La dialectique de la potiche et de la cruche

François Ozon et Pina Bausch sont dans un bateau…

Dans Potiche, François Ozon part des clichés non pas pour les renverser (ce qui ne mène souvent qu’à affirmer le stéréotype en creux) mais au contraire pour mieux les développer. Il scrute le communiste de service, le fils à maman et sa chipie de soeur, le PDG imbuvable et sa secrétaire modèle, qui tous gravitent autour d’une belle potiche, mère, épouse et cocue. Lorsque cette dernière cesse de faire la potiche pour prendre la direction de l’entreprise familiale de parapluie, elle n’en reste pas moins une, n’ayant pris la direction que parce qu’on la lui a donnée et gérant tout ce petit monde avec la paternalisme le plus maternel qui soit. Le fils à maman reste fidèle à lui-même ; il ne renonce pas à son amour pour l’art en général et Kandinsky en particulier, il l’exprime seulement sur les parapluies de la fabrique (potiche, on vous dit). Le PDG imbuvable reste imbuvable même et surtout lorsqu’il n’est plus PDG. Quant à la secrétaire modèle, elle ne manque à aucune de ses fonctions, obéit seulement à un modèle différent quand Madame prend la place de Monsieur.

 

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Les étiquettes ne sont pas déchirées, tout au plus déplacées (comme des potiches), ainsi que le suggèrent les post-it qu’arborent les personnages au front sur l’affiche du film. Mais fils à maman ou fille à papa, on ne sort pas du cliché et l’on découvre ainsi qu’il est très vaste. Beaucoup moins réducteur qu’on ne l’aurait cru : « Ta mère est une potiche, mais attention, elle n’est pas une cruche », observe très lucidement le PDG mis à l’écart. Avant de se débarasser du cliché, il faut être bien certain de ce qu’il signifie : autant la cruche manque de finesse et agit sottement, autant la potiche n’a que l’air d’une cruche ; sa fonction honorifique n’est assortie d’aucun pouvoir réel, elle remplit son rôle décoratif à la perfection. Potiche n’est pas un film cruche : il évite de dire ceci n’est pas cela, pour souligner que le cliché n’est pas affaire d’essence mais d’apparence. Distinguer les deux, voilà qui dispense de la bien-pensance d’avoir à démontrer que celle-ci ne correspond pas à celle-là. Ce n’est pas juste, c’est vrai. A double titre : pas d’identité (justesse de l’être et du paraître, qui ferait du cliché la définition parfaite d’une personne) mais un rapport (entre le discours qu’on tient sur une réalité et cette réalité) ; et injustice de confondre les deux.

Le problème de la cruche, c’est qu’elle n’arrive pas à passer pour une potiche. L’inverse est toujours possible, mais la cruche, elle, ne peut pas seulement paraître ce qu’elle est vraiment. Et c’est là que je deviens cruelle : après avoir parlé du cliché de la potiche chez François Ozon, je passe à ceux de Pina Bausch dans 1980 qui, antithèse oblige, écope du statut de pièce cruche.

Avant que vous ne me rendiez totalement sourde en poussant les hauts cris, je reconnais qu’il y a de beaux passages. Celui qui m’a vraiment marquée, qui n’avait besoin d’aucun écho pour faire sens et émouvoir (échos qui ne sont jamais venus ou que je n’ai jamais perçus), c’est lorsque le groupe des danseurs fait face à une femme, qui reste seule et impassible alors que les gens viennent un à un lui jeter une phrase mondaine stéréotypée à la figure pour prendre congé. Les visages fermés, les voix monocordes et la rigidité des corps transforment chacune de ces phrases d’au revoir en une rose d’adieu, qui tombe avec indifférence sur le cercueil de la jeune femme. L’hyprocrisie décelée dans l’indifférence de formules comme « Venez nous voir si vous passez par chez nous » en fait rire certains ; je trouve la scène poignante, d’une tristesse indicible. Je n’ai jamais partagé le rire kafkaïen. L’absurde de Beckett peut me faire rire, mais Kafka, non. Je le comprends dans une certaine mesure, je crois, comme une espèce de réaction vitale contre une mécanique mortifère, mais je ne le partage pas. Peu à peu, ce ne sont plus les scènes qui me rendent triste, mais le spectacle de ces rires que je comprends de moins en moins à mesure que l’on bascule dans le burlesque. Un burlesque qui tend à oublier l’humour, ce trait d’esprit qui relève le comique du corps. Ses passages sur scène me font espérer que le sens surgisse. Sourire lorsque tous les danseurs étalés sur l’herbe pour faire bronzette se tortillent jusqu’à la nudité souhaitée, en s’efforçant de ne rien exposer (au public ou au soleil comme cette femme qui finit momifiée derrière ses lunettes de soleil). Mais l’éclaircie est de courte durée.


