Platée de rires par Rameau

 

 

Certaines œuvres comiques m’incitent parfois à croire le temps de leur représentation que les œuvres dites sérieuses n’ont été inventées que pour offrir le plaisir de les parodier ensuite. Ce sont celles dont la bouffonnerie ne tombe pas dans le grotesque et dont l’humour ne tombe jamais à plat, c’est Platée, en l’occurrence, servi par une mise en scène délirante : Laurent Pelly ne recule devant rien, sauf devant l’excès du mauvais goût. L’opéra joue avec les conventions du genre, mais nul besoin d’être un fin connaisseur pour apprécier l’ironie. Quelques mots du contexte musical permettent certes de souligner l’originalité de cette œuvre qui annonce ou parodie les opéras italiens en mélangeant les genres pourtant bien rangés dans leurs cases par les Français. Cependant, si cette mise en perspective historique présente Platée comme un brillant pastiche, l’opéra, comme toute œuvre digne de ce nom, va bien au-delà de la caricature et peut être apprécié pour lui-même, sans avoir forcément besoin d’être référé à ce qu’il pastiche.


 

Quoi, moi ? – Oui, toi !

 

Le rideau se lève sur… une salle de spectacle, dont les gradins sont peu à peu remplis par des spectateurs retardataires (on notera le souci de vraisemblance), que placent, déplacent et replacent une escouade d’ouvreuses hyperactives et bientôt épuisées de gambader dans leurs petits uniformes d’hôtesses de l’air. Le calme ne se fait pas dans les rangs, loin de là, c’est même la débandade : on descend les escaliers sur les fesses comme des enfants boudeurs ou l’on avance entre les sièges à quatre pattes (l’étroitesse des rangées ne le permettrait pas, dommage, l’idée était bonne), l’ouvreuse-meneuse de revue la lampe torche dans la gueule, comme une rose à la bouche d’un séducteur de pacotille.

 

Au premier rang, affalé sur plusieurs sièges, Thespis cuve son vin. La troupe de spectateurs vient le réveiller en chœur et réclame une histoire pour célébrer Bacchus. L’inventeur de la comédie finit par accéder à la requête des spectateurs, qui ne sont autres que la transposition de vendangeurs – serions-nous rustres ? à en juger par l’imbécile heureux à qui j’ai du arracher son enveloppe pour qu’il cesse d’en faire bruire l’ouverture en papier cristal, l’insinuation n’est pas dénuée de fond ; se trouver dans l’enclos optima avec ses nobles moutons cravatés et emperlousés n’y change rien (premier rang de premier balcon, ces places –Palpatine fait le pluriel- de dernière minute étaient un véritable cadeau de Noël, le guichetier en a convenu). Il faut dire aussi que Thespis, mal embouché d’être éveillé après tant de bouteilles débouchées a prévenu que tout le monde en prendrait pour son grade – Dieux comme mortels. Personnages comme spectateurs, pourrait-on ajouter, s’il est vrai que l’adage de corriger les hommes par le rire prend un certain relief avec le mont Cithéron transformé une salle de théâtre. On a moins une mise en abyme (même si à un moment, une miniature de scène tombe du ciel, enfin des tringles, pour encadrer les spectateurs regroupés en chœur) qu’une inversion des perspectives : ceux que nous observons à leur tour nous observent et nous renvoient ainsi notre regard.

L’impression est assez curieuse, quoique moins forte qu’à la séance de cinéma où quelques personnes arrivées en retard, au lieu de se faire discrètes, ont pris le parti de jouer leur rôle d’emmerdeurs, et ont fait savoir sur le ton de l’aparté mais à toute la salle qu’ils étaient en quête d’une place. Le rire s’est propagé dans les gradins, avec une bonne humeur suffisante pour que la bouffonnerie soit poussée jusqu’à leur faire une haie de déshonneur et qu’elles accèdent aux places centrales vacantes. Si le dérangement, quoique abusif, n’a pas été perçu avec animosité, c’est peut-être aussi qu’il constituait un dérangement des habitudes. Ainsi, le rire des spectateurs installés visait moins à se moquer des retardataires qu’à prévenir toute gêne –celle de se sentir observé alors que les salles obscures sont par excellence le lieu où l’on voit sans être vus (les couples d’amoureux affalés l’un sur l’autre sans aucune retenue sont un bon indice de la prégnance de ce sentiment d’être dissimulé). L’irruption des retardataires qui se sont adressés aux spectateurs au lieu de faire rapidement et tacitement corps avec eux a transformé les gradins du cinéma en amphi qui rit d’être pris sur le fait (rien de répréhensible – les spectateurs pris à parti sont comme des écoliers soudainement interrogés par un professeur qui, ce faisant, les distingue du groupe dans lequel ils se fondaient, invisibles). Cette impression est moins forte sur scène où, contrairement à l’image des acteurs qui ne risquent pas de nous répondre, de véritables personnes évoluent sous nos yeux. Il n’en reste pas moins que le renversement des perspectives produit un drôle d’effet en enfreignant la convention habituelle selon laquelle les comédiens ou chanteurs se laissent regarder en faisant semblant de ne pas sentir les regards posés sur eux. La scène constituée en salle fonctionne donc comme un miroir, et c’est donc bien le spectateur que le spectacle représente – et moque, en l’occurrence. Le spectateur, spectateur de lui-même grâce au spectacle dont il se croit le témoin et non l’objet : *Proust power*.

 

 

Quoi, l’on se rit de nous ? Et l’on fait bien – de ne pas prendre au sérieux le sérieux des hommes *Kundera power* – de rire même de cette tentative trop sérieuse de le montrer. La mise en scène le montre assez bien à elle seule : de la mousse verte envahit peu à peu les sièges et transforme la salle en épave, qui elle-même va partir en morceaux –de choix- tout au long de l’opéra. Le naufrage emporte avec le décor l’ambition d’éduquer les hommes par le rire – ne surnage que le divertissement. Le plaisir de l’histoire : Thalie, déesse de la comédie (Melendili, you were perfect), Momus, dieu de la satire (je ne le connaissais pas celui-là), et Amour, impertinente dans ses sous-vêtements encadrés d’une veste noire, veillent au grain (de folie). Et Thespis s’est assuré l’inspiration à l’aide de quelques ingurgitations : il a fait venir une longue table recouverte de verres de vin, d’où a surgi une grenouille (sic). L’élément perturbateur est annoncé.

 

 

Le croassement de l’histoire

 

Jupiter éternel séducteur, Junon, perpétuelle jalouse, Amour, joueur de fléchette… l’histoire est bien connue et le mythe, bien rôdé. Seulement, l’argument, c’est tout une histoire : les cases sont respectées, mais le livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville (le dernier ferme la porte) d’après une pièce de Jacques Autreau les remplit avec la légèreté d’un questionnaire de Cosmo quand il aurait fallu l’attention d’une déclaration d’impôts. La distribution se révèle cocasse : dans le rôle de la belle qui ravit le dieu des dieux, Platée, une « nymphe batracienne », être aussi fleur bleue que verdâtre, affublé d’un tutu de pétales roses.


