Journal de mai 2/4

Mardi 9 mai

Une belle relation avec les enfants, c’est ce que je choisis de retenir de mes 20 minutes avec des 5 ans, au-delà de tous les ajustements préconisés par la formatrice pour adapter la séance à ces petits êtres si peu coordonnés. Je crois que c’est bon, j’ai troqué la panique contre le stress en ce qui concerne les cours d’éveil-initiation.

4h d’AFCMD sans pause. De l’improvisation hasardeuse (ça m’énerve) + un focus sur la respiration (ça me crispe à faire ressortir toutes les tensions) + beaucoup de torsions de la colonne (ça réactive le spectre de la blessure au niveau des lombaires) = sentiment de colère immense, qui implose en larmes. J’en ressors lessivée. Heureusement, c’est le jour de mon cours de travail des chaînes musculaires, et je troque la fatigue émotionnelle contre une saine fatigue physique. Cet endroit est devenu mon safe space.

Dîner : tartines d’avocat sur du pain au sarrasin, puis de banane sur lit de peanut butter. Soit un repas qui aurait conduit à l’hôpital le boyfriend, allergique à la totalité des ingrédients (je triche, j’oublie de mentionner le fromage de chèvre).

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Mercredi 10 mai

— Tu as conscience que tu es une… fille originale ?
Gné ? Devant mon air dubitatif, la psy précise : HPI, hypersensible, zèbre, comme tu voudras appeler ça…
Alors pourquoi pas, on pourrait remplacer psychokhâgneuse ou première de la classe par un de ces termes-là, mais qu’est-ce que ça apporterait de plus, à part de pouvoir servir mon ego en entrée avec du jambon cru ou de le peindre aux côtés d’une pomme et d’une pipe ? Je suis très (trop) flattée. Et dubitative : en quoi est-ce original ? Si je suis hyper-quelque-chose, alors les trois-quarts de mes amis le sont aussi, au bas mot. C’est peut-être là mon point aveugle ; je repense à ma mère me confiant m’avoir crue élitiste, enfant, avant de comprendre que je ne cherchais pas le brillant ou l’exotique, mais des présences stimulantes, les autres m’ennuyant vite. La psy est presque étonnée quand je lui dit que je n’avais pas de mal à me faire des amis, enfant ; rassurée quand je confirme que, oui, évidemment, j’ai toujours cherché des amitiés authentiques, pas de la copinade (big up à Eli, qui troquerait bien « Tu fais quoi dans la vie ? » pour « As-tu peur de mourir et pourquoi ? »).

On ne va pas se mentir, mon côté première-de-la-classe est hypé par cette histoire d’HPI ; c’est en outre mon argument principal pour candidater à l’étiquette. Quand la psy me demande pourquoi il fallait que je sois toujours première (et je suis optimiste en mettant la phrase au passé), je suis prise de court. Parce que. C’est un impératif catégorique murin. Elle insiste pour que je développe. Je repense à ma grammaire latine, à mon incompréhension que “le meilleur” (d’un groupe) soit un superlatif relatif, et le superlatif absolu, seulement “très bon”. Au fait, qu’être la meilleure, c’est susciter l’admiration, et qu’être admirée dispense de se demander si on est aimée. Cela me passe par la tête, mais ce n’est pas ce qui sort, ce jour-là, ce n’est pas cette analyse rodée devenue poncif personnel. Je réponds autre chose, que la psy prend en note. Elle y revient plus tard dans l’entretien, tourne la page pour souligner la nécessité de retrouver l’expression exacte, son incongruité : être première, c’est reposant. Le boyfriend éclatera de rire quand je lui rapporterai ça. La pression qu’on se met pour être et rester à la première place ? Oui, mais non. Avoir la meilleure note, c’est l’assurance temporaire d’avoir fourni assez d’effort ; sinon, s’il y a mieux, c’est que je n’ai pas fait de mon mieux, ou pire, que mon mieux était insuffisant. Le repos, c’est de ne pas avoir à se soucier de ça, classer l’affaire et passer à autre chose. À quoi ? demande la psy. On recommence, évidemment. Jusqu’à atteindre fatigue et lassitude.

Je me demandais le mois dernier si “ça me suffirait” un jour. La psy tranche : ça ne suffira pas, jamais. C’est structurel. C’est mon mode de pensée, de fonctionnement ; mon cerveau est câblé comme ça. Point. Au lieu de me plomber, le constat m’égaye : ce n’est donc pas moi — ou plutôt si, c’est moi qui suis comme ça, ce n’est pas de ma faute. Ce n’est pas que je ne suis “jamais contente”, comme a parfois pu s’en inquiéter Mum : je suis contente (souvent), mais pas contentée (ou pas pour longtemps).

Pour éviter que la frustration prenne le pas, la psy me conseille de mettre en place un double standard : distinguer ce qui est objectivement attendu de moi (pour valider le DE par exemple) de ce que je voudrais obtenir de moi-même ou de ce que j’estime qu’il faudrait dans l’absolu (par exemple une carrière de danseur professionnel pour devenir prof de danse). Ne pas mélanger les deux. Cela peut paraître basique comme conseil, mais alors l’apaisement que cela procure en remettant les choses à leur place, en leur redonnant leur juste proportion… Définir ces deux pôles aide à remettre du mouvement là où la paralysie guettait : je peux utiliser ce qui est attendu pour m’auto-lâcher la grappe par rapport à un idéal inatteignable, et ce que je voudrais de plus pour m’éperonner un peu quand ce qui est demandé me semble trop basique.

