Rachel au carré et physionomies

Ronit (bras croisés), son ex-amante Etsi (qui allume les cierges du shabbat) et le mari de cette dernière David (chapeau et barbe juive)

Disobedience, de Sebastián Lelio

À la mort de son père, rabbin, Ronit revient dans la communauté juive-orthodoxe qu’elle a fuit. Elle retrouve son ami d’enfance, David, et son amie d’enfance, Etsi, devenue à l’adolescence son amante – mariés l’un à l’autre. On devine peu à peu comment toutes deux se sont construites après leur séparation, et les sentiments meubles sur lesquels cela s’est fait.

Ronit est partie à New York, devenue photographe ; à la mort de son père, la nécrologie du journal local le dit sans enfant. Etsi est restée dans leur banlieue londonienne, s’est accrochée aux rangs pour sortir de sa maladie (la dépression pour elle ; l’homosexualité pour les autres) et s’est mariée avec David : quitte à essayer, autant que cela avec son meilleur ami ; face à Ronit revenue, elle ne cesse de tirer sur sa perruque, rajustant l’identité dans laquelle elle a jusque là survécu.

Fuite et indépendance pour l’une ; abnégation et appartenance pour l’autre. En chiasme : désir de renouer pour l’une ; de liberté, pour l’autre. Tout cela, presque uniquement exprimé par le bas du visage, dans les tressaillements, les hésitations des lèvres, aux plis, aux commissures déjà marqués par les années – les paroles, les sourires ravalés, esquissés dans l’excuse, le souvenir ou la commisération.

Happée par ces lèvres et ces mâchoires, je ne peux m’empêcher de voir ressurgir d’autres actrices : chez Rachel Weisz (Ronit), c’est Kate Winslet que j’aperçois ; Stacy Martin chez Rachel McAdams (Etsi). De (Ronit / Rachel Weisz / fantôme de Kate Winslet), bouche charnue effacée par des yeux sublimes d’empathie embués, émane une sensualité plus empâtée que celle d'(Etsi / Rachel McAdams / le fantôme de Stacy Martin dans Le Redoutable), menton dessiné et lèvres fines, qui s’enfoncent dans son visage en fossettes démesurées.

Je suis plutôt douée pour cela : voir une chose dans une autre, le regard de l’un dans le visage de l’autre ; retrouver certaines combinatoires génétiques dans l’intertexualité des visages. Je ne sais pas si cela fait de moi quelqu’un de physionomiste, ou tout au contraire :  percevant en filigrane d’autres visages, je peine parfois à les identifier et partant à les différencier – l’identité se dissout, et c’est la confusion (comme récemment avec les deux amours de Tom Cruise dans Mission Impossible).

La superposition des noms et des visages n’est pas un simple jeu de correspondance, comme le collage d’un magazine people qui mettrait deux ou trois personnalités en équation (le truc de machin + le truc de bidule = trucmuche). Il y a autre chose dans l’incertitude des lèvres lourdes, à peine entrouvertes, de  l’une, l’empathie de l’incarnation par tous les ports de la peau ; et l’incisivité retenue de l’autre, que l’on pourrait dire en d’autres circonstances espiègle. Quelque chose s’affirme dans la disparition de traits idiosyncrasiques uniques, comme si le mode de résilience de chacune s’incarnait dans leur visage. Moelleux-empâté : lâcher prise, l’affaire, les amarres ; incisif : serrer les dents, les rangs, la perruque-rideau.

Ce qui me fascine, aussi, c’est la réversibilité des comportements : le courage de l’indépendance qui a pour envers la lâcheté de la fuite ; le courage de se maintenir tête haute, et la lâcheté de ne pas tenir tête aux autres. Et vice-versa, à chaque fois : la désobéissance comme faute enfantine et comme révolte adulte (dis-obedience). Ce qui me fascine, c’est de voir les personnages essayer de trouver un équilibre dans ces réactions et leurs interprétations contradictoires ; de chercher non pas ce qui est vrai, mais ce qui est vivable – le juste qui ne relève d’aucune loi sinon physique : juste de justesse, d’équilibre.

Journal de lecture, Mémoire de fille

Mémoire de fille n’est pas une histoire de première fois – d’ailleurs je déteste cette expression, première fois, comme s’il n’y avait de première fois que sexuelle, et que le sexe se découvrait en une fois. Il faudrait dire la première fois nue face à un homme (ou à une femme, d’ailleurs), la première fois caressée, la première fois avec un sexe d’homme dans la bouche, la première fois du sperme sur la peau, la première fois pénétrée – l’hymen ou non déchiré -, la première fois avec jouissance, la première fois dans l’orgasme, la première fois… ça vous regarde. Quand Annie Ernaux en arrive , dans ce que le déictique a d’évident et d’imprécis, je peine à suivre, malgré le déroulé des actions détaillé dans le remâchage du souvenir. Je crois même un certain temps que la jeune fille se ment à elle-même en se disant vierge.

