez-vous sur Amazon et ses occasions), et qui a été adapté au cinéma en 2009 sous le titre insipide Le Goût du sang.

Mange prie aime oublie Platon

Mange. Julia Roberts/Elizabeth quitte un mariage ennuyeux, puis un nouvel amant ennuyant, pour retrouver l’appétit (de vivre). Direction l’Italie pour s’empifrer de voyelles exubérantes, de pizza et de pasta. Envolée lyrique au-dessus d’un bête plat de pâtes à la tomate, avec ralenti sur le parmesan façon neige divine. Il faut la comprendre, elle est américaine. Puis comme le plaisir ne dure pas et que le muffin top s’installe, elle repart. Adieu.

Prie. En Inde, dans une salle climatisée, avec des moustiques. Un éléphant, un mariage forcé qui avorte une vie intellectuelle, des saris, un compatriote qui lui remue le paletot, quinze jours de voeu de silence qui vous raffermissent la gorge : rien de transcendant, Dieu devient transcendental, il est présent en chacun de nous. Amen oecuméniste. 

Aime. L’amour des corps inspire celui des belles âmes qui mène vers le beau comme forme et donc vers le divin. Oh, wait. Le divin, c’est bien trop abstrait et trop aride. Alors on va se faire un bon petit cocktail, shakez bien, et voilà la divinité toute mélangée qu’il faut renommer : amour. Sirotez. Dieu est transcendental, souvenez-vous, c’est un intermédiaire entre le plaisir des sens (la pasta) et le sens de la vie (Felipe) ; vous faites un plein d’essence et vous voilà reparti vers la religion de l’amour. Même si le film a démarré après la fin d’une comédie romantique ratée, il faut y croire, l’amour s’incarnera, parce que vous êtes à Bali et que la quête du beau gosse n’a plus rien de platonique. Eh ouiiiiiiiiiiiii !

Discrète révolution de la banalité

360 passe d’un personnage à l’autre comme les valseurs changent de partenaires. On se croise et l’on évolue jusqu’à revenir au point de départ – pour une nouvelle vie. Pas mal d’amants dans ces passades : c’est normal, il faut être au moins trois pour faire la ronde. Après Mademoiselle Else, je fais confiance à Schnitzler, dont le film est inspiré, pour juger sans moralisme du sens et de la sensualité des situations. Les couples, pris à l’instant où l’asymétrie de la relation la déséquilibre et précipite sa fin, mettent en branle par leur séparation une dynamique qui recompose inlassablement de nouvelles paires. Hasards enchaînés, les destins sont pris dans la ronde des rencontres et des séparations : Si un autre chemin s’offre à toi, n’hésite pas… Autre que quoi, nul ne le saura qui ne vit qu’une fois – mais il sera entré dans la danse.

 

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L’affiche connote le jeu de l’oie, mais c’est davantage à la manière des dominos (avec leur trait noir et leurs combinaisons fortuites) que se nouent les relations.

Chez Palpatine.

L’Eyre de rien

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L’affiche rend davantage compte du public, attiré par Fassbender, que du film, avant tout porté par Mia Wasikowska.

 

Cari Fukunaga ne lésine pas sur la brume et le mystère pour sa Jane Eyre, mais il est plus réservé sur les élans lyriques : la passion se trouve davantage du côté de la souffrance, qu’elle soit physique (la tête cognée contre le mur avec un bouquin – hardback, évidemment -, j’en ai encore mal rien que d’y penser) ou morale (viens-là que je t’humilie). La flamme n’a rien de métaphorique : c’est le feu qui permet de se réchauffer un peu, qui met en lumière les zones d’ombres autour de M. Rochester et qui finira par ravager Thornfiels-Hall. En somme, on ne brûle pas d’amour, mais on meurt de froid (et de tuberculose).

Cet univers où l’abandon n’est jamais amoureux met bien en valeur la tenacité de Jane. Muette quand il y a tout lieu de se plaindre, elle a la répartie bien sentie lorsqu’on veut s’apitoyer sur son sort (mais comme M. Rochester en a aussi, cela donne des répliques piquantes : interrogeant Jane sur sa vie passée, qu’elle a d’emblée refusé de qualifier de drame, il conclut ironiquement qu’avoir été chassée par sa tante et traitée comme une moins que rien en pensionnat, effectivement, aucun drame ; un peu plus tard, Jane ayant défendu ses dessins en expliquant que peindre est le plus grand plaisir qu’elle a dans la vie, il lui rétorque qu’elle n’a pas du en connaître beaucoup). Loin d’être une pauvre petite chose, elle possède, comme le lui fait remarquer Helen avant de mourir, la volonté de vivre. Et c’est donc avec une constance qui laisse peu à peu apparaître force et détermination là où l’on ne voyait qu’indifférence, qu’elle fait face à la vie. Il y a chez elle une espèce de droiture, comme naturelle, l’aplomb de ne s’être jamais égarée, jamais arrêtée, qui lui permet d’avancer avec simplicité, pour ainsi dire sans effort, sourde à toute faiblesse avec ses bandeaux de cheveux sur les oreilles (ou dessous, ce qui est encore pire – c’est vraiment la seule coiffure qui ne va à personne ; à croire que Miss Ingram, très intéressée par M. Rochester, l’a inventée pour enlaidir la gouvernante). Elle aurait lu chaque jour les stoïciens que je n’aurais pas été surprise. 

La pénétration progressive de M. Rochester dans son univers en est d’autant plus savoureuse. Sa vie désordonnée parvient à ébranler Jane et à jeter en elle quelque trouble (à peine visible sur son visage sévère – il faut que M. Rochester lui fasse remarquer qu’elle rougit pour que le spectateur s’en aperçoive, comme si elle était quelque galante fardée de blanc au théâtre). Difficile en effet de ne pas être sensible à Michael Fassbender et à sa présence de chair et de sensualité. Des yeux et une mâchoire, je suis prête à me faire dévorer. Enfin Jane, en l’occurrence. Qui, fidèle à elle-même, attendra  de pouvoir céder sans cesser de se respecter, nous faisant au passage découvrir Jamie Bell en pasteur et quelques landes désolées.