Paul Agnew « mi-clochard, mi-reine d’Angleterre »
(on n’aurait su dire mieux, le petit sac vert est too much)

 

Forcément, dans ces conditions, l’histoire bégaie, le tragique tourne au comique – et la salle s’esclaffe de la plaisanterie montée par Cithéron et Jupiter, avec Platée pour objet et Junon pour destinataire, qui consiste à faire croire à celle-ci que Jupiter s’est épris de celle-là. La méprise n’aura d’égale que le mépris du dieu pour sa nouvelle conquête.

Platée ne court pas dans la combine, elle y saute à pieds joints, de son saut de batracien. C’est ce qui la rend ridicule, bien plus que appâts véreux – à chaque fois qu’il en était question, je ne pouvais pas m’empêcher de visualiser un vers visqueux se tortillant au bout d’un hameçon. Devient risible toute tentation de prendre quoi ou qui que ce soit au sérieux : Platée persuadée de sa beauté, l’amour et ses foudres, un des thèmes de prédilection de l’opéra et ses grands airs. Tout part en déliquescence, tout prête à rire. La destruction progressive du décor l’a pourtant planté : on nous laisse nous enliser à notre aise dans l’histoire, dans les marais de Platée.

Dans cette noble et putride demeure, il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille. Tous ses amis sont réunis pour l’occasion, une piscine leur est même aménagée par le retrait de quelques rangées de fauteuils et dans l’euphorie, les assonances en « oi » pullulent. Le jeu du cri des animaux continue avec les métamorphoses de Jupiter tandis qu’il se manifeste pour la première fois à Platée. La chouette l’est déjà pas mal (chouette), mais l’âne est impayable ; je ris tellement que je ne dois plus être très loin des grands hochements de tête de Jupiter dont la nature asine est déjà inscrite dans la partition. Croassements, ululements et braiements doivent avoir une sonorité particulièrement marquante ; ce sont précisément leurs onomatopées qui ont servi d’indices pour reconstituer la prononciation du latin (ne pas sous-estimer le potentiel comique d’un poly). De curieuses choses me passent par la tête en spectacle, je vous l’accorde, mais cela aurait pu être pire, j’aurais pu me revoir dans le Songe d’une nuit d’été en train de me pâmer devant l’âne.

L’apparition de Jupiter est ainsi céleste. Il est vraiment dans les airs, puisque descendu dans le lustre de la salle initiale. A bord de cette nacelle de récupération, il a l’air d’une caricature de pin-up dans une coupe de champagne. D’autant qu’il le vaut bien : le monsieur Loyal de tout ce cirque, en costume violet à paillettes (Mercure n’est pas mal non plus, très cloclo, tout argenté) a le sourire Colgate et la coiffure de Ken (hilarant jeu de scène lorsqu’il s’efforce de cajoler Platée : il caresse ses cheveux comme il le ferait d’un chien, puis après que celle-ci ait répliqué, il s’empresse de rectifier sa coiffure et de la débarrasser de la saleté éventuelle que la sale bête aurait pu lui laisser. Il se passe toujours quelque chose sur scène, toujours un détail croustillant à dénicher). Avec le lustre- nacelle de montgolfière, on a un nouveau clin d’œil aux artifices du théâtre, qui tout en s’en moquant, renoue avec la tradition des grands effets de machinerie. Jupiter est décidé à nous en mettre plein la vue, et bougie pétillante sur le gâteau, il fait même jaillir le feu de ses mains avant qu’une pluie d’étincelles s’abatte sur scène (c’est l’instant de la photo que l’on retrouve comme affiche et programme) – que voulez-vous, les feux de l’amour sont démonstratifs.

 

 

 

Aimer à la Folie

 

L’objet d’amour tient de l’affreux bibelot et Platée est tout juste un sujet : elle aime sur autorité du livret, avant même d’avoir aperçu Jupiter. Ce dernier est là pour nous rassurer, l’amour n’est pas aveugle, et souligner l’absurdité d’aimer à la folie. Toute marguerite vous confirmera la proximité de « pas du tout » avec la Folie. Si cette dernière surgit au mariage du couple improbable, ce n’est pas pour chanter les délices de l’amour, mais les délires d’une blague farfelue, après avoir piqué sa lyre à Apollon. Un peu de brutalité dans ce monde de douceur. Incarnation de la diva, Mireille Delunsch est magnifiquement excessive avec sa perruque blanche et sa robe en feuillets de partition. Elle mène tout le monde à la baguette, y compris le chef d’orchestre. Tandis que ce dernier, s’essayant à la comédie, s’arrache les cheveux pour la faire chanter en mesure avec l’orchestre, elle, arrache une des feuilles de son costume et consulte ainsi son antisèche.

 

 

Campée sur une petite avancée qui donne sur la fosse, vague souvenir d’un podium de défilé, ses grands airs et ses petites mimiques sont délicieuses. Plusieurs fois, elle revient sur son promontoire, prête à plonger dans la musique, mais c’est la grenouille du banquet initial qui plongera au sens propre. Apparue au balcon de la première baignoire côté jardin, elle lance une corde, descend dans l’orchestre et sans interrompre le bon cours de la musique, sème la zizanie, ébouriffe les cheveux d’un violoniste, change la partition d’un autre, zig-zag, fait de l’ombre au chef d’orchestre et finit par le saluer son travail en lui rendant sa baguette.

Voilà, j’ai trouvé ce que je voudrais faire quand je serai petite : grenouille dans Platée. La sœur du Vates voulait bien devenir flocon de neige dans la parade de Disneyland – nous avons de l’ambition. Je suis prédestinée, mon père m’appelait « la grenouille » quand j’étais bébé et que je dormais les pattes en losange. Puis cette grenouille qui efface les frontières bien définies de la représentation (qui paraissent toujours plus aisées à transgresser quand on est de l’autre côté de la rampe, d’ailleurs, où les coulisses ne constituent pas l’envers du décor mais une zone trouble où s’amorcent les métamorphoses), transforme d’un coup de baguette magique le chef en apprenti comédien, et fait de la fosse aux lions tout un cirque m’est très sympathique.

 

 

Un ballet-bouffon

 