Mais ce n’est pas ça. Ce n’est pas de ça dont il est question.

Pas la possession, au contraire : la dépossession.

L’immobilisme qui saisit face au désir que l’autre a de nous – que l’on souhaitait sans l’imaginer, sans en imaginer la violence. La cessation de la volonté, qui se calque alors sur celle de l’autre ; on veut ce que l’autre veut, sans doute, mais sans savoir quoi, au point que le rendu brut de la scène fait penser à un viol. Annie Ernaux le dément pourtant : la jeune fille ne se résigne pas ; elle consent. Veut consentir : une volonté sur le mode mineur, un sacrifice consenti, quelque chose de rituel qu’on attend, qui saisit.

Immédiatement, ça remonte en moi : la sensation blanche de la gorge comme directement liée au vagin, voie rapide, raide, resserrée, vide vertigineux où disparaît la parole, toute parole, présente, passée et à venir. L’esprit continue de fonctionner, comme en retrait du corps – panique subite des sensations décuplées, du corps qui trahit, immobilisé dans une paralysie qui a à voir avec la prédation. Je repense à Quignard. Fascination et prédation. Ce n’est pas dit comme ça, mais ça remonte immédiatement à la lecture : la sensation brute, première, celle qui est là avant même d’être associée au plaisir ou à son anticipation. Je dois arrêter de lire. Je dois relire. Et arrêter à nouveau.

Avant ça : l’écrivaine ralentit le récit qu’elle sait inexorable, essaye d’en dire la maximum sur la jeune fille – pas le maximum : le contexte, à supposer qu’on puisse contextualiser une vie. Des scènes, du coup, comme quelqu’un qui essayerait de ralentir la montée d’un orgasme.

Ça : le point de non-retour du récit, originel, névralgique, qui a lieu dans l’ignorance de ce qu’il signifie.

Après ça : le geste intime devient social, interprété – interprétation incomprise de la jeune fille qui vit à l’abri de la honte, y compris les humiliations qu’elle subit, dans la fascination de la découverte. Petite mort du récit qui s’effiloche : la suite du séjour dans la colonie de vacances où c’est arrivé, on l’attendait comme decrescendo naturel, un câlin post-coïtum, mais après ? Pourquoi ça continue ? La poursuite me déroute. Retour. Études. Anorexie-boulimie. Il est bien dit que la jeune fille vit dans le fantasme de retrouver celui qui l’a désirée et rejetée, que toutes ses décisions se font dans cet horizon, mais tout cela me semble sans commune mesure avec ce que je pensais et ressens encore comme le centre gravitationnel du roman. Trou noir. Je reste aveuglée par l’état de sidération qu’Annie Ernaux rend si bien, et qui fait plus que cohabiter avec la précision du récit : il en découle (plus les faits sont repris, plus ils s’obscurcissent). Ce n’est qu’après avoir fini le roman que les faits se sont reliés, souterrainnement : la dépossession de soi. Pas comme objet d’une possession physique – ou alors métaphoriquement. Elle s’échappe, se poursuit à travers un idéal qui implique sa disparition : non pas devenir autre, mais être l’autre, la monitrice qui plaisait à l’homme, être le même genre, en mieux – elle gobe avidement l’image, et son corps rejette ce corps étranger, le vomit – anorexie-boulimie. La jeune fille s’en sort pourtant : elle étudie, s’habille, se travaille et se creuse pour impressionner une idée d’homme, mais ce faisant, travaille aussi sans le savoir à devenir cette autre qui ne voudra plus de lui – mais d’elle, oui, enfin.