Blessé par l’amour qu’on lui porte, un autre (trop rare) joli moment.

 

Opérer des déplacements pour faire surgir l’insolite de l’habitude, c’est fascinant si l’on en voit le mouvement – et donc le sens : les phrases de fin de soirée transposées au cimetière font de la vie une réception mondaine, que l’on joue d’après des codes bien établis ; c’est incongru, mais cela a un sens. Absurde, si l’on veut, contraire à la raison, à partir de laquelle on se définit encore.
La plupart du temps, pourtant, dans 1980, on ne voit pas d’où l’on vient ni où l’on va. Plus de déplacements dans ces pitreries éparses, c’est déplacé. Déjà déplacé sans qu’il y ait eu de déplacement, une fausse provocation qui provoque une vraie lassitude. J’ai de moins en moins envie d’attendre la survenue, de plus en plus improbable, de ce qui donnerait sa cohésion à l’ensemble. Il n’y a pas de fil directeur ; à quoi bon former une boucle en reprenant à la fin l’ouverture, si c’est pour ne rien retenir dans ce noeud coulant ?

 

Cela nous fait une belle jambe, effectivement.
(photo d’Ulli Weiss)

Pas d’échos entre les scènes, voire parfois au sein d’une même scène. Les danseurs sont juxtaposés comme sur un photomontage sans idée, une somme de clichés qu’on croit avoir déplacés et qu’on a juste rassemblés. C’est flagrant dans la seconde partie de spectacle où se déroule une pseudo-parodie de concours (de beauté ? de personnalité ?) et où chaque candidat doit entre autres résumer son pays en trois mots (mention spéciale à l’Egypte avec couscous, haschich, bakschich). C’est du second degré, bien sûr. C’est bien trop long pour être du second degré, mais admettons. Pourquoi alors le public applaudit-il à la demande du présentateur du concours ?  Il abolit ainsi la mise à distance critique sans même s’en rendre compte. Puisque la scène se présente d’emblée comme du second degré, aucun risque, n’est-ce pas ? Sauf que lorsque le premier niveau n’existe pas, le second devient de facto premier. On applaudit cependant, l’esprit tranquille, persuadé d’avoir la caution critique avec soi. Et le public de se donner en spectacle, pour ne pas voir dans la pièce le spectacle de notre société de spectacle.

Mais il a raison de se tromper, le public ; autrement, cela ferait belle lurette qu’il aurait déserté. J’en ai un peu voulu à Palpatine, à l’entracte, de me tirer de ma caverne de complaisance où je n’avais vu que du feu. Je me suis soupçonnée et je me souçonne même encore un peu d’être trop influençable et de faire la fine bouche par orgueil ; cela n’avait pas été si terrible jusque là… Se tromper rend le spectacle supportable. Se détromper est vertigineux : est-ce une pris de distance salutaire ou le dédain du snob ? Qui est dans l’imposture : celui qui veut voir une oeuvre d’art là où il n’y a peut-être rien ou celui qui ne veut pas voir une oeuvre d’art là où il y en a peut-être une ? D’où, qu’est-ce qui vaut mieux : un principe de précaution, pour ne rien manquer, quitte à s’abuser, ou un principe de méfiance, pour ne se laisser berner par rien, quitte à laisser passer des choses ? Cette représentation m’a laissée intranquille, et je ne suis pas tout à fait sûre, même si je suis près de m’en convaincre, de ne pas m’être prononcée contre cette pièce (à conviction ?) par facilité, après avoir pourtant trouvé que l’énervement de Palpatine à l’entracte était un peu fort de café. Si je cesse d’être indécise, voici néanmoins comment j’achève.