Les rires ont besoin de danse pour devenir véritable fête : les ouvreuses hyperactives ont fait leur barre pendant le prologue, tandis que c’était le bar que leurs collègues masculins tenaient plus ou moins – dans l’esprit des serveurs de Roland Petit dans la Chauve-Souris. La bonne blague, la danse des canards grenouilles a fait régresser Mimy au stade de Mimicracra, l’eau elle aime ça, tant pis si ça mouille, elle fait des patouilles. Avec les trombes d’eau de la tempête souffle un vent à décoiffer les feuilles mortes (mais les perruques à l’horizontale tiennent bon), qui piétinent sur un rythme jubilatoire avant de se laisser emporter dans leurs robes déjà asymétriques sous l’effet de rafales anticipées par un costumier inspiré – elles reviendront ensuite équipées de tutus-parapluie. Les intermèdes de ballet suivants ont été un régal, pas la cerise sur le gâteau, non, le gâteau de mariage lui-même, crémeux à souhait. La ronde de danseurs qui accompagne la Folie, tous fardés de blanc, se lance dans une relecture du baroque où pointe l’hilarante bouffonnerie des ballets du Trocadéro : on s’endort dans les symétries, on s’entrechoque dans les lignes d’arrivée, et on attend sagement à sa place les bras bas et le dos rond. Suggérer la possibilité de l’ennui dans les divertissements brillants et systématiques du mariage est une façon pleine d’humour de souligner le caractère conventionnel de ce passage quasi-obligé dans une histoire, prétexte parfait à caser un patchwork de numéros décousus. Et si ce n’est pas un mariage, ce sera quelque autre grande fête, pratique et commode comme un beignet qu’on peut fourrer à tout et n’importe quoi (cf. Casse-Noisette, et son melting-pot de danse arabe, chinoise, espagnole… il y en a pour tous les goûts). La noce traîne en longueur pour Platée, impatiente sous son voile, et tend un peu trop dangereusement vers la prononciation des vœux pour Jupiter. Mais tout n’est que paix et amour. A moins que ce ne soit stratégie de séduction et désir de victoire écrasante : quoique vêtus de vert comme des herbes follement sauvages, le batifolage champêtre des danseurs est de courte durée. Bientôt, on s’excite les uns contre les autres, et l’un des messieurs se prend une volée de coups de sac à mains avant que le cortège ne défile en bon ordre pour les tendre (les mains) à Jupiter, félicitations. Cette partie me ferait davantage penser à l’enjouement d’un Mathew Bourne dans les scènes de société de son Swan Lake. Le metteur en scène et la chorégraphe, Laura Scozzi s’en donnent à cœur joie dans le dernier acte, leurs trouvailles trahissent une imagination délirante totalement débridée : les trois grâces sont des hommes maigrelets qui s’emmêlent le bras dans leur pas de trois et Cupidon, ayant été porté aux abonnés absents a dépêché un remplaçant qui n’a même pas eu le temps de finir de s’habiller et débarque en marcel, slip blancs et chaussettes noires – glamour attitude. Une platée de nouilles.

 

Tandis qu’on s’amuse, Platée s’impatiente, réclame l’amour et l’hymen ou « au moins l’un des deux » et Jupiter s’inquiète d’avoir à offrir quoi que ce soit. Heureusement, Junon surgit à temps. Violette de rage, prête à pousser sa rivale du canon de son fusil, elle ne fait que pousser un cri d’épouvante et de soulagement en découvrant le visage de cette dernière. La voilà bien attrapée : jamais plus elle ne pourra devenir verte de jalousie, sous peine d’être assimilée à la nymphe ridiculisée. Mais elle ne l’est déjà plus, non par l’effet de sa mansuétude divine, mais simplement parce qu’elle est rassurée – sa jalousie pourrait bien n’être que le résultat éclatant d’un complexe d’infériorité. Tout est bien qui finit bien. Platée ? Humiliée, rouée de coups de pieds… l’argument n’est pas une mince affaire, Platée a une certaine stature, il faut bien la fouler aux pieds pour conclure sur un pied de nez aux livrets trop bien léchés. C’est bête et méchant ? N’ayez crainte, comme Blanqui, la grenouille est increvable et s’accommodera très bien des yeux mouillés de Platée – celle-ci passe à la trappe, une dernière gerbe d’eau avant le noir final – retour à son élément.

 

Le sérieux de l’opéra dans tout cela ? Soyons sérieux une minute, il faut rire.

 

 

Autres facettes

Autre distribution et autre place pour les Joyaux, seconde représentation à laquelle j’assistai mercredi dernier (enfin celui d’avant, le temps que je finisse de rédiger la présente chose), après le concours, pour parfaire ma journée de balletomaniaque. Cela cancanait ferme dans la loge. Rien que des habitués, semblait-il, à en juger par une jeune fille qui a rectifié le placement indiqué par l’ouvreur et un homme qui, après avoir salué tout le monde, « bonjour mesdames », a annoncé que « Brigitte » lui avait donné les résultats –dûment commentés à l’entracte. Une belle démonstration de l’art d’être vipère, soit directement (« Elle restera sûrement première danseuse toute sa vie. –On n’est pas à l’abri, ils ont bien nommé … « ), soit par ouïe dire, selon ce que le jury aurait dit : « Elle nous est arrivée anorexique et maintenant, elle est obèse ! ». J’en profite pour enquêter sur les raisons de la disparition d’Eleonora Abbagnatto : on tarde à la nommer et on va finir par la perdre, elle a renouvelé son congé sabbatique de six mois, pas bon signe, et fait des show médiatiques en Italie – c’est une star, là-bas, un peu comme Roberto Bolle. Devant ma grimace, que j’ai peut-être réussi à réfréner en air sceptique : pas la même qualité, évidemment.

 

Cela laisse plutôt perplexe la dame à qui j’ai vendu le billet de la regrettée (et regrettant, pour les raisons que nous allons voir) B#4, que je n’ai par conséquent toujours pas eu le plaisir de rencontrer. Une demi-heure avant le spectacle, je m’étais rendue à la billetterie, et devant la foule, à peine avais-je sorti les munitions de mon sac qu’une femme m’a littéralement sauté dessus : « Vous vendez des places ? ». Euh… c’est-à-dire que… oui. Et alors que je m’apprêtais à faire l’article d’une place notée « sans visibilité » en expliquant à des touristes butés qu’en dépit de cela, on y voit plutôt bien, j’insistai au contraire sur le dixième de scène qui serait manquant, n’ayant pas envie de me faire assommer à coups de programme par la suite. Mais non, la loge impératrice lui convient parfaitement – et à moi donc, qui y mettait les pieds pour la première fois.

 

Sitôt que l’ouvreur a tourné le dos, je prends place sur la banquette aux côtés de la détentrice du cinquième fauteuil (ordre et convenance), et dès que le noir se fait, j’enlève mes chaussures pour ne pas salir le velours rouge et grimpe sur le dossier de la banquette, d’où l’on voit divinement bien. Certes, le fond de scène côté cour échappe à mon champ de vision mais, étant au-dessus de la fosse d’orchestre, on a l’impression d’être sur scène avec les danseurs. Côté jardin, on aperçoit les techniciens qui vont et viennent, un danseur d’un autre tableau en chauffe rouge vient jeter un œil à ce qui se passe sur le plateau. D’habitude, de face, le souffle est tamisé par l’orchestre, l’essoufflement ne pouvant qu’être déduit de la peau luisante, elle-même l’indice de la sueur ; ici, on les entend respirer, souffler, compter aussi parfois et, bien plus que le professionnalisme exigé ne le laisserait supposer, parler. Pas sur scène, ce qui pourrait s’envisager dans un ballet avec tableau villageois et force pantomime, qui requiert de mimer les conversations (où l’on s’étonne toujours beaucoup, à croire que lorsqu’ils se rencontrent en coup de vent, les gens échanges davantage des ragots que des platitudes météorologiques) ; non, ils parlent en coulisses, mais assez fort pour être audibles des premières loges. Lorsque le corps de ballet se rassemble dans la dernière coulisse pour le défilé de Cour des Diamants, on dirait un groupe de gamins en sortie scolaire, sommés de se mettre en rang deux par deux. Il semblerait qu’il n’y ait pas qu’en primaire où l’on proteste contre le voisin qu’on nous a dévolu puisque j’ai entendu distinctement –si mon oreille si fine ne m’abuse- un « connasse ! » résonner haut et fort. Bientôt les rangs passent devant la maîtresse qu’est le public ; sourire royal.