Je voudrais être capable de tenir un journal de lecture tel qu’en avait Blandine Rinkel (pas de lien : elle a publié un roman, fermé son blog ; je n’aime pas trop cette mode des vases communicants). Ne pas faire une critique du bouquin ; juste montrer comment il a vibré en moi à la lecture. C’est ce que je préfère lire chez les autres, et c’est ce que je voudrais faire ici ; ce que je ferais si je ne me laissais pas toujours rattraper par ce désir absurde de complétude – mais peut-être est-ce là le plus personnel des prismes…

 

 

 

 

Pacific Northwest Ballet, acte II

Les Étés de la danse,
soirée du 6 juillet, programme 1

Après la soirée plaisante, la soirée géniale : à la programmation bien mieux goupillée s’ajoute le plaisir de commencer à reconnaître certains danseurs…

Je lis régulièrement qu’Alexei Ratsmansky est le chorégraphe le plus doué de sa génération. I bed to differ : pour moi, il s’agit de Christopher Wheeldon. Même une pièce que Laura Cappelle* qualifie de minor work me conforte dans cette opinion. Tide Harmonic, chorégraphié sur une musique de John Talbot (le compositeur d’Alice in Wonderland) est plein de trouvailles gestuelles poétiques : deux mains qui s’ouvrent, et c’est une huître qui dévoile sa danseuse-perle ; une attaque sur pointe de profil, démultipliée par quatre, et c’est une traversée de crabes à marée basse. Avec leur corps sculptural, svelte mais charnu, et leur chignon blond très haut, ces danseuses américaines healthy-qui-boient-des-smoothies-et-caressent-des-puppies ont l’air de proues sculpturales**. Elles sont magnifiques, même soutenues par leurs partenaires dans une espèce d’attitude derrière en parallèle, et ballotées genou plié sur pointe : le ressac de la mer. Les costumes, avec leur jupette asymétrique cousue sur une fesse (si, si, vous l’avez vue sur l’affiche), font merveille à pas cher, tout aussi simples et décalés que la chorégraphie. J’adore.

* Je la mentionne tout le temps parce que c’est ma super-héroïne critique balletomane. Quand je serai grande, je serai elle.
** Je crois que j’ai fait tout le trajet en métro avec l’une d’elles ! Soupçon dans le métro au maintien ; reconnue sur scène à ses mollets (il est possible que je me sente un peu creepy).

Après la musique féerique de John Talbot, celle de Richard Einhorn, jouée au violon électrique, fait un peu grincer des dents. Red Angels est rouge alerte : vêtus d’académiques rouges unisexes, les deux couples évoluent dans des douches de lumière sèche – gestuelle à l’avenant. J’ai découvert Ulysses Dove lors de la venue de l’Alvin Ailey Company, lors d’une autre édition des Étés de la danse, et son style reste pour moi associé, et illustré au mieux, par cette compagnie. J’avais le souvenir d’une force brute ; avec le PNB, la puissance est plus raffinée, moins brute qu’incisive – ce qui fait que, tout en admirant quelques jambes d’airain, je suis moins emportée par la pièce dans sa totalité.

 

Entre la scénographie sombre et élégante, la gestuelle plus contemporaine, qui comporte des mouvements expressifs des mains à la limite du mime, et la sélection musicale faisant la part belle à Philip Glass et Max Richter (parmi Beirut, Andrew Bird’s Bowl of Fire, Alexandre Desplat, Tom Waits et Kathleen Brennan), Little Mortal Jump entretient des airs de parenté avec l’univers de Sol Leon et Paul Lightfoot. Autant dire qu’on part du bon pied. On ne sait pas trop où l’on est, plongé que l’on est dans une atmosphère de coulisses, foraines ou cinématographgiques ; mais on y est bien. Des grands caissons noirs, semblables à ceux dans lesquels on stocke le matériel de spectacle et périodiquement réagencés par les danseurs, surgissent diverses saynètes et personnages : un duo, une troupe, une Pierrot à collerette… ou encore deux danseurs scotchés chacun à un cube, comme les partenaires moyennement consentants d’un invisible lanceur de couteaux. Ils restent quelques instants en suspens – touches d’humour humaines dans le tableau du chorégraphe – avant de se libérer en déchirant-quittant leurs vêtements-chrysalides. Et cette musique, cette musique… ça ne manque pas, à chaque fois cela prend aux tripes. Enfin pas vraiment aux tripes : plutôt à l’arrière de la gorge, prêt à vous plonger dans le vide de destinées  survolées à haute altitude, minuscules et émouvantes. Bref : j’espère avoir l’occasion de faire plus ample connaissance avec le chorégraphe, Alejandro Cerrudo.