Écartant d’éventuelles particularités qualitatives en les réservant aux personnes autistes, j’avais toujours pensé à l’intelligence cognitive comme à une donnée quantitative, dont on a plus ou moins, au même titre que les autres formes d’intelligence, corporelle ou émotionnelle…  La penser de manière qualitative rend la chose bien plus intéressante. La question n’est plus de savoir si j’ai un stockage mémoire plus élevé ou un traitement des données un peu plus rapide que la moyenne (qui n’est pas une moyenne pour rien), mais de comprendre comment ce câblage influe sur la structure de la pensée, jusqu’à avoir un impact sur la confiance en soi. Je n’avais jamais pensé que structurellement, je pouvais être amenée à douter.

Sans me rendre compte de l’ironie de la chose, je me remets à douter, mettant en doute l’intuition de la psy. Le soir, je compulse en ligne des portraits-robots d’HPI / hypersensibles, cherchant des indices pour confirmer ou infirmer l’hypothèse. Certains traits HPI pourraient me correspondre, mais une “pensée en arborescence”, c’est suffisamment vague pour déclencher l’effet Barnum. Et revient régulièrement un sentiment de décalage qui m’est étranger : je sais que je peux paraître étrange à certains (ils manquent simplement de fantaisie, si vous voulez mon avis), mais je ne me suis jamais sentie “différente” (big up à JoPrincesse : quand elle m’avait confié avoir souffert de cette sensation d’être différente, j’avais écarquillé les yeux, incapable de comprendre comment un vilain canard boiteux pouvait se confondre avec une princesse). Côté hypersensible, ça se défend plus. Jauger l’intensité de son émotivité est compliqué, mais j’ai indéniablement des seuils sensoriels à fleur de peau (je dors avec un masque-à-yeux car la moindre lumière me dérange, la musique devient trop forte pour moi bien avant de l’être pour le reste d’un groupe, j’entends certains chargeurs quand ils sont branchés…).

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Jeudi 11 mai 

Cours de danse éveil-initiation. Une camarade montre l’exercice et demande aux enfants s’ils ont compris. Un index se lève à hauteur de poitrine : « On a tous les trois les mêmes chaussettes », commente-t-il ex nihilo en désignant les pieds de ses camarades, chaussés de chaussettes noires tout ce qu’il y a de plus basiques. Tous les adultes de la salle ont essayé de ne rire que sous cape.

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30 minutes avec des 5 ans dissipés.
Une camarade pourtant habituée à gérer des enfants résume : C’était ho-rrible. Elle vient de découvrir ce par quoi j’ai commencé, et dont je m’éloigne désormais en sens inverse : le sentiment de perdre le contrôle et de se faire submerger par les enfants. Toutes mes camarades sont dépitées, moi plutôt guillerette : même quand ça va mal, ça va. J’ai perdu une bonne partie des enfants à tour de rôle en cours de route, mais pas mon calme. C’est bon, je suis vaccinée. Et je peux partir en free style vol de papillon à la fin de l’enchaînement semi-improvisé — quand on remplace la petite boule et l’étoile par l’image de la chenille et du papillon pour obtenir plus de lié dans le passage de l’un à l’autre au sol, y’a forcément un enfant qui veut voler.

Quand, au déjeuner, je raconte ça à une camarade ayant fait cours dans un autre studio, elle s’arrête de remuer son Tupperware : « Tu entends ce que tu es en train de dire ? » me demande-t-elle, en proud mama de 15 ans ma cadette.

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Cours de progression technique : nous sommes deux, trois avec l’enseignante, qui engage une discussion informelle. On évoque avec précaution notre lassitude concernant certains cours d’AFCMD, où l’analyse du mouvement se noie dans d’interminables écoutes de micro-sensations. À notre plus grande surprise, elle se renverse sur sa chaise comme une ado excédée, jambes écartées, bras qui partent en cambré, mimant l’ennui de rester allongée au sol pendant ces cours, à écouter ses sensations : « Moi, quand j’écoute mon cœur, ça me donne envie de sauter par la fenêtre. » Une ancienne danseuse du ballet de Cuba, si élégante, douce, qui fait l’étoile de mer morte sur sa chaise, en se moquant ouvertement d’un enseignement à propos duquel on essayait de ne pas trop se montrer circonspectes… Je me suis mordu le doigt pour ne pas partir en fou rire.

Mon binôme de classique, qui a suivi un enseignement intensif de haut niveau mais dont les expériences en compagnie ont vite tourné court, a exprimé son inquiétude de ne pas trouver de poste dans les structures permettant de former les pré-pro, la préférence étant souvent donnée aux anciens danseurs de compagnies prestigieuses. Notre formatrice a répondu un peu à côté, et mis dans le mile de mes inquiétudes à moi : un bon danseur ne fait pas nécessairement un bon professeur, c’est même souvent l’inverse. Quelqu’un qui a rencontré d’importantes difficultés (et persévéré) s’est interrogé à leur sujet, a cherché des moyens de : il est habitué à varier son approche ; tandis qu’un danseur très doué, devenu professeur, va avoir tendance à attendre que l’on fasse comme lui (voire qu’on l’admire) et que tout coule de source. Cela n’a pas rassuré ma camarade, déjà intimement persuadée de la chose (les grands noms lui ont moins appris que des professeurs plus modestes), mais moi si, énormément.