 

 

Emeraudes s’apprécie avec le temps, de même que Laëtitia Pujol que j’y ai vu deux fois, et qui m’a semblée délicate et non plus plate la seconde fois. Cette fois-ci, Isabelle Ciaravola se livrait à ce travail d’orfèvre, avec une danse ciselée – ce qui n’est guère étonnant pour une pointure (ou cambrure, devrais-je dire). Je ne suis pas une inconditionnelle de cette étoile que j’ai vue pour la première fois dans La Petite Danseuse de Degas, alors qu’elle était première danseuse, dans le rôle…. de l’étoile. Ses mines éthérées m’avaient un peu agacée, et j’ai mis du temps à me défaire du souvenir de ce qui n’était en réalité qu’un rôle. Bien joué, il faut le croire, puisqu’elle pourrait rendre par mal de danseuses vertes de jalousie dans les Emeraudes.


C’est bien dans cette partie que les évolutions de corps de ballet sont le plus inventives : dans les formations de danseuses se tenant par la main, les bras deviennent les griffes qui sertissent soli, pas de deux et pas de trois. Eve Grinsztajn n’en jette pas autant que Claire-Marie Osta en Sicilienne, mais dans l’ensemble, le tableau est délicieux.

 

 

Rubis m’a paru cette fois-ci plus agressif qu’impertinent. Dorothée Gilbert est davantage séductrice là où Aurélie Dupont était plus mutine, mais le rôle est taillé pour elle, c’est dansé rubis sur l’ongle – en sus, la largesse de regards de connivence avec Emmanuel Thibault, lui aussi flamboyant. Marie-Agnès Gillot a cédé sa place à Stéphanie Romberg : cette fois, c’est elle qui est taillée pour le rôle – à croire qu’il est le privilège des grandes (même s’il n’y a pas ce côté amazone chez elle).

 

Quelque chose de légèrement irritant, comme si l’on était attaqué par la musique. Peut-être aussi n’étais-je pas vraiment concentrée puisqu’à la fin d’Emeraudes, une femme est arriv
ée dans la loge, le trousseau de clé emprunté à une ouvreuse autour du coup, et un bouquet de fleurs à la main. « C’est le dernier soir d’un danseur du corps de ballet, alors je vais lui lancer le bouquet à la fin », explique Claire-Marie Osta, à présent émergée de l’ombre. Elle a passé le tableau en grappillant une vision aussi large que possible, la tête étirée (je la verrais bien en cygne tout d’un coup) à quelques centimètres de mon épaule. Je n’ai pas pu m’empêcher de jeter quelques coups d’œil dans le miroir en face de nous, pour vérifier que je ne me trompais pas de personne, et ne rencontrais que mon propre regard, dérangeant pour n’être pas à propos, quand il était palpable que toute la salle, toute la loge, le sourire de l’étoile, dirigeait son attention sur la scène. J’ai pensé très fort à lui dire ma surprise admirative pour sa Sicilienne, glisser qu’elle était bien, dans Amoveo, géniale, j’aurais dit parce que la chorégraphie l’est, et qu’elle avait ce curieux regard, en apesanteur sur l’épaule de Nicolas Leriche (et que de toute bonne foi, je n’avais pas à trouver un superlatif pour Aurélie Dupont que je n’avais pas encore vue dans le rôle – de toute façon, le changement de partenaire reconfigure le solo et la relation qui s’établit entre les deux solistes ; Osta ne donnant pas à voir le même Leriche que Dupont, je reste de toute bonne foi sur mon compliment tu), mais le moment n’est jamais le bon, le compliment toujours indécent par rapport à son émotion en cet instant du départ à la retraite de Gil Isoart. Ce dernier est acclamé avec et par les étoiles, le bouquet rouge est lancé, Claire-Marie Osta repart et j’ai la confirmation de ce que je n’ai pas la fibre de groupie. Il me semble faire bien plus de cas d’elle que de n’en avoir rien à ficher – rien à faire de lui adresser un mot ou de lui demander un autographe (réflexe palpatinien qui me déclare gourde ou quelque chose dans le genre).

 

 

Delphine Moussin et Mathieu Ganio ont, me semble-t-il, rendu les Diamants plus brillants : ils ne perdent rien de la pureté de José Martinez et Agnès Letestu, sans qu’il y ait trace d’une certaine dureté que dégage parfois cette dernière. Delphine Moussin est plus rayonnante que royale et ma foi, je dois admettre que Mathieu Ganio n’était pas mal à ses côtés, comme s’il gagnait en humilité à être partenaire d’une telle étoile. Il s’étoffe un peu, commence à perdre sa tête de jeune premier et sa morgue candide qui m’horripilait. Encore un peu plus de temps et moins de mauvaise foi, on pourra en faire quelque chose (c’est-à-dire le sortir de mes boucs émissaires, pas le placer au rang de mes favoris).

 

 

Précieux et étincelants : de joyeux joyaux

Les Joyaux sont le premier ballet de Balanchine qu’il m’a été donné de voir, il y a quelques années, et j’y suis retournée hier en bonne compagnie (je vais peut-être poster le compte-rendu avant, si ce n’est pas dingue, ça !). Je ne sais pas si c’est parce que le ballet nécessite la réquisition d’une belle brochette constellation d’étoiles à déguster sur place, qu’il y a moins de monde à faire venir que pour un ballet traditionnel, ou si ce choix judicieux ne doit en fait qu’au hasard, mais la soirée s’est ouverte par le défilé de l’école et du ballet de l’Opéra de Paris, avec toute la pompe musicale et le pas cadencé que cela suppose. Il obéit à des règles solennelles : les danseuses, toutes en tutu plateau blanc, descendent d’abord la scène à partir du foyer de la danse, pour l’occasion ouvert en arrière-scène, depuis la sixième division (un rat lance l’offensive) jusqu’aux étoiles, en suivant les échelons de la compagnie ; puis viennent les danseurs, élèves et professionnels, en haut blanc et collants noirs, sauf les étoiles tout de blanc vêtus. Seule entorse au crescendo hiérarchique : les étoiles sont intercalées entre les rangs de danseurs, histoire de souligner que chacune est unique en son genre, et de ménager les slaves d’applaudissements, qui se révèlent la côte dont ils jouissent auprès des balletomaniaques. Comme l’a dit l’une d’elles, qui attendait pour des places de dernière minute et qui avait déjà vu le défilé, Emilie Cozette a pu sentir un froid. Ce n’est pas l’Antarctique non plus, même si cela ne peut évidemment pas rivaliser avec les applaudissements chaleureux adressés à Aurélie Dupont ou Nicolas Leriche. Il est assez amusant d’observer la disparité des morphologies et surtout des tailles lorsque toutes les étoiles se retrouvent en ligne.