Ce serait le but de la pièce, alors, montrer à quel point on se laisse abuser par le second degré ? montrer qu’on ne peut critiquer la société du spectacle sans en même temps l’apprécier ? Mais je ne vais pas au théâtre pour me divertir ! Pour cela, j’ai les émissions de télé-réalité que j’apprécie pour ce qu’elles sont : un parfait moyen de s’abrutir quand on a trop de choses qui tournent dans la tête, quand on a envie de s’immobiliser l’esprit comme on s’avachit le corps sur le canapé, d’avoir son attention captée sans avoir à faire l’effort d’être attentif. Une diversion, en somme. Et je repense au slogan de La Terrasse, emprunté à Pasolini : « La culture est une résistance à la distraction » Contre quoi voulez-vous que le grand bazar de 1980 exerce une résistance ? Les carcans de la société ? Il aurait pour cela fallu les présenter, les malmener, s’y frotter pour les faire exploser (tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse) ; leur absence débouche seulement sur un grand bazar où la seule fantaisie qui s’exerce est celle du caprice.

 

Si au fond de moi, j’attends toujours qu’on vienne me détromper, c’est qu’il y a une chose que je ne comprends pas et que je ne veux pas admettre : comment la même personne a-t-elle pu faire Le Sacre du printemps et ça ? On ne mélange pas les torchons et les serviettes, ce n’est pas pour mélanger les potiches et les cruches.

Joss Whedon, mon super-héros

Il me reste encore quelques morceaux de danse à chroniquer, mais ayant peu de temps et tout de même envie de m’octroyer le plaisir d’une petite chroniquette, il s’agira du film de Joss Whedon, The Avengers. Dans la mesure où ma connaissance de l’univers de Marvel se limite à Spider-Man partant à la rescousse de Kirsten Dunst, et où Thor est pour moi un personnage d’Everworld, jamais je ne serais allée voir ce film à gros budget si Palpatine n’avait pas insisté sur son réalisateur : celui de Buffy the Vampire Slayer, la série la plus carton-pâte qui soit, qui est aussi la série la plus psychologiquement développée que je connaisse. Du coup, moi qui aime plutôt le maigrichon de comédie romantique, j’ai été curieuse d’aller voir les gros bras en action.

La séance elle-même a été épique. Après une demi-heure d’attente et autant de pub (cela dit, ça permet d’évacuer les pop-corn assez rapidement), le film démarre… en muet. Sous les huées du public, soudain dés-atomisé et fédéré par son exaspération, j’essaye de suivre avec les sous-titres le début de l’action, situation de crise dont un responsable demande si elle grave : « Bah, ouais, c’est grave », lance quelqu’un dans la salle, « un peu, ouais, on n’a pas le son ! » A ce stade, je ne sais pas encore si le film va me plaire, mais je ris déjà bien. La régie se prend des applaudissements ironiques lorsque le son rattrape l’image, mais alors qu’on commence enfin à rentrer dans le film : noir. Plus de son, plus d’image. Le supporters de Michel Gondry (Rembobinez ! – sans le Soyez sympa, faut pas déconner) ont, un peu tard, obtenu gain de cause. La manip’ prend un peu de temps, si bien que l’un de nos voisins apostrophe la régie : « Sans les pubs, hein, s’il-vous-plaît. Non, mais, je précise, hein, on sait jamais… sans les pubs. » Le film re-démarre enfin ; la situation de crise est claire, sinon sous contrôle, le fou rire guette.

Après moult explosions et effets spéciaux destructeurs (notamment pour les oreilles, j’en viens presque à regretter le muet) qui justifient le budget de blockbuster et l’arrivée des super-héros, on retrouve le ton de Joss Whedon. Tant mieux, parce que la bagarre, j’adore ça, pourvu qu’il n’y ait pas trop de sang et de cadavres, et surtout, surtout, qu’on n’oublie pas au milieu du chaos l’humour à la Bruce Willis dans Die hard. Les répliques négligemment cinglantes ne sont pas légions, mais elles sont très bonnes : « They have an army, but we have a Hulk. » Ma préférée, je crois, c’est lorsque Thor entend qu’on ne critique pas trop Loki, qui, bien que passé du côté obscur de la force, est tout de même son frère et vient de la même planète que lui, et qu’on lui objecte :