J’avais déjà articulé ce raisonnement — on en avait parlé la veille avec la psy —, mais parfois il faut que certaines choses soient dites par certaines personnes pour qu’elles puissent acquérir une légitimité autrement plus stable que les pensées contradictoires qui nous traversent en tous sens, et se déposer en nous, calmement. Venant d’une ancienne danseuse du ballet de Cuba, j’ai pu acter que ce raisonnement n’était pas qu’une tentative d’auto-légitimation, et voir se rouvrir l’espace d’une légitimité possible. Avec bonheur et humour : notre formatrice a ajouté que le meilleur professeur de pointes qu’elle a eu était un gros homme ventru qui n’avait jamais enfilé de pointes de sa vie, « mais quand il montrait avec ses mains, je comprenais tout, c’est avec lui que j’ai compris ».

(Cette conversation m’a également fait prendre conscience, à ma grande surprise, que dans le monde de l’enseignement de la danse français qui nous attend, ma binôme et moi sommes pour ainsi dire à égalité, alors que son bagage est autrement plus important que le mien. Mais je me garderai d’en faire un motif de réassurance personnelle, l’élitisme mal placé du système étant plus sûrement à mettre en cause.)

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J’en viens je ne sais plus comment à évoquer le MBTI au boyfriend, qui se met à faire un test en ligne derechef, me lisant les questions à voix haute. Notre visio du soir se transforme en reaction video. Il y a du touché-coulé trahi par des sourires mais-euh (mes préférés : il sait que je sais, et il y a tellement de tendresse à m’apercevoir que je sais ça), des certainement pas et des hésitations qui en disent tout aussi long, des questions ou trop faciles ou trop dures, une ou deux surprises pour moi, un visage qui n’en finit pas de se moirer sous mon regard tandis que se dresse le portrait de mon partenaire INFP.

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Vendredi 12 mai

3h30 de cours puis d’atelier avec Fábio Lopez, un chorégraphe néoclassique qui affectionne les contractions et dos arrondis. Mon dos m’empêche d’y aller à fond, mais l’esthétique me plait en tant que spectatrice, avec des bras classiques extrapolés vers l’arrière, des mains monster aux doigts écartés et légèrement pliés, des accents subits qui résonnent passé le point d’impact…

Brève discussion à la fin du cours, où sont évoquées des réalités du terrain souvent tues : le rôle des subventions et des politiques, la participation à des événements en extérieur que le chorégraphe goûte moyennement mais qu’il fait pour ses danseurs, pour qu’ils puissent bénéficier de cachets supplémentaires, ou encore les actions de sensibilisation qui ne rapportent pas d’argent mais sont nécessaires pour s’assurer un public. Auprès des enfants, il nous dit genrer davantage les rôles que la danse ne le fait aujourd’hui (nous avons d’ailleurs travaillé une variation pour homme avec lui). Dissocier les danseurs en force et jogging des danseuses en pointes et jupette est le seul moyen qu’il a pour le moment trouvé pour surmonter l’a priori des garçons, rassurés par l’aspect athlétique de la batterie ou des portés.

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Bilan de fin d’année approchante. Comment dire ce qui à notre sens doit être dit sans pour autant se montrer d’ingrates râleuses ? On essaye de souligner ce qui a été, de ne pas oublier que cela n’a pas été de soi (la directrice a du se battre pour conserver les financements de la résidence permettant stage et restitution scénique).

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Samedi 13 mai

Le meilleur créneau pour ouvrir une parenthèse d’éternité est entre 13 et 15h30 : la digestion plonge dans une semi-léthargie, et le soleil, déjà haut, ne laisse pas anticiper sa redescente. Je ne fais rien, c’est-à-dire que j’entre, je sors, avec une tartine de fromage, une autre tartine, des lunettes de soleil, je lis (Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur) dans le fauteuil de jardin, sur le tapis de yoga sorti sur la terrasse comme une serviette sur la plage, je m’y étire, davantage que le chat des voisins dans le jardin en contrebas. Mes pieds sans chaussettes sentent l’air plutôt que les pieds, sentent la chaleur du soleil, le crissant du tapis sur lequel j’articule les orteils, chien tête en bas, aucune envie de faire du sport, juste besoin de sentir mes genoux se déplier, fente twistée, les nuages n’ont pas le temps de traîner, ça file, ça frémit, tout s’agite dans le calme, les branches du saule pleureur, les insectes, pollen, akènes un peu partout, les voisins, la ville au-delà, cobra, toute cette proprioception réveillée par le grand air de la terrasse, shavasana, torpeur de la volonté et acuité de la peau, réceptive, qui se met à réclamer d’autres caresses que celles du soleil.

Cucumber sandwichs et direction le spectacle de l’école du Ballet du Nord.

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Dimanche 14 mai

1 BD 1/2 au soleil
1 sieste mi-ombre mi-soleil
1 tour du parc Barbieux
2 onigiris pour inaugurer les moules que j’avais rapportés de mon voyage au Japon… il y a 6 ans.

De la gaité, des possibles qui se rouvrent la fin de l’année approchant, de la légèreté à essayer.

Journal de mai 1/4

Lundi 1er mai

Pas de muguet. Le boyfriend est reparti la veille. Une journée pour être seule avant la reprise.

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Mardi 2 mai

Stage de danse classique, après du contemporain, de l’impro et du néo mi-classique mi-contempo, alléluia ! Plaisir de travailler dans sa discipline propre.