Munie de mes jumelles, je n’ai eu aucun mal à repérer A., un garçon de mon cours de danse qui a rejoint Nanterre cette année comme stagiaire (heureusement qu’il était côté jardin). Sa mère disait dans les vestiaires que la perspective du défilé n’avait pas l’air de l’émouvoir plus que cela, mais malgré la belle prestance et le pas assuré (beaucoup plus chez les garçons que chez les petites filles, qui ne paraissent pas forcément très à l’aise), le sourire indiquait tout de même quelque timidité.

Après le défilé des têtes couronnées, on nous a proposé quelques parures à assortir (pas avec des tenues, mais avec des pays) : les émeraudes, les rubis et les diamants, qui renvoient respectivement à la France, aux Etats-Unis et à la Russie.

C’est amusant, alors que j’expliquais à la Bacchante que je ne connaissais rien à la musique et qu’elle me racontait qu’elle avait trouvé un moyen d’identifier l’origine géographique/culturelle d’une musique en l’associant à une couleur, j’avais tout de suite pensé à Joyaux, et le lui disant, elle s’est rendu compte l’avoir justement lu dans un dialogue du livre qu’elle avait entamé. Coïncidence qui peut prêter à sourire mais qui montre combien les correspondances synesthésiques, toutes personnelles et arbitraires qu’elles puissent être, sont un procédé bien ancré dans notre manière de lier les choses entre elles.

La trilogie des couleurs se retrouve au niveau des costumes, déclinés en tutus longs ou romantiques pour les émeraudes, sortes de bustiers à jupette courte pour les rubis, et tutus plateau pour les diamants – tous de Lacroix, magnifiques. Et pourtant, Dieu sait que je ne suis pas une fanatique de la paillette et du brillant ; mais là, tout scintille sans être clinquan.

Nous avons eu droit à une distribution de rêve, surtout pour les rubis et les diamants.

En émeraudes bien polies, dansaient Laëtitia Pujol et Clairemarie Osta ; en émeraude un peu lisse, Mathieu Ganio. La variation de Clairemarie Osta était très réussie pour la partie qu’il m’a été donnée de voir (loge de côté, un angle mort du côté cour, qui n’a posé de véritable problème que pour cette variation, puisque les solistes étaient assez centrés le reste du temps, et que l’on peut aisément reconstruire mentalement la symétrie escamotée). Laëtitia Pujol n’était pas mal non plus ; je l’ai en tous cas davantage appréciée que lorsque je l’avais vue dans le même rôle en 2002 – à moins que ce ne soit la chorégraphie, que j’ai trouvée beaucoup plus fine et ciselée que la dernière fois, où cette partie m’avait semblé un peu plate en comparaison des deux autres plus enlevées. A moins encore que ce ne soit la musique de Fauré. (Toute parfaite qu’elle soit en rubis, j’aimerais vraiment voir Aurélie Dupont dans les Emeraudes, elle serait capable de me les faire apprécier encore davantage).

Aurélie Dupont, Mathias Heymann et Marie-Agnès Gillot ont été tout feu tout flamme en rubis. Il faut dire que la chorégraphie, sur la musique de Stravinsky, s’y prête plutôt bien ; à tel point que Rubis est souvent donné indépendamment des autres pierres précieuses entre lesquelles il est serti, sous le nom de Capriccio (157 représentations, contre 75 pour le vert et 76 pour le blanc – je me demande si les Diamants seraient aussi beaux présentés bruts).

Marie-Agnès Gillot, qui domine bien d’une tête le corps de ballet féminin et qui paraît plus à son aise lorsqu’elle danse au milieu des hommes, avait quelque chose d’une splendide amazone, resplendissante dans son écrin de partenaires qui, la maintenant qui d’une jambe, qui d’une cheville, qui à la taille, la tournaient de tous côtés, comme le joailler oriente une pierre précieuse de manière à lui faire prendre la lumière et à multiplier l
es reflets qui en émanent
. Cette espèce de pas de cinq n’est pas évidente, si l’on ne veut pas donner l’impression d’une manipulation chirurgicale et ne pas réveiller chez le spectateur le rêve pour la danseuse d’avoir un partenaire pour lui faire la grue et que ses jambes tiennent en l’air sans effort.

Aurélie Dupont était elle aussi parfaite, c’est peu de le dire. Ses équilibres lui permettent vraiment de jouer sur les terribles déhanchés de cette partie (avec la marche sur « pieds cassés » de Gillot, la chorégraphie en jette). Entre deux mimes de corde à sauter, elle paraissait en pleine complicité avec Mathias Heymann. Je ne l’avais jamais vu (en tous cas, pas en tant qu’étoile ou soliste), et suis tout à fait ravie de combler cette lacune. B#2 avait raison, il a un peu le ballon d’Emmanuel Thibault (c’est d’ailleurs lui que j’avais vu la première fois), patiné d’une élégance certaine. Pour que les sauts paraissent impressionnants alors que la vue en plongée a tendance à les écraser considérablement…

Bref, c’était terrible.

Après l’entracte et une tentative avortée de se replacer, on reprend place de pied ferme (oui, oui, au singulier, je me suis perchée sur le pied gauche –talonné- pour avoir une meilleure vue) pour la troisième et dernière partie, une rivière de diamants sur la musique de Tchaïkovsky. Plus de bras déliés et d’abandons romantiques, ni de déhanchés jazzy, le blanc n’est pas la couleur de la pureté pour rien. Du classique dans ce qu’il a de plus magistral, avec de belles lignes, qu’il s’agisse de celles parfaitement harmonisées du couple Agnès Letestu – José Martinez (the perfect cast), ou des alignements impeccables, quoique constamment ré-agencés du corps de ballet – qui pour une fois ne fait pas les potiches : ça défile, tourne et plonge (arabesque) sec. Une des filles du corps de ballet  (mais laquelle ? – il faudrait procéder par déduction, il ne me semble pas l’avoir vu dans les parties précédentes – ni dans d’autres ballets, d’ailleurs) est fascinante, son port de tête est d’une classe infinie, même lorsqu’elle ne danse pas et que les autres ont le charisme qui rabougrit le temps de reprendre leur souffle. Et puis, rien à faire, une pléiade de danseur qui pirouette d’un même élan, ça claque. Vous me direz, c’est souvent le but recherché à la fin d’un ballet – la tentation de l’apothéose, voilà tout (tant que c’est réussi, on en redemande).

On aurait bien imaginé continuer avec des saphirs en bonus, mais on ne déroge pas aisément à la sacro-sainte trinité.

Oust ! Du ballet !

 

 

 

Le bas de l’affiche

 

Le gros plan sur les jambes des flocons de Casse-noisette, qui constitue l’affiche d’un nouveau documentaire au titre ô combien original de La Danse, n’était pas pour me rassurer sur le potentiel niaiseux du film. Ajoutez à cela une police peu sage– mais qui tire plus sur l’art déco que sur l’anglaise kitsch de la collection de DVD de danse, qui sort en kiosque (après, quand il s’agit d’avoir les Joyaux dans une distribution de rêve pour 12€, on passe rapidement sur le mauvais goût du maquettiste)- j’avais quelques craintes.