 

Last but not least : Emergence de Crystal Pite, sur une bande-son anti-Nature & Découvertes d’Owen Belton. La nature y est inquiétante, pleine de craquements, caquètements, bruits non identifiés et souffles prédateurs. À moins que la chorégraphie rejaillisse en synesthésie sur la musique : le corps de ballet masculin, l’instant d’avant constitué de criquets, au sol, coudes relevés, bat l’instant d’après une pulsation animale, lourde et puissante, bêtes prêtes à charger, tendues dans le rebond d’un plié dont on se met à craindre avec excitation la détente. Les filles, visages masqués dans des voiles noirs et pointes tacquetantes, sont de drôle d’augure : mi-oiseaux de malheurs, corbeaux-vautours ; mi-volatiles à terre, hérons estropiés ou banc d’autruches. Le décor, en toile de fond, représente aussi bien un envol de chauve-souris prêtes à nous assaillir qu’un nid d’oiseau dans lequel on zoomerait-tomberait, comme dans le vortex du lapin d’Alice au pays des merveilles. C’est dans ce puits sans fond que tout s’origine et se fond : les danseurs en surgissent et y disparaissent, happés par une lumière qui nous aveugle. Le mouvement, comme de ce point aveugle (de lumière ou d’ombre), part des tripes et y revient, des danseurs aux spectateurs. Palpatine et moi, on s’est doutait ; Mum a kiffé. 

Pacific Northwest Ballet, acte I

L’enthousiasme avec lequel j’anticipais la venue du Pacific Northwest Ballet à Paris est entièrement due à son (ses ?) community manager sur Twitter. Depuis des années que je suis leur compte,  leurs mini-vidéos, #TutuTuesday, interactions spontanées et retweets fair play d’autres compagnies ou d’articles qui ne sont pas directement en lien avec eux sont aux antipodes de la rigidité du marketing institutionnel tel que pratiqué par l’Opéra de Paris (même si ça s’est beaucoup arrangé). On sent qu’ils promeuvent leurs ballet mus par un amour sincère de la danse. Acheter des billets pour aller les voir et les faire vivre comme compagnie est un simple moyen de faire vivre leur forme d’art. L’exemple de ce qu’on peut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux. Hop, billets pris pour les deux programmes des Étés de la danse.

Dans d’aussi bonnes dispositions étais-je, le second programme, vu en premier (soirée du 4 juillet), m’a un peu laissée sur ma faim. Je comprends que Laura Cappelle ait pu, à partir de là, s’interroger sur l’identité de la compagnie et ce qu’elle avait à offrir – même si l’autre programme, jouissif, invalide pour moi ce questionnement. J’imagine que l’ordre dans lequel on assiste aux deux soirées joue pas mal sur la perception d’ensemble. 2-1 crescendo !

Avant la super soirée, la soirée plaisante :

Singerland Duet est un court duo de Forsythe qui passe bien, mais ne marque pas plus que cela. À la distance où nous sommes Palpatine et moi, la lumière faible et concentrée sur les interprète sculpte leur corps mais dissout leurs gestes. Le mouvement s’y écrit et s’y perd, fondu dans une persistance rétinienne. Forcément, on a déjà vu plus incisif dans ce style.

 

Inversement, Appassionata est dansé par le PNB avec plus de relief peut-être que par l’Opéra de Paris, mais le problème intrinsèque de ce ballet de Benjamin Millipied est… d’être chorégraphié par Benjamin Millepied. Rien n’y fait, je ne comprends pas sa musicalité et continue à voir des tombereaux de pas sur des notes interchangeables. C’est de la danse, belle mais partitive : vous m’en remettrez une louche et deux mesures. C’est frustrant, parce que de-ci de-là, une correspondance distincte se fait entre les pas et la musique, et l’intérêt d’un coup se réveille – pas tant dans la première partie, avec les costumes qui jurent (rouge-bordeaux, rose-violet et bleu, sérieusement ?), que dans la seconde, littéralement échevelée. Le style américain, moins coulé qu’en Europe, casse la somnolence lyrique : ce n’est plus une tempête dégoulinante de sentiment qui berce de faire rage, mais les brisures d’un électrocardiogramme en pics et précipices rapprochés (les grands jetés répétés de (Leah Merchant ? Elizabeth Murphy ?), soutenue-entravée par son partenaire, dessinent en-dessous les pointillés de je ne sais quelle autre constante vitale).