On nous avait dit que certaines variations seraient sur pointes et d’autres sur demi-pointes, ne vous inquiétez pas. Je n’étais pas inquiète, j’étais enthousiaste à l’idée d’enfin remettre les pointes. Cela fait travailler autrement les chaînes musculaires, et mon corps a tendance à mieux s’aligner, me rendant paradoxalement et toutes proportions gardées moins mauvaise sur pointes que sur demi-pointes.

Après la matinée passée à mémoriser quatre variations dont la difficulté réside dans la vitesse d’exécution plutôt que dans les pas en eux-mêmes, l’intervenante distribue les groupes. Elle nous demande au préalable si l’on a des préférences, sachant qu’elle ne pourra pas contenter tout le monde. Ça ne loupe pas, les variations sur pointes ont plus la côte que les autres. Ignorant qu’elle pense niveaux quand nous pensons répartition harmonieuse, je propose de passer une troisième variation sur pointes et d’en garder seulement une sur demi-pointes, de sorte que toutes celles qui veulent mettre les p… Non, toi, tu es sur demi-pointes. 

Non, toi, tu es trop nulle. Elle m’aurait giflé que ça n’aurait pas été beaucoup plus violent.

Le déception que je ressens n’est pas celle d’un fol espoir envolé ou d’un caprice non consenti (je ne voulais pas obtenir une variation en particulier), c’est celle, mordante, de se décevoir soi-même. Bonus pour la honte d’avoir été pris en flagrant délit de me penser moins mauvaise que je ne le suis et que je le sais être.

Je ne devrais pas le prendre personnellement, pourtant : sur dix étudiantes, seules trois sont autorisées à préparer sur pointes. Ce sont les trois seules à avoir en réalité le choix de leur variation. Ce sont aussi les trois plus solides, techniquement ; cela fait sens pour monter sur scène en fin de semaine, et présenter une carte de visite qui fasse honneur à l’école. Le résultat collectif plus que le travail des individus. Il me faudra trouver d’autres occasions de faire taire mon sentiment d’illégitimité, pour l’instant bien renforcé.

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Mercredi 3 mai 

Extrait de répétition :

– Is the swirl in arabesque or second?
– In between. In secabesque.
– In what?
– Secabesque. Half second, half arabesque.
– Oh! That’s a good one.
– Wait, you don’t know « secabesque »?
– Wait, you didn’t make that up?

J’ai cru à une invention, vu qu’on avait eu le matin un « high coupé » abrégé en « high cou », avec une blague sur le « haïku ».

Le vocabulaire de la danse classique se donne en français où que l’on soit, mais c’est un peu comme l’anglais voyageant à travers le monde, des variantes locales n’ont pas manqué de se former. À force de lire la presse spécialisée américaine en ligne, j’en connais pas mal, mais « secabesque », mot-valise composé de seconde (position) et d’arabesque pour désigner une arabesque décroisée, c’est nouveau pour moi. Je ne sais pas si je suis plus étonnée par l’existence du terme ou par le fait que cette position incorrecte puisse être un choix esthétique.

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On passe les variations groupe par groupe, c’est un peu long. Pour m’occuper et me faire des souvenirs, je prends quelques photos avec mon téléphone. Forcément, dans l’ombre du théâtre, c’est flou, mais chasser l’acmé d’une arabesque est toujours amusant. Quand les filles sur pointes s’apprêtent à passer, je passe en mode vidéo sans trop y penser : ça va être chouette, et je suis sûre que ma camarade sera contente d’avoir un retour visuel sachant que l’on danse toute la semaine dans des espaces sans miroir.

Que n’ai-je pas fait ? En me voyant le téléphone à la main, d’autres ont saisi le leur, et c’est un mini-drame. L’intervenante panique, nous rabroue, on ne filme pas. Je m’excuse, explique que je ne pensais pas à mal, que c’était juste pour avoir un souvenir et une vidéo de travail car l’école nous transmet rarement les enregistrements qui sont  faits, mais pas de souci, je range le téléphone. Je me sens saoulée et bientôt morveuse : j’ai agi en écervelée, une millenial shootée aux stories ; j’aurais du demander l’autorisation avant. Comme deux automobilistes qui se font des politesses après avoir failli se griller la priorité, l’intervenante fait à son tour marche arrière : ou alors rien sur les réseaux sociaux, hein, ça l’embête, ce n’est qu’une répétition, elle demande si elle peut nous fait confiance, on promet, surtout rien en ligne, rien sur les réseaux sociaux.

Ne voulant pas avoir déclenché cet incident pour rien, je filme le premier passage, puis plus rien, je regarde sagement, en essayant de me faire oublier. Maintenant ça me paraît évident, j’ai clairement manqué de respect, en plus d’à propos : connaissant l’intransigeance du Balanchine Trust, j’aurais du penser à la question des droits, particulièrement sensible pour le répertoire Nord-américain, fut-il d’un autre chorégraphe.

Deuxième, puis troisième passage. L’intervenante, plutôt satisfaite, nous demande si c’est dans la boîte. Personne n’a filmé. Elle est un peu dépitée, constate, regrette : I scared you. La peur passée, elle explique et confirme mon intuition à retardement : elle a obtenu l’autorisation de nous transmettre les variations et de les modifier dans ce cadre pédagogique précis, mais les droits ne comprennent pas la diffusion, étant donné que l’œuvre n’est pas donnée dans sa forme originelle. C’est toujours un peu compliqué pour elle de laisser quelqu’un capter : une fois que c’est enregistré quelque part, elle n’a plus aucun contrôle dessus.