Peut-être aurais-je dû être davantage sensible à la composition, les tutus devenant graphiques en créant une zone blanche symétrique à celle où figure le titre. Peut-être cette affiche est-elle plus simplement destinée à faire venir les fétichistes des tutus-diadèmes-pointes, sans pour autant perdre le balletomane pur et dur qui viendra quand même, quelle que soit l’affiche, l’occasion étant trop rare pour être snobée. Mais…, bredouillez-vous, cela signifierait-il que l’amateur de tutus-diadèmes-pointes ne serait pas venu autrement ? J’en ai bien peur. Pour tous ceux qui n’appartiennent pas à cette catégorie, réjouissez-vous : ne vous fiez pas à l’affiche, c’est un attrape-nunuche.

 

Un anti-âge heureux

 

Dès les premières images, le ton est donné : passé un plan général du palais Garnier (on y échappe difficilement), on nous plonge dans les caves du lieu, avec ses couloirs gris et glauques, pleins de tuyaux et de repères tracés à coup de fin de pots de peinture, puis au niveau des machineries (ou de stockage de bobines et autres lourds accessoires non identifiés). Pas d’envolées lyriques sur les toits de l’opéra : tout au plus nous montrera-t-on, avec des images type documentaire animalier sur Arte, la récolte du miel qui y est cultivé. Pas le temps d’entrer dans les alvéoles, la ruche bourdonne en tous sens, de la musique sort de tous les studios, et celle qui s’attarde pour répéter quelques enchaînements de Médée se retrouve enveloppée de bribes de Casse-noisette.

Pourtant, la caméra ne croise personne dans les couloirs, glisse sur les escaliers ne grouillant pas d’élèves comme avant un défilé, et s’attarde sur les bancs vides qui meublaient les vestiaires des petits rats de l’Age heureux.

Les habitués de documentaire de danse souriront peut-être également devant la séquence un peu longue sur la cantine de l’opéra : il y a certes du brocolis, mais avec de la semoule et de la sauce, et sans pomme. Pas de fixette sur le menu diététique pour le rester (menue).

Vous l’aurez compris, le documentaire prend le contrepied de l’imaginaire de la ballerine, et c’est se montrer à la pointe que de repartir du bon pied. Pas d’overdose de pointes, pendant qu’il en est question : hormis Casse-noisette et Paquita, qui sont surtout là pour nous donner à voir le travail du corps de ballet, on fait dans le contemporain, en mettant l’accent sur l’élaboration de l’interprétation qu’il requiert pour les solistes.

 

 

L’anti-glamour est poussé jusque dans le classique pur : la sueur n’y est pas luisante. Le traditionnel travelling qui remonte en gros plan des pointes au plateau du tutu prend un tout autre sens lorsqu’il suit les jambes de Pujol (je ne suis plus bien sûre) en répétition : pointes destroy, collants blanc au-dessus de la cheville, sudette qui coupe le mollet et, cherry on top, le short-culotte rose sous le tutu blanc de répétition. C’est ce qui s’appelle en tenir une couche.

 

[Bon, on n’échappe pas au quart de seconde David Hamilton…]

 

 

La voie du sans voix

 

On peut trouver que le documentaire met du temps à démarrer, mais force est de capituler : on attendra en vain une voix off. La caméra filme comme un œil omniscient derrière lequel s’efface le caméraman muet (au contraire de Nils Tavernier qui posait des questions tous azimuts) et que l’on oublierait presque si le montage ne rappelait pas la subjectivité d’une présence. Pas d’enième compte du nombre de danseurs dans la maison, du parcours du quadrille jusqu’à l’étoile, des plaintes sur la fatigue physique compensées par des yeux brillants ouvrant sur des soupirs d’enthousiasme. Mais pas d’indication non plus : on ne sait pas qui danse, ni quoi, qui fait répéter, quel nom porte ce chorégraphe…

Les seules « explications » que l’on obtienne, c’est par le truchement de Brigitte Lefèvre. Mais là encore, il faut souligner qu’elle apparaît d’abord au téléphone et qu’elle ne s’adresse pas plus à la caméra par la suite. Elle est prise dans son rôle de directrice de la danse, qui se doit de recevoir les partenaires (l’organisation de la réception des mécènes américains lors de la venue du NYCB vaut son pesant de cacahuètes – « et que peut-on prévoir plus particulièrement pour les « bienfaiteurs » ? Ce sont les plus de 25 000 dollars. »), les chorégraphes (je ne sais pas qui c’était, mais il ne comprenait visiblement pas la différence de statut entre les étoiles et le corps de ballet) et les danseurs (crise de fou rire devant la piquante danseuse –who ?- qui vient refuser le pas de tr
ois de Paquita, parce qu’elle est déjà bien trop distribuée et que bon, elle n’a plus vingt-cinq ans).

Frederick Wiseman ne prend pas la parole, mais il ne la donne pas non plus : on évite les approximations de danseurs qui ne sont pas rompus à la parole et on les laisse s’exprimer de la manière qui leur convient le mieux : par le geste (dansant ou pas, selon qu’il s’inscrit dans la chorégraphie ou dans l’attitude lors d’une répétition). Alors que souvent dans les documentaires la caméra glisse d’une salle à l’autre et prend la fuite sitôt la variation finie, Frederick Wiseman prend le temps (et en 2h40, vous avez le temps d’avoir mal aux fesses – à ce propos, Palpatine, ton titre était déjà pris : « C’est long mais c’est beau. Rien n’est aussi délicat à filmer que la danse, et Wiseman le fait somptueusement. » Anne Bavelier, au Figaroscope) de filmer les tâtonnements et même l’épuisement (Marie-Agnès Gillot allongée/terrassée après un long duo).

En habituant les danseurs à sa présence discrète (Frederick Wiseman a tourné pendant douze semaines), et en ne les délogeant pas de leur mode d’expression qui leur est propre, la caméra évite la pose. Grâce à ce témoin peu indiscret, on a le droit à de savoureux dialogues. Le premier à avoir fait rire la salle est le désaccord sur la descente par la demi-pointe entre Ghislaine Thesmar et Lacotte (les noms grâce à Amélie).

Mais j’ai de loin préféré les commentaires lors de la répétition sur scène de Paquita. La caméra ne quitte pas la scène, mais, exactement comme si l’on était installé dans l’obscurité de la salle, on entend deux voix (dont une doit appartenir à Laurent Hilaire) qui commentent tout. Et c’est croustillant. On sent le maître de ballet généreux et énergique, mais dont l’enthousiasme, sous l’effet de la fatigue, commence à dégénérer en un état second joyeusement hystérique. Tout haut : « non, les garçons, non, les deux lignes, écartez-vous, vous voyez bien qu’il n’a pas la place de passer ! non, mais…. Pff. On recommence… (un temps)… il va bien falloir que ça la fasse, de toute façon. ». Un temps. Tout bas, dans un soupir : « putain… ». Puis viennent les commentaires réjouis sur Mathilde Froustey : « -Mais c’est quoi ce short rose ? – Elle est arrivée en retard. –Oh… » ; sur un garçon : « facile pour lui, c’est presque indécent » ; et deux filles : « Ah ! Celles-ci, c’est formidable, elles l’ont fait tellement de fois, qu’on les branche ensemble, et hop, ça marche ».