 

Tout le plaisir de cette soirée tient en son début et en sa fin. La soirée se clôt avec Waiting at the Station, de Twyla Tharp. Les décors, quasi-absents des autres pièces, introduisent immédiatement un autre rapport à la pièce, plus prégnante, plus chaleureuse. Je n’ai pas du tout capté l’histoire d’un père et son fils (pour moi c’était un homme encore jeune mais arrivé, et un jeune homme partagé entre l’imitation et la rivalité), mais elle n’est qu’un prétexte à des danses endiablées : salsa sur pointes et technique classique à Broadway. Avec un trio de vedettes en bonnet de douche doré et le train des frères Lumières à l’approche, c’est un peu l’ambiance dans laquelle aurait dû baigner l’échappée hollywoodienne ratée de la Cendrillon de Noureev. C’est une réussite ici : les danseurs s’éclatent manifestement, et nous avec – mention spéciale pour Noelani Pantastico et ?, deux petits modèles qui en jettent, Prince Suddarth et James Moore. La musique d’Allen Toussaint est peut-être seul ingrédient qui empêche le cocktail d’être explosif : il faut passer d’un morceau à un autre pour que l’arrêt supplée l’absence de variation rythmique. Le rythme à bloc dès le début empêche le grand finale que la chorégraphie aurait sans problème ménagé. Il reste que ce genre de pièce devrait être remboursé par la Sécu. Pourquoi ne donne-t-on pas plus souvent les pièces de Twyla Tharp ? (Les compagnies européennes sauraient-elles si bien les danser ?)

 

Aussi réjouissante ait été l’attente du train avec Twyla Tharp, mon coup de coeur de la soirée (qui ressemble bien plus à une tranquille aube qu’à un soubresaut cardiaque) va à Her Door to the Sky, au premier abord yet another neoclassical ballet. Je revois en bloc les chorégraphies d’Helgi Thomasson avec le San Francisco Ballet, Seven Sonatas et Pictures at an exhibition de Ratmansky. La dimension picturale joue sans doute dans cette dernière réminiscence : les découpes du décor sont inspirées de la série Patio Door de Georgia O’Keeffe, et les robes des danseuses, comme infusées dans l’eau où sont nettoyés les pinceaux (j’ai déjà dansé dans une semblable robe – le genre de coïncidence idiote qui, par l’affect dont elle est chargée, peut donner un a priori positif qui suffit pour ensuite apprécier le ballet) . L’ensemble charme et retient l’attention – juste ce qu’il faut pour s’apercevoir que Jessica Lang a été à bonne école avec Twyla Tharp. La pièce est pleine de belles petites choses, pétillantes et délicates : j’aime particulièrement la chaîne-roulis des danseuses qui apparaissent en disparaissent dans les découpes du décor, comme derrière autant de fenêtres, et je me laisse à chaque fois surprendre par un enchaînement que je ne parviens pas à décomposer tant il sautille-fourmille d’improbables petits sauts assemblés avec l’accent en bas et d’échappés sautillant sur les pizzicati de Britten. J’aimerais beaucoup revoir la pièce, sans être prise par l’excitation de l’ouverture de soirée et des visages inconnus à découvrir, reconnaître et préférer aux jumelles.

Boris Godounov en costard

Opéra de Modeste Moussorgski,
représentation du lundi 2 juillet à l’Opéra Bastille

Musique : splendide. J’adore le vacarme scintillant de cloches lors du couronnement de Boris et, plus tard, les soupirs de l’âme au basson.

Chanteurs : splendides. J’ai particulièrement aimé Ildar Abdrazakov  dans le rôle-titre,Vasily Efimov en figure christique (qui, en slip, ressemblait quand même beaucoup au Spike de Coup de foudre à Notting Hill) et Ruzan Mantashyan, qui n’a pas été assez applaudie à mon goût.

Mise en scène : spl… bof. Intelligente mais tristoune. Okay, Ivo van Hove, les costumes gris sont pratiques pour signifier l’intemporalité et l’actualité des thématiques liées au pouvoir (enfin surtout à l’assassinat de son prédécesseur pas encore pubère), mais cela manque singulièrement d’apparat, et l’on finit par poser une couronne en or, velours et pierreries sur la tête d’un cadre à la Défense. Bon. Heureusement qu’il y a l’escalier central pour donner un peu de majesté à l’ensemble, qui commence sous la scène mais perd malheureusement en superbe lorsque la trappe remonte, faisant disparaître son origine invisible dans les tréfonds. Reste la béance à son sommet, découpée dans un écran géant où des vidéos meublent la scénographie au ralenti. Combiné avec les miroirs latéraux, cela donne d’assez belles scènes de foules (lors de l’ascension au pouvoir) puis ouvre sur les lointains (lorsque Boris est avec son fils et sa fille) avec des paysages kaléidoscopiques que l’on conquiert lentement de haut vol. Le reste du temps, c’est soit éteint, soit illustratif (souvenir du meurtre hors-scène). Bon. Avec un orchestre et des chanteurs pareils, c’est un peu dommage.