Tout cela est cohérent, tout cela est humain, mais l’incident me laisse dans la confusion, avec l’impression de ne plus savoir quel crédit apporter à mon analyse d’une situation, comment interpréter, comment agir, sinon avec maladresse.

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Heureusement, il y a la carte blanche de notre promo à répéter, 7 minutes où je retrouve le plaisir de danser toutes ensembles notre pièce. Le temps de présence individuel sur scène n’est pas énorme, mais on entre, on sort, on se croise, on kiffe, on se soutient, on se montre d’une coulisse à l’autre nos mains aux six doigts, sept doigts bien écartés, pour vérifier qu’on compte pareil la musique, de la techno aux variations trop infimes pour servir de repères sûrs. Pour ne pas louper nos entrées, nos chassés-croisés, on compte en danseuses, DEUX-2-3-4-5-6-7-8, TROIS-2-3-4-5-6-7-8… L. et N. sont nos meilleures compteuses, on compte sur elles ; je dois assurer le relai quand N. court pour changer de coulisse, je la récupère doigts écartés, SIX-2-3… Nous sommes des escrocs synchronisant nos montres. Hochement de tête à SEPT-2-3… ; à HUIT (qui redevient UN), la pointe doit attaquer la diagonale.

Essais de tenues pour notre choré dancefloor. J’écope de la robe à sequins dorés d’une camarade, qui l’avait achetée, moulante et ras des fesses, pour un Nouvel An. Ça fait l’unanimité, avec les pointes j’ai l’air d’un modèle il paraît, et ça me fait marrer que dix ans plus tard me reviennent encore les costumes un poil plus extravagants.

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Jeudi 4 mai

Matin : on donne cours à des 4 ans ; nous avons été prévenues la veille pour le lendemain. Séance brouillonne, un peu affolée, écourtée.

Les escargots en papiers enroulés étaient pas mal, mais les pingouins en rouleaux de PQ…

Après-midi : plaisir de sentir mon corps se construire dans la barre quotidienne. Refine your center. Les exercices sont épurés, relativement lents, pleins de dégagés qui me permettent de travailler mes récentes découvertes en terme de placement. Si seulement ce travail restait quotidien…

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Vendredi 5 mai 

20h de cours / répétition en 4 jours et, une fois n’est coutume, je ne me suis pas blessée ! Une camarade a pris ma place de malchanceuse, et une autre encore la place de celle-ci dans le spectacle. Soulagement, dépit, gêne : valse à trois temps.

À passer ses journées dans l’ombre du théâtre, on n’a plus idée du temps, ni météorologique ni horaire. Les sièges sont vides et le restent souvent : quand on attend son tour, on s’assoit spontanément par terre sur les marches plutôt qu’à la place des spectateurs. C’est une atmosphère particulière que je n’avais pas éprouvée depuis longtemps, distincte de ce que l’on peut éprouver en tant que spectateur. Le ventre du théâtre. On s’y sent étrangement rapidement chez soi quand on arrive pour répéter. En quelques heures, tout le monde avait pris possession des lieux.

Je me maquille avec des ombres à paupières et un rouge à lèvres d’il y a dix ans, de la BB cream en guise de fond de teint. J’emprunte du mascara, un filet, de la laque ; je n’ai plus rien de tout cela (oublié même que j’en aurais besoin). La mémoire du corps retrouve les gestes pour appliquer la terre de soleil, l’eye-liner, c’est étrange. Ça me donnerait presque envie de maquiller à nouveau de temps en temps (il faudra racheter du démaquillant le cas échéant).

Répétition sur scène. À chaque passage, je me concentre sur ce que j’ai loupé la fois précédente, corrige mon erreur et me trompe à un endroit différent. Quatre sauts de chat, quatre, pas trois. Un compte dans le vide avant de prendre la pose finale, 5 immobile, 6 arabesque, pour être 7-8 à genou. Pas 5, pas 7, l’arabesque : 6. Je désespère un peu de moi. Au filage, tout est enfin en place. Mauvais plan : c’est donc au spectacle que je perds mon équilibre un compte trop tôt. Quand j’y repense ensuite, je ne vois plus que ça, ce faux pas qui aspire le reste, le sourire, les sauts de chat par quatre, l’immobilité à 5, les bras déliés, la danse, quoi. Comme le fouetté à l’italienne mal relevé avait absorbé le reste de la présentation l’an passé. Des erreurs trou noir, qui aspirent le reste à eux. Le nez cassé au milieu de la figure.

T’es nerveuse, toi, découvre une camarade de première année qui ne me côtoie qu’en cours de classique et vite fait au déjeuner. La fatigue cumulée de la semaine et du filage terminé 30 minutes plus tôt ne fait pas bon ménage avec le trac, ni les erreurs aux répétitions, la robe à sequins qui décoiffe le chignon quand je la retire après le filage, la sensation simultanée qu’il n’y a pas d’enjeu et que je ne suis pas à la hauteur, les pointes qui ont décédé de sueur dans l’après-midi, le ruban, l’élastique qui se découd, l’aiguille que je me plante dans le doigt et perds quelque part au milieu des produits de maquillage…J’aurais voulu que le filage soit le spectacle.