 

Variations pour un balletomaniaque

 

En l’absence d’indications, ce documentaire est un terrain de jeu rêvé pour le balletomane qui, interloqué un quart de seconde d’entendre « Ton pied, Létice ! », s’écrit aussitôt en son fort intérieur : « Laetitia Pujol ! » ; le degré de balletomaniaquerie étant inversement proportionnel au grade du corps de ballet. Aux nombreux points d’interrogation qui me restent, j’en déduis que je suis bien loin de la névrose. Après la devinette de l’identité grâce à la façon de danser, au visage et éventuellement au prénom prononcé par le répétiteur ou le chorégraphe, les tics de ces derniers constituent une nouvelle source d’amusement. La plupart du temps en anglais (avec ou non accent russe ou autre), les indications sont doublées de broderies musicales très variées « ta da dam, di da dam, pa da dam, ta da daaaaam » (les voyelles ainsi étirées signifient « bordel, sur le temps, l’accent ! en mesure les filles ! »), « la la na na na la laaaa na la na naaa » « bim bim bim didididim » et plus contemporain « chtiiiiiii yaak, chti papapapapam, chti chtouu dou chti tchi tchiii ya ».

Les choix des solistes filmés seront toujours discutés. Pour ma part, ça donnerait quelque chose comme ça : Marie-Agnès Gillot crève l’écran, thanks a lot ; clairement pas assez de Leriche et Dupont, c’est une honte ; plus de Pech, de Romoli et de Dorothée Gilbert n’aurait pas nuit ; trop de Cozette, et légèrement trop de Pujol (pas intrinsèquement, plutôt par rapport à ceux qu’il n’y a pas) ; j’aurais bien aimé voir Myriam Ould-Braham en répétition ; où sont donc passés Karl Paquette, Delphine Moussin et Eleonora Abbagnatto ?

 

 

Côté chorégraphes, il va falloir que je découvre Sasha Waltz (si c’est bien sa version de Roméo et Juliette que danse Dupont sur la scène inclinée), et les extraits de Genus (si ce sont bien les justaucorps bleus avec des espèces de colonnes vertébrales blanches dessus) m’ont donné une furieuse envie d’aller voir du Wayne McGregor (au programme cette année).

 

 

 

Hors des coulisses, le travail

 

Le frisson du hors-scène n’est pas le seul ni même le principal ressort de ce documentaire : les coulisses sont bien moins le champ d’investigation de Frederick Wiseman que le studio, et si l’on y parle beaucoup, ce film demeure étrangement muet. Quoique… muet comme une danse, parlant à sa manière, par ses angles de plan, son montage, son mutisme même. Il parvient à renverser la tendance du spectateur à envisager le « hors-scène » d’après le spectacle auquel il assiste, vers la perspective du danseur dont le quotidien culmine dans la représentation (sommet, mais finalement assez ponctuel dans le cheminement journalier). Il montre que le travail de la danse n’est pas seulement un résultat (au sens où un élève rendrait ses travaux pour que son professeur les corrige), mais d’abord un entraînement de longue haleine (on dit bien que le bois d’une charpente travaille) et aussi un emploi (Garnier pour bureau).

 

Frederick Wiseman : « Tous les gestes des danseurs sont du travail, de l’entraînement dès l’âge de 6 ou 7 ans, pour manipuler le corps et arriver à ces choses si belles. Et puis, lorsqu’ils sont plus âgés, ils ont souvent des maladies très liées à leur carrière. Dans un certain sens, c’est une lutte contre la mort, parce que c’est quelque chose de très artificiel. Et on sait que ça ne dure pas, parce que le spectacle est transitoire, mais également le corps. Et c’est un privilège de regarder les gens qui se sont consacrés à cette vie, et ne peuvent pas gagner cette bataille contre l’usure et la mort, ou alors pour très peu de temps. Cela m’intéresse beaucoup : la danse est si évanescente… »

 

Le travail comme emploi

Les séquences sur les petites mains qui brodent les costumes, la directrice de la danse qui gère l’administratif en relation avec les danseurs, ou encore les hommes de ménage qui passent dans les loges avec un aspirateur sur le dos ne sont donc pas inutiles en ce qu’elle
s permettent de replacer les danseurs dans un contexte qui n’est pas seulement artistique. Il ne s’agit pas de démystifier quoi que ce soit, mais de réinscrire les danseurs dans « la grande maison » (au sens très littéral : on voit des ouvriers replâtrer les fissures ou passer un coup de peinture sur les murs) et, plus largement encore, dans la société actuelle : ils sont salariés, et la question des retraites se posent pour aux aussi –d’autant plus qu’ils partent à 43 ans- ; j’ai été bêtement surprise lorsque Angelin Perljocaj explique que la main de Médée, qui passe sur le cou du Jason est à mi-chemin entre la caresse et la coupure, « vous savez, comme ces personnages dans Matrix qui ont des trucs au bout des mains… ils voudraient aimer mais ne peuvent pas ». Et Romoli de renchérir « Edward aux mains d’argent, quoi. » Ils continuent d’exister hors scène et hors opéra, mais rien à faire, le hors-contexte fait toujours un drôle d’effet.

Le film montre la danse comme un emploi, l’Opéra comme une administration. Dès lors, que les prises extérieures de Garnier et Bastille ne soient pas esthétisées, mais pleines de bruit, de pluie et de circulation, les intègre d’autant plus au parti pris du documentaire qui ne trace qu’une ligne des feux de la rampe à ceux de la circulation. Ne circulez pas, y’a à voir !

 

Le travail comme modelage du matériau qu’est le corps

Une respiration essoufflée vaut mieux qu’un long discours, et le temps de filmer une répétition, celui de faire parler les intéressés. C’est la première fois qu’un documentaire me donne à sentir ce que pouvait entendre Aurélie Dupont lorsqu’elle disait qu’une étoile était très seule. Ce qu’on voit habituellement des répétitions (temps d’une variation, ou répétition plus longue, mais parmi les dernières, c’est-à-dire quand les étoiles sont réunies avec le corps de ballet) ne laissait pas imaginer le triangle maître de ballet-étoile-miroir, avec le premier qui finit par laisser le silence se refermer sur le face-à-face des deux derniers. La danseuse se retrouve happée par son image, ainsi que le suggère le plan sur la jonction de deux miroirs où le corps tronqué du danseur vient à disparaître après s’être abi/ymé. La personnalité des maîtres de ballet prend d’autant plus d’importance ; autant Clotilde Vayer semble de glace, autant Laurent Hilaire paraît à même de fendiller cette espèce de solitude.

A ce niveau, mis à part quelques corrections techniques, les indications ne sont plus que des conseils et, une fois, dispensés à l’étoile, celle-ci est seule en scène. C’est d’ailleurs là qu’on a confirmation de ce qu’Emilie Cozette est plus une bonne élève qu’une brillante étoile : il faut que Laurent Hilaire lui décrypte chaque geste de la chorégraphie de Médée, qu’elle peine visiblement à s’approprier…

Sur fonds de cette solitude, la fatigue des corps couverts de pelures diverses et avariées ressort bien plus que par un plan ciblant une douleur particulière. Le grand classique du pied plein d’ampoules fait grimacer, mais n’a rien de commun avec la fatigue générale d’un corps fourbu d’être tant sollicité.