« – He murdered 80 people in 2 days.
– He was adopted. »

L’humour fait bien passer la pilule et le message qu’elle contient : les super-héros commencent à dater – non parce qu’ils vieillissent, mais, au contraire, parce qu’ils sont toujours ce qu’ils étaient (Captain America, pectoraux intacts, semble tout droit décongelé des Trente Glorieuses) alors que la société s’est complexifiée et disparaît derrière des entités anonymes. L’époque n’est plus aux grandes figures capables d’incarner à elles seules la nation. Situation inédite pour eux et difficile à accepter pour un Iron Man complètement mégalo, il leur faut unir leurs forces et passer dans le relatif anonymat du pluriel, devenir une série de super-héros qui avaient auparavant chacun la leur.

Une décennie après le 11 septembre, ils sont obligés d’admettre une certaine vulnérabilité : on peut combattre le mal, mais rarement le prévenir. À défaut de protéger l’Amérique (je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la fin du monde arrive toujours à New York – l’ethnocentrisme a parfois du bon, ça laisse le temps de voir venir), à défaut de la protéger donc, ils la vengeront. Le justicier compte désormais moins sur la justice que sur sa colère pour faire régner l’ordre le désordre le bien (notion floue, donc très pratique). Et pour ne pas se salir les mains, on exécutera la condamnation du criminel ailleurs, en renvoyant Loki sur la planète Asgard (ça va, le G est planqué au milieu du mot).

Joss Whedon, quoi.

 

Sidonie aside

N’allez pas voir Les Adieux de la reine si vous n’aimez pas vraiment ses actrices principales. Le film de Benoît Jacquot repose sur la fascination des visages : l’embrasement du peuple et de la reine se reflète sur le visage de Léa Seydoux comme les atermoiements d’un feu de cheminée. On y voit la passion de son personnage, Sidonie Laborde, pour Marie-Antoinette et la passion de celle-ci pour Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen), qui lui fait perdre la tête avant même que les événements n’exécutent l’expression au pied de la lettre.

L’histoire est vue depuis ses marges, alors forcément, on reste entre femmes. On reste retranché au château de Versailles, curieuse forteresse assiégée, où l’impératif de Sidonie est de finir de broder le dahlia réclamé par la reine lors d’une fantaisie capricieuse dont elle ne se souvient pour ainsi dire plus. Il faut attendre que circule la liste des têtes réclamées par le peuple pour que l’inquiètude gagne cette campagne où le soleil ne cesse de briller. Cette nature indifférente, presque insolente, rend le danger improbable : les massacres ensoleillés, comme dans L’Espoir de Malraux ou la Commune peinte par Maximilien Luce, sont trop scandaleux pour qu’on puisse les concevoir. Ce décalage entre la mort imminente d’une société et la vitalité par laquelle elle se refuse à envisager sa propre fin est rendu plus sensible encore par le parti pris du réalisateur, de privilégier la proximité émotionnelle sur la distance historique.

Hormis un court instant où la reine et Sidonie, sa lectrice, se livrent à une conversation digne de monsieur Jourdain, le langage n’a rien de précieux, Sidonie trimballe un sac en tissu qui me fait tiquer chaque fois qu’elle le passe en bandoulière sur sa robe à l’anglaise, et selon le souhait du réalisateur, elle porte les coiffures d’époque comme une queue de cheval, pas plus déguisée que la mode l’exige à toute les époques. Cette liberté nous éloigne d’une altérité d’autant plus précieuse qu’elle nous échappe toujours, mais d’une certaine manière, en ne cherchant pas à tout prix à s’identifier à cette époque révolue, elle refuse de faire croire à l’abolition de la distance et la parcourt jusqu’à la frôler.