(Comme une parenthèse)

Du spectacle lui-même, je ne garde que des perceptions furtives, fragmentaires : la présence du public, tiens il est là, lui ; les projecteurs latéraux trop bas qui m’éblouissent, ou moi trop grande ; les lombaires qui hurlent après le changement rapide assise par terre pour enfiler les pointes ; des échappés où je manque de me vautrer tellement les semelles sont molles ; le décompte en coulisse, le frisson de la diagonale à deux, les silhouettes qui passent, la robe à sequins que je tente tant bien que mal de redescendre sur mes cuisses… Sourire (habitude, présence, excuse), se rappeler qu’on aime danser en prolongeant un port de bras, faire, puis regarder quand tout est fini et que les autres dansent encore.

La représentation terminée, je me dirige quasiment seule vers les loges, pendant que les autres rejoignent leur famille et leurs amis. Personne ne m’attend : je ne voulais pas que Mum fasse trois heures de route aller, trois heures retour pour 50 secondes + 5 minutes en scène, ni le boyfriend, qui avait déjà fait le trajet le week-end précédent. Je regrette à présent. J’aimerais les retrouver, avoir partagé. La tristesse m’enveloppe tandis que je me rhabille et range mes affaires ; c’est idiot, c’est la fatigue. Je suis triste. Relâchement et coup de spleen. Je m’en dégage peu à peu : en discutant à la sortie, où je suis une des premières et une des dernières (discuter avec qui veut me fait du bien), puis dans le métro où je commence à pouvoir apprécier le calme que m’offre le week-end solo à venir, après avoir fait la moitié du trajet avec le personnel de l’école et les intervenants.

Petit pincement de tristesse et de tu vois mêlés quand les images qui arrivent sur le groupe WhatsApp m’apprennent que les autres n’étaient pas parties rejoindre leurs proches, mais prenaient sur la scène des photos de groupe, sur lesquelles je ne figurerai pas.

Peu importe, désormais : calme, repos.

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Samedi 6 mai

Passage à la médiathèque pour récupérer une réservation, provision de nouilles instantanées au supermarché asiatique, séance ciné débutée dix minutes plus tôt quand j’entre pour consulter les horaires, le film qui commence deux minutes après que je prends place dans la salle…
tout s’enchaîne de manière fluide et improvisée, c’est un samedi contentant.

La visio du soir dérive sur les pratiques de la conversation, et notamment la tendance à rebondir sur ce qu’on nous raconte en racontant une expérience similaire : à quel moment est-ce une manière de créer du lien et quand cela devient-il l’expression d’un besoin envahissant de parler de soi ? Degré de pertinence, sens du timing… Me vient l’image d’un plateau de Scrabble : parfois, on s’accroche à une seule lettre (un prétexte) pour poser son mot (son anecdote personnelle) ; parfois, plus rarement, le mot en traverse plusieurs, comme une ébauche de mots croisés (d’expériences partagées, mises en commun).

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Dimanche 7 mai 

Matinée passée à finir d’écrire mon journal d’avril. J’ai la sensation d’être à ma place dans l’écriture, ou que les choses prennent la leur — écrire met de l’ordre (dans ce qu’on pense, ce qu’on ressent, qu’on partage).

Carrot cake avec M. au salon de thé L’Impertinente. J’aime beaucoup l’humour de leurs mugs, rangés dans des placards comme dans une cuisine individuelle : I can dough it et Fifty Shades of Earl Grey.

Vivre avec nos morts

Ce n’est pas tous les jours qu’on ouvre la porte d’un univers inconnu, et c’est l’effet que m’a fait l’essai de Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts — l’univers en question n’étant pas la mort, mais le judaïsme. J’y ai découvert des étymologies qui sont et ne sont pas de l’hébreu, des récits issus de textes sacrés, tout une tradition exégétique et humoristique de moi inconnue, accompagnée par le récit très personnel de l’autrice-rabbine.

Ses réflexions partent souvent des enterrements lors desquels elle a officié, et se ramifient, entrecroisent l’intime, le familial et l’historique. Éclairés par des récits de la tradition judaïque, on y trouve des souvenirs d’enfant, des expériences de jeune adulte, des secrets de famille qui sont ou ne sont pas la sienne, des effets de transmission et des lacunes… On y croise la psy de Charlie Hebdo ; Marceline et Simone (Veil), « les filles de Birkenau » ; des fantômes issus de linceuls décousus, attendant qu’on reprise leur histoire décousue ; un Dieu auquel on peut demander des comptes, de manière fort irrévérencieuse ; une femme obsédée par son propre enterrement et qu’une cérémonie factice a tiré de la dépression ; inévitablement aussi, l’histoire d’une génération pris entre la Shoah et le(s) sionisme(s)…

C’est un essai tout sauf morbide : sensible, lumineux ; tout sauf dogmatique : intime, psychologique, politique. La judéité constitue un point d’entrée pour aborder des questions qui dépassent toute confession, et Delphine Horvilleur prend garde à ce que son texte reste accessible quelques soient les croyance ou incroyances de ses lecteurs.

Merci à @krazykitty pour la recommandation de lecture !

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Ne jamais raconter la vie par la fin mais par tout ce qui, en elle, s’est cru « sans fin ».

En anecdote, une tirade de film, d’enfant qui déplore qu’on mette une plaque commémorative pour dire qu’ici des enfants ont été tués, alors qu’on pourrait les célébrer en disant : ici, des enfants ont mangé de la chantilly pour la première fois.