 

 

Le travail comme résultat

Chronologie, même lâche, oblige, on va plus ou moins de la répétition au spectacle abouti, sur scène. Mais le documentaire est tel que plutôt que de garder en mémoire le travail qu’il y a « derrière », on continue à voir dans la représentation le travail toujours inachevé du corps qui cherche continuellement le mouvement. Wiseman a compris que le spectacle ne se laisse pas filmer comme tel, qu’il y a besoin de tourner autour et de zoomer tout comme l’œil suit tel ou tel détail au gré de ses caprices (condition sine qua non pour ne pas mourir d’ennui au bout de cinq minutes – même si l’on a parfois le désagrément de constater que l’on n’a pas du tout la sensibilité du cinéaste, et que l’on aimerait toujours que la caméra soit dans le champ de ce qu’elle exclut), d’où que ses échappées hors scène vers les tringles en pleine chorégraphie ne sont pas du tout gênantes. Il en résulte que le mouvement est pleinement rendu. Et l’on se dit qu’au final, un titre banal mais dépouillé n’est pas si mal choisi pour ce film brut – ce n’est pas une pépite, pas d’ « étoile » dans le titre- qui se place continuellement en retrait pour aller au fonds des choses. Apre ou pudique, presque rien.

 

Rat de bibliothèque d’Opéra

 

 

Visite à l’opéra Garnier, hier, à l’occasion de portes ouvertes où l’on avait libre accès à la bibliothèque des lieux, dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Mais qui donne envie d’avoir quelque mémoire à rédiger qui en rende la fréquentation nécessaire. Même si les ouvrages sur la danse sont plutôt minoritaires face aux livrets d’opéra (ou reléguées à l’entresol, où il n’y a plus de grillages ni d’yeux baladeurs), et si l’italien, le russe et dans une moindre mesure l’anglais le disputent au français.

 

 

Cette bibliothèque s’est superposée à toutes celles que j’ai visité lors de mon voyage en Autriche-Hongrie-Prague, que je ne saurais pas rattacher à un lieu cartographiable (hormis la bibliothèque nationale de Prague, que je remets très bien, peut-être grâce à ses gros globes terrestres, comme autant de planètes qui donnent l’impression que le monde vient d’être créé) : elles sont hors du monde puisqu’elles le contiennent virtuellement dans leurs pages, prêt à surgir à la moindre lecture. Mais celle-ci n’est pour ainsi dire pas à sa place dans ce lieu qui lui est pourtant consacré : elle serait presque une profanation. L’éphémère n’a pas cours dans l’éternité du savoir, que l’on voudrait toujours déjà su. Observer bien plutôt le silence, et les tranches multiples de ce temple tout en colonnes, les reliures et les dorures, qui se confondent. Se garder surtout de profaner la pure possibilité d’un savoir absolu – image enluminée par l’imagination, que l’on ne peut toucher qu’avec des gants blancs – dans une salle de lecture.

 

 

Cette dernière, à Garnier, paraît bien plus actuelle que la bibliothèque à laquelle elle est accolée, et si une bouteille de Badoit abandonnée sur une des tables par un lecteur/chercheur amuse comme on regarderait avec curiosité, dans un château, la poupée d’une princesse morte, placée dans la chambre conjugale, elle paraît simplement déplacée de se trouver derrière le cordon de sécurité. La salle de lecture aurait plutôt un air de bureau de ministre, auquel on aurait monnayé un aspect respectable à coups de dorures, lustre, horloge à sphinx et baromètre compris. Tandis que la bibliothèque même garde sa majesté, certes teintée de démocratie, comme le trahissent les gommettes blanches avec le code de référencement sur toutes les tranches, et bien qu’elle soit assaillie de visiteurs – gémissements du parquet. Mais la bibliothèque toute allongée qu’elle est ne forme qu’un couloir, et la profanation aveugle des appareils photo sans flash ne parviendra pas à lui arracher sa vertu.

 

 

Partout ailleurs, des appareils photos, derrière lesquels on devine parfois des touristes qui prennent des clichés à la volée, pour garder quelque chose, car il n’y a pas de boule de neige avec palais Garnier miniature à la sortie ; ou d’autres, qui viennent pour faire de la photographie, au singulier et avec trépied – pour cela le lieu leur serait presque égal, agréable seulement en ce qu’il est peuplé de mannequins aux canons grecs et dociles à la pose.

 

Parquet flottant

 

Toutes les allégories, le marbre, les marches, les lustres, balustrades, balcons, dorures, moulures et moult autres choses sont pompeuses et lourdes de respectabilité à affirmer. Mais j’ai peine à le leur reprocher, tant l’opéra est dans mon esprit le palais Garnier, indissociable des spectacles qu’on vient y voir : les marches marquent le début du défilé du corps de ballet, le velours des loges est l’atmosphère chaude qui précède la représentation, et le lustre de la salle, ronde joyeuse de la danse même.

 

 

J’ai finalement du mal à octroyer à l’opéra le droit d’exister pour son architecture. Observer les gens goûter le bâtiment indépendamment de sa fonction devient délicieusement comique d’absurdité – petites fourmis faisant une visite immobilière d’un navire qui n’est pas à vendre. Je suis l’une d’elles, pourtant.

 

 

 

Mais dois me rendre à l’évidence que je ne trouve cet opéra beau que par les ballets auquel je viens assister. Je me suis souvent dit que j’aurais aimé profiter d’une loge, à partager avec des amis, prendre le temps d’accrocher ses affaires, de converser avant le début de la représentation sur le morceau de corail de l’espèce de canapé de côté, de mettre un peu d’ordre à sa coiffure dans l’éclat lumineux du miroir, sentir le velours et l’appui amical de la balustrade – mais à l’évidence, la familiarité conduit seulement à ne plus rien en voir. La nostalgie de la baignoire des Guermantes n’est qu’une arabesque ornementale de ce que j’aime ici.

 

 

Les portes ouvertes rendent au lieu son statut de simple édifice, soulignent son architecture lourde, et la valeur que je lui accorde étant uniquement subjective, il me paraît tout simplement bizarre que la foule l’examine sous toutes les coutures, foule à qui je n’ai aucune garantie pour lui attribuer une affection toute subjective comme la mienne : derrière leurs appareils photos, qui ne sont pas le prolongement de mon œil, l’opéra est bien un objet.

 

Il faut une autre subjectivité qui, vous prêtant sa vision, vous permet de voir la chose d’un œil neuf. J’ai retrouvé là-bas un bloggeur, Plapatine, et c’est en sa compagnie que j’ai commencé à regarder l’opéra sans majuscule, sans « de Paris » accolé derrière, sans spectacle en somme. Comme quelqu’un qui ferait parler devant vous un album de famille en vous racontant l’anecdote qui y est certes bien présente (et pas seulement associée) mais cachée à l’observateur non averti ; ainsi de ce buste de « déesse » de l’éclairage à l’électricité, qui possède un fil électrique en guise de collier.

Même si au final, à s’être posté au premier étage pour observer l’escalier central et les gens qui s’y agitaient, on a fini par discuter en oubliant un peu le cadre – par où l’on rejoint ce qui fait le charme du lieu, sa capacité de mise en scène.