Ainsi la cavalcade des courtisans qui accourrent vers le roi ou la reine n’est peut-être pas en accord avec la pesanteur et la rigidité de l’étiquette, mais elle nous fait prendre conscience de l’espace dans lequel la cour évolue, de la distance qui sépare une pièce d’une autre et partant, un statut social d’un autre. La place de Sidonie et de son amie Honorine (Julie-Marie Parmentier, à qui le franc-parler des servantes convient décidemment bien, même s’il n’a rien à voir ici avec la violence des Blessures assassines) ressort alors dans toute son ambiguïté : habillée d’une robe simple mais élégante, la lectrice de la reine, qui côtoie la plus haute noblesse, prend son repas en cuisine avec les domestiques, dames de compagnie et femmes de chambres cependant servies par les cuisinières, et dort dans une chambre où la pendule qu’on lui a prêtée pour être ponctuelle auprès de la reine détonne. Et pour brouiller encore plus les rangs et faire valoir l’incommensurabilité qu’il y a des courtisans au roi plus encore que des domestiques aux courtisans, ces derniers ont délaissé leurs châteaux pour vivre dans des trous à rat insalubres.

Mais tout cela n’est que l’arrière-plan révélé par le triangle amoureux central (pour rappel : Sidonie Laborde –> Marie-Antoinette –> Gabrielle de Polignac). Contrairement au film de Soffia Coppola, Marie-Antoinette n’est pas le personnage principal : vue à travers le regard de Sidonie, elle reste la reine, mystère cristallin. Même si elle prend le bras de sa lectrice pour passer un onguent sur ses piqûres de moustiques, celle-ci se tient ensuite à une distance respectueuse et plonge à chaque entrevue en révérences réitérées, jusqu’à ce que sa majesté veuille bien remarquer sa présence. De fait, si Marie-Antoinette aime Gabrielle de Polignac, qui l’a fascinée justement parce qu’elle n’était pas « un de ces êtres dont un dispose comme d’un chou à la crème », Sidonie ne peut qu’adorer la reine. Sa dévotion outrepasse les limites de l’amour, et contrairement à Gabrielle de Polignac qui fuit la reine pour échapper à son destin, Sidonie va jusqu’à se mettre en danger pour elle, en suivant sur sa demande la comtesse, dont elle prend les habits (verts, comme le cyanure) — travestissement dramatique aux antipodes de la légèreté du marivaudage. C’est ainsi qu’elle s’offre à elle : la scène où on déshabille devant Marie-Antoinette sa servante fait écho à la seule autre scène de nu du film, où l’on découvrait le corps endormi de l’amante désirée par la reine.

Au final, c’est bien mademoiselle de Laborde qui porte la vraie noblesse : blessée, elle reste digne, au point de ne pas éveiller le moindre soupçon lors de la substitution. Et je reviens à ma première impression, qui m’avait fait prendre Sidonie pour Marie-Antoinette, sûrement parce que la rondeur de Kirsten Dunst se retrouve davantage dans le visage de Léa Seydoux que dans les traits d’une extrême finesse de Diane Kruger.

Copie conforme

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Vous voyez la copie double carré Seyes ? C’est celle que rend Abbas Kiarostami. Ce film que je regrettais d’avoir laissé passer est intelligent, très, trop, autant que la conférence savante qui l’ouvre. Et aussi stérile, au final.

Pourtant, lorsque James, venu parler de son livre, défend la valeur de la copie face à la sacralité de l’original, l’ennui universitaire semble sur le point d’être battu en brèche. Questionné par une femme qui fait preuve de toute l’érudition dont elle est capable pour montrer qu’il l’a séduite, il essaye de dévier la conversation, de lui donner un tour plus décontracté. Les facades ocres de la Toscane défilent sur le pare-brise derrière lequel on les devine mal, mais c’est peine perdue, l’invitation à regarder le paysage tombe à plat sur le capot, est écrasée sous les roues : n’attendons pas d’authenticité de qui cherche à faire l’original.

On ne sortira de la dispute intellectuelle que pour tomber dans la dispute profane. Car ce duo balbutiant, qu’on dirait couple si le flirt n’en était pas curieusement absent, se révèle être marié depuis quinze ans. On passera sur les incohérences scénaristiques (genre le gamin qui s’amuse du béguin de sa mère pour « le monsieur » qui n’est autre que son père, revenu de voyage la veille pour son anniversaire de mariage) dans l’espoir d’un rebond. Mais le jeu auquel les soi-disant inconnus se sont livré n’a rien de ludique, et le retournement tombe à plat, comme une crêpe.