L’autrice évoque aussi le choix des photos sur les tombes, avec une réflexion que je m’étais déjà faite sur les portraits d’auteurs morts : une photo dans leurs dernières années, et on se dit qu’ils ne sont pas montrés à leur avantage ; une photo d’eux jeunes, et tout développement ultérieur, toute maturité est balayée. Moralité : au moins deux photos, deux points entre lesquels imaginer la trajectoire d’un être.

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Ainsi, les fantômes ne vous veulent pas forcément de mal. Parfois, ils vous racontent une histoire, la vôtre, et vous disent qu’elle est simplement une reprise de la leur.

En plein cœur des romans-fresques familiales sur plusieurs générations.

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Citation d’Elsa Cayat, la psy de Charlie Hebdo, qui répond à un homme racontant avoir été saisi par la panique à 10 ans, en prenant conscience de sa mortalité :

Un sentiment de panique c’est quoi ? C’est un sentiment d’abandon très puissant qui réactive quelque chose que l’on ne t’a pas dit sur TON histoire. Cette peur de mourir, c’est une envie de mourir, la peur d’être abandonné se traduisant par une envie de s’abandonner définitivement.

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Une prise de conscience à un enterrement où le fils n’a pas prévenu la rabbine qu’il viendrait seul :

Accompagner les endeuillés, non pas pour leur apprendre quelque chose qu’ils ne savaient déjà, mais pour leur traduire ce qu’ils vous ont dit, afin qu’ils puissent l’entendre à leur tour. Et s’assurer ainsi que le récit qui a quitté leur bouche reviennent à leurs oreilles par l’intermédiaire d’une vois qui n’est pas la louer, enfin pas tout à fait, une voix qui fait dialoguer leurs mots avec ces d’une tradition ancestrale, transmise de génération en génération, aux « bons » comme aux « mauvais » juifs, et surtout à ceux qui font comme ils peuvent.

Ce jour-là, j’ai dit à un homme ce qu’avait été sa mère, ne pouvant inventer autre chose que ce qu’il m’en avait livré. Et pourtant, je ne saurais l’expliquer, mais c’est comme si une autre histoire s’était devant nous énoncée.

La parole psy fonctionne-t-elle autrement ?

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Moïse a reçu la Thora au mont Sinaï mais, bien après lui, surgirent des hommes capables d’interpréter ce que lui ignorait. Ces érudits en savaient davantage mais continuaient à dire que ce qu’ils détenaient, ils le lui devaient.

L’avenir n’est pas devant nous mais derrière, dans les traces de nos pas sur le sol d’une montagne que l’on vient de gravir, des traces dans lesquelles ceux qui nous suivent et nous survivent liront ce qu’il ne nous est pas encore donné d’y voir.

Je trouve ce renversement très beau, fructueux.

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Pour décrire ce que j’ai ressenti dans ce cimetière, un mot me vient à l’esprit : celui de « solastalgie ». Ce concept, inventé au début des années 2000 par un philosophe australien, décrit une nostalgie d’un type particulier, celle d’un lieu où l’on se trouve mais dont on sait pourtant qu’il n’existe plus.

Une Ostalgie sans contexte, pour tous.

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Tout ce que nous construisons solidement finit par s’user ou par disparaître, tandis que ce qui est fragile, éphémère et faillible, laisse paradoxalement des traces indélébiles dans le monde.

Et un passage que je ne retrouve plus, où est dit en substance que l’on est marqué aussi bien par ce qui nous est dit que par ce qui nous est tu.

Esquisses chorégraphiques

Samedi 13 mai au Colisée de Roubaix

« Il y a les spectacles de fin d’année et LE spectacle de fin d’année de l’École du Ballet du Nord. Venez assister à une représentation inoubliable dans l’une des plus belles salles de la région. »

C’est ainsi que le Colisée vend ce spectacle gratuit. Inoubliable, rien que ça. On dirait un parent d’élève qui s’emballe. Je lui accorde que ce n’est pas le spectacle de fin d’année moyen. Il y a un sacré boulot derrière. Les ensembles sont très travaillés, à la fois dans l’espace (épatée par les alignements des plus jeunes Oo) et la synchronisation, ce qui fait que l’ensemble a de l’allure, indépendamment du niveau individuel des élèves. Je note, je note, dans mon carnet imaginaire de future prof.

Les grandes sur pointes, par exemple, interprètent une pièce très Jerome Robbins dans l’esprit, sur du Chopin, avec des robes et des ports de bras fluides, dans un kaléidoscope de formations : des trios, des duos, de nombreuses entrées et sorties, des diagonales en groupe en descendant, en solo en remontant la scène en déboulés… Les pas restent globalement simples (pratique pour être ensemble), mais ça respire, c’est plaisant à voir, très dansant. Avec un peu de recul (merci la place au balcon), on arrive à oublier les genoux et les pieds pas tendus, voire patauds, de certaines (à moins que ce ne soient des pointes trop neuves ?) — ça choque forcément un peu l’œil quand le reste est là. In fine, j’ai été aussi surprise par la disparité du niveau technique que par la présence et le sens artistique du groupe ; à une époque où l’on s’est un peu trop habitué à compter le nombre de tours et à relever le degré des arabesques, cela fait du bien de voir l’attention concentrée sur ce qui fait la beauté de la danse. J’espère réussir à pareillement mettre mes élèves en valeur le jour où j’en aurai.

Il faut attendre la première pièce contemporaine des plus âgés (chorégraphiée par Sabrina Del Gallo) pour oublier le contexte de spectacle de fin d’année, et voir une qualité de mouvement qui réveille votre empathie kinesthésique de spectateur.  J’ai souri intérieurement de retrouver une ambiance clubbing de groupe sur de la musique électro, soit le parti pris de notre promo pour la dernière carte blanche. Ça donnait envie de les rejoindre sur scène, en tous cas. Et certaines danseuses sont carrément wow.

Le spectacle se finissait par la pièce qui a motivé ma venue comme spectatrice et pas seulement en tant que future prof de danse : Cage of God de Fábio Lopez, ancien danseur de Thierry Malandain et chorégraphe de la compagnie Illicite Bayonne. C’est là qu’on voit la différence entre un professeur, même très bon, et un chorégraphe : on n’a plus des élèves face à soi, mais des danseurs. Les chignons banane et les mini-shorts blancs sur tunique chaire achèvent la métamorphose en danseurs néo (j’ai l’impression de redécouvrir les trois danseuses que je connais via la formation). Fumigènes, lumières aveuglantes, musique anxiogène à fond les ballons, on y est. Le groupe a totalement investi la gestuelle du chorégraphe, muscles puissants, doigts finement articulés, dos archi cambrés. Tous, solistes d’un instant ou corps de ballet, se lancent à corps et énergie perdus dans cette pièce de quasi 20 minutes, bluffants. C’était 🔥.

(C’est le genre de pièce qui me donne envie de me ré-essayer au contemporain. Mais il y a un gros travail de remise en forme physique à faire avant ne serait-ce que d’y penser.)

Ciné de mars-avril

Everything, everywhere, all at once (sur OCS)

Quand on ouvre les fenêtres en voiture alors qu’on roule vite, il me faut toujours un moment avant de trouver mon souffle, cinglée par l’air. C’est pareil pour Everything, everywhere, all at once, que j’avais lancé pour me détendre, sans me douter de l’exigence du rythme : j’ai interrompu deux fois le visionnage avant de me faire à l’afflux visuel et d’entrer vraiment dans le délire. Je ne suis pas certaine d’avoir retenu grand-chose de l’histoire mère-fille qui se joue, noyée dans une myriade d’univers avec des doigts-Knacki et un bagel-trou noir destructeur de l’humanité, mais j’ai passé un bon moment. Puis j’ai toujours une tendresse particulière envers les gens qui déploient des trésors d’imagination pour nous rassurer sur nos choix de vie, postulant pléthores de vies parallèles alternatives pour vérifier qu’on ne peut pas tout avoir, et que la plus éclatante n’est pas nécessairement la plus heureuse.

La contrôleuse des impôts comme ennemi terrifiant (on ne voit pas son presse-papier-plug sur la photo)
Everything bagel

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Je verrai toujours vos visages

L’essentiel du film consiste en séances de parole entre détenus et victimes d’infractions similaires, préparées en amont par des médiateurs. Comprendre, non pour pardonner à l’autre, mais pour se réparer soi : c’est tout l’intérêt de ce dispositif de justice restaurative. Je verrai toujours vos visages est optimiste sans être joyeux, un concentré d’humain trop humain porté par une pléiade de bons acteurs (notamment Leïla Bekhti, Élodie Bouchez et Gilles Lellouche).

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Dancing Pina

La danse de Pina Bausch se prête décidément bien au documentaire. Pour un peu, elle passerait mieux à la caméra que sur scène, lorsque le geste est explicité dans la transmission, et les émotions qu’il remue chez les interprètes, captées à fleur d’instant.

J’ai aimé qu’il n’y ait pas de voix off, seulement les artistes qui s’expriment, danseurs et passeurs. J’ai aimé qu’on suive à la fois une transmission tout ce qu’il y a de plus classique, à une compagnie classique européenne, et celle, plus ébouriffante, de l’École des sables, rassemblant des artistes de toute l’Afrique aux parcours plus divers, avec une performance finale du Sacre du printemps dansée non pas dans un théâtre, la scène préalablement recouverte de terre apportée par bennes, mais sur le sable, sur la plage, avec le vent et quelques badauds qui n’ont pas été contenus hors-champ, un simple sillon délimitant l’espace de représentation. C’est un peu dingue.

À la fin de la séance, un monsieur  se tourne vers moi (envie de parler) et me raconte qu’en je-ne-sais-plus-combien, il avait eu la chance (envie de parler de lui, bon), alors qu’il était à l’école normale de Lille (envie de faire l’important, va pas falloir que ça dure trop), d’assister à une masterclasse… de Béjart. J’avoue, je n’avais pas vu venir la chute. (Pour l’envie de faire celui qui s’y connaît, c’est un peu raté, mais c’est mignon.)

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Awakenings (sur Amazon prime)

Première heure de film : les bons sentiments, une belle histoire édifiante, bon, pourquoi pas.
Seconde heure de film : les bons sentiments sans rythme, avec enlisement dans le pathos, c’est non.

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Bonne conduite

Déjà évoqué dans le journal d’avril.

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Fantastic Mr. Fox (sur OCS)

Une histoire toonesque, but make it animation, make it Wes Anderson. À la fois décalé et attendu. Drôle.

Le boyfriend, avec son œil de graphiste, a remarqué que Wes Anderson adorait les plans symétriques, centrés. Impossible de ne plus le voir une fois qu’on l’a vu.