James n’a pas la moindre envie d’être de nouveau séduit, il s’accomode parfaitement des restes d’une tendresse distante, pour une femme qu’il aime quelque part dans sa fatigue. Elle, en revanche, voudrait un anniversaire de mariage qui soit la copie conforme de ses noces. Elle traine James sur les traces d’un passé qu’il ne veut ni ne peut ressusciter, d’une époque originelle pour laquelle il n’a pas plus d’admiration que pour ce présent copié qui l’ennuie copieusement, ou pour les oeuvres habituellement portées aux nues (d’ailleurs, il ne dénudura pas non plus sa femme allongée sur le lit de leurs noces). Il a raison, la copie, même si elle n’est pas l’altération de l’original, est autre, et il faut lui trouver une valeur intrinsèque ; on comprend sa patience désabusée, qui lui fait passer une vaine après-midi avec sa femme qu’il tente d’apaiser en lui mettant la main sur l’épaule, et son irritation de ce que rien n’étanche la soif de tendresse, d’amour, d’attention, d’absolu, en fait, de cette admiratrice qui le harcèle par son désir. Ce n’est pas un hasard s’il trouve mauvais le vin qu’on leur sert et si le serveur refuse qu’il le renvoie : pas d’ivresse possible, et ils sont toujours là.

On est donc d’accord avec son irritation à lui, mais on comprend son agacement à elle, qui ne cesse de revenir à la charge, avec ses sujets de discussion, ses compliments élogieux, son rouge à lèvres, ses boucles d’oreilles et ses souvenirs qui ne sont plus vraiment les leurs. Légitime dans sa détresse, insupportable dans son insatisfaction. La film ne nous emmène pas au-delà, il nous ressasse dans cette frustration. Ne reste que le visage dévasté de Juliette Binoche.

 

La Dame de fer

Tout se passe comme si l’on avait voulu faire de La Dame de fer un de ces films de facture classiques à succès, un de ces films fermes comme des rôtis bien ficelés, qui semblent tenir tout seuls tant les ficelles sont à leur place, invisibles. La recette a visiblement été bien copiée, jusqu’à la touche d’assaisonnement : on retrouve une scène de travail de l’élocution, comme dans Le Discours d’un roi.
 

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[Au détour d’un plan ressurgit parfois Cruella.]
[Et il y a ce mouvement des lèvres qui me rappelle mon ancienne prof de danse… anglaise. Coïncidence ou logique mécanico-linguistique ?] 

La performance de Meryl Streep n’a rien à envier à celle de Marion Cotillard, et ce nouveau biopic emprunte même à La Môme un ressort narratif qu’il utilise comme trame : tout comme l’amant de Piaf, le mari de Margaret Thatcher est filmé comme si de rien n’était, comme s’il n’était pas sorti de sa vie, de la vie. Le coup de folie ponctuel face au deuil impossible devient le signe chronique de la sénilité. C’est à partir des confusions de la mémoire que le film se permet des allers et retours dans le temps, retrouvant tout de même par les associations de situations le sens de la chronologie. Cela se découpe bien et c’est aussi tendre sous la dent que les temps sont durs.

A une bonne recette et de bons ingrédients, il faut pourtant le tour de main. Il y a bien le fer et le gant de velours, mais la main ? On voudrait être dirigé avec plus de poigne dans un parcours politique qui n’en a pas manqué. Là où J. Edgar montrait un personnage complexe, La Dame de fer ne fait pas dans la dentelle et l’on a parfois l’impression que cette fille d’épicier doit davantage son ascension politique à son entêtement qu’à sa volonté. La certitude d’être dans son bon droit, qui lui confère, comme à J. Edgar, un aplomb étonnant, se teinte de naïveté, et ses convictions n’ont alors pas grand mal à devenir dans la vieillesse des dogmes dont elle ne démord pas. Ceux-si sont tout de même l’occasion de quelques vérités bien frappées, comme lorsqu’elle déplore : people nowadays want to be someone, whereas we wanted to do something & they do not think, they feel.

Pour le reste… on se régalera du jeu de Meryl Streep, d’œufs à la coque et du délicieux Harry Lloyd dont je suis serais moi aussi tombée amoureuse.